27

Samedi 9 avril, 16 h 30

J’espère qu’ils n’ont pas commencé sans moi, songea Paige.

Elle frappa doucement à la porte de la salle d’interrogatoire numéro 6. Grayson lui ouvrit et elle fut soulagée de constater qu’ils l’avaient attendue. Grayson avait passé une bonne partie de la journée dans les locaux de la police, pour étudier en compagnie de Hyatt les éléments de preuve découverts lors des perquisitions aux deux résidences des McCloud. Paige était tout excitée : il ne restait plus qu’à éclaircir quelques points encore troubles pour que les McCloud soient confondus et condamnés.

— Je suis venue le plus vite possible, dit-elle.

Elle venait d’accompagner Holly chez le psy. Elles en étaient à peine sorties que Paige avait reçu un SMS de Grayson la priant de le rejoindre le plus vite possible.

— Ta mère et Katherine m’ont déposée ici avant de ramener Holly à la maison.

— Comment va-t-elle ?

— Elle est toujours effrayée, et elle le restera pendant un moment. Mais je crois que cette visite chez un psy lui a fait du bien. Elle retourne le voir mercredi prochain… Et je l’accompagnerai.

— Excusez-moi d’interrompre votre conversation pour une raison aussi terre à terre, mais nous avons un interrogatoire à mener, fit remarquer Hyatt d’un ton sarcastique.

Il se tenait debout dans la pièce d’observation, séparée de la salle d’interrogatoire par un miroir sans tain. Stevie, qui se trouvait avec lui, avait les traits tirés, mais sa vigilance semblait intacte. Ce dénouement va lui permettre de tourner la page, songea Paige. Daphné et Lucy l’entouraient, impatientes, elles aussi, de voir comment allait se passer l’interrogatoire.

Les inspecteurs Bashears et Perkins étaient assis dans un coin et Jeff Yates, le procureur général adjoint, était adossé au mur.

De l’autre côté du miroir, un homme vêtu d’un complet impeccable était assis à côté du sénateur fulminant, qui jetait des regards courroucés autour de lui.

Paige ne put s’empêcher de sourire à ce spectacle.

— Désolé, dit-elle.

— Il vous en veut à mort, dit Daphné. On vient juste d’arriver. Son Altesse Très Vicieuse vient de sortir du dépôt, où elle a passé une mauvaise nuit. Comme vous pouvez le constater, il n’est pas de très bon poil. Je propose qu’on le laisse mariner un peu plus longtemps dans son jus…

— Nous avons également retrouvé quelqu’un que vous serez ravie de revoir, dit Bashears.

— Brittany Jones ? demanda Paige.

— En personne, acquiesça Bashears. Nous avons suivi son petit ami, Mel, dans un hôtel sur les bords du lac Erié. Elle y était, avec son fils…

— Et un sac bourré d’argent liquide, précisa Perkins. Elle venait de clôturer son compte-chèques, sur lequel avaient été virés vingt-cinq mille dollars, juste avant l’attentat qui vous visait.

— Elle se trouve dans la salle d’interrogatoire numéro 2, dit Grayson. Elle a déjà fait venir son avocat, malheureusement. Nous l’interrogerons quand nous en aurons fini avec les McCloud.

— Et l’ADN sur la robe ? demanda Paige.

Toutes les personnes présentes dans la pièce se mirent à sourire.

— C’est celui du sénateur, hein ? poursuivit-elle.

— Oui, répondit Hyatt. Bon, mesdames, messieurs, l’heure de vérité est arrivée. Vous venez, Grayson ?

— Souhaite-moi bonne chance, dit Grayson à Paige.

Hyatt et Grayson sortirent de la pièce d’observation et entrèrent dans la salle d’interrogatoire en passant par le couloir.

— Bonjour, sénateur, dit Hyatt.

— C’est scandaleux ! Absolument scandaleux ! s’exclama McCloud.

— Ne dites rien, sénateur ! lui dit son avocat. Pas un mot !

— Je n’ai pas besoin de me taire ! Je suis innocent de tout ce dont on m’accuse !

— Dans ce cas, cet entretien sera bref, déclara Grayson. Parlez-moi du programme MAC.

— C’était une œuvre de bienfaisance gérée par ma femme, l’un de ses projets préférés, répondit le sénateur en agitant sa main valide avec dédain. Des écoles mal dotées et des gosses de pauvres recevaient de l’argent. Point final.

Grayson hocha la tête.

— Et vous invitiez les plus méritants à manger des crèmes glacées dans votre domaine à la campagne…

— Une fois par an. On avait un mal fou à nettoyer toutes les taches de glace que faisaient ces gosses…

— Les gosses sont sales et désordonnés, fit remarquer Hyatt en feignant de compatir.

— Adele Shaffer a été invitée à l’une de ces réceptions, dit Grayson.

— Cette jeune femme délire, elle a besoin d’être soignée.

— Votre femme l’a poignardée, affirma Grayson en haussant les sourcils.

— Cette jeune femme se trompe.

— Je crains que non, intervint Hyatt. Nous avons une vidéo de votre épouse sortant de la voiture de Mme Shaffer. Nous avons trouvé un poignard à manche de nacre dans le coffre de la voiture de Mme McCloud. Le sang que nous avons prélevé sur la lame est celui d’Adele Shaffer.

McCloud le regarda, stupéfait.

— Vous mentez, murmura-t-il.

— Non.

Hyatt lui montra un sac en plastique sous scellé contenant le poignard en question.

— Le manche de cette arme est plein d’empreintes digitales de Dianna, dit-il. Ce qui ne laisse aucun doute sur sa culpabilité.

— Elle…

McCloud secoua la tête.

— Je ne sais que dire…, bredouilla-t-il. Elle aussi a besoin d’être soignée…

— C’est le moins qu’on puisse dire, déclara Hyatt. Revenons à Crystal Jones.

— Je ne l’ai jamais rencontrée.

— Ah bon ? demanda Grayson, feignant l’étonnement. Pourtant, elle a fait partie des enfants invités à votre domaine.

— C’est ma femme qui s’occupait des enfants. Je ne m’en mêlais pas.

— Ce n’est pas ce que nous a déclaré Adele Shaffer, dit Grayson.

— Je vous ai déjà dit qu’elle était folle !

— Donc vous n’avez pas violé Adele dans l’ancienne chambre de votre fille Claire ? demanda Hyatt.

— Non ! s’écria le sénateur, le visage écarlate.

Son avocat s’efforça de le calmer.

— Et Crystal Jones ? demanda Hyatt.

— Je n’ai jamais violé personne ! Je vous ferai révoquer de votre poste, lieutenant !

— La plupart du temps, ça ne me dérangerait pas, répliqua Hyatt. Mais aujourd’hui, je dois dire que je prends plaisir à faire mon travail. Nous avons trouvé le téléphone de Crystal dans le sac à main qu’elle avait la nuit de sa mort.

Il jeta sur la table un sac en plastique transparent contenant le sac à main.

— C’est dans votre bureau que nous avons retrouvé ce sac, sénateur, ajouta-t-il.

— Ce n’est pas moi qui l’y ai mis…, bredouilla McCloud.

Hyatt haussa les épaules.

— Nous avons prélevé vos empreintes digitales dessus. Ainsi que sur l’aérosol de gaz lacrymogène que nous avons trouvé à l’intérieur.

— Sénateur…, murmura l’avocat.

Mais McCloud le fit taire d’un geste rageur de la main.

— Je vais tout vous expliquer, dit-il. Je l’ai bien rencontrée, cette nuit-là. Elle a été vue en train de déambuler dans le domaine, ivre morte, et j’ai demandé aux gardiens de la mettre à la porte. Le lendemain, j’ai retrouvé son sac à main et je l’ai mis de côté… J’avais l’intention de demander à mon petit-fils de le lui rendre. Si vous avez trouvé mes empreintes digitales sur les objets qu’il contenait, c’est parce que je l’ai ouvert pour chercher sa carte d’identité. Et puis j’ai oublié de le donner à Rex… Et tout cela m’est sorti de l’esprit.

— Ah bon ? demanda Grayson. C’est intéressant, ce que vous nous dites… Parce que le taux d’alcoolémie de Crystal était proche de zéro. Elle n’était pas ivre du tout.

— Eh bien, elle se comportait comme si elle l’était, affirma le sénateur.

— Nous avons récupéré les messages qu’elle a adressés juste avant sa mort, dit Hyatt d’un ton cassant. Elle les a envoyés sur le numéro de votre téléphone portable. A l’époque du meurtre, nous n’avons pas pu vérifier ses appels, parce qu’elle se servait d’un appareil jetable, celui que nous venons de retrouver chez vous. Et nous n’avons pas vérifié les vôtres, parce que nous pensions qu’elle était venue sur l’invitation de Rex. Nous ignorions, alors, qu’en réalité elle était venue pour vous voir.

— C’est un ramassis de mensonges ! s’écria McCloud. Je ne connaissais pas cette femme… Je ne l’avais jamais vue avant la fête !

Grayson se pencha sur la feuille qu’il avait posée devant lui.

— La veille de la fête, dit-il, elle vous envoie un message disant qu’elle veut vous rencontrer, que votre pouvoir est un « aphrodisiaque »… Vous lui répondez : « Pas en présence de ma femme. » Et le soir de la fête, elle vous envoie ceci : « Toc, toc, je suis là. Rex croit que je suis venue pour lui, mais c’est vous que je veux voir. » Vous lui répondez : « Retrouvez-moi dans la cabane du jardinier à minuit. »

Le visage de McCloud se figea.

— Je n’ai pas envoyé ces messages, lâcha-t-il entre ses dents.

— Donc vous n’avez pas retrouvé Crystal dans la cabane du jardinier ? demanda Hyatt.

— Non !

— Et vous n’avez pas eu de relations sexuelles avec elle, cette nuit-là ? insista Grayson.

— Non ! Je n’ai jamais eu de rapport sexuel avec cette femme !

Là, il vient de s’enferrer, songea Paige en retenant son souffle. Ils le tiennent.

— Jamais ? demanda calmement Hyatt.

— Jamais !

— Je vois, dit Grayson. Alors, c’est quoi, ça ?

Il déplia la robe bleue, protégée elle aussi par un sac en plastique.

— Je n’en ai aucune idée. C’est ridicule ! Je m’en vais.

Il se leva, mais Hyatt bondit hors de son siège et le força à se rasseoir.

— Ça, ça m’étonnerait, sénateur, dit-il.

— Je crois même que vous ne sortirez pas de sitôt, renchérit Grayson. Cette robe appartenait à Crystal Jones. Nous l’avons trouvée dans un coffre bancaire. On a prélevé sur le tissu, à l’intérieur de la robe, des fragments de peau qui correspondent à son ADN.

— Et alors ? demanda McCloud d’un ton agressif. Ce n’est qu’une robe.

— Elle a quelque chose de spécial, cette robe, dit Grayson en désignant le bas du vêtement. Vous voyez cette tache ? C’est du sperme.

— C’est dégoûtant, répliqua le sénateur en pâlissant.

— Je ne vous le fais pas dire, reconnut Grayson.

Il posa sur la robe la photo de Crystal à l’âge de douze ans.

— Oui, c’est vraiment dégoûtant, dit-il d’une voix écœurée. D’autant plus que c’est votre sperme, sénateur. Vous avez violé cette enfant !

McCloud ouvrit la bouche, mais ne prononça pas un mot.

Hyatt se pencha vers McCloud pour murmurer d’un ton menaçant :

— Et, plusieurs années plus tard, vous l’avez tuée parce qu’elle tentait de vous faire chanter.

— Ce n’est pas moi qui l’ai tuée.

— Vous l’avez étranglée, répondit Hyatt. Ensuite, vous l’avez poignardée.

— Gardez le silence, Jim, implora l’avocat de McCloud en fermant les yeux.

— Seize filles blondes et bouclées ont bénéficié du programme MAC, conclut Grayson d’un ton glacial. Vous les avez toutes tuées, sauf Adele Shaffer.

