Lucie

Lucie savait qu'on allait lui passer un sacré savon quand elle rentrerait à l'école, mais elle ne s'attendait pas à ce que Lenobia elle-même la guette au parking.

— Écoutez, commença-t-elle, confuse, j'avais simplement besoin de rester seule un moment. Comme vous le voyez, je vais bien et...

— On a appris aux infos du soir qu'un gang de jeunes s'est introduit dans des appartements, la coupa Lenobia. Quatre personnes ont été tuées. Elles ont eu la gorge tranchée, et elles se sont partiellement vidées de leur sang. La seule raison pour laquelle la police n'est pas là à nous accuser, c'est que plusieurs témoins affirment qu'il s'agissait d'adolescents humains. Avec des yeux rouges...

Lucie avala sa salive.

— Ce sont les novices que j'ai laissés à la gare ! Ils ont manipulé les souvenirs des témoins, mais comme aucun ne s'est transformé, ils n'ont pas pu tout effacer.

— Dont les yeux rouges, dit Lenobia.

— Dragon n'est pas parti à leur recherche, j'espère ? lança Lucie en se dirigeant vers l'école.

— Non. Je l'ai occupé avec des petits groupes d'élèves à qui il apprend l'autodéfense, en cas d'attaque des Corbeaux Moqueurs.

— Lenobia, je suis persuadée que celui du parc est déjà à des kilomètres de Tulsa.

— Un Corbeau Moqueur en est un de trop, mais, qu'il soit seul ou pas, Dragon le pourchassera et le détruira, même si je ne pense pas qu'ils attaqueront l'école. Je suis beaucoup plus inquiète au sujet de ces novices rouges.

— Moi aussi, fit Lucie, soulagée de changer de sujet. Le reportage disait que les victimes ne s'étaient pas complètement vidées de leur sang ?

— Oui, et elles avaient la gorge tranchée. On ne les a pas juste mordues, comme toi et moi le ferions pour boire du sang.

— Ils ne se nourrissent pas ; ils s'amusent. Ils aiment terroriser les gens ; ça les fait planer.

— C'est vraiment une abomination, dit Lenobia avec colère. Les personnes dont nous buvons le sang ne devraient ressentir que notre plaisir. C'est pour cela que la déesse nous a donné la possibilité de partager des sensations aussi puissantes avec les humains. Nous ne les brutalisons pas et ne les torturons pas.

Nous les respectons, nous faisons d'eux nos consorts. Le conseil supérieur a déjà banni des vampires qui ne faisaient pas bon usage de leur pouvoir.

— Vous n'avez pas parlé des novices rouges au conseil supérieur, hein ?

— Je ne ferais pas ça sans en discuter d'abord avec toi. C'est toi, leur grande prêtresse. Mais tu dois comprendre qu'ils sont allés trop loin, et qu'on ne peut plus les ignorer.

— Je sais, mais je veux quand même m'en occuper moi-même.

— Pas toute seule. Pas cette fois !

— Vous avez raison. Ce qu'ils ont fait aujourd'hui montre à quel point ils sont dangereux.

— Faut-il que j'appelle Dragon ?

— Non. Je n'irai pas seule, et je compte bien leur poser un ultimatum -

rentrer dans le rang ou ficher le camp - ; mais si j'emmène des étrangers avec moi, je ne pourrai pas les convaincre d'abandonner l'Obscurité et de venir avec moi.

Soudain, Lucie s'arrêta comme si elle avait foncé dans un mur.

— Oh, déesse ! C'est ça ! Maintenant que j'ai rencontré les taureaux, je comprends ! Lenobia, ce qui nous arrive après notre mort, et pendant notre résurrection, quand nous sommes maléfiques, assoiffés de sang, est causé par l'Obscurité. Ce doit être aussi ancien que cette religion. Neferet est responsable de ce que nous avons subi, moi et les autres. Elle est liée au mal !

— Malheureusement, cela fait longtemps qu'il n'y a plus de doute à ce sujet.

— Mais comment Neferet est-elle entrée en contact avec l'Obscurité ? Cela fait des siècles que les vampires sont fidèles à Nyx.

— Ce n'est pas parce que les gens cessent de vénérer une divinité qu'elle cesse d'exister. Les forces du bien et du mal évoluent dans une danse intemporelle, sans se soucier des caprices des mortels et des modes.

— Mais Nyx est la déesse !

— Nyx est notre déesse. Ne crois pas qu'il n'y a qu'une seule divinité dans un monde aussi complexe que le nôtre.

Lucie poussa un soupir.

— Dit comme ça, je ne peux qu'approuver, mais j'aurais aimé qu'il n'y ait qu'une voie pour le mal.

— Mais alors il n'y aurait qu'une voie pour le bien. N'oublie pas qu'il doit toujours y avoir un équilibre. Tu emmèneras les novices rouges qui t'ont suivie pour aller affronter les autres ?

— Oui.

— Quand ?

— Le plus tôt sera le mieux.

— Il ne reste qu'un peu plus de trois heures avant l'aube, dit Lenobia.

— Ça ne prendra pas beaucoup de temps. Je vais poser aux rebelles une simple question, à laquelle ils devront répondre par oui ou par non.

— Et s'ils disent non ?

— Alors, je ferai en sorte qu'ils ne puissent plus se cacher dans les souterrains, et je me débrouillerai pour qu'ils soient séparés. Je ne pense pas qu'ils soient tous complètement mauvais. Je ne veux pas les tuer. J'ai l'impression que je sombrerais ainsi du côté du mal. Et je ne veux plus jamais que l'Obscurité me touche.

Une image de Rephaïