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Mardi 5 avril, 20 heures

Grayson lui avait proposé de s’installer à côté de lui, sur le siège du passager, mais Paige avait décliné l’offre, prétextant qu’il lui fallait de l’espace. A en juger par la manière dont elle s’accrochait à son chien, il la soupçonna d’avoir plutôt besoin de réconfort.

— Je donnais des cours d’autodéfense à Minneapolis, dit-elle. Mes élèves étaient surtout des femmes, et la plupart d’entre elles avaient des maris violents. D’autres avaient été victimes d’agressions dans la rue.

Cela, il l’avait déjà compris.

— Qui était Thea ? s’enquit-il.

— L’une de mes élèves… Elle n’osait pas quitter son mari, mais sa sœur l’avait convaincue d’apprendre à se défendre toute seule.

— Elle l’a quitté, son mari ?

— Oui, elle a fini par le quitter. Elle avait trouvé un emploi au centre d’aide dans lequel je travaillais. Son mari l’a sommée de démissionner ou de quitter le domicile conjugal. Il l’a surprise pendant qu’elle déménageait chez sa sœur. Le temps a passé. Et puis, un soir, il a carrément essayé de l’enlever, alors qu’elle sortait du centre. Il lui avait déjà envoyé des messages menaçants par e-mail, lui ordonnant de revenir à la maison.

— Pourquoi ne l’a-t-elle pas dénoncé ? demanda Grayson à voix basse.

Mais il connaissait déjà la réponse à cette question.

— Il était flic, répondit Paige. Elle avait peur que personne ne la croie ou, pire, qu’il exerce des représailles. Elle avait raison, d’ailleurs, comme on l’a vu ensuite. La première fois que j’ai vu ce type porter la main sur elle, on venait de terminer le cours. Je me suis interposée et je l’ai menacé de le dénoncer s’il ne partait pas tout de suite. C’est ce qu’il a fait.

— Et vous ne l’avez pas dénoncé ?

— Non. J’en avais l’intention, mais Thea m’a suppliée de ne pas le faire. Elle m’a promis qu’elle s’en chargerait elle-même. Je l’ai crue. Et je le regrette, à présent… Parce qu’elle n’a pas osé le faire. Et il a fait une nouvelle tentative, une semaine plus tard. Elle se trouvait devant la maison de sa sœur, qui s’est mise à hurler en voyant ça, ce qui l’a fait fuir. Puis sa sœur a demandé au tribunal de lui signifier une injonction temporaire de ne pas approcher de Thea…

— Et qu’est-ce qui s’est passé ?

— Son mari risquait une sanction administrative à la suite de cette dénonciation. Elle avait peur qu’il ne se venge. Mais que pouvait-on faire ? Nous avons continué à vivre sans changer nos habitudes. Le soir du drame, je venais de terminer mon cours et il ne restait plus personne au centre. Nous étions seules, Thea et moi. Dès que je les ai entendus entrer dans le centre, j’ai appelé police secours sur mon portable, que j’ai remis dans ma poche sans l’éteindre. La standardiste a ainsi entendu ce qui s’est passé ensuite, du début jusqu’à la fin.

Son visage restait calme, mais son poing se serrait et se desserrait sans cesse. Grayson se souvint du regard paniqué qu’elle avait eu, dans le parking couvert, lorsqu’elle l’avait imploré de ne pas la maintenir au sol, et il redouta ce qu’il s’apprêtait à entendre.

— Ils étaient quatre ? demanda-t-il d’un ton furieux, alors qu’il aurait voulu poser cette question d’une voix calme et détachée.

— Oui, répondit-elle. Mais ça ne s’est pas passé comme vous semblez le croire. Ils ne l’ont pas violée.

Elle relâcha son souffle en voyant Grayson se détendre un peu.

— Ces quatre types, poursuivit-elle, portaient des masques. L’un d’eux s’était emparé de Thea et lui avait plaqué un pistolet sur la tempe. J’ai tout de suite compris que c’était son mari.

— Il était venu pour tuer sa femme ?

— C’est difficile à dire. Aujourd’hui encore, je ne pourrais pas l’affirmer. En tout cas, il voulait lui faire très, très peur. Et me rabattre le caquet. Il a demandé à ses amis de « donner une leçon à la ceinture noire ».

Grayson contint à grand-peine sa fureur.

— Ah oui, dit-il, je me souviens que vous avez dit à Bashears que vous étiez ceinture noire de karaté.

— Troisième dan, précisa Paige. Les trois hommes ont tiré à la courte paille pour savoir qui se mesurerait en premier à moi. Ils étaient morts de rire. Thea, elle, était morte de peur.

Sa voix se fêla avant qu’elle ne poursuive :

— Je revois encore son regard affolé, dirigé vers moi. Elle semblait me supplier de faire quelque chose… De l’aider. Mais je ne l’ai pas aidée…

La main posée sur l’épaule, elle tremblait à présent de tout son corps.

— Je ne pouvais pas l’aider, reprit-elle d’une voix brisée. Je ne pouvais même pas m’aider moi-même.

Tant pis pour son besoin d’espace, se dit Grayson. Il sortit de la voiture et ouvrit la portière de Paige. Il l’aida à sortir et la prit dans ses bras. Il guida ses mains tremblantes pour qu’elle lui entoure le dos sous son manteau.

— Accrochez-vous à moi et respirez un grand coup, dit-il.

Il l’enveloppa dans son manteau et posa la joue sur le haut de sa tête pour l’abriter de la pluie… Et des regards indiscrets ou de l’objectif d’une caméra — ou de la lunette d’un tireur embusqué. Elle le serra fort. Et il la serra encore plus fort.

Grayson comprit alors qu’il avait besoin de l’étreindre autant qu’elle avait en besoin elle-même. La solitude de cette femme le touchait au cœur. Car il était, comme elle, un solitaire.

— Je suis désolée, murmura-t-elle.

— Pas un mot, chuchota-t-il en lui caressant les cheveux pour la consoler. Vous n’avez rien à vous reprocher.

Il regarda autour de lui, conscient du risque qu’ils prenaient en restant ainsi, exposés à la vue de tous. Il aurait voulu que ce ne soit qu’un accès de paranoïa, mais il savait que le danger était réel.

— Nous ne pouvons pas rester ici. Retournez dans la voiture, dit-il.

Elle remonta sur la banquette arrière tandis qu’il démarrait. Elle garda prudemment la tête baissée jusqu’à ce qu’ils soient sortis du parking.

— Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? demanda Paige.

— On va découvrir qui a tué Crystal Jones.

Mardi 5 avril, 20 h 10

Silas abaissa le canon de son fusil lorsque la voiture de Grayson Smith démarra. Il baissa les yeux vers ses mains tremblantes. Il avait eu Paige dans son collimateur pendant un bref instant.

Mais il n’avait pas pu appuyer sur la détente. Il les avait vus se garer devant le pavillon des Delgado alors que lui-même s’éloignait en voiture. Quand ils en étaient ressortis, il les avait suivis jusqu’au fast-food — nommé Bertie’s Burger — et s’était embusqué, attendant le moment propice pour tirer. Le matin, il n’avait pas voulu abattre Paige. Aux yeux du commanditaire, il avait échoué. Il fallait qu’il se rattrape. Il fallait qu’il regagne la confiance de celui-ci.

Mais Paige avait prudemment gardé la tête baissée. Elle n’est pas bête, cette fille. La venue de la policière avait décontenancé Silas, à maints égards. Si son commanditaire apprenait que Grayson et Paige avaient découvert le cadavre de Delgado, sa situation deviendrait encore plus délicate. Il ne lui restait qu’à espérer que le commanditaire avait un plan B.

Car je lui appartiens. Jusqu’à la fin de ma vie.

Il avait eu Paige dans son viseur pendant une petite seconde, quand Smith l’avait sortie de la voiture et l’avait prise dans ses bras. Mais le regard de cette femme l’avait ébranlé. Elle avait fait preuve de tant de courage, tout au long de la journée… Elle avait affronté tant de périls… Or, en cet instant où il aurait pu, d’une simple pression du doigt, mettre un terme à son existence, elle lui avait paru fragile. Hébétée. Apeurée.

Et la main de Silas avait tremblé. Ensuite, il ne pouvait tirer sans risquer d’atteindre le procureur. Certes, son commanditaire n’aurait rien trouvé à redire à ce dommage collatéral… Mais Silas n’avait pu se résoudre à commettre ce meurtre non plus.

Il n’avait jamais tué un ami. Mais ça pouvait venir.

Il sortit la photo dont il ne se séparait jamais. Il contempla le sourire de sa fille. Il lui manquait une incisive et son menton était taché de glace au chocolat. Il se frotta la poitrine du revers de la main, à l’endroit où battait son cœur brisé. Cherri avait cinq ans quand cette photo avait été prise. C’était un 4 juillet, vingt longues années auparavant. A présent, le cliché était décoloré, ses bords flétris par une manipulation quotidienne.

Tu me manques, bébé. Je pense à toi tous les jours de ma vie.

Il rangea la photo dans sa poche intérieure, contre son cœur, et ouvrit son téléphone portable. Sur l’écran, c’était le bébé de son bébé qui lui souriait à présent. Violet avait les yeux de Cherri. Silas était bien décidé à protéger sa petite-fille, quoi qu’il advienne. Il ferait tout son possible pour qu’elle n’apprenne jamais la vérité.

Même s’il fallait, pour cela, tuer une femme courageuse dont le grand tort avait été de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Même s’il fallait tuer un ami.

J’ai encore échoué.

Heureusement, rien ne l’obligeait à informer le commanditaire de ce nouvel échec.

Silas rangea son fusil dans son étui et se concentra sur sa prochaine mission. Il sortit la photo qu’il avait imprimée sur un site internet consacré aux sports de combat. Roscoe « Jesse » James était un affreux qui avait pris trop de coups au visage, au cours de sa carrière de lutteur professionnel.

James avait été arrêté à plusieurs reprises, mais il n’avait jamais été condamné. Quel veinard ! songea Silas en gloussant amèrement. La chance de Roscoe James allait bientôt cesser. Pour toujours.

Mardi 5 avril, 20 h 15

Il abaissa ses jumelles tandis que Silas quittait les lieux en voiture. Il y en a, du monde, sur ce parking, ce soir, songea-t-il avec ironie. Il sortit une cigarette de son paquet et l’alluma, inspirant profondément la fumée.

Il en avait appris davantage que prévu. Il était à présent certain que Paige Holden savait vraiment quelque chose. Il savait aussi qu’elle et Smith avaient appelé une policière à la rescousse, et cela ne lui disait rien qui vaille.

Cela signifiait que d’autres flics allaient s’impliquer dans l’enquête. Sinon, Holden aurait déjà remis ce qu’elle détenait de compromettant à ceux qui l’avaient interrogée le matin. Et cela, il savait déjà qu’elle ne l’avait pas fait.

Mazzetti était un bon choix, de la part de Holden et Smith. Elle était… incorruptible. Il était bien placé pour le savoir. Il avait tenté de l’acheter, quelques années auparavant. Mais elle n’avait pas mordu à l’appât. Elle comptait parmi ces créatures nuisibles que sont les flics honnêtes.

Il avait appris, en outre, qu’il y avait indiscutablement un lien sentimental entre Holden et Smith. Il s’en était déjà douté lorsqu’il avait vu à la télévision la vidéo de la tentative avortée d’assassinat de Holden, dans le parking couvert. Mais à présent, il en était certain. Cette information était extrêmement utile. Car ce Smith avait une famille… Il est si facile de persuader les hommes qui ont une famille.

Et enfin, il avait eu confirmation de ce qui l’avait incité à venir surveiller Silas dans ses œuvres : Silas devient mou. Il le soupçonnait de faiblir depuis un certain temps, en fait. Il l’avait suivi chez Delgado pour en être certain. Silas lui avait mis la puce à l’oreille en rechignant à vouloir liquider Roscoe James. C’était déjà de très mauvais augure. L’air décomposé qu’affichait Silas en sortant de chez Delgado était un plus mauvais signe encore.

Mais le pire, c’était qu’il n’ait pas abattu Holden et Smith quand il les avait eus dans sa ligne de mire. Silas était en train de craquer.

Ce type a besoin d’être sérieusement rappelé à l’ordre.

Ce n’était pas difficile. Il suffisait de connaître son talon d’Achille. Et si ce rappel à l’ordre ne suffisait pas, il n’aurait aucun scrupule à mettre sa menace à exécution.

A présent, il lui fallait décider du sort de Holden et de Smith. Il y réfléchit un instant avant de prendre une décision et de sortir son téléphone portable de sa poche.

La personne qu’il appela décrocha à la première sonnerie et dit d’emblée :

— Alors ?

— Les flics sont au courant, répondit-il.

— Tu m’as assuré que tu ferais en sorte qu’ils ne sachent jamais rien.

— Eh bien, malheureusement, ce n’est pas le cas. Nous savions depuis le début que faire porter le chapeau à Ramon Muñoz ne serait pas chose aisée. Il va falloir activer notre plan B.

Il y eut un long silence tendu.

— Maudite garce, elle aurait mieux fait de laisser tomber, finit par grommeler l’autre.

Il n’aurait su dire si cette remarque se référait à Elena ou à Crystal Jones.

— Tu es d’accord ? demanda-t-il.

— Oui ! lança l’autre.

— Fais ce que tu dois faire. Je compte sur toi. A toi de réparer les dégâts.

La communication fut brusquement coupée.

— C’est ma spécialité, dit-il.

Mardi 5 avril, 21 heures

Paige demeura silencieuse tandis qu’elle se dirigeait vers son immeuble, tenant Peabody en laisse. Grayson la suivait de près, pour la couvrir. Ils étaient convenus qu’il sortirait le chien une fois que Paige serait en sécurité dans son appartement.

Grayson se tenait sur ses gardes, tendant l’oreille et scrutant les alentours. La cage d’escalier était vide. Arrivé au premier étage, il se surprit à loucher sur le pantalon moulant que portait Paige, sur le mouvement ondulé de ses fesses à chaque marche gravie.

Lorsqu’ils arrivèrent devant la porte d’entrée de l’appartement de Paige, il chassa ses pensées lubriques et ne songea plus qu’à son rôle de garde du corps. Elle a pris toutes les précautions, songea-t-il. Appartement au deuxième étage, porte blindée, serrure trois points à pêne dormant flambant neuve… Sans parler de l’énorme chien de garde et du véritable arsenal dont elle ne se séparait pas.

— La serrure à pêne dormant, c’est un peu exagéré, j’en conviens, dit-elle. Mais ça me rassure.

— Alors, ça n’a rien d’exagéré, dit Grayson.

Elle esquissa un sourire. Une fois à l’intérieur, elle verrouilla la serrure et posa son sac à dos sur un vieux secrétaire démodé.

— Mettez-vous à l’aise, dit-elle.

Puis elle alla tout droit dans la cuisine, le laissant seul et surpris par l’intérieur qu’il découvrait.

Il s’était attendu à une décoration moderne et clinquante. Au lieu de cela, ce n’étaient que meubles anciens aux couleurs vives qui évoquaient vaguement le Tyrol avec ses coucous et ses culottes de peau. Un imposant garde-manger patiné par le temps se dressait contre l’un des murs du salon, ce qui le surprit de nouveau. Cette décoration rustique, qui fleurait le bon vieux temps de la conquête de l’Ouest, ne cadrait pas, a priori, avec cette jeune femme dynamique. Et pourtant, étrangement, on sentait qu’elle y était à l’aise. C’était un endroit douillet, simple et accueillant. Il s’assit sur le canapé et fut heureux de le trouver confortable. Son regard se posa sur le couloir qui menait certainement à la chambre de Paige. Le lit qui s’y trouvait était sans doute beaucoup plus confortable encore que le canapé. Mais s’il y couchait, ce ne serait pas pour y dormir…

Une sonnerie dans sa poche de pantalon le fit sursauter. Il se souvint qu’il ne lui avait jamais rendu le téléphone jetable qu’elle avait laissé tomber sur le sol du parking.

— Votre téléphone jetable sonne, dit-il.

— Ça doit être Clay.

Elle sortit précipitamment de la cuisine en tendant la main. Il lui remit l’appareil et elle l’ouvrit.

— C’est moi, répondit-elle. Où êtes-vous ?

Son regard s’assombrit.

— Quelle garce ! s’écria-t-elle.

Elle ferma les yeux pendant que son correspondant lui posait une question, et répondit :

— Oui, on l’a vu, Delgado… Il est mort.

Elle se tourna vers Grayson avant d’ajouter :

— On a fait appel à une policière en laquelle il a confiance. Vous connaissez l’inspecteur Mazzetti ?

Elle attendit la réponse et dit :

— Je vous promets d’être prudente. Rappelez-moi quand vous aurez retrouvé Zachary.

— Zachary ? Ah, oui, c’est le petit garçon qui a été enlevé par sa mère, se souvint Grayson. Qu’est-ce que sa mère a encore fait ?

— Elle réclame au père dix mille dollars en échange de Zachary…

— J’ai beau en avoir vu des vertes et des pas mûres dans ma carrière, là, je suis carrément scié… J’ai du mal à croire qu’une mère puisse infliger de telles horreurs à son propre enfant !

Paige haussa les épaules.

— C’est la drogue… Elles feraient n’importe quoi pour de la drogue. Parce qu’elles préfèrent la drogue à leurs gamins, martela-t-elle d’un ton dur mais avec une pointe de regret.

Grayson avait été confronté à suffisamment de parents toxicomanes pour comprendre que la mère de Paige avait fait partie du lot. Il la suivit dans la cuisine, où elle était en train de faire chauffer de l’eau dans une bouilloire.

— Je vais faire du thé. Vous en voulez ? demanda-t-elle.

— Avec plaisir.

Il s’adossa au cadre de la porte et l’observa pendant qu’elle versait des feuilles de thé dans une théière.

— La décoration de votre appartement m’a surpris, avoua-t-il. Je ne vous imaginais pas en adepte de La Petite Maison dans la prairie.

Elle esquissa un sourire.

— C’est mon grand-père qui a construit le garde-manger et le bureau. Et c’est son propre grand-père qui a fabriqué la table du salon. Je suis la descendante d’une longue lignée de Norvégiens du Minnesota.

Il éclata de rire.

— Vous plaisantez ? Jamais je ne vous aurais crue Norvégienne…

Elle redressa très légèrement le menton.

— A cause de mes cheveux ? demanda-t-elle.

Il s’approcha d’elle et lui caressa les cheveux.

— Et de vos yeux, précisa-t-il doucement.

Les joues de Paige s’empourprèrent.

— Le grand Norvégien blond, genre Viking, c’est un stéréotype, dit-elle d’un ton dégagé. Il y a des Norvégiens bruns, figurez-vous. Sauf dans ma famille…

— Votre mère était blonde ?

Les doigts de Paige se raidirent sur les tasses qu’elle venait de sortir du placard.

— Oui, répondit-elle.

— Et votre père ?

Il frisait l’indiscrétion, mais il avait vraiment envie d’en savoir plus sur elle.

— Je ne sais pas, dit-elle d’une voix crispée. Je ne l’ai jamais rencontré. Vous voulez de la tarte ?

Ce n’était pas la manière la plus subtile de changer de sujet, mais il n’insista pas.

— C’est vous qui l’avez faite ?

Elle leva les yeux vers lui.

— Oui, répondit-elle. Je ne suis pas un cordon-bleu, comme Brian. Mais il paraît que je fais de bonnes tartes.

— Alors, oui, s’il vous plaît.

Elle mit des tranches dans le four et rangea le reste dans le réfrigérateur.

— Si vous rangez vos tartes dans le frigo, à quoi sert le garde-manger de votre grand-père ? s’étonna-t-il.

— Venez voir.

Elle passa devant lui, tout en ouvrant la fermeture à glissière de son blouson. Son pull moulant épousait ses formes, donnant un aperçu très explicite de son anatomie. Grayson la suivit sans dire un mot, se retenant pour ne pas palper ces formes appétissantes.

Elle ouvrit les portes du garde-manger, qui s’avéra contenir un grand coffre-fort dans lequel elle conservait ses armes à feu.

— C’est un ami qui me l’a offert pour Noël, dit-elle.

Elle composa le numéro de la combinaison, si rapidement qu’il échappa au regard de Grayson. A vrai dire, ce n’était pas le coffre qu’il regardait mais les seins de Paige — et il se dit que ce coup d’œil un peu trop soutenu ne lui avait sans doute pas échappé.

— Votre ami est menuisier ? demanda-t-il.

— Non, il est pompier. Mais David est très bricoleur.

Paige désigna une photo encadrée, qui ornait une étagère.

— C’est lui, dit-elle.

Il examina la photo, se maudissant pour la jalousie qu’il sentait naître en lui. L’homme qui se tenait au côté de Paige sur la photo aurait pu être mannequin. Ils formaient tous les deux un couple adorable. Tous deux étaient vêtus de kimonos, ceinture noire à la taille.

— Lui aussi, il est ceinture noire de karaté, précisa-t-elle.

Evidemment, songea Grayson avec une pointe d’envie.

— David est le mari de ma meilleure amie Olivia, expliqua-t-elle.

