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Jeudi 7 avril, 23 h 10

Paige leva les yeux de son carnet de notes en entendant Grayson franchir la porte d’entrée du logement de sa mère. Il tenait d’une main la laisse de Peabody et, de l’autre, un sac rempli de plats chinois à emporter. Son téléphone portable était calé entre son épaule et son oreille. Il referma la porte en la poussant du pied.

Paige imagina un instant ce que serait sa vie si ce petit ballet se répétait tous les soirs. Leurs regards se croisèrent, et elle sentit qu’il avait eu la même pensée.

Bientôt…

Bientôt, ils auraient tout loisir d’évoquer leur avenir commun. Mais il était encore trop tôt. Il leur fallait d’abord sauver Violet — si toutefois elle était encore en vie. Et Adele était toujours introuvable.

Le sénateur était donc un pédophile. Les traumatismes qu’il avait provoqués contribuaient au plaisir pervers qu’il trouvait à abuser des fillettes. Elle ne pouvait penser à lui et à ses méfaits sans ressentir une extrême fureur.

Grayson s’assit, toujours à l’écoute de ce que lui disait son correspondant. Trop affamée pour être polie, Paige commença à manger sans lui. Elle perçut de la préoccupation dans son regard, et espéra qu’on n’était pas en train de lui annoncer d’autres mauvaises nouvelles.

— D’accord, dit-il enfin. Vous en êtes sûre ? Merci.

Il raccrocha et prit la paire de baguettes que lui tendait Paige.

— C’était qui ? demanda-t-elle entre deux bouchées de nouilles chinoises.

— Lucy. Elle a consulté les rapports d’autopsie rédigés à la suite des derniers décès suspects que nous lui avons signalés. Seules deux de ces femmes sont mortes de cause naturelle… C’est bien une affaire de meurtres en série qu’il nous faut résoudre. J’ai transmis l’info à Hyatt.

— Et Violet ?

— Aucun signe de vie. Les flics ont vérifié les antécédents des dix personnes dont nous avons retenu les noms, mais ils n’ont rien trouvé. Les flics de Toronto ont recueilli le témoignage d’une femme de chambre de l’hôtel où Violet a été enlevée, mais sa description du ravisseur, qu’elle n’a fait qu’entrevoir, est très vague…

Il s’interrompit pour dévorer le contenu de son assiette.

— J’ai encore faim, mais j’ai les idées plus claires maintenant que je n’ai plus le ventre vide. Lucy m’a dit quelque chose d’autre d’important…

Il ouvrit un autre carton de nouilles et le vida dans son assiette.

— Elle a examiné les photos où on voit les marques de strangulation sur le cou de Crystal, reprit-il. Elles sont d’une profondeur inégale. Elle estime que la personne qui l’a étranglée avait une main plus faible que l’autre.

— Notre ami le sénateur amateur de petites filles a eu un AVC en 2001, qui a affecté son bras gauche. C’est bien lui qui l’a tuée, ce salaud…

Elle fronça les sourcils.

— Mais non, rectifia-t-elle aussitôt, Crystal n’est pas morte étranglée, elle a été achevée à coups de couteau…

— Ce qui m’amène à ce que Lucy m’a dit… Les deux blessures par arme blanche qu’on voit sur les photos prises au cours de l’autopsie n’ont peut-être pas été infligées par la même personne. Les deux plaies présentent des variations, qui pourraient indiquer que ce n’est pas le même bras qui a porté les deux coups.

Paige se mordit la lèvre.

— Ça voudrait dire que deux personnes ont poignardé Crystal en même temps ?

— Ce n’est pas certain… Lucy pense qu’une personne l’a étranglée avant de la poignarder une première fois. Une seconde personne l’aurait ensuite frappée avec plus de force… En tout cas, la lame a pénétré plus profondément dans la chair, et c’est cette blessure qui a été mortelle.

— Ça change tout…

— Pas vraiment. Si la main du sénateur McCloud n’était pas assez vigoureuse pour tuer Crystal, c’est peut-être un complice qui l’a l’achevée. Nous savons déjà que son chauffeur se rendait complice des viols en intimidant les victimes…

— Le chauffeur était mort et enterré depuis longtemps quand Crystal a été assassinée, objecta Paige. McCloud a donc dû recevoir l’aide d’un autre complice. Quelqu’un d’assez vigoureux pour porter un coup mortel à Crystal… Mais aussi pour pendre les victimes liées au programme MAC après les avoir droguées.

Elle secoua la tête, sentant la colère renaître en elle.

— Il les a violées, puis, des années plus tard, il les a traquées et les a tuées, murmura-t-elle d’une voix frémissante de rage contenue. Aucun des tourments de l’enfer ne sera assez cruel pour lui et son complice.

— Je suis bien d’accord, lâcha Grayson d’une voix accablée. Malheureusement, le seul châtiment que je puisse envisager en ce monde pour eux, c’est une injection létale dans le bras.

— Il faut d’abord les arrêter. Nous savons où trouver le sénateur, mais il faut identifier son complice, ainsi que le commanditaire. Et il faut retrouver Violet et Adele.

— C’est le commanditaire qui détient Violet, et le sénateur connaît certainement son identité. Mais nous ne pouvons pas arrêter le sénateur en l’absence de plainte contre lui.

— On en revient à Adele, dit Paige. Si le sénateur a tué toutes ces femmes, et si Adele est encore en vie et n’a pas fait une simple fugue, il est possible que le sénateur l’ait enlevée ou sache où elle est séquestrée.

— Ça ne nous donne pas pour autant un motif pour l’arrêter. Nous n’avons pas de cadavre, et nous n’avons comme élément à charge que le témoignage de Rex… Et Rex nous a dit qu’il ne témoignerait pas devant un tribunal. Pour l’instant, nous ne pouvons faire état que de présomptions, nous n’avons pas de preuves irréfutables. Je n’arriverai jamais à obtenir sa mise en examen… D’autant que c’est un personnage influent.

— J’ai envie de hurler ! s’écria Paige, terriblement contrariée. C’est un cercle vicieux…

— Je te comprends.

— Tu te souviens de l’inspecteur Perkins ? Le flic qui m’a interrogée, aux urgences, après l’agression du parking… Il a appelé pendant ton absence pour m’annoncer qu’il avait identifié mon agresseur. Grâce à l’ADN prélevé sur ta serviette en cuir.

— Ah, enfin une bonne nouvelle… Qui est-ce ? demanda Grayson en serrant les poings.

— Il s’appelle Roscoe « Jesse » James. C’est un catcheur professionnel. Ou plutôt, c’était…

— Il est mort ?

— Perkins n’en était pas sûr. Roscoe James a disparu mardi soir, après un combat de catch. On l’a vu boire un verre dans le bar où il a ses habitudes. La caméra de surveillance du bar l’a filmé assis à côté d’un type qui pourrait être Silas. On voit ce type verser quelques gouttes d’une fiole dans le verre de Roscoe. Ensuite, il a proposé au catcheur de le ramener chez lui. La voiture de Roscoe n’a pas bougé du parking du bar. Et personne n’a revu Roscoe depuis.

— C’est Silas qui l’a tué ? demanda Grayson.

— Perkins m’a dit qu’ils étaient en train de passer au peigne fin les véhicules se trouvant dans le garage de Silas. Les flics ont trouvé d’abondantes traces de sang dans sa camionnette, appartenant au même groupe sanguin que le sang retrouvé sur la scène de crime à Carrollwood, qui doit être celui de Kapansky. Maintenant, ils essaient de déterminer s’il y a aussi du sang de Roscoe James dans l’un de ses véhicules.

— Si je ne l’avais pas vu à l’œuvre de mes propres yeux, dit Grayson, j’aurais toujours du mal à croire que Silas a commis tous ces crimes…

Son téléphone portable se mit à sonner.

— C’est ma mère, dit-il.

— Dis-lui que je la remercie d’avoir mis son logement à notre disposition.

— Je n’y manquerai pas.

Il appuya sur le bouton vert.

— Salut, maman… Une panne ? demanda-t-il en fronçant les sourcils. Tu es dans un endroit sûr ? C’est bizarre, je viens de faire réviser ta voiture. Elle n’aurait pas dû tomber en panne, comme ça… Quoi ! Mais qu’est-ce que tu fais là !

Il lâcha un soupir.

— Le GPS ne fonctionne que quand on l’active, maman.

Son visage devint soudain livide, et le cœur de Paige s’emballa. Grayson se leva, le visage déformé par la colère.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-il. Oui… Je comprends.

Il reposa le téléphone sur la table, le regard perdu.

— Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda Paige, prise de panique.

— Il a enlevé ma mère, répondit-il d’une voix blanche. Et Holly. Elle a commencé par me dire que la voiture était tombée en panne. Et soudain, elle m’a dit : « Je t’aime, Tony. » Quand j’étais petit et qu’on se cachait…

Sa voix se brisa.

— Quand elle m’appelait Tony, reprit-il, c’était pour m’avertir, pour me dire de courir le plus vite possible.

— Et ensuite ? demanda Paige en s’efforçant de rester calme, sachant que ce n’était pas le moment de verser dans l’hystérie.

— Le type qui l’a enlevée a compris qu’elle venait de me transmettre un message. Il l’a frappée. Fort… Il a pris le téléphone et m’a dit que si je voulais qu’elle vive, je devais venir la chercher avec toi. Sans les flics.

Paige se força à respirer.

— Il faut prévenir Joseph.

— Je l’appellerai en chemin, dit Grayson. Toi, tu restes là.

— Non. Ne me demande pas ça, Grayson. De toute façon, je te suivrai dans ma voiture.

— Il veut notre mort à tous les deux. Je ne le laisserai pas te faire du mal.

Paige savait qu’il ne servirait à rien de tenter de le convaincre de ne pas y aller. Mais elle était résolue à ne pas le laisser foncer tête baissée dans une embuscade.

— Moi non plus, dit-elle en s’emparant de son sac, je ne le laisserai pas te faire du mal.

— Bon…, répliqua-t-il en serrant la mâchoire. Alors, viens avec moi. Je n’ai pas le temps de me disputer.

Sur ces paroles, il se précipita au-dehors.

Elle saisit la laisse de Peabody et emboîta le pas à Grayson, suivie de son chien.

Jeudi 7 avril, 23 h 35

Paige appela Joseph, puis Clay. Les deux hommes étaient en liaison téléphonique permanente tandis qu’ils approchaient séparément, afin de coordonner leur intervention. Grayson conduisait le pied au plancher, murmurant des prières.

Paige priait, elle aussi.

Mais elle avait ouvert son ordinateur portable, car il fallait qu’elle s’occupe pour ne pas perdre la tête.

— Ta mère n’est pas bête, dit-elle d’un ton qui se voulait rassurant. Elle fera tout son possible pour que Holly s’en tire saine et sauve.

— C’est bien ce qui m’effraie, répliqua-t-il d’une voix rauque.

Comme elle ne trouvait pas de mots pour le réconforter, elle lui posa une main sur l’épaule et se tut. Ils sortirent de la ville et roulèrent sur des routes de campagne. Ils approchaient, à présent, du secteur de l’aéroport. Paige entendit un avion s’approcher du sol.

— Le commanditaire ne figurait pas sur la liste que nous avons remise à Hyatt, dit-elle.

— Quelle importance ? Il a enlevé ma mère…, bredouilla Grayson d’une voix angoissée.

Paige eut pitié de lui, mais elle ne pouvait le laisser en proie au découragement.

— C’est important, dit-elle, parce que si nous connaissions son identité, ça nous aiderait à trouver le meilleur moyen de le mettre hors d’état de nuire. Il faut que nous sachions si c’est un tireur d’élite, un catcheur ou un poseur de bombes. La vie de ta mère et celle de Holly en dépendent. Ainsi que celle de Clay et de Joseph, sans parler de la nôtre. Alors reprends-toi et réfléchis.

— D’accord.

Il inspira profondément, deux fois de suite, avant d’ajouter :

— Peut-être que ce n’est pas lui qu’on voit sur la photo avec Sandoval… L’homme à la bague n’était peut-être qu’un second couteau, et on a couru après un leurre.

— Peut-être… Mais alors, pourquoi Sandoval aurait-il conservé cette photo ? Le commanditaire ne travaille peut-être plus dans ce cabinet d’avocats.

Elle ouvrit son moteur de recherche et entra le nom du cabinet en question, ainsi que le mot « ex-collaborateur ». Il en résulta des dizaines de pages de résultats sans rapport avec ce qu’elle cherchait.

Elle se mit à pianoter nerveusement sur son clavier. En effleurant par mégarde le pavé tactile de son ordinateur, elle fit apparaître à l’écran la série de photos de groupe qu’elle avait prises avec le stylo-caméra de Joseph, dans la salle d’attente de Reba. Elle s’apprêtait à revenir à la page de résultats lorsque son index se figea au-dessus du pavé tactile.

Sur la dernière photo qu’elle avait prise, elle venait de repérer une main d’homme, posée sur l’épaule d’un autre homme. Cette main était soigneusement manucurée. Elle avait la même taille et la même forme que celle de l’homme qui avait soudoyé Sandoval.

— Mon Dieu…, murmura-t-elle.

— Quoi ? Qu’est-ce que tu as vu ? demanda Grayson.

— Cet après-midi, quand je suis retournée avec Daphné voir Reba au siège de sa fondation, le beau-père de Rex est entré dans la salle d’attente au moment où on s’en allait. Un avocat est arrivé juste après pour s’entretenir avec lui. L’avocat de la fondation, selon Reba… Par réflexe, j’ai pris une photo du beau-père de Rex au moment où il me faisait un clin d’œil soutenu. Et la main de l’avocat apparaît sur la photo.

Grayson redressa le menton.

— Une main manucurée ? demanda-t-il.

— Oui, avec un diamant à l’auriculaire…

— Comment s’appelle-t-il ?

— J’essaie de m’en souvenir… Stuart… Reba l’a appelé Stuart…

Grayson se figea.

— Lippman ? Stuart Lippman ?

— Oui. Tu le connais ?

— Il était l’assistant de Bond pendant le procès de Ramon. Où est son cabinet ?

Paige entra le nom de Lippman dans le moteur de recherche.

— Dans l’immeuble des McCloud. Ainsi que son domicile. C’est l’un des appartements de luxe, dans les étages supérieurs… On y est allés, Grayson…

— La fenêtre… Tu te rappelles la vitre cassée ?

— Oui, tu as même dit qu’elle avait sans doute été percutée par un oiseau.

— Ce serait plutôt une balle, tirée par Silas. Silas a essayé de le tuer.

— Ensuite, il a tenté de tuer la femme de Silas et a enlevé sa petite-fille. Mais ça, c’était à Toronto… Comment est-ce possible ?

— Toronto est à moins d’une heure d’avion en jet privé. On vérifiera les plans de vol plus tard… On est presque arrivés.

Il resserra son étreinte sur le volant et ajouta :

— Il va essayer de nous tuer.

— Je sais. J’ai un Glock à l’épaule et un 357 à la cheville. Tu es armé ?

— Bashears m’a pris mon pistolet, mais Joseph m’en a donné un autre… Un Beretta 9 mm…

— Avec un chargeur de treize balles. A nous deux, on a une grosse puissance de feu. On va se séparer et le prendre en tenaille, comme on l’a fait chez Stevie pour coincer Silas… Ça pourrait marcher.

— Il est plus petit que Silas. Je ne sais pas s’il est entraîné au combat.

— Avec de telles mains ? J’en doute fortement. Si tu arrives à le surprendre par-derrière, tu auras une chance de l’abattre… Mais ne le tue pas. Il faut d’abord s’assurer que ta mère et Holly sont hors de danger.

— Appelle Joseph et Clay pour leur dire tout ça.

Il hésita avant d’ajouter :

— Appelle aussi Hyatt. Nous commencerons par nous plier aux exigences de Lippman, histoire de gagner du temps pour que Clay et Joseph puissent se placer. Mais si nous échouons, tous les quatre, à neutraliser Lippman, il faudra quand même libérer ses otages. Hyatt pourra envoyer des flics à l’appartement de Lippman. C’est peut-être là qu’il séquestre ma mère et Holly, ainsi que Violet.

Jeudi 7 avril, 23 h 50

Grayson ralentit en approchant de l’endroit où sa mère lui avait demandé de venir la chercher. Le village le plus proche se trouvait à près de deux kilomètres de ce coin de campagne semé de bosquets. La configuration des lieux était idéale pour une embuscade.

— Voilà la voiture de ma mère, dit Grayson.

Il se gara derrière pour éclairer l’habitacle de ses phares, et constata qu’il était vide. A l’aide du boîtier d’ouverture de rechange de la voiture de sa mère, il ouvrit le coffre à distance, tremblant de peur et d’espoir à la fois. Il espérait qu’elles seraient dans la voiture, mais redoutait de les y retrouver mortes. Il parcourut d’un bref coup d’œil le contenu du coffre et constata :

— Le coffre et l’habitacle sont vides.

Paige se coucha sur le plancher de l’Escalade, ainsi qu’ils en étaient convenus. Ils voulaient faire croire à Lippman — si c’était bien lui qui leur avait tendu ce guet-apens — que Grayson était venu seul, avec l’espoir que cela accroîtrait leurs chances de le prendre par surprise. Mais cet espoir était ténu.

— Je ne m’attendais pas à les trouver dans cette voiture, dit-elle tranquillement.

— En tout cas, on vient de signaler notre arrivée, murmura-t-il d’une voix dépitée.

A présent qu’il était sur place, Grayson commençait à avoir des doutes sur leur plan d’action, pour le moins improvisé. Il n’avait pas vraiment pris le temps de réfléchir, il s’était contenté de réagir. Par ma faute, tout le monde va y passer, se dit-il avec amertume.

— On aurait pu aussi bien arriver en activant une sirène, ajouta-t-il.

— On savait que c’était un piège. On est là pour jouer le jeu du ravisseur. Il s’agit de gagner du temps pour donner à Holly et à Judy une chance de s’en tirer. Il faut l’attirer hors de sa cachette…

Il hocha la tête.

— Et le neutraliser à la première occasion, dit-il.

— Il est seul, mais nous ne sommes que deux. Dans une dizaine de minutes, Joseph et Clay seront arrivés, et on sera quatre. Ça nous donnera un avantage… On n’est même pas certains que ta mère et Holly soient ici. Il les séquestre peut-être dans un autre endroit.

Grayson savait qu’il aurait été plus sage d’attendre les renforts. Mais il pouvait se passer bien des choses, en dix minutes. Le ravisseur avait largement le temps de tuer ses otages. Et soudain, il vit apparaître une silhouette à l’orée du bois, et prit sans plus tergiverser sa décision.

— C’est Holly, chuchota-t-il.

Elle marchait d’un pas chancelant, éblouie par les phares de l’Escapade. Elle avait les mains liées dans le dos et paraissait terrifiée. Des larmes ruisselaient sur ses joues.

— Il y a un homme derrière elle, dit Grayson. Je n’arrive pas à voir son visage…

— Eteins les phares.

Il les éteignit, ainsi que le lecteur de cartes.

— Je vais l’attirer vers moi pour que tu puisses l’abattre, annonça Grayson.

— Puisqu’il t’a déjà vu, il n’y a pas d’autre solution. Quand tu avanceras vers lui, marche de côté. Ta carrure fait de toi une cible facile.

— J’ai mon gilet pare-balles, dit-il pour se rassurer un peu.

— Le Kevlar ne te protégera pas beaucoup, si le ravisseur s’approche assez pour te tirer dessus à bout portant. Moi, je vais faire le tour du bosquet avec Peabody pour le prendre à revers. Comme on a fait avec Silas. D’accord ?

Grayson avait presque oublié la présence du chien.

— D’accord. Ne meurs pas, dit-il.

— Toi non plus, murmura-t-elle d’une voix émue.

