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BAZOOKA
Casey cria :
— Nous arrivons sur zone. Je vais descendre en rase-mottes. L’hélico tomba comme un ascenseur express. Malgré son entraînement, Bisesa sentit son estomac se retourner.
Ils passaient maintenant près d’un village. Des arbres, des toits de tôle rouillée, des tas de pneus défilèrent à vive allure dans son champ de vision. L’hélico s’inclina et se mit à tourner dans le sens inverse des aiguilles d’une montre pour décrire un large cercle de reconnaissance. Mais, vu la façon dont elle était tassée sur sa petite banquette, Bisesa ne voyait plus rien d’autre que le ciel. Et c’est moi l’observatrice, se dit-elle. Elle poussa un soupir et vérifia le petit panneau de contrôle fixé près d’elle sur la paroi. Logés dans une nacelle suspendue sous le ventre de l’hélico, les détecteurs – caméras, compteurs Geiger, capteurs thermiques, radars et même « renifleurs » chimicosensibles – étaient braqués sur le sol.
Le Little Bird était imbriqué dans l’infrastructure de communication mondiale d’une armée moderne. Quelque part au-dessus de la tête de Bisesa se trouvait un gros hélicoptère C2 – pour « commandement et contrôle » –, mais ce n’était que la partie émergée d’une énorme pyramide inversée de technologie, depuis les drones de surveillance de haute altitude et les avions de reconnaissance jusqu’aux satellites radar et photographiques, dont tous les sens électroniques convergeaient vers cette région. Les données recueillies par Bisesa étaient analysées en temps réel par les systèmes intelligents embarqués du Little Bird et des engins naviguant à plus haute altitude, ainsi que par le centre de contrôle des opérations de la base. La moindre anomalie lui était aussitôt signalée pour confirmation par l’intermédiaire d’une liaison permanente distincte de celle qui reliait les pilotes au commandement aérien.
Tout cela était très sophistiqué, mais, comme le pilotage de l’hélicoptère lui-même, la partie recueil de données de la mission était largement automatisée. Une fois la manœuvre enclenchée, tout retomba vite dans la routine et les pilotes retournèrent à leurs plaisanteries éculées.
Bisesa savait ce qu’ils ressentaient. Elle avait reçu une formation de TCC, technicienne de contrôle de combat, en tant que coordinatrice des communications sol-air en période de conflit. Sa mission théorique était de se faire parachuter dans les zones dangereuses pour diriger du sol les frappes aériennes et les tirs de missiles. Elle n’avait encore jamais eu l’occasion de mettre à l’épreuve ses compétences. Celles-ci la rendaient idéale pour ce genre de mission de reconnaissance, mais elle ne pouvait oublier que ce n’était pas ce pour quoi elle avait été formée.
Elle n’était attachée à cette base avancée d’observation et de maintien de la paix de l’O.N.U. que depuis une semaine, mais le temps lui avait paru bien plus long. Les troupes étaient logées dans des hangars d’aviation réaménagés. Hautes de plafond, dépourvues de toute décoration, puant en permanence l’huile de moteur et le kérosène, trop chaudes la journée et trop froides la nuit, ces boîtes de plastique et de tôle ondulée sans âme avaient quelque chose d’écrasant. Pas étonnant que ses occupants aient surnommé cette base « Clavius », d’après le nom du grand avant-poste international de la Lune.
Les soldats étaient astreints à des exercices physiques quotidiens et à des tours de garde, d’entretien du matériel et autres corvées de routine. Mais ce n’était pas suffisant pour occuper leurs journées ou satisfaire leurs besoins. Dans leurs hangars aux échos sonores, ils jouaient au ping-pong ou au volley-ball, et certains groupes organisaient d’interminables parties de poker et de gin-rummy. Et, bien que les deux sexes soient répartis à peu près à égalité, l’endroit était un bouillonnement d’énergie sexuelle. Certains semblaient engagés dans une compétition pour savoir qui atteindrait l’orgasme dans la position la plus inhabituelle ou la plus acrobatique… par exemple suspendu à un harnais de parachute.
Dans une telle atmosphère, il ne fallait pas s’étonner que des hommes comme Casey Othic deviennent un peu cinglés.
Pour sa part, Bisesa se tenait à l’écart de la mêlée. Elle se débarrassait assez facilement des individus du genre de Casey… même à son époque, l’armée britannique n’avait rien d’un havre de bienséance et de parité. Elle avait même découragé les avances discrètes d’Abdikadir. Après tout, elle avait une fille de huit ans, Myra, à des milliers de kilomètres de là, une enfant calme, sérieuse, aimante, qu’elle avait laissée à la garde d’une cousine dans son appartement londonien. Bisesa ne comptait pas sur le jeu ni sur les exploits sexuels pour préserver sa santé mentale ; elle avait Myra pour ça.
De toute façon, l’importance de sa mission était une motivation suffisante.
En cette année 2037, comme depuis des siècles, la région frontalière du Pakistan et de l’Afghanistan était une poudrière. En premier lieu, c’était un point de convergence de la confrontation millénaire entre islam et chrétienté. Au grand soulagement de tous, en dehors des agitateurs et des fanatiques de tous bords, le « choc des civilisations» ne s’était jamais concrétisé. Toutefois, dans une telle région – où des troupes appartenant principalement à des nations chrétiennes maintenaient l’ordre dans une zone en majorité musulmane –, il se trouvait toujours quelque exalté prêt à appeler à la croisade ou au djihad.
Il y avait aussi des tensions mortelles. Le contentieux entre l’Inde et le Pakistan n’avait pas été apaisé par la guerre de 2020 qui avait conduit au bombardement nucléaire de Lahore, même si les belligérants et leurs soutiens internationaux avaient fait machine arrière avant d’en arriver à de plus amples destructions. Et pour ajouter à toute cette confusion, il y avait les passions, les aspirations et les difficultés des populations locales : les fiers Pachtouns qui, bien qu’admis dans le concert des nations civilisées, s’accrochaient à leurs traditions et étaient toujours prêts à défendre leur terre jusqu’à la dernière goutte de sang.
En plus des antiques rivalités, il y avait maintenant le pétrole, qui ne cessait d’attirer le monde entier vers cet endroit explosif. Malgré les prodigieuses possibilités à long terme offertes par la fusion froide, la plus prometteuse des nouvelles technologies, il n’était toujours pas prouvé que leur mise en œuvre à l’échelle industrielle soit réalisable… et on continuait à brûler les réserves mondiales d’hydrocarbures aussi vite qu’on arrivait à les extraire du sous-sol. Si bien que, là où l’Empire britannique et la Russie tsariste s’étaient jadis affrontés pour la maîtrise des richesses de l’Inde, les États-Unis, la Chine, l’Alliance africaine et l’Union européenne, tous vitalement dépendants des réserves pétrolières d’Asie centrale, étaient désormais bloqués dans un face-à-face tendu.
La force de maintien de la paix de l’O.N.U. remplissait une mission de surveillance et de police. On disait que cette région était la plus étroitement contrôlée de la Terre. Il s’agissait d’un régime imparfait à la main lourde qui créait autant de problèmes qu’il en résolvait. Mais il fonctionnait plus ou moins, depuis des dizaines d’années. C’était peut-être ce que de simples humains – et les complexes bricolages politiques, imparfaits mais durables, de l’O.N.U. – pouvaient faire de mieux.
Tout le monde, à Clavius, savait l’importance de ce travail. Mais, pour un jeune soldat, il existe peu de choses plus ennuyeuses que le maintien de la paix.
Ils furent soudain ballottés en tous sens. Bisesa sentit son pouls s’accélérer : cette mission n’allait peut-être pas être de pure routine, tout compte fait.
Tandis que l’hélico continuait à tourner en rond malgré les turbulences, Casey et Abdikadir s’activaient, parlant tous deux en même temps. Abdikadir essayait de contacter la base :
— Alpha Quatre Trois, ici Primo Cinq Un, terminé. Alpha Quatre Trois…
Casey poussait des jurons, marmonnant qu’il avait perdu la liaison avec le satellite de positionnement, et Bisesa supposa qu’il était passé en pilotage manuel pour traverser cette zone de turbulences inattendue.
— Aïe, dit plaintivement le portable de Bisesa.
Elle le tint devant ses yeux.
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
— J’ai perdu le signal, répondit l’appareil, dont l’écran affichait différents diagnostics. Ça ne m’était jamais arrivé. Je me sens… bizarre.
Abdikadir se tourna vers Bisesa :
— Nos communications sont en rade, elles aussi. Nous avons perdu la liaison avec le centre de commandement.
Bisesa vérifia en hâte ses propres cadrans. Que ce soit en émission ou en réception, elle n’arrivait plus à joindre son centre de contrôle.
— On dirait que nous avons aussi perdu le contact avec le renseignement.
— Les réseaux militaire et civil sont donc H.S. tous les deux, dit Abdikadir.
— C’est dû à quoi, à votre avis… un orage ?
Casey poussa un grognement :
— Pas si on en croit les prédictions de ces abrutis de la météo. De toute façon, j’ai déjà volé dans des orages et aucun n’a jamais eu ce genre d’effet.
— Alors, de quoi peut-il s’agir ?
Pendant quelques secondes, ils gardèrent le silence. Après tout, ils étaient tout juste à quelques centaines de kilomètres de l’endroit où une arme nucléaire avait transformé une ville en désert vitrifié. Leurs communications mortes, des vents soufflant de nulle part : il était difficile de ne pas imaginer le pire.
— Il faut au minimum envisager qu’il s’agit d’un brouillage, dit Abdikadir.
— Ouille, insista le portable.
Bisesa le serra contre elle, inquiète. Elle l’avait depuis qu’elle était toute jeune : c’était un modèle standard de l’O.N.U., distribué gratuitement pour leurs douze ans aux enfants de tous les pays dans un des efforts les plus méritoires de cette poussiéreuse institution pour unifier la planète par le biais des communications. Presque tout le monde s’empressait de jeter ces gadgets ringards mais, sensible à l’intention qui avait présidé à leur distribution, Bisesa avait toujours gardé le sien. Elle ne pouvait s’empêcher de le considérer comme un ami.
— Détends-toi, lui dit-elle. Ma mère m’a expliqué que quand elle était jeune les téléphones perdaient tout le temps le réseau.
— Ça te va bien de dire ça, répliqua son portable. C’est moi qui ai été lobotomisé.
Abdikadir fit la grimace :
— Comment peux-tu supporter ça ? Je débranche toujours les circuits intelligents. C’est trop énervant.
Bisesa haussa les épaules.
— Je sais. Mais on perd la moitié des fonctions de diagnostic.
— Et on perd un ami pour la vie, ajouta son portable.
Abdikadir renifla d’un air méprisant.
— Voilà qui va me faire pleurer. Les portables sont comme les mères catholiques… d’éminents spécialistes de la culpabilité.
L’hélico fut de nouveau secoué. Il vira et se mit à voler en ligne droite au-dessus du sol dénudé, s’éloignant du village.
— Je reprends de l’altitude, cria Casey. L’appareil est trop difficile à tenir, si près du sol.
Abdikadir arbora un sourire triomphant.
— Content de savoir que nous avons dépassé les limites de tes compétences, Casey.
— Tu sais où tu peux te mettre tes sarcasmes, bougonna Casey. Le vent vient d’un peu tous les côtés. Et regarde les fluctuations de notre vitesse par rapport au sol… eh, qu’est-ce que c’est que ça ?
Il désigna un point à terre.
Bisesa se pencha en avant pour scruter le sol. L’air déplacé par les rotors éparpillait des branchages, révélant ce qui se trouvait dessous. Elle distingua une silhouette humaine dans un trou, avec quelque chose à la main… un long tube noir… une arme.
Ils crièrent tous en même temps.
Puis le soleil s’obscurcit, comme des phares qui passent en codes, détournant l’attention de Bisesa.
L’hélico avait arrêté de tourner et se dirigeait droit vers lui, sa verrière légèrement inclinée, la queue levée. Moallim sourit et raffermit sa prise sur son bazooka. Mais son cœur battait à tout rompre, la transpiration rendait ses doigts glissants et la poussière chassée par le vent l’obligeait à cligner des yeux. Ce serait la première action d’éclat de sa vie. S’il abattait l’hélico, il deviendrait sur-le-champ un héros et tout le monde l’applaudirait, les guerriers, sa mère. Et même une certaine fille… Il ne devait pas penser à ça pour le moment, car il lui fallait encore agir.