Grayson sentit sa jalousie s’évanouir comme par enchantement.

— Ah oui… Celle qui a arrêté le type qui voulait se venger de vous, se souvint-il.

— Oui, répondit-elle en fermant les yeux.

Elle consulta sa montre et grimaça légèrement.

— J’étais censée la rappeler, et j’ai deux heures de retard. Elle se fait tout le temps de la bile pour moi. Mais moi, ça m’énerve qu’elle se sente obligée de s’inquiéter comme ça.

— C’est vous qui lui avez présenté son mari ?

— Non, c’était un ami de sa famille. Je l’ai rencontré au dojo que je fréquentais à Minneapolis.

Elle ôta son holster latéral.

— Il était mon uke quand je donnais des cours d’arts martiaux.

— C’est quoi, un uke ?

Elle ôta le chargeur du Glock et rangea celui-ci dans le coffre.

— Dans les arts martiaux japonais, l’uke est celui qui subit la technique qu’exécute le tori. Mes élèves aimaient s’entraîner avec lui. Face à lui, ils se sentaient à l’aise. Sa force tranquille les rassurait.

— Il vous manque, manifestement, constata Grayson.

Elle s’agenouilla et sortit de sa chaussure le revolver qu’elle y avait caché.

— Tous les jours, dit-elle. Avec Olivia et Brie, David est mon meilleur ami.

— Où se trouvait-il la nuit où vous avez été agressée au centre d’aide ?

Elle rangea le revolver à canon court dans le coffre.

— En lune de miel, répondit-elle. Olivia et lui ont interrompu leur voyage dès qu’ils ont appris la terrible nouvelle.

— Pourquoi avez-vous quitté Minneapolis ? Si tous vos amis y vivent, pourquoi êtes-vous venue vous installer ici ?

Grayson vit la mâchoire de Paige se serrer et sa main se crisper sur la poignée du coffre-fort.

— J’étouffais, dit-elle sans plus de précision.

La bouilloire se mit à siffler, et Paige referma le coffre. Elle se précipita dans la cuisine. Grayson remarqua qu’elle avait conservé l’autre revolver à canon court, qui était dans le holster fixé à sa taille. Ressentait-elle toujours le besoin d’être armée chez elle, ou était-ce en raison de la journée épouvantable qu’elle venait de vivre ?

Il aurait parié que la première hypothèse était la bonne. Comment allait-elle donc faire pour chasser toutes ses angoisses et mener enfin une vie normale ?

Mardi 5 avril, 21 h 20

Paige appela Olivia sur son téléphone portable tout en éteignant le feu sous la bouilloire. Elle se prépara à affronter de nouvelles remontrances et, une fois de plus, ne fut pas déçue.

— Tu n’appelles jamais, tu n’écris jamais ! s’exclama Olivia.

— Je me porte très bien, répondit Paige en s’efforçant de paraître calme.

La présence de Grayson la rendait un peu nerveuse.

— Combien de points de suture ? demanda Olivia.

Paige comprit qu’elle avait vu, elle aussi, la vidéo sur l’agression dans le parking couvert.

— Quinze, répondit-elle.

Olivia lâcha un soupir.

— Ils l’ont attrapé, ce salaud ?

— Pas encore. Et, à vrai dire, j’ai été trop occupée pour m’en soucier.

Il y eut une longue, très longue pause.

— Qu’est-ce qui t’arrive, Paige ? finit par demander Olivia d’une voix empreinte de suspicion.

Paige se frotta le front avant de tout raconter à son amie, depuis le jour où Maria l’avait contactée jusqu’au meurtre de Delgado.

— Je viens à Baltimore demain, déclara Olivia. Noah m’a déjà dit qu’il pourrait assumer tout seul notre charge de travail, et David a proposé d’acheter des billets d’avion pour Brie et moi.

Le simple fait d’entendre les noms de ces êtres chers raviva le mal du pays de Paige, dont l’estomac se noua. Noah était le partenaire d’Olivia. Son épouse, Eve, avait compté parmi les meilleures élèves de Paige, lorsqu’elle donnait des cours d’autodéfense. Si Brie et Olivia venaient l’épauler dans cette mauvaise passe, ce serait comme au bon vieux temps.

Si Paige avait pu remonter le temps et renouer avec l’existence qu’elle menait avant cet été effroyable, elle aurait signé tout de suite. Mais elle ne pouvait effacer de son esprit les regards pleins de sollicitude de ses proches. C’était l’une des choses qu’elle ne supportait plus, et qui l’avait fait fuir Minneapolis et son cercle d’amis.

— Ce n’est pas la peine, pour l’instant, dit-elle. Si j’ai besoin de vous, je te le ferai savoir.

— A d’autres ! répliqua sèchement Olivia. Tu te renfermes sur toi-même. Et ça fait neuf mois que ça dure. Tu te recroquevilles dans ta carapace, et tu nous oublies. Pourquoi refuses-tu mon aide ?

Olivia n’avait pas tort. Mais Paige n’y pouvait rien : elle s’était isolée délibérément et ne savait pas comment redevenir sociable.

— Je m’en sors très bien, dit-elle. D’ailleurs, j’ai déjà de l’aide.

— Ah, oui… Le procureur… J’ai bien vu, en effet, comment il t’aidait, celui-là.

Paige sentit ses joues s’empourprer.

— S’il n’avait pas été là, je serais morte, fit-elle remarquer.

— Quinze points de suture… J’ai vu la vidéo. Pourquoi ne m’as-tu pas parlé de ce type ?

Paige perçut dans la voix de son amie une blessure qu’elle n’aurait voulu lui causer pour rien au monde.

— Je l’ai rencontré pour la première fois aujourd’hui, protesta-t-elle. C’est la pure vérité.

— Ah ! Ça, c’est… En fait, je ne sais pas trop quoi en dire…

— Moi non plus, dit Paige.

Elle se tourna et vit Grayson, posté à la fenêtre, qui surveillait le parking au travers du store. Il portait encore son costume, même s’il avait dénoué sa cravate. Sa veste avait dû être taillée sur mesure : ses épaules étaient trop larges pour le prêt-à-porter. Il était immobile et dégageait une tension presque imperceptible. Il semblait prêt. A quoi, exactement ? Paige n’aurait su le dire.

Malheureusement, elle aussi, elle était prête. Et elle savait exactement à quoi.

— Ne te précipite surtout pas tête baissée dans une liaison, dit Olivia comme si elle avait lu dans ses pensées. Tu pourrais le regretter.

— Je ne suis pas idiote, Liv, murmura Paige. Ça fait dix-huit mois que j’attends le prince charmant. Je ne vais pas revenir sur mes bonnes résolutions du jour au lendemain, sur un caprice.

Plus tard, peut-être, mais pas aujourd’hui, en tout cas.

— Je veux juste que tu sois heureuse, dit Olivia. Comme tous les amis, ici. On se fait beaucoup de souci pour toi et on se sent impuissants.

— Et c’est pour ça que je vous aime tous… parce que je sais que vous pensez à moi. Je te rappellerai demain, c’est promis.

— Si je n’ai pas de nouvelles de toi demain, je vais les acheter, ces billets d’avion… Le procureur est avec toi, là ?

— Oui.

Il venait de se décoller de la fenêtre et s’était rendu dans la cuisine, d’où il la regardait en fronçant les sourcils. Elle aurait voulu effacer cette mine renfrognée d’une caresse, mais elle ne se fiait pas assez à elle-même pour s’en tenir à une simple caresse.

C’était trop tôt. Quand il la tenait dans ses bras, elle se sentait si bien…

— Je ne cours aucun danger, dit-elle à Olivia. Il faut que je te quitte, maintenant. Si j’ai besoin de ton aide, je te rappellerai. Promis, juré.

Elle raccrocha et son regard croisa celui de Grayson, plein de curiosité… mais aussi de désir.

— Mon amie s’inquiète pour moi, expliqua-t-elle. Ça me rend dingue.

— Et les gens de votre famille ? demanda-t-il. Ils ne s’inquiètent pas pour vous ?

Elle sortit les parts de tarte du four et passa devant Grayson pour les apporter sur la table.

— Ce sont mes grands-parents qui m’ont élevée, et ils sont morts tous les deux. Il ne me reste donc que des amis pour se soucier de mon sort. Venez manger un peu de tarte avec moi, que je ne me sente pas coupable de manger des sucreries au lieu d’un repas équilibré.

Il semblait avoir d’autres questions à lui poser, mais il s’en tint là.

— Ça sent bon.

— Et c’est bon, dit-elle. Pouvez-vous aller me chercher mon sac à dos ? Je voudrais travailler sur ces minutes du procès.

— Il vaudrait mieux que ce soit moi qui m’en charge, dit Grayson. Vous, vous avez besoin de sommeil.

Elle secoua la tête.

— Je n’arrive pas à dormir. Quand je ferme les yeux, je vois le cadavre de Delgado. Et celui d’Elena. Et puis le temps passe… Il faut que je fasse quelque chose et que je me rende utile.

— Bon, dit-il. Alors commençons par nous renseigner sur Crystal Jones. Mais mangeons d’abord. Je ne savais pas que j’avais aussi faim avant de humer l’arôme de cette tarte.

Et moi, je ne savais pas que j’avais autant besoin d’un homme avant que tu ne me prennes dans tes bras.

A présent, il lui en fallait plus. Bien plus. Mais cela pourrait s’avérer beaucoup plus nocif, pour elle, que de remplacer un repas complet par un dessert.

Mardi 5 avril, 21 h 35

Grayson sortit le dossier Muñoz de son sac de sport, mais y laissa le dossier que Daphné avait réuni sur Paige. Il le lirait plus tard, quand elle serait endormie.

Les minutes du procès étaient déjà ouvertes sur la table, devant Paige, à côté d’un carnet à spirale. Elle en avait déjà noirci plusieurs pages en sténo, ce qui ne manqua pas de le surprendre.

— Où avez-vous appris la sténo ? demanda-t-il.

— J’ai été auxiliaire juridique pendant plusieurs années. Je transcrivais des dépositions et je participais aussi à des enquêtes dans des procédures civiles.

Elle marqua une brève pause avant de préciser :

— J’ai même travaillé pour un avocat pénaliste, à un moment.

Il ne s’étonna pas autant qu’elle semblait s’y attendre.

— Et alors ? Tous ses clients étaient innocents ? demanda-t-il d’un ton caustique.

— Bien sûr que non. Ils étaient tous coupables, oui ! D’ailleurs, je n’y ai pas travaillé longtemps, dans ce cabinet.

— Vous avez déjà collaboré avec l’accusation ?

— Non. En revanche, j’ai longtemps travaillé pour un cabinet spécialisé dans les litiges familiaux. J’y faisais, à peu de chose près, ce que je fais dans l’agence de Clay. Je prenais des photos de conjoints adultérins et ce genre de choses…

— Vous avez déjà songé à vous inscrire à la fac de droit ?

— Tous les jours, quand j’ai commencé à travailler dans le juridique. Mais il m’aurait fallu de l’argent pour payer les droits d’inscription, et je n’en avais vraiment pas les moyens.

— Je constate avec plaisir que vous esquivez de moins en moins mes questions.

Elle le regarda d’un air hilare, mais reprit aussitôt son sérieux et se mit à lire ses notes à voix haute :

— Crystal Jones, âgée de vingt ans, s’est rendue dans une fête le 18 septembre au soir. Elle a été retrouvée morte, le lendemain matin, dans une remise du domaine où avait lieu la fête. C’est un jardinier qui a découvert le corps. Pas Ramon, qui n’avait pas encore pris son service, mais un autre. Crystal avait été poignardée à deux reprises et il y avait des marques de strangulation sur son cou. Sa robe était relevée jusqu’à la taille, et son torse était dénudé.

— L’examen du corps n’a révélé aucune trace de viol, dit Grayson. Aucun signe d’agression sexuelle.

— On lui aura au moins épargné ça, marmonna Paige avant de poursuivre sa lecture. Crystal fréquentait la fac de Georgetown, où elle suivait principalement des études de gestion, mais aussi de sciences politiques. C’est là qu’elle a rencontré le garçon qui l’a invitée à cette fête, Rex McCloud, qui était en troisième année à Georgetown.

— Ah, Rex McCloud…, murmura Grayson. Le petit-fils du sénateur James McCloud. Dès que le mot « sénateur » a été mentionné dans cette affaire, les grands de ce monde s’en sont mêlés. J’avais l’impression de traverser un champ de mines.

— Le compte rendu du procès ne mentionne pas beaucoup le nom de Rex McCloud, fit-elle remarquer d’un ton circonspect.

— Comme les enquêteurs ont rapidement été convaincus de son innocence, j’ai reçu pour consigne de ne pas insister sur les McCloud, pour ne pas salir le nom de cette famille influente.

— Un traitement de faveur ?

— Oui et non… Plusieurs politiciens locaux comptaient sur le soutien du sénateur : il était donc naturel qu’ils veuillent se protéger des « retombées négatives » qu’aurait eues une insistance excessive sur le rôle de Rex McCloud. Mais s’il y avait eu le moindre élément de l’enquête policière indiquant qu’il pouvait être coupable, je ne l’aurais pas ménagé. Je m’en suis abstenu parce que je n’en ai trouvé aucun…

— A l’époque, précisa-t-elle.

— A l’époque, concéda-t-il.

Il consulta ses propres notes et lut :

— Crystal a fait croire à Rex McCloud qu’elle s’appelait Amber et qu’elle étudiait comme lui à Georgetown. Il ne s’est aperçu qu’elle lui avait menti sur son identité qu’après le meurtre. Elle ne cherchait en fait qu’à être invitée dans la fête qu’il organisait dans le jardin de la demeure de campagne de son grand-père. Apparemment, les fêtes de Rex étaient très prisées en milieu étudiant.

— Sexe, drogues et rock’n roll ?

— Surtout sexe et drogues…, répondit Grayson d’un ton caustique. Le rock’n roll n’était qu’un prétexte musical à l’orgie. Mais Rex a juré devant la cour que si ses invités se droguaient, il n’en savait rien et n’avait rien vu.

— Et vous l’avez cru ?