Il sortit de l’Escalade en marchant de côté. Il entendit Paige ouvrir sa portière au moment précis où il refermait la sienne.

Bonne coordination, se dit-il. Mon Dieu, faites que ça continue comme ça…

— Relâchez-la ! cria Grayson dans la nuit noire.

Il ne voyait plus Holly… Son ravisseur avait dû la faire revenir dans le bosquet.

— Ce n’est pas elle que vous voulez éliminer ! cria-t-il. C’est moi !

— Vous êtes donc disposé à l’échanger ? demanda une voix masculine.

Celle de l’homme qui lui avait parlé au téléphone.

Après avoir frappé ma mère.

Grayson ne se souvenait pas de la voix de Stuart Lippman. Mais l’identité du ravisseur n’avait plus aucune importance. Il s’agissait à présent de le neutraliser.

Il fallait jouer le tout pour le tout.

— Oui, répondit Grayson. Relâchez ma mère et ma sœur, et vous pourrez faire tout ce que vous voudrez de moi.

— Il me faut aussi votre copine… Paige Holden…

— Elle a été blessée dans la journée, déclara Grayson. J’ai dû l’emmener aux urgences. Silas l’a frappée avant qu’elle ne l’abatte, et elle a une commotion cérébrale. Elle est à l’hôpital.

— Mensonge !

— Appelez l’hôpital pour vérifier, si ça vous chante. En tout cas, je suis venu seul.

Il avança vers les arbres, toujours en marchant de côté et en se déportant de manière à détourner le regard du ravisseur de Paige et de Peabody, qui se faufilaient dans l’obscurité pour le prendre à revers. Avec ses vêtements sombres et ses cheveux noirs, Paige se fondait dans la forêt. Grayson l’avait lui-même perdue de vue.

— Holly ! appela-t-il. Tout va bien se passer !

— Ne faites pas de promesse que vous ne pourrez pas tenir, Smith, fit la voix. Il me faut Holden.

Grayson entendit Holly geindre de peur.

Rien que pour ça, je vais te buter, salopard, songea-t-il.

— Si vous voulez Holden, alors allez la chercher à l’hôpital, répliqua Grayson d’une voix dure. Elle ne sait rien, de toute façon. C’est une détective à la noix. Elle sait se battre et elle est bonne au lit, mais elle n’a pas grand-chose dans le cigare…

— Ah bon ? Elle a été assez maligne pour identifier Adele Shaffer…

— Qui ça ?

— A d’autres, monsieur le procureur ! Vous avez diffusé sa photo partout… Vous la recherchez comme « témoin important ».

— Je ne suis pas au courant. J’étais trop occupé à rechercher l’assassin de Crystal Jones, pour faire sortir Ramon Muñoz de prison.

Grayson tendit l’oreille, guettant une réaction. Comme il n’entendait rien, il se rapprocha de l’orée du bosquet. Il posa la main droite sur la crosse du Beretta, glissé dans sa ceinture.

C’est alors qu’il les vit : d’une main, Lippman, car c’était bien lui, tenait Holly par le cou, s’abritant derrière elle ; de l’autre, il pressait le canon de son pistolet sur la tempe de sa captive. Grayson fut pris d’un accès de rage incontrôlable. Simultanément, il vit un éclat métallique briller dans le noir, fut assourdi par une détonation, sentit ses poumons se vider de tout leur air et éprouva une douleur atroce à la poitrine — une douleur bien plus forte que celle que lui avait causée la pluie d’éclats de tôle en fusion.

Il tomba à la renverse et entendit le hurlement horrifié de Holly.

— Grayson !

Elle voulut se dégager de l’étreinte de Lippman, mais celui-ci la retint fermement.

Le pistolet de Lippman était toujours pointé sur Grayson. Son regard satisfait se mua en stupéfaction lorsqu’il vit Grayson se relever.

Il m’a cru mort. Désolé, mon pote, mon heure n’est pas encore arrivée.

Dans sa chute, il avait lâché le Beretta. Il s’agenouilla pour le ramasser, visa la tête de Lippman, hésita à tirer. S’il ratait sa cible, il risquait d’atteindre Holly. Une fraction de seconde avant qu’il n’appuie sur la détente, il entendit un grondement sourd.

Peabody… Le chien surgit du bosquet et Lippman poussa un cri de douleur qui déchira le silence de la nuit. Les crocs plantés dans son bras, Peabody le fit tomber à la renverse. Lippman lâcha son arme en injuriant le rottweiler et en le rouant de coups de pied.

Holly en profita pour se dégager une nouvelle fois, et Grayson courut à sa rencontre. Il ne vit que trop tard la main de Lippman fouiller dans la poche de sa veste.

Une seconde arme…

Lippman était venu avec deux pistolets.

— Holly ! hurla Grayson. Couche-toi !…

Malgré l’obscurité, il vit alors Paige bondir, se jetant entre Holly et Lippman, tandis que ce dernier faisait feu. A deux reprises. Vers le dos de Paige.

Le corps de celle-ci tressaillit et chuta, puis se figea.