Mais il voyait maintenant des gens, dans l’affreux habitacle en forme de bulle de l’hélicoptère. Sa prise de conscience fut brutale. Était-il vraiment sur le point de supprimer des vies humaines, comme on écrase de la vermine ?
L’hélico passa au-dessus de sa position et le souffle puissant de ses rotors dispersa son mince abri. Moallim n’avait plus le choix, il ne fallait pas hésiter, sous peine d’être tué avant d’avoir accompli son devoir.
Riant, il lança sa roquette.
— Attention, un bazooka ! hurla Abdikadir.
Casey tira sur le manche à balai. Bisesa vit un éclair et une traînée de fumée qui filait vers eux dans les airs.
Il y eut une forte secousse, comme si l’hélicoptère était passé en plein ciel sur un ralentisseur invisible. Dans la cabine, le bruit se fit soudain assourdissant et le vent s’engouffra par une déchirure de la coque.
— Merde, s’écria Casey. On a perdu un bout du rotor anticouple.
En se retournant, Bisesa vit un enchevêtrement de métal et une fine brume d’huile s’échappant d’une durite sectionnée. Le rotor principal était toujours opérationnel et l’hélico continuait à voler. Mais en un quart de seconde, la situation avait basculé : assaillie par le vent et par le bruit, Bisesa se sentait atrocement vulnérable.
— Tout reste dans des limites admissibles, à part la pression d’huile, dit Casey. Et nous avons perdu un morceau de notre boîte de transmission, là-derrière.
— Nous pouvons voler un moment sans huile, dit Abdikadir.
— C’est ce que prétend le manuel. Mais il va falloir faire demi-tour si nous voulons rentrer à la base.
Casey manœuvra son manche à balai, comme pour tester la tolérance de son appareil endommagé ; le Little Bird fut agité de trépidations.
— Dites-moi ce qui se passe, murmura Bisesa.
— C’était un lance-roquettes, dit Abdikadir. Allons, Bisesa, tu as assisté aux briefings. La chasse aux Américains est ouverte tous les jours, par ici.
— Je ne parle pas du lance-roquettes. Je parle de ça.
Elle montrait du doigt l’ouest, où un soleil rouge était en train de se coucher.
— Ce n’est que le soleil, dit Casey, qui trouvait manifestement difficile de se concentrer sur quoi que ce soit d’extérieur à l’habitacle. Oh !
Quand ils avaient décollé, à peine une demi-heure plus tôt, le soleil était haut dans le ciel. À présent…
— Dites-moi que j’ai dormi pendant six heures, dit Casey. Dites-moi que je rêve.
— Je n’ai toujours pas de réseau, annonça le portable de Bisesa. Et j’ai peur.
Bisesa eut un rire amer.
— Tu es plus solide que moi, petite peste.
Elle ouvrit une fermeture à glissière de sa combinaison et enfouit son portable au fond d’une poche.
— C’est parti, dit Casey en amorçant son demi-tour.
Le moteur hurla.
La soudaine chaleur du tube lui grilla la peau et un nuage de fumée brûlante s’éleva en tourbillons autour de sa tête, le faisant suffoquer. Mais il entendit le sifflement de la roquette, puis, quand la grenade explosa, celui des éclats de métal qui fendaient les airs, et il se roula en boule, se protégeant le visage.
Quand il releva la tête, il vit que l’hélico s’éloignait du village, mais en traînant derrière lui un épais panache de fumée noire.
Moallim se releva et poussa un hurlement de triomphe tout en essuyant la terre de son visage et en brandissant le poing. Il se retourna pour regarder vers l’est, où se trouvait son village, car les gens devaient avoir vu sa roquette décoller et l’explosion toucher l’hélico. Ils allaient accourir pour le féliciter.
Mais personne ne venait, pas même sa mère. Il ne voyait même plus le village, qui n’aurait pas dû être à plus d’une centaine de mètres et dont, encore quelques instants plus tôt, on apercevait les toits de terre et les murs inclinés, avec les enfants et les chèvres qui couraient entre les maisons. Son village avait disparu, la plaine rocailleuse s’étendait jusqu’à l’horizon, comme s’il avait été proprement rasé de la surface de la terre. Moallim était seul, seul avec son trou dans le sol, son lance-roquettes brûlant et la grande colonne de fumée qui se dispersait lentement au-dessus de sa tête.
Seul sur cette plaine immense.
Quelque part, un animal rugit. C’était un grognement sourd, comme produit par un gigantesque mécanisme. Terrifié, Moallim replongea en gémissant dans son trou.
Le demi-tour était plus que pouvait en supporter le rotor endommagé. La carlingue vibra autour de Bisesa et les arbres de transmission privés de lubrifiant émirent une protestation déchirante.
Il ne doit pas y avoir plus d’une minute que la roquette a frappé, se dit-elle.
— Il faut nous poser, dit Abdikadir d’une voix angoissée.
— Bien sûr, répondit Casey. Où ça ? Abdi, là-dehors, même la plus gentille des grands-mères se trimballe avec un couteau grand comme ça pour te couper les couilles.
Bisesa pointa le doigt par-dessus leurs épaules :
— Qu’est-ce que c’est que ça ?
À un peu plus de deux kilomètres se dressait une bâtisse de pierre et de terre. Il était difficile de bien la distinguer dans l’éclat de ce soleil bizarre.
— On dirait une forteresse.
— Ce n’est pas une des nôtres, dit Abdikadir.
L’hélico survolait maintenant des gens… des gens qui s’éparpillaient en courant, vêtus pour certains de vestes rouge vif. Bisesa était assez près pour voir qu’ils étaient bouche bée de surprise.
— C’est toi la spécialiste du renseignement, lui lança Casey. Qui diable sont ces gens ?
— Je n’en ai pas la moindre idée, murmura-t-elle.
Il y eut une explosion assourdissante. Le Little Bird piqua du nez et se mit à tourner sur lui-même. Le rotor de queue s’était désintégré. Soulagée du poids de celui-ci, la carlingue avait basculé en avant et plus rien n’empêchait maintenant l’appareil de tourner autour de l’axe de son rotor principal. Casey eut beau peser de tout son poids sur le palonnier, le tournoiement continua – et s’accéléra – jusqu’à ce que Bisesa se retrouve plaquée contre la cloison de l’habitacle et que se mélangent le jaune de la terre et le bleu du ciel qui virevoltaient de l’autre côté de la verrière.
Quelque chose surgit au-dessus d’un monticule. Josh vit du métal tourbillonnant, des lames telles des épées qu’aurait maniées un derviche invisible. Au-dessous se trouvait une bulle de verre, et plus bas des espèces de tringles. C’était une machine… une mécanique voltigeante, cliquetante, d’un genre qu’il n’avait jamais vu et qui soulevait un nuage de poussière. Et elle continuait à s’élever, montant dans les airs jusqu’à ce que ses tringles inférieures se retrouvent à une petite dizaine de mètres au-dessus du sol. De sa queue jaillissait une fumée noire.
— Bon sang de bois ! s’exclama Ruddy. J’avais raison – les Russes – ces fichus Russes !…
La machine volante plongea soudain vers le sol.
— Allons-y ! s’écria Josh, courant déjà.
Luttant pour lever les bras malgré la force centrifuge, Casey et Abdikadir atteignirent les manettes coupe-circuit du moteur principal. Ils réussirent à arrêter le rotor et le mouvement de vrille de l’hélico ralentit brusquement. Mais, sans moyen de propulsion, l’appareil tomba comme une pierre.
Bisesa vit le sol se rapprocher à toute allure, tandis que grossissaient les détails les moins accueillants de la végétation rabougrie et des rochers qui projetaient de longues ombres à la lumière de ce soleil beaucoup trop bas. Elle se demanda quel lopin de cette terre rébarbative allait devenir sa tombe. Mais les pilotes tentèrent une ultime manœuvre. Au dernier instant, la bulle se redressa, recouvrant presque son aplomb. Bisesa savait combien c’était important : cela signifiait qu’ils s’en sortiraient peut-être.
La dernière chose qu’elle vit fut un homme qui accourait vers le Little Bird en perdition, pointant une sorte de fusil.
L’hélico s’écrasa.