— Non, mais ce n’était pas lui qui était accusé, et ce n’était pas une affaire de stupéfiants. L’accusation poursuivait Ramon Muñoz pour meurtre. Rex a déclaré avoir beaucoup bu, ce soir-là, et avoir perdu Crystal de vue dans la foule des invités. Il a cru qu’elle avait quitté les lieux parce qu’il s’était mis à tripoter d’autres filles.

— Où se trouvaient les parents de Rex pendant cette fête ? demanda Paige en fronçant les sourcils.

— Juridiquement, Rex était majeur. Il avait vingt et un ans à l’époque. La mère de Rex était en voyage d’affaires. Son mari, le beau-père de Rex, a déclaré qu’il avait pris des somnifères et s’était couché tôt. Les grands-parents de Rex ont dit s’être « retirés » en début de soirée. Ils n’ont rien entendu.

— C’est un grand jardin. La piscine est assez éloignée de la maison… C’est donc plausible. Mais il est plus probable qu’ils aient choisi de fermer les yeux sur les excès des invités de leur petit-fils. Rex était difficile à gérer, et sa mère, souvent absente, ne semblait pas se soucier beaucoup de lui. Son mari m’a paru jouer un rôle insignifiant dans la famille. Les grands-parents se sentaient peut-être incapables de contrôler Rex, ou peut-être n’en avaient-ils pas la volonté.

Paige réfléchit un instant avant de dire :

— Je me suis renseignée sur les McCloud…

— Pourquoi ? demanda-t-il, intrigué par la manière peu amène dont elle avait prononcé cette phrase.

— Parce que Rex est à peine mentionné dans les minutes du procès, alors même que c’est lui qui a invité Crystal à la soirée. Et parce que j’ai du mal à croire qu’aucun d’entre eux ne savait ce qui se passait autour de la piscine.

— Rex avait un alibi, dit-il.

Elle haussa les épaules.

— Les alibis, ça s’achète, quand on a de l’argent. Et les McCloud sont riches à millions.

Il se cala sur son siège et observa Paige avec intérêt. Il avait lui-même soigneusement vérifié l’alibi de Rex, car il avait été effleuré par le même soupçon, à l’époque. Mais il était curieux de connaître la conclusion à laquelle elle était visiblement arrivée.

— Donc vous vous êtes renseignée sur eux… Et qu’avez-vous trouvé d’intéressant ?

— Les McCloud sont très riches. Ils ont fait fortune dans le charbon. Ils possèdent encore des mines dans l’ouest du Maryland et détiennent des parts dans plusieurs grosses entreprises, des deux côtés de l’Atlantique. Ils contribuent généreusement à des bonnes œuvres. Ils ont créé la McCloud Foundation au début des années quatre-vingt. Elle lève des fonds et oriente des donateurs potentiels vers des causes humanitaires en manque de subventions… En 2000, le sénateur a renoncé à son siège au Sénat de l’Etat du Maryland après y avoir siégé plus de trente ans. Il a annoncé qu’il allait profiter de sa retraite pour jouer au golf tous les jours. Mais, un an plus tard, un léger AVC l’a rendu incapable d’arpenter les greens et de manier ses clubs.

Grayson cligna les yeux.

— Comment le savez-vous ?

— James McCloud a prononcé un discours lors d’une remise de diplômes l’année qui a suivi son AVC. Il en a parlé comme d’un exemple des « petits désagréments de la vie » auxquels les nouveaux diplômés peuvent s’attendre.

Elle consulta ses notes avant de poursuivre :

— Il a deux filles. Claire, d’un premier lit et dont la mère est décédée… Et Reba, la fille de son épouse actuelle, Dianna. Ce sont ses filles qui gèrent les affaires de la famille ainsi que la fondation. En gros, Claire gagne de l’argent que Reba prodigue aux bonnes œuvres.

— Claire est la mère de Rex, dit Grayson. Je l’ai rencontrée brièvement pendant que nous interrogions Rex au sujet de la fête et de son alibi. Elle m’a semblé… très sérieuse. Une vraie maniaque du contrôle. Rex semblait avoir peur d’elle, ainsi que son mari, d’ailleurs… Comment s’appelle-t-il, déjà ?

— Louis Delacorte. Claire a fait croître l’entreprise familiale depuis qu’elle en a pris les rênes dans les années quatre-vingt-dix. Contrairement à sa femme, Louis n’a pas le don des affaires. Il a été directeur d’une des branches européennes de l’entreprise, mais il a dû démissionner parce que cette filiale perdait de l’argent. En guise de lot de consolation, on lui a attribué un poste dans la fondation humanitaire, sous les ordres de Reba.

— Ils l’ont nommé là où il ne pouvait pas faire de dégâts, dit Grayson.

— Son incompétence est la principale raison de sa mise à l’écart, mais il y en a d’autres : certains de ses collègues ont déclaré, sous couvert de l’anonymat, que Louis a eu une liaison avec une jeune blonde en Europe et que sa femme l’a appris, ce qui lui a coûté son poste et valu d’être rappelé aux Etats-Unis. Ces mêmes sources affirment qu’il boit trop et qu’il est d’humeur massacrante quand il est à jeun. Il est inscrit au casier judiciaire pour un petit délit : une bagarre dans un bar, ici à Baltimore.

— C’est exact ! dit Grayson, impressionné par la rigueur avec laquelle elle s’était informée. Il est en effet connu de la justice pour avoir commis des violences.

— Ainsi, si Ramon n’avait pas été accusé, Rex et Louis auraient tous deux pu être soupçonnés.

— Louis, peut-être… Son alibi ne tenait qu’au témoignage de l’un de ses domestiques. Mais l’alibi de Rex était irréfutable. Je l’ai vérifié moi-même. Si Ramon est innocent, le meurtrier de Crystal pourrait être n’importe quel invité.

Elle se renfrogna en le voyant insister sur la solidité de l’alibi de Rex, mais elle n’exprima pas les doutes qu’elle semblait avoir et reprit sa lecture :

— Selon le compte rendu du procès, la liste des invités ne figurait pas parmi les pièces à conviction.

— Il n’y en avait pas à proprement parler. C’était l’une de ces fêtes où on est invité dès lors qu’on appartient à la jeunesse dorée. Mais Rex a donné à la police assez de noms d’invités pour lui fournir son alibi.

— Quels noms ? Des fêtards s’adonnant à la drogue, comme lui ?

— Pour certains, oui. Mais son alibi a été confirmé par les caméras de surveillance : il n’a jamais quitté la piscine. Pas une seule fois, pendant toute la soirée.

— Je croyais qu’il tripotait d’autres invitées, dit-elle.

Pour toute réponse, Grayson haussa les sourcils, et Paige ne put réprimer une grimace.

— Berk, fit-elle. Devant tout le monde ? Devant la caméra de surveillance ?

— Oui, confirma Grayson. Pour vérifier cet alibi, j’ai dû visionner cette vidéo, et ça n’a pas été un des moments les plus glorieux de ma carrière… Quoi qu’il en soit, les flics n’ont pas poussé plus loin leur enquête de ce côté-là, puisque tout désignait Ramon comme coupable.

— C’est étrange que son avocat n’ait jamais évoqué ces autres pistes à l’audience. C’était une fête débridée où tout pouvait arriver, et où il s’est visiblement passé des drôles de trucs… L’avocat aurait pu plaider le doute raisonnable.