McCloud écarquilla les yeux.

— Non, je n’en ai pas tué d’autres. Je le jure !

— Alors, pourquoi sont-elles toutes mortes ? demanda Grayson.

— Je n’en sais rien… Keith, faites-moi sortir d’ici.

— Trop tard ! répliqua l’avocat, agacé. Je vous avais demandé de garder le silence… Vous ne tenez jamais compte de mes conseils.

— Pourquoi, sénateur ? demanda Grayson. Pourquoi avez-vous violé toutes ces fillettes ?

McCloud secoua la tête, soudain bien décidé à se murer dans le silence.

Grayson se leva, rassembla les preuves et déclara :

— C’est bon. Nous avons ce que nous voulions.

*  *  *

L’interrogatoire de Dianna fut beaucoup plus aisé. Hyatt et Grayson adoptèrent cette fois une autre approche. Les policiers avaient trouvé, dans les affaires de Mme McCloud, des photos qui expliquaient beaucoup de choses. La première était une photo de groupe des bénéficiaires du programme MAC en 1984.

Stuart Lippman était assis au dernier rang. Sur d’autres tirages, on le voyait recevoir son diplôme de fin d’études secondaires, puis son doctorat en droit. Sur d’autres encore, on le voyait assis sur les bancs de la défense pendant des procès. Il avait été l’élu des McCloud, leur créature.

Et Dianna avait visiblement du mal à surmonter la mort de son petit protégé.

Les policiers avaient trouvé beaucoup d’éléments intéressants dans le luxueux appartement de Stuart. Un ordinateur portable, tout d’abord, qui avait appartenu à Denny Sandoval et qui contenait les fichiers images originaux qu’Elena avait copiés. Il était évident que c’était Lippman qui avait tué Sandoval. De là à penser qu’il était également le meurtrier de Bob Bond, il n’y avait qu’un pas. De nombreuses blondes ayant été invitées aux réceptions du programme MAC avaient été retrouvées pendues de la même manière. Il semblait donc logique que Lippman les ait également tuées, surtout maintenant qu’on en savait davantage sur la relation très intime qui le liait à Dianna McCloud.

A présent, il leur fallait le prouver.

Quand Grayson et Hyatt entrèrent dans la salle d’interrogatoire numéro 4, elle leva la tête. Ses yeux étaient gonflés et rougis par les larmes.

— Fichez le camp, dit-elle d’une voix rauque.

Elle avait renoncé à être assistée par un défenseur, au prétexte que l’unique avocat en qui elle avait confiance était mort. Dans ces yeux injectés de sang, Grayson lut du chagrin et de l’abattement. Dianna savait visiblement que la survie d’Adele et ses accusations signifiaient sa propre perte, mais plus rien ne semblait lui importer.

— Désolée, madame, dit Hyatt, mais nous avons quelques questions à vous poser.

— Je refuse de vous parler.

— Vous aimiez Stuart, déclara néanmoins Grayson.

Elle se remit à pleurer.

Grayson n’en tint aucun compte et poursuivit :

— Il était la seule personne, en dehors des membres de votre famille, à vivre dans un des appartements de votre immeuble.

Elle le regarda d’un air surpris.

— Il faisait partie de notre famille.

— C’était un gosse du programme MAC.

Elle hocha la tête.

— Il était si élégant, le jour où il est venu au domaine…, gémit-elle. Il était tellement mieux élevé que cet enfant gâté de Rex… Stuart m’aimait. J’étais une meilleure mère pour lui que la putain chez qui il vivait.

Elle se tamponna les yeux du bout des doigts pour sécher ses larmes, avant d’ajouter :

— Je l’ai tiré de la misère. Et il m’a tirée de l’ennui.

— Parlez-nous du programme MAC, reprit Grayson. Pourquoi avez-vous créé cette bonne œuvre ?

— Je voulais venir en aide aux enfants défavorisés.

— Mais votre mari s’en fichait, murmura Grayson. Lui, ce qui l’intéressait, c’étaient les petites filles… N’ayez aucun scrupule à nous divulguer ses petits secrets, il nous a déjà tout raconté. Il nous a dit qu’il aimait Reba.

Elle le regarda, mal à l’aise.

— Bien sûr qu’il aime Reba, répondit-elle. C’est son père.

— Non. Il ne l’aimait pas comme un père. Il la désirait. Comme il avait désiré Claire, au même âge.

Ce n’était encore qu’une hypothèse, mais Grayson tenait à voir la réaction de Dianna pour en tester la validité. Il ne fut pas déçu par le résultat.

Le visage de Dianna se convulsionna.

— C’est vrai, dit-elle. Je lui en voulais beaucoup, d’ailleurs…

— Vous saviez qu’il abusait de Claire ? demanda Grayson.

Dianna hocha la tête avec réticence.

— Et vous n’avez pas essayé de l’en empêcher ? ajouta Hyatt.

— Ce n’était pas ma fille, dit-elle d’un ton embarrassé. Je n’avais pas voix au chapitre.

Grayson réprima une grimace de dégoût.

— Alors que Reba, elle, c’est votre fille…

— Oui. Il fallait que je la protège. C’est ce qu’on est censé faire quand on a des enfants : les protéger.

— Quand Claire a quitté le domicile familial, votre mari a commencé à tourner autour de Reba…

— Il fallait que je la protège, répéta-t-elle, sur la défensive.

— Alors, vous lui avez offert les autres petites filles, hein ? Les blondinettes bouclées du programme MAC…

— Oui, avoua Dianna.

Comme si c’était parfaitement normal.

— Pour elles, ajouta-t-elle, ce n’était pas…

— Ce n’était pas quoi, madame McCloud ? demanda Grayson. Où était la différence ?

Dianna haussa les épaules.

— Ce n’était pas aussi grave. Vous savez, dans ces milieux-là, les filles perdent vite leur virginité. Moi, il fallait que je protège ma fille.

Hyatt inspira profondément, et Grayson comprit que le lieutenant avait du mal à contenir sa colère.

— Pourquoi avez-vous tué Crystal Jones ? demanda Hyatt.

— Elle a tenté de nous nuire. Elle voulait nous faire chanter.

— Alors votre mari lui a donné rendez-vous dans la cabane du jardinier et l’a étranglée, dit Grayson. Mais ce n’est pas lui qui l’a achevée.

— Il a déjà avoué, ajouta Hyatt en bluffant. Il nous a dit qu’il l’avait seulement étranglée.

Dianna leva les yeux au ciel.

— Il a été trop mou et maladroit. Quand il est sorti de la cabane, je suis allée voir ce qu’il avait fait. La fille était encore en vie…

— Et vous l’avez poignardée ? demanda Hyatt.

Elle ne répondit pas, mais son regard en disait long. Oui, c’était bien elle qui avait achevé Crystal à coups de couteau…

— Comment saviez-vous que c’était Crystal ? demanda Grayson. Elle avait fait croire à Rex et à ses invités qu’elle s’appelait Amber.

— Elle a également dit à mon mari qu’elle s’appelait Amber quand elle cherchait à le séduire, répondit Dianna d’un ton méprisant. Mon mari est un imbécile qui pense avec son pénis…

— Votre mari connaissait donc Crystal avant la nuit de la fête ? demanda Hyatt.

— Oui. Elle a assisté à une conférence que Jim a donnée à l’université, devant la classe de Rex. Elle a réussi à se procurer le numéro de Jim, sans doute par Rex. Elle s’est mise à lui envoyer des SMS, à lui envoyer des photos d’elle toute nue… Elle lui disait que les hommes politiques l’excitaient, et d’autres fadaises… Ces messages, je les ai vus parce que je vérifie toujours les appels que reçoit Jim. J’ai voulu savoir qui était cette créature. J’ai donc appelé l’université pour me procurer les noms des étudiants de la classe de Rex. Pour des raisons de sécurité, les étudiants devaient montrer une pièce d’identité pour assister aux conférences données par des intervenants extérieurs. Il n’y avait pas d’Amber sur la liste. J’ai commencé à me méfier et je suis allée voir un des professeurs de Rex, celui qui avait invité Jim à s’adresser à ses élèves. Il se souvenait qu’elle avait été très cordiale avec Jim, le jour de la conférence, mais qu’elle était repartie au bras de Rex. Il m’a dit qu’elle se nommait Crystal Jones.

— Vous avez reconnu ce nom ? demanda Grayson.

— Bien sûr. J’ai une mémoire photographique. J’ai compris qui elle était, et j’ai mis Jim en garde contre elle. Quand elle s’est fait inviter à la fête de Rex, en dissimulant sa véritable identité, j’ai suivi Jim au moment où il est allé la rejoindre dans la cabane du jardinier. Sachant qui elle était, il avait deviné ce qu’elle voulait. Il l’a tuée, ou plutôt a cru l’avoir tuée. J’ai voulu la poignarder, mais je ne savais pas où porter le coup pour être sûre qu’elle en meure.

— Alors vous avez appelé l’unique personne en qui vous aviez confiance : Stuart.

— Il est arrivé tout de suite. Il savait qu’il fallait limiter les dégâts. Il l’a achevée et nous a proposé de faire accuser le jardinier.

— Et les autres femmes du programme MAC qui sont mortes ensuite ? demanda Hyatt.

— Depuis la tentative de chantage de Crystal Jones, nous nous sentions vulnérables. Il fallait y remédier. Tôt ou tard, une autre de ces filles aurait eu la même idée que Crystal, et le scandale risquait d’éclater à tout moment.

— Alors vous les avez traquées et vous les avez tuées, dit Hyatt.

— Oui, bien sûr, répondit Dianna d’un ton farouche. J’ai résolu le problème. Je leur donnais des chocolats. Elles s’endormaient et ne se réveillaient jamais.

— Pourquoi les avoir pendues ? demanda Grayson. Pourquoi ne pas vous être contentée de les intoxiquer ?

— Je ne les pendais pas, répliqua-t-elle avec une certaine surprise.

— Quelqu’un d’autre s’en est chargé, alors, dit Grayson. De nombreuses victimes ont été retrouvées pendues.

— Ah, je vois ! s’exclama Dianna. C’est certainement lui qui a fait ça. Pour moi.

— Qui donc ? demanda Hyatt.

— Stuart. Il finissait le travail. Je comprends maintenant ce qu’il a voulu dire, l’autre jour… Il m’a dit que je ne les avais pas toutes tuées et qu’il avait dû en achever certaines. Il devait faire allusion à ces pendaisons… Il s’est donné tout ce mal pour moi, ajouta-t-elle avec une sorte de déférence dans la voix.

Grayson et Hyatt sortirent de la salle d’interrogatoire, laissant Dianna continuer de parler toute seule.

Ils rejoignirent les autres dans la pièce d’observation. Ils avaient tous les yeux rivés sur Dianna, lancée dans un monologue incohérent.

— Mon Dieu…, dit Paige. Est-elle folle ou maléfique ?

— Elle est suffisamment saine d’esprit pour passer en jugement et répondre de ses crimes, décréta Daphné. C’est tout ce qui importe.

— Voilà deux bonnes choses de faites, déclara Grayson en se frottant le front. Il me reste à poser quelques questions à Brittany Jones…

Il se tourna alors vers le procureur général adjoint.

— Elle ne pourra pas nier, et je n’ai aucune intention de lui proposer un aménagement de peine si elle veut plaider coupable.

— Je m’y attendais, dit Yates. Allez l’interroger. Et bonne chance.

*  *  *

Brittany leva les yeux quand Grayson et Hyatt entrèrent dans la salle d’interrogatoire, où elle se trouvait en compagnie de son avocat. Ses paupières se fermèrent, son expression devint maussade. L’avocat se présenta et déclara que sa cliente ne répondrait à aucune question.

— Je suis le lieutenant Hyatt, dit ce dernier à Brittany, sans tenir compte de ce que venait de dire l’avocat.