Grayson la fixa, horrifié.

— Non ! murmura-t-il.

Il visa la poitrine de Lippman et tira trois balles. Lippman s’effondra de tout son poids. Grayson courut vers Paige, s’agenouilla, la prit dans ses bras.

Mon Dieu, faites qu’elle ne soit pas morte…

— Paige…, chuchota-t-il.

— Je suis vivante.

Paige se tourna pour regarder derrière elle, brandissant son Glock. Puis elle se releva avec tant d’aisance que Grayson en eut le souffle coupé. Une vague de soulagement l’envahit lorsqu’il entendit Holly sangloter. Elle était vivante, elle aussi.

Ils étaient tous vivants.

— Tu n’es pas blessée ? demanda Grayson à Paige.

— L’impact de la balle a été rude, répondit Paige, mais ça va.

Elle courut vers Lippman qui respirait encore mais avait perdu connaissance. Elle s’empara de ses deux pistolets et les empocha.

— Lâche-le, Peabody, ordonna-t-elle.

Le chien obéit et s’assit, dans l’attente du prochain ordre de sa maîtresse.

— Bon chien, murmura Paige. Très bon chien.

Grayson aida Holly à se redresser et la prit dans ses bras pour la réconforter.

— Et toi, tu es blessée ? demanda-t-il. Tu n’as rien de cassé ?

— Judy ! cria-t-elle. La dame a emmené Judy. Elle va la tuer. J’ai essayé de courir. Elle va la tuer.

Grayson et Paige échangèrent un regard affolé.

— Quelle dame ? demanda Grayson.

— Elle nous a dit qu’elle était policière. Elle nous a montré son insigne. Elle nous a fait croire que tu étais blessé et qu’il fallait qu’on la suive. Après, elle nous a attachées. Elle a mis Judy dans le coffre de la voiture. Après, le monsieur est arrivé. Il m’a dit qu’ils tueraient Judy si j’essayais de m’enfuir. Elle va la tuer… C’est ma faute.

Grayson sentit son cœur se serrer douloureusement.

— Morton, murmura-t-il.

— Probablement, dit Paige.

Elle s’agenouilla à côté de Holly et lui caressa doucement les joues.

— Non, ma chérie, ce n’est pas ta faute, lui dit-elle. Il n’y a personne dans le coffre de la voiture de Judy. On a déjà regardé dedans.

Holly secoua la tête.

— Pas dans la voiture de Judy, dit-elle. Dans une voiture bleue. Une voiture de police… Celle de la dame… Par là…

Une nouvelle détonation résonna. Ils s’aplatirent tous au sol. Grayson se coucha sur Holly en prenant garde de ne pas l’étouffer sous son poids. Il tourna la tête et vit le regard furieux de Paige.

— Bon sang…, murmura-t-elle. C’était quoi, ça ?

Grayson se redressa, tout aussi furieux.

— C’était Morton… Elle nous a refait le coup.

Lippman avait cessé de respirer. Il avait une nouvelle balle dans la tête. Grayson entendit quelqu’un courir dans le bosquet. Paige et lui se relevèrent aussitôt pour se lancer à sa poursuite.

Mais le vrombissement d’un moteur brisa leur élan. Ils se tournèrent d’un même mouvement vers la route sur le bord de laquelle ils avaient garé l’Escalade. Une petite Mercedes noire arrivait à toute allure. Elle s’arrêta un instant à hauteur des deux autres véhicules, quatre autres coups de feu claquèrent dans la nuit, et la Mercedes redémarra, fonçant vers l’endroit d’où ils provenaient.

Grayson se tourna vers Holly.

— Tu m’as bien dit que la voiture de la dame était bleue ? demanda-t-il.

Elle hocha la tête en tremblotant.

— Oui, répondit-elle. Bleue… Avec des rayures blanches…

La Mercedes devait être la voiture dans laquelle Lippman était venu.

Paige courut vers l’Escalade.

— Elle a tiré sur nos pneus ! cria-t-elle. Et sur ceux de la voiture de Judy. Deux balles chacune. Elles sont inutilisables.

— La Mercedes appartient à Lippman, répondit-il. Morton a laissé sa voiture ici.

Il sentit l’espoir renaître dans son cœur.

— D’après Holly, ma mère est dans le coffre de la voiture bleue de Morton, ajouta-t-il.

— Je vais aller voir, dit-elle. Appelle les secours.

Grayson sortit son téléphone portable d’une main tremblante.

Il appela police secours, puis Joseph.

— J’ai récupéré Holly, saine et sauve. Mais pas ma mère… Un coupé Mercedes noir se dirige vers vous. Arrêtez-le. L’inspecteur Morton est au volant.

— Celle qui a tué Silas ? demanda Joseph.

— Oui. Elle est venue ici pour donner un coup de main à Stuart Lippman.

— Le commanditaire ? Tu l’as descendu ?

— Oui. Mais Morton l’a achevé, lui aussi. Violet a été retrouvée ?

— Non.

— Rappliquez ici dès que possible. Moi, je pars à la recherche de ma mère.