— C’est ce qu’il a fait, mais en se limitant à l’alibi de Ramon. Il a essayé de faire craquer Sandoval et Delgado, mais ils s’en sont tenus à leur version. Des traces d’ADN de Ramon avaient été trouvées sur le corps de Crystal Jones… L’arme du crime était pleine d’empreintes digitales et de taches de sang de la victime… Sa culpabilité ne faisait aucun doute… Enfin, c’est que nous avons cru, à l’époque.

— Elena m’a dit qu’elle et Ramon voulaient que son avocat soulève l’hypothèse de la falsification de preuves. Ils voulaient accuser les policiers, mais l’avocat n’a pas voulu en entendre parler.

— J’aurais réagi de la même manière si j’avais été à sa place, dit Grayson. Accuser les policiers sans pouvoir le prouver est la meilleure manière de se mettre à dos les jurés.

— Je sais, marmonna Paige. C’est d’ailleurs ce que j’ai dit à Maria et à Elena. Mais j’ai changé d’avis depuis qu’elle m’a parlé de flics qui la traquaient, juste avant de mourir.

— Il faut pourtant que vous admettiez, à supposer que Ramon soit innocent, que les preuves auraient pu être fabriquées ou manipulées par n’importe qui d’autre… Il ne s’agit pas forcément de policiers.

Elle fronça les sourcils, visiblement peu convaincue.

— Les flics étaient en possession des clés de Ramon pendant qu’il était en garde à vue. Ils avaient accès à sa maison. Et donc au placard de sa chambre…

— N’importe qui aurait pu s’y introduire.

— Sauf qu’il n’y avait aucun signe d’effraction.

— Paige, dit-il, si Clay voulait s’introduire quelque part sans laisser de traces, en serait-il capable ?

Voyant qu’il venait de marquer un point, il poursuivit :

— Il se peut qu’Elena se soit trompée au sujet des gens qui la traquaient. Ou peut-être a-t-elle pensé que cela vous inciterait à poursuivre votre enquête.

Elle haussa les épaules.

— Dans tous les cas, dit-elle, quelqu’un a tué Crystal Jones, et ce n’est pas Ramon.

— On n’a pas retrouvé de traces indiquant qu’elle avait été traînée dans la remise. Elle y est entrée en marchant, soit de son propre gré, soit parce qu’elle y était forcée.

— Quel était son taux d’alcoolémie ? Avait-elle beaucoup bu ?

Il feuilleta son propre dossier et tomba sur le rapport d’autopsie.

— Zéro gramme deux, lut-il. Elle était donc loin d’être ivre. Et les analyses toxicologiques ont révélé qu’elle n’avait pas consommé de drogue non plus.

— Montrez-moi ce rapport.

Elle s’assit à côté de lui, si près qu’il pouvait humer son parfum enivrant… Si près qu’il frôla sa poitrine en lui tendant le rapport. Et s’il avait prétendu que c’était fortuit, il aurait menti.

Il dut se faire violence pour se retenir de caresser ses courbes appétissantes, et posa d’un geste raide les mains à plat sur la table.

Le visage de Paige était dissimulé par ses cheveux, dont Grayson connaissait déjà le soyeux. Il se permit de lever l’une de ses mains pour effleurer cette belle chevelure de jais, et il sentit Paige frissonner.

— Vous avez un petit ami dans le Minnesota ? demanda-t-il tranquillement.

— Non, personne, répondit-elle sans s’indigner de l’indiscrétion de la question.

Il lui massa doucement la nuque et fut ravi de l’entendre ronronner d’aise. Il se demanda quel son elle émettrait s’il la massait ainsi à un autre endroit…

— Vous avez besoin de dormir, dit-il.

— Pas tout de suite.

Elle tourna la tête vers lui, et il ne put détacher son regard, troublé par le désir, de ce beau visage. Les joues de Paige rosirent, ses paupières étaient lourdes, et Grayson sut alors avec certitude qu’elle le désirait aussi.

Mais, avant qu’il en dise davantage, elle détourna les yeux et se redressa sur sa chaise. Le moment était, une fois de plus, passé.

— Selon le rapport d’autopsie, le décès est dû aux coups de couteau.

— Oui, il y en a eu trois, se souvint-il. Elle avait été étranglée auparavant, mais pas mortellement.

— Le rapport mentionne également une inflammation de la gorge, des yeux et de la bouche…

— Elle a reçu un jet de gaz lacrymogène. Le médecin légiste l’a attesté au cours de la procédure. Cette circonstance aggravait le cas de Ramon : elle laissait supposer que, Crystal ayant voulu se défendre, il avait dû la gazer pour la maîtriser.

— Oui, j’ai lu ça dans les minutes du procès. Mais on n’a pas retrouvé de bombe lacrymo sur les lieux du crime.

— Soit c’est son agresseur qui en avait une et il est reparti avec, soit c’est elle qui en était munie et il la lui a prise. Ça vous paraît étrange ?

— Un peu, répondit-elle. Vous avez des photos de la scène de crime ?

— Qu’espérez-vous y trouver ? demanda-t-il en lui tendant le rapport de police.

— Je ne sais pas vraiment. Mais le comportement de Crystal, ce soir-là, m’intrigue… Elle se donne beaucoup de mal pour rencontrer Rex McCloud et se faire inviter dans une fête où tout le monde boit et consomme Dieu sait quoi, mais elle ne se soûle pas ni ne touche à aucune drogue. Plutôt que de participer à l’orgie, elle se rend dans la remise.

— En se fondant sur l’emplacement des marques de strangulation, l’unité de scène de crime a déterminé que son agresseur l’avait attaquée par-derrière et qu’il mesurait une quinzaine de centimètres de plus qu’elle. Ce qui correspond à la taille de Ramon.

— Et de la moitié de la population masculine de Baltimore… Donc elle entre dans la remise, il survient derrière elle et l’étrangle. Elle se débat, sort peut-être son aérosol de gaz lacrymo…

Ces derniers mots la firent tiquer. Elle feuilleta le rapport de police pour y chercher les photos de la scène de crime.

— Sa robe, dit-elle quand elle les eut trouvées, est relevée à la taille. Que portait-elle, cette nuit-là ?

Ce fut au tour de Grayson de tiquer.

— Quelle importance ?

Elle leva brièvement les yeux vers lui.

— Ce n’est pas pour savoir si ses vêtements constituaient un appel au viol, dit-elle sèchement. Je me demande seulement où elle aurait pu cacher son aérosol de gaz lacrymo. Sa robe ne semble pas avoir de poches.

— Vous postulez que la bombe lacrymo lui appartenait !

— Il peut bien sûr arriver qu’un homme s’en munisse, mais c’est quand même une arme de défense typiquement féminine.

— Vous en avez une, vous ?

— Oui, et je sors rarement sans elle. Aujourd’hui, exceptionnellement, je l’ai laissée ici parce que je devais aller au tribunal. Sinon, j’en ai toujours une dans mon sac à dos. Parfois, pour me rassurer, je la mets dans mon soutien-gorge. La robe que Crystal portait a l’air minuscule, et j’ai l’impression qu’elle était aussi très moulante. Je crois qu’elle n’aurait même pas pu y dissimuler un tube de rouge à lèvres. Elle devait forcément avoir un sac à main.