Il désigna Grayson et ajouta :

— Quant à lui, je crois que vous le connaissez déjà…

Brittany détourna les yeux en murmurant :

— Je n’ai rien à vous dire.

Grayson s’assit à côté d’elle.

— Mais vous pouvez au moins écouter ce que j’ai à vous dire. Vous allez être accusée d’extorsion et de complicité dans une tentative de meurtre. Vous comprendrez qu’étant la cible de cette tentative de meurtre, je sois un peu en colère contre vous.

— Je n’ai rien fait de mal, répondit Brittany.

— Vous avez demandé à votre collègue qui travaille à l’accueil de la maison de retraite de nous faire attendre. Vous nous avez attirés là-bas. Vous saviez que nous nous y rendrions pour vous demander des précisions. Vous avez vendu cette information à Stuart Lippman, lequel a engagé Harlan Kapansky pour placer une bombe à retardement dans ma voiture.

— Vous n’arriverez jamais à le prouver ! rétorqua Brittany avec une morgue dédaigneuse.

— Nous avons examiné tous les appels de Stuart Lippman, intervint Hyatt. Les entrants et les sortants… Mercredi soir, à 18 h 18, il a reçu un appel d’une cabine téléphonique située dans une station-service à la sortie de Harrisburg, en Pennsylvanie. La caméra de surveillance de cette station vous a filmée, Brittany, en train de vous servir de cette cabine à la même heure. Quelques heures plus tard, Stuart a fait virer vingt-cinq mille dollars sur votre compte bancaire… Vous voyez donc, mademoiselle Jones, que nous pouvons le prouver.

Grayson avait dû batailler pour se procurer la vidéo en question, mais le regard stupéfait de Brittany valait largement tous les efforts déployés.

Elle échangea quelques mots à voix basse avec son avocat. Celui-ci redressa la tête et déclara :

— Elle vous a donné la robe. Sans cette preuve, vous n’auriez jamais pu confondre le sénateur.

Elle n’a sans doute pas tort, songea Grayson. Toutefois, il haussa les épaules d’un air indifférent.

— La robe nous a été utile, c’est vrai, reconnut-il. Mais pas indispensable. Nous disposons de témoignages visuels qui suffiraient à eux seuls à le faire condamner. Le sénateur s’est rendu coupable de viols. Brittany a trempé dans une tentative de meurtre. Ils sont tous les deux coupables.

— Le sénateur est un assassin ! s’écria Brittany. Il a violé ma sœur et il l’a tuée ensuite…

L’avocat leva la main.

— On peut négocier ? demanda-t-il.

— Pourquoi ? répliqua Grayson. Elle n’a rien à nous offrir. J’ai tout ce qu’il me faut pour faire tomber les autres… Enfin, ceux qui ne sont pas morts…

Brittany plissa les yeux.

— C’est faux, sinon vous ne seriez pas ici ! Que voulez-vous, au juste ?

Grayson cligna les yeux. Elle avait deviné juste, et il n’aurait pas dû s’en étonner. Elle l’avait déjà bien jaugé, quand il lui avait rendu visite avec Paige. Elle avait su s’attirer sa sympathie en lui parlant de son fils. « Il n’a que moi au monde. » Elle était assez finaude pour semer le doute dans l’esprit des jurés. Il lui suffirait d’en convaincre un seul qu’elle ignorait les intentions meurtrières de Lippman pour qu’ils ne parviennent pas à s’accorder sur une décision. Et elle serait acquittée au bénéfice du doute. Ce que Grayson ne voulait pour rien au monde.

Car elle avait tenté de le tuer.

Pire : elle a tenté de tuer Paige.

Il sentit la colère monter en lui. Il était résolu à tout faire pour que cette femme purge une longue peine de prison.

— Je veux des aveux complets et détaillés, dit-il d’un ton catégorique.

L’avocat écarquilla les yeux.

— Vous voulez qu’elle plaide coupable ? demanda-t-il en se levant. Eh bien, c’est non ! C’est hors de question. Allons-y, Brittany.

Brittany se leva. Mais Grayson ne bougea pas d’un iota, se contentant de l’observer un instant avant de déclarer :

— Vous avez un fils.

Brittany se figea et lui jeta un regard assassin.

— Ne vous avisez pas de toucher à mon fils ! s’écria-t-elle.

— Votre fils a été placé dans un foyer d’accueil à Baltimore, répliqua Grayson sans se démonter. Il sera nourri et logé, soigné et éduqué… La grande question, c’est : est-ce que vous le verrez avant qu’il entre à l’université ? Le reverrez-vous même un jour, de votre vivant ?

Brittany blêmit.

— Que voulez-vous dire ?

L’avocat la tira par la manche pour la presser de partir, mais elle se dégagea et répéta :

— Que voulez-vous dire ?

— Si vous faites des aveux complets, je demanderai que vous purgiez votre peine à Baltimore. Sinon, je ferai tout mon possible pour que vous soyez enfermée à l’autre bout du pays, si loin que personne ne pourra vous l’amener au parloir. Vous ne le verrez pas une seule fois pendant toute la durée de votre peine.

Elle se rassit en tremblant.

— Vous ne pouvez pas faire ça, murmura-t-elle.

— C’est ce qu’on verra, lâcha Grayson entre ses dents.

L’avocat saisit fermement le bras de Brittany.

— Nous prendrons le risque d’un procès, dit-il. Venez, Brittany.

Il la força à se relever et elle avança d’un pas chancelant vers la porte, toujours très pâle.

— La peine maximale encourue pour tentative de meurtre, c’est la prison à perpétuité, Brittany, dit-il. Il sera préférable que la famille d’accueil de Caleb lui dise que vous êtes décédée. Mieux vaut qu’il vous croie morte plutôt que de savoir que vous croupissez dans une lointaine prison… pour la vie.

Elle se tourna vers lui d’un air hagard, et il crut un instant qu’elle allait s’évanouir.

— Espèce de salaud ! s’exclama-t-elle.

Grayson haussa les épaules.

— Faites votre choix, Brittany. Dès que vous aurez franchi cette porte, cette offre n’aura plus cours. Réfléchissez bien.

Elle ferma les yeux.

— Je vous ai donné la robe, murmura-t-elle.

— Je vous en remercie, mais je vous soupçonne de l’avoir fait dans votre intérêt plutôt que dans le mien.

Elle ouvrit les yeux, et Grayson sut qu’il avait gagné.

— Soyez maudit, murmura-t-elle.

Il posa alors un carnet sur la table.

— Au travail. Je n’ai pas que ça à faire, moi.

Elle se rassit lentement, résignée.

— Qu’attendez-vous de moi ?

— Pourquoi Crystal est-elle allée à cette fête ? demanda Grayson. Pourquoi ne s’est-elle pas contentée de faire chanter le sénateur par e-mail ou SMS ?

— Parce qu’elle voulait voir son visage quand elle lui rappellerait son crime. Il l’avait violée… Une gamine de douze ans… Elle voulait qu’il sache qu’elle avait gagné, au bout du compte. Il lui fallait ce moment de vérité pour surmonter enfin le traumatisme qu’il lui avait infligé.

Grayson comprenait cela mieux que quiconque.

— Pourquoi avez-vous inscrit votre fils à St. Leo ?

— Pour respecter la volonté de Crystal. Le jour de la fête, elle était gonflée à bloc. Quelques jours avant, elle avait appris que le sénateur devait donner une conférence à l’université. Elle a dû payer pour s’inscrire au cours du prof qui avait invité McCloud. C’était un petit investissement dans notre avenir. Elle y est allée et a rencontré le sénateur. Elle m’a dit qu’elle était à la fois euphorique et terrifiée. Elle allait enfin pouvoir lui faire payer le mal qu’il lui avait fait. Elle ne s’attendait pas à rencontrer Rex, ce jour-là… Alors que si le sénateur avait daigné se déplacer, c’était uniquement parce que son petit-fils était dans cette classe…

Brittany s’interrompit et secoua la tête avant de reprendre son récit :

— Elle détestait Rex. Elle se souvenait de lui. Il était là, au domaine, quand elle avait douze ans et qu’elle y était allée chercher sa médaille. Elle a vu son uniforme élégant de l’école St. Leo. Elle a essayé de lui parler, ce jour-là. Elle avait une robe neuve dont elle était toute fière. Mais elle l’a entendu se moquer des gamins conviés au domaine, de leurs vêtements bon marché… Elle s’est sentie humiliée. Et ensuite ce vieux cochon de sénateur l’a violée…

Elle s’interrompit une nouvelle fois, pour déglutir.

— Crystal est allée tout droit se coucher, ce soir-là, poursuivit-elle. Elle était prostrée. Je lui ai demandé ce qu’elle avait. Elle n’a pas voulu répondre. Elle pleurait, mais ne disait rien. Elle ne m’en a parlé que quand elle a appris que j’étais enceinte de Caleb. Ensuite, elle m’a confié qu’elle avait un plan… Qu’elle allait les faire cracher au bassinet… Elle m’a tout raconté. Elle m’a dit qu’elle comptait dépouiller McCloud de tout ce qu’il possédait… Qu’elle voulait que sa nièce ou son neveu revête l’uniforme prestigieux des élèves de St. Leo, et jouisse de tous les privilèges que McCloud avait procurés à ses propres enfants et à Rex…

Elle lâcha un long soupir avant de continuer :

— Quand elle a été tuée, je savais qui était le coupable. Je savais que c’était le sénateur. Mais Lippman m’a contactée et m’a offert de l’argent en échange de mon silence. Cinquante mille dollars… J’ai accepté. Mais je n’arrivais pas à me décider à dépenser cet argent. C’était de l’argent sale, souillé par le sang de ma sœur.

Tu n’as pas eu les mêmes scrupules avec Paige et moi, songea Grayson, quand tu nous as vendus à Lippman.

— Donc vous l’avez inscrit à St. Leo, dit-il.

— Oui. Parce que c’était ce que Crystal voulait. D’ailleurs, moi aussi, c’était ce que je voulais. Je voulais que mon fils profite du meilleur enseignement possible. Comme les enfants de la famille McCloud… Caleb en avait le droit.

— Comment s’est-elle procuré le numéro de téléphone du sénateur ? demanda Hyatt.

— Elle a couché avec Rex. Elle a attendu qu’il s’endorme, complètement défoncé, et elle a fouillé dans le carnet d’adresses de son portable. Ensuite, elle s’est mise à le solliciter, à le séduire, à l’allécher… Mais McCloud a dû s’en rendre compte et il l’a tuée pour la faire taire.

— Pourquoi a-t-elle conservé la robe ? demanda Grayson.

— Il y a six ans, quand elle m’a exposé son projet, je lui ai posé la même question. Le sénateur l’avait violée en 1998. Cette année-là, les journaux ne parlaient que du scandale présidentiel1. La stagiaire de la Maison-Blanche avait gardé sa robe, qui était bleue aussi. Crystal se disait qu’elle s’en servirait un jour pour se venger. Après sa mort, j’ai eu trop peur de le faire. Je savais qu’elle avait été assassinée par McCloud, et j’étais persuadée qu’il n’hésiterait pas à me faire subir le même sort. Il fallait que je m’occupe de Caleb. Et puis le vieux micheton de Crystal est mort, celui qui effectuait les versements notés dans le registre que je vous ai remis. Et je me suis retrouvée privée de cette ressource.

— Vous ne lui avez jamais dit que Crystal était morte, fit remarquer Hyatt.

Elle haussa les épaules.

— Ce n’est pas ma faute s’il ne lisait pas les journaux et ne regardait pas les infos, dit-elle.

— Donc il est mort, vous laissant sans revenus, dit Grayson. Et ensuite ?…

— Ensuite, je savais que je n’avais pas d’autre solution que de faire chanter les McCloud. Quand Elena Muñoz a été tuée, puis le tenancier de bar Sandoval, j’ai tout de suite compris qu’il y avait un rapport avec Crystal. Je savais que vous viendriez chez moi. J’ai voulu vous donner de quoi soupçonner les McCloud. Je savais que s’ils étaient sous pression, ils seraient disposés à cracher davantage. Et qu’ils n’oseraient pas me tuer, tant qu’ils seraient dans l’œil de la justice. Le reste, vous l’avez déduit vous-même.

— Vous répéterez tout cela sous serment devant le juge, dit Grayson.

— Vous me trouverez une cellule à Baltimore ?

— Je ferai tout mon possible, je vous le promets.

Grayson se leva. Il se sentait incroyablement épuisé.

— Vous allez être mise en état d’arrestation et emmenée au dépôt. Nous nous reverrons avant votre comparution devant le juge qui vous mettra en examen.

Ils rejoignirent les autres dans la pièce d’observation.

— Je crois que c’est fini, dit Grayson.

— Il faut que je fasse mon rapport au commandant dans une demi-heure, déclara Hyatt en se renfrognant. Vous avez autre chose à me dire ? Vous n’avez négligé aucun détail ?

Toutes les personnes présentes échangèrent des regards interrogateurs et secouèrent la tête.

— Je crois que nous avons de quoi obtenir justice pour toutes les victimes, dit Grayson.

— Je crois que c’est Dianna qui a le plus de crimes à se reprocher, fit remarquer Paige. Elle a participé à l’assassinat de Crystal, tué Betsy Malone et tenté de tuer Adele Shaffer. Elle a, en outre, tué une dizaine des victimes liées au programme MAC. Et, pour couronner le tout, elle s’est rendue complice à seize reprises de viol sur mineur…

— Le sénateur a commis seize fois le crime de viol sur mineur, sans parler des abus sexuels qu’il a infligés à sa propre fille, dit Grayson. Et il a tenté de tuer Crystal.

— Lippman a tué Bob Bond et Sandoval, dit Paige. Il a également achevé un nombre indéterminé de victimes liées au programme MAC, celles que Dianna n’a pas réussi à empoisonner mortellement. Silas a tué Elena. Ainsi que Jorge Delgado, Harlan Kapansky et la mère de Logan…

— Silas a assassiné beaucoup d’autres personnes avant de tuer Elena, fit remarquer Stevie. Il nous reste encore à faire parler les armes qu’on a retrouvées dans son coffre-fort.

— Je vais peut-être pouvoir vous apporter mon aide, intervint Yates. Ce matin, le procureur général de l’Etat a reçu un message, en provenance du compte de courrier électronique de Lippman. Il s’agit d’une liste détaillée de ce que Lippman appelle ses « collaborateurs ». Certains sont d’ex-policiers, d’autres d’ex-taulards… Nous avons transmis cette liste à la police des polices. Il faudra du temps pour éplucher ces informations et préparer des dossiers d’accusation. Mais Silas figurait sur cette liste. Ainsi qu’Elizabeth Morton. Lippman les contraignait à travailler pour lui en faisant planer des menaces sur leurs enfants… A un moment donné, Morton a tenté d’arrêter de travailler pour lui, et Lippman a fait renverser son fils par une voiture. Son fils marche encore avec des béquilles, des années plus tard…

— Mon Dieu ! lâcha Daphné, horrifiée. Quel monstre !

— C’est le mot, dit Yates. Mais un monstre très méthodique. Il avait conservé une sorte de tableau de service où figurent toutes les missions de ses « collaborateurs ». Je crois que vous allez pouvoir clore un grand nombre de dossiers, Hyatt.

— C’est l’aspect positif de cette affaire, marmonna Hyatt. Il y a d’autres flics des homicides sur cette liste ?

— Pas à ma connaissance, répondit Yates cordialement.

Stevie fronça les sourcils.

— Pourquoi Morton a-t-elle tué Silas ? demanda-t-elle.

— Pour se protéger, répondit Yates. Dans la lettre explicative que nous avons reçue avec la liste, Lippman écrit que tous ses collaborateurs connaissent l’existence de cette liste et savent que s’il vient à mourir de mort violente, elle sera communiquée au bureau du procureur. Je ne sais pas qui nous l’a envoyée, mais Lippman a forcément confié cette tâche à quelqu’un de confiance. En tout cas, en faisant savoir à tous ses complices qu’ils figuraient sur cette liste, il les dissuadait de se retourner contre lui et de tenter de l’éliminer.

— Mais Silas a quand même essayé de le tuer, jeudi matin, fit remarquer Grayson. Il a tiré dans la fenêtre de l’appartement de Lippman.

— Comme tu l’avais vu sans le reconnaître en sauvant Logan, dit Paige, il a dû se dire que tu ne tarderais pas à te souvenir de lui. Il n’avait plus rien à perdre.

— Silas avait prévu un plan de repli et s’apprêtait à passer le reste de ses jours en cavale. Il pensait que sa famille serait hors de danger et ne risquerait plus de représailles s’il tuait Lippman, dit Daphné.

— Le fait que Morton ait achevé Lippman est beaucoup plus logique, affirma Paige. Comme le fait qu’elle ait délibérément épargné la mère de Grayson. Elle ne travaillait pour Lippman que contrainte et forcée.

— Cela lui fera des circonstances atténuantes, dit Yates. Mais elle va rester longtemps en prison, c’est certain.

— Attendez, dit Lucy Trask. J’ai peut-être un autre cadavre pour vous.

— Qui donc ? soupira Grayson.

— D’après une identification provisoire, basée sur ses tatouages, il se nomme Roscoe James, répondit Lucy.

— Le boxeur, dit Paige en se touchant machinalement la gorge, fraîchement cicatrisée. Celui qui a essayé de me trancher la gorge dans le parking couvert…

— C’est sa propre gorge qui a été tranchée, répliqua Lucy. On a également trouvé un niveau élevé de Rohypnol dans son sang. Son corps avait été plongé dans le fleuve. Il a été rejeté ce matin sur une berge.

— C’est Silas qui l’a tué, dit l’inspecteur Perkins. On les voit ensemble sur la vidéo du bar où le véhicule de Roscoe était garé.

— Super, marmonna Hyatt. Mettez tout ça par écrit, monsieur Yates, et envoyez-moi la liste de Lippman par e-mail. Je n’arriverai jamais à mémoriser tous ces noms.

Il se dirigea vers la porte avant de se retourner brièvement.

— Bravo, dit-il. Vous avez tous fait du bon boulot.

Stevie fixa un instant la porte que Hyatt venait de refermer derrière lui.

— Incroyable ! s’exclama-t-elle. Il a été presque cordial.

Grayson étudia le visage de Stevie et lui demanda :

— Comment ça va, toi ? Tu tiens le choc ?

— Ça va mieux.

Son regard, néanmoins, trahissait sa lassitude et son inquiétude.

— Mais Cordelia est toujours traumatisée, ajouta-t-elle.

— Donc vous devez l’être aussi, dit Daphné en l’enlaçant. Quand nos petits souffrent, nous souffrons avec eux.

Elle se tourna vers Paige et lui demanda :

— Alors, on l’ouvre quand, votre école d’arts martiaux ?

— Comment ? C’est sérieux ? répliqua Paige en clignant les yeux.

— Oui, répliqua Daphné. Tout ce qu’il y a de plus sérieux. Déjeunons ensemble la semaine prochaine, on fera une première estimation des coûts.

— Cordelia pourra-t-elle s’inscrire dans votre école ? demanda Stevie. Je crois qu’elle va avoir besoin de retrouver un peu de confiance en elle.

— Ce dont elle a besoin, Cordelia, c’est d’un chien, dit Paige.

Les trois femmes sortirent de la pièce ensemble.

— Les chiens, ça bave partout, objecta Stevie dans le couloir.

Bashears et Perkins sortirent à leur tour pour reconduire Mme McCloud au dépôt, laissant Yates et Grayson en tête à tête.

— Vous avez besoin d’autre chose ? demanda Grayson.

— Oui, répondit Yates. J’ai besoin de quelqu’un pour remplacer Charlie Anderson. J’ai lu vos rapports et je vous ai vu au tribunal. Ça fait longtemps que nous envisageons votre promotion. Je vous ai vu à l’œuvre avec Hyatt. Je trouve que vous travaillez bien ensemble.

Il haussa les épaules et ajouta avec une pointe de sarcasme :

— Il n’est pas donné à tout le monde de s’entendre avec Peter Hyatt.

Grayson sentit son pouls s’emballer un peu.

— Ce n’est pas un mauvais bougre, dit-il. Il y a un cœur sous cette masse de muscles, et un cerveau sous son occiput chauve.

— Si ce poste vous intéresse, dit Yates en souriant, il est à vous. Vous aurez un bureau moins exigu et un salaire à peine supérieur. Vous serez toujours actif au tribunal mais vous aurez aussi davantage de travail administratif. Bref, c’est beaucoup plus de boulot pour un peu plus d’argent…

Grayson brûlait de dire oui. Mais…

— Il faut d’abord que vous sachiez quelque chose sur mon passé, dit-il.

Et il révéla à Yates la vérité sur son père, n’omettant aucun détail important.

— Anderson menaçait de tout révéler si je ne me dessaisissais pas du dossier Muñoz, conclut-il.

Yates avait prêté une oreille attentive à ce récit, sans manifester la moindre émotion. Il étouffa un juron et tança Grayson :

— Primo, ce que votre père a fait, je m’en fiche. Secundo, si vous étiez venu me voir, je me serais occupé d’Anderson. Je sais que vous aviez de solides raisons de ne pas le faire, dans de telles circonstances, mais ne recommencez pas. Tertio, cette confession ne peut que confirmer la pertinence de mon choix. Un autre homme que vous se serait sans doute soumis à ce chantage. Mais vous, vous n’avez pas reculé, vous avez fait votre devoir. Une telle intégrité est inestimable, à mes yeux.

— Paige aussi m’a dit quelque chose dans ce genre, murmura Grayson.

— Je me fierais à son opinion, si j’étais vous. Demain, c’est samedi. Vous voulez commencer quand ?

— Je serai au bureau lundi matin.

— Très bien.

Yates lui serra la main.

— Je vous félicite pour votre promotion et, même si ça me fait tout drôle de paraphraser Hyatt, je vous dis : bravo, mon vieux, vous avez fait du bon boulot.

— Attendez, Jeff, dit Grayson tandis que celui-ci ouvrait la porte. Qui va me remplacer ?

— Qui proposez-vous ?

— Daphné Montgomery. Elle est épatante.

Yates hocha la tête.

— Je vais y réfléchir. Passez un bon week-end.

Grayson ferma les yeux et prit le temps de respirer. Quand il les rouvrit, il vit Paige adossée au chambranle.

— Je croyais que tu étais partie avec les filles, fit-il remarquer.

— Il faut que tu me ramènes à la maison.

Il comprit au regard entendu de Paige qu’elle avait surpris la fin de sa conversation avec Yates.

— Tu crois que j’ai fait le bon choix ? demanda-t-il.

— Je crois que tu as eu raison de recommander Daphné. Quel est ton nouveau titre ?

— Substitut principal du procureur d’Etat.

Paige éclata de rire.

— Du moment que je ne suis pas obligée de t’appeler comme ça au lit, ça ne me dérange pas !

Il la prit dans ses bras et chuchota :

— En fait, j’espérais plutôt que tu dirais quelque chose du genre : « Prends-moi, grand fou ! », comme tu me l’as promis…

— Et je tiendrai ma promesse. Moi aussi, je suis intègre. Bon, on rentre chez nous, maintenant ?

Grayson sentit son cœur bondir dans sa poitrine en l’entendant prononcer si naturellement ces deux mots : « chez nous ».

1. .  Allusion au « Monicagate » et à la procédure de destitution visant Bill Clinton à la suite des révélations de Monica Lewinski, jeune stagiaire de la Maison-Blanche avec laquelle le président aurait eu des « relations sexuelles », ce qu’il a nié sous serment. Pour preuve de ses affirmations, la jeune femme avait remis à la justice une robe bleue tachée du sperme présidentiel (NdT).