Il raccrocha et se tourna vers Holly, qui était toute pâle. Il se força à sourire.

— On va chercher Judy. Elle est plus forte que tu ne le crois, déclara-t-il d’une voix qui se voulait rassurante.

Holly frissonna.

— La dame de la police nous a dit qu’elle ne nous tuerait pas… Et puis il est arrivé.

— Je sais, dit Grayson.

Il la prit dans ses bras et la porta jusqu’à un endroit d’où elle ne pouvait voir le cadavre de Lippman.

— Je vais te laisser ici quelques minutes. Je n’ai pas de couteau pour trancher tes liens, mais Paige s’en chargera.

Il regarda alors par-dessus son épaule. Paige n’était nulle part en vue.

— Grayson !

Ce cri venait de l’autre côté de la colline boisée.

Il se releva, et sentit ses genoux flageoler lorsqu’il la vit émerger du bosquet. A sa droite marchait Peabody, fidèle garde du corps de sa maîtresse. A sa gauche, appuyée sur son épaule, clopinait une grande femme aux cheveux roux, qui salua Grayson d’un geste de la main.

Jamais encore il n’avait contemplé un aussi beau spectacle. Il courut vers sa mère et elle le serra bien fort dans ses bras, ce qui raviva sa douleur à la cage thoracique. Si la balle tirée par Lippman ne lui avait pas fracturé les côtes, l’étreinte de sa mère venait de le faire.

Elle se mit à pleurer, tremblant de tout son corps.

— Tu m’as dit que c’était fini, lui dit-elle d’un ton accusateur.

— Pour être exact, je t’ai dit aussi qu’il restait quelques détails à régler. Pardonne-moi, maman.

— Elle se trouvait dans le coffre de la voiture de Morton, indiqua Paige. Comme tu l’as dit, Holly.

Elle s’accroupit près de Holly et trancha ses liens à l’aide de son couteau de chasse pliable.

Holly hocha la tête, toujours très pâle.

— C’est un gros couteau, ça, fit-elle remarquer.

Paige le replia et le lui tendit.

— Je te le donne. Je t’apprendrai à t’en servir.

Holly la regarda un instant d’un air perplexe.

— D’accord, finit-elle par répondre. Mais j’espère que je n’aurai jamais à m’en servir. Jamais !

Paige l’étreignit doucement.

— Moi aussi, répondit-elle.

*  *  *

La cavalerie est enfin arrivée, songea Paige quelques minutes plus tard. Des voitures de patrouille et des ambulances. Des policiers en tenue de combat. Et, enfin, Hyatt en personne.

— Pas de blessés ? s’enquit-il.

Judy était assise par terre, serrant Holly dans ses bras.

— Quelques plaies et quelques bosses, répondit-elle.

Grayson prit Paige par la taille en grimaçant.

— Et deux beaux hématomes au torse, ajouta-t-il.

Hyatt considéra un instant le cadavre de Lippman avant de demander :

— Qui l’a abattu ?

— C’est moi qui lui ai logé les balles qu’il a dans la poitrine, répondit Grayson.

— Joli tir groupé.

— Il a ouvert le feu le premier, sur Paige et moi.

Grayson désigna sa chemise, trouée par la balle de Lippman, non sans adresser à sa mère un sourire rassurant lorsqu’il l’entendit pousser un petit cri horrifié.

— Moi, il m’a tiré dans le dos, dit Paige. Et ça me fait vraiment mal.

Hyatt esquissa un sourire.

— Je vois ça. Mais ça ferait encore plus mal si vous n’aviez pas porté de gilet pare-balles.

Paige haussa les épaules.

— Oui, j’imagine, dit-elle. C’est Morton qui lui a tiré une balle dans la tête.

Le sourire de Hyatt s’évanouit.

— Nous avons arrêté l’inspecteur Morton, dit-il. Maynard et Carter sont arrivés au moment où elle prenait la fuite. Ils ont garé leur voiture en travers de la route et l’ont retenue jusqu’à notre arrivée. La petite-fille de Dandridge se trouvait dans le coffre de la Mercedes qu’elle conduisait. Violet est vivante. Droguée et léthargique, mais vivante. Elle ne semble pas avoir subi de sévices.

— Dieu merci ! murmura Paige, soulagée.

— Cette Mercedes appartenait à Lippman, dit Grayson. Morton ne savait peut-être même pas que Violet se trouvait dans le coffre.

— Mais c’est quand même une sale garce, lâcha Holly.

— C’est vrai, approuva Hyatt. Venez avec moi, tous autant que vous êtes. On va commencer par soigner vos bobos.

Il les invita à monter sur la banquette arrière de deux voitures de patrouille — Paige, Grayson et Peabody dans l’une, Judy et Holly dans l’autre. Comme Peabody prenait presque toute la place, Paige se retrouva pour ainsi dire sur les genoux de Grayson. Elle se blottit contre lui et se détendit un peu.

— Alors comme ça, je n’ai pas grand-chose dans le cigare ? demanda-t-elle d’un ton taquin. Je pourrais me vexer !

Il émit un petit rire discret.