— Crystal avait-elle un sac à main ? se demanda-t-il à voix haute. Je ne m’en souviens pas.

— Le rapport ne mentionne pas de sac à main retrouvé sur la scène de crime. Or elle devait bien avoir un portable et une carte bancaire… Il faut un sac pour ranger tout ça.

— Nous avons vérifié son compte bancaire. Elle n’avait plus un sou sur son compte-chèques. Elle n’avait donc pas besoin de sortir avec sa carte de paiement, puisqu’elle ne pouvait rien acheter avec. Et elle n’avait pas de téléphone portable. En tout cas, elle n’était abonnée chez aucun opérateur.

— Admettons, mais elle devait quand même avoir des clés de voiture et un permis de conduire, ou alors de l’argent, ou un ticket de bus, pour rentrer chez elle. Et une fille ne va pas dans une fête sans se munir d’une trousse de maquillage ou, au minimum, d’un bâton de rouge à lèvres. Elle a donc dû venir avec un sac à main. Contenait-il une bombe lacrymo ? C’est une autre question…

— Pourquoi est-ce si important ?

— Parce que, si elle était venue à cette fête pour prendre du bon temps, elle se serait éclatée avec les autres invités, dans la piscine ou sur la piste de danse. Mais elle est restée sobre et ne s’est pas mêlée à l’orgie. Et elle se trimballait sans doute avec une bombe lacrymo. Elle se préparait à quelque chose…

— Comme quoi ?

— Tout est possible. Elle était fauchée, apparemment. Peut-être prévoyait-elle de faire les poches des riches invités. Peut-être, sachant que ce serait une orgie de drogue et de sexe, comptait-elle en faire chanter quelques-uns. Peut-être même était-elle venue pour vendre de la drogue…

Elle s’interrompit avant de s’exclamer :

— Mais attendez ! Vous dites qu’elle n’avait plus un sou sur son compte ?

— Moins de cinquante dollars, précisa Grayson.

— Et pourtant, elle a eu de quoi payer son inscription aux cours qu’elle suivait à Georgetown, qui est une université coûteuse. Pourquoi se serait-elle saignée ainsi, simplement pour rencontrer Rex, comme il est dit dans le rapport ? Pourquoi n’aurait-elle pas dragué Rex à la cafétéria en se faisant passer pour une étudiante ? Apparemment, elle avait du mal à boucler ses fins de mois… Pourquoi a-t-elle payé pour ces cours ?

Il cligna les yeux.

— Je ne sais pas, répondit-il. Peut-être craignait-elle que Rex ne vérifie ses propos.

— Peut-être. Mais alors, cela montrerait qu’elle était prête à de grands sacrifices pour se faire inviter à cette fête. Elle ne s’est pas contentée de mentir à Rex. Bien que fauchée, elle a dépensé plusieurs centaines de dollars pour s’approcher de lui. Mais, une fois invitée, elle ne reste pas avec lui et se rend dans la remise. Pourquoi ?

— Sur le message qu’on a trouvé près du corps, il était écrit : « Remise du jardinier, minuit » et c’était signé « R.M. ».

— Comme Ramon Muñoz, dit-elle. Mais aussi comme Rex McCloud.

— C’est bien pour ça que je me suis tapé toute cette vidéo où l’on voyait des gens ivres et nus partouzer dans la piscine. Il fallait que je sois certain que Rex n’avait pas quitté les abords de la piscine au moment du meurtre. Je ne voulais pas provoquer de remous politiques si ce n’était pas indispensable à la manifestation de la vérité. Cela aurait été un coup d’épée dans l’eau, et cela m’aurait considérablement compliqué les choses si j’avais eu besoin, plus tard, d’impliquer des politiciens dans une autre affaire.

En outre, il avait été persuadé que Ramon était coupable.

Ce regret le secoua un peu. Paige le regardait intensément, et il eut le sentiment désagréable qu’elle avait lu dans ses pensées.

— Vous avez vu Crystal dans la vidéo ? demanda-t-elle.

— Non. Elle ne s’est jamais approchée de la piscine, vers laquelle la caméra de surveillance était pointée. Alors que Rex McCloud, lui, n’a pas quitté les bords de la piscine.

— Cette vidéo, vous l’avez encore ?

— Pas moi personnellement, mais il doit y avoir une copie sur notre serveur, au bureau du procureur. Je peux vous la donner, si vous voulez en avoir le cœur net.

Il perçut, au son de sa propre voix, qu’il était sur la défensive. Cela n’avait pas échappé à Paige non plus, et elle le regarda droit dans les yeux.

— Je vous crois sur parole à propos de la présence de Rex et de l’absence de Crystal au bord de la piscine. Mais j’aimerais voir quels étaient les autres invités. Il n’y a pas de papiers d’identité, parmi les objets trouvés sur la scène de crime et répertoriés dans le rapport de police. Elle avait dit à Rex qu’elle s’appelait Amber. Comment a-t-on découvert sa véritable identité ?

— Grâce à ses empreintes digitales. Elle avait un casier judiciaire. De petits délits, comme le vol à l’étalage. Mais aussi une comparution devant le tribunal pour prostitution, alors qu’elle avait à peine dix-huit ans.

— L’avocat de la défense n’en a pas parlé pendant le procès, s’étonna-t-elle en réprimant un bâillement.

— Il a essayé, mais j’ai demandé et obtenu du juge que ces condamnations ne soient pas mentionnées à l’audience. C’était Crystal, la victime. Même si elle a aguiché Ramon pour lui vendre son corps, elle ne méritait pas d’être assassinée.

Il marqua une pause avant d’ajouter d’une voix ferme :

— Ses délits antérieurs n’avaient aucun rapport avec cette affaire.

— Vous aviez raison, dit-elle en hochant la tête mais en peinant à garder les yeux ouverts. Moi non plus, je n’aime pas ça, quand les avocats se retournent contre les victimes et cherchent à les salir.

— Je me procurerai la vidéo demain, dit Grayson. Il faut que je retrouve les invités pour les interroger. J’aimerais bien savoir s’il y en avait parmi eux qui connaissaient la véritable raison de la présence de Crystal à cette fête. Vous avez raison : si elle était venue pour s’amuser, elle se serait amusée. Elle s’est fait inviter pour une autre raison… Mais je vois que vous êtes épuisée. On a assez travaillé, pour ce soir. Allez vous coucher.

— Je crois que c’est ce que je vais faire. Ça vous embête de promener Peabody avant de partir ?

— Je veux bien promener Peabody, mais je reviens ici après. Je dormirai sur le canapé.

Pendant un instant, il crut qu’elle allait protester. Mais elle se contenta de lâcher un soupir.

— Je n’ai pas besoin de garde du corps, dit-elle. Mais je ne suis pas assez têtue pour refuser votre aide. Il faut que je dorme, et je sais que je dormirai mieux si je ne suis pas seule ici. Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi aujourd’hui.

— Fermez bien la porte derrière moi, déclara-t-il. Je frapperai à la porte quand Peabody aura terminé sa promenade.