— J’ai paniqué… J’ai proféré la première énormité qui m’est venue à l’esprit, répondit-il pour sa défense.

Elle se redressa pour lui chuchoter à l’oreille :

— Alors, « bonne au lit », c’était aussi du baratin ?

— Non, ça, c’était vrai.

Il lâcha un petit soupir douloureux avant d’ajouter :

— Mon cœur a cessé de battre quand il t’a tiré dessus.

— Le mien aussi, avoua-t-elle. Tout s’est passé si vite que ni moi ni Peabody n’avons eu le temps de l’empêcher de faire feu.

— Je ne t’en veux pas. Tu as sauvé la vie de Holly. Merci du fond du cœur ! dit-il d’une voix tremblante d’émotion.

Ils arrivèrent rapidement à un tournant de la route où la petite Mercedes noire était garée, à côté de la voiture de Joseph et de Clay — ainsi que trois ambulances et une demi-douzaine de voitures de patrouille.

La camionnette de la morgue n’était pas encore arrivée. Paige songea avec soulagement que ce véhicule ne repartirait qu’avec un seul cadavre.

— Examinez-les, dit Hyatt aux médecins lorsqu’ils sortirent des voitures de patrouille. Regardez s’ils n’ont rien de cassé.

Il se tourna vers Grayson et Paige.

— On a retrouvé Mme Shaffer, leur annonça-t-il.

— Adele ? demanda Grayson. Où est-elle ?

— A l’hôpital. Un médecin, une dénommée Burke, a appelé après avoir vu sa photo à la télé. Elle l’a soignée ce matin, après qu’Adele a été admise en tant qu’inconnue, à l’hôpital, à la suite de blessures multiples à l’arme blanche. L’agent ayant rapporté l’agression a précisé que celle-ci avait eu lieu peu avant 9 heures. Un témoin a vu une voiture démarrer en trombe. Intrigué, il a découvert Mme Shaffer, agonisante, dans une ruelle près de Paterson Park.

— C’est le sénateur McCloud qui l’a poignardée, dit Paige. Il a traqué toutes les blondes bouclées ayant bénéficié du programme MAC.

— Nous l’interrogerons, dit Hyatt. Malheureusement, il a un alibi imparable. A l’heure de l’agression, il prononçait un discours devant un parterre de membres du Rotary Club.

— C’est peut-être Lippman qui a agressé Adele, fit remarquer Grayson d’un ton pensif. Mais c’est improbable : il n’aurait guère eu le temps d’aller de Paterson Park à l’aéroport, de s’envoler pour Toronto, d’enlever Violet et de revenir dans la foulée à Baltimore, même en jet privé. Adele n’a pas fourni de description de son agresseur ?

— Elle n’a toujours pas repris connaissance. Nous avons posté un agent devant la porte de sa chambre, pour éviter qu’on ne tente de l’achever dans son lit d’hôpital. Monsieur Smith, vous serez content d’apprendre que votre maison n’est plus une scène de crime. Le carreau cassé a été remplacé. Une fois que l’équipe médicale vous aura prodigué les soins nécessaires, vous pourrez rentrer chez vous. Nous recueillerons votre témoignage demain.

Hyatt hocha la tête avant de se diriger vers la voiture de patrouille dans laquelle Morton était retenue.

Grayson effleura du bout des doigts le dos de Paige, et fronça les sourcils en la sentant se hérisser malgré elle.

— Toi, tu as besoin d’être examinée par les toubibs, dit-il.

— Je vais très bien, répliqua Paige. La seule chose dont j’ai vraiment besoin, c’est de faire trempette dans un bain bien chaud.

— Alors, tes vœux seront bientôt exaucés. J’espère que quelqu’un pourra nous ramener en ville.

Ils rejoignirent Holly et Judy, auxquelles s’étaient joints Joseph et Clay.

— Morton a crevé nos pneus, dit Grayson à Joseph. Tu peux nous ramener ?

— Pas de problème, répondit Joseph.

Il regarda Paige d’un air profondément reconnaissant en serrant sa petite sœur contre lui.

— Holly nous a raconté ce qui s’est passé, dit-il. Elle nous a dit comment vous vous êtes jetée sur elle pour la protéger, quand Lippman a tiré. Vous lui avez sauvé la vie. Les Carter ne l’oublieront jamais.

Judy enlaça Paige en murmurant d’une voix émue :

— Merci.

Paige, embarrassée, lui tapota le dos.

— Grayson m’a sauvé la vie, marmonna-t-elle. Je lui devais bien ça.

— Alors, c’est vraiment fini, cette fois ? demanda Judy. Dites-moi que c’est fini, je vous en supplie…

— Pas tout à fait, répondit Grayson. Il nous reste quelques crapules à boucler. Et surtout, il faut que je fasse libérer et innocenter Ramon. Je vais lancer la procédure à la première heure, demain matin.

— Il faudrait avant tout que tu prennes un peu de sommeil, déclara Joseph. Allez, venez, je vais vous ramener.

— Et Peabody ? demanda Paige.

— Il a sauvé Holly, lui aussi. Ça lui donne le droit de gronder éternellement après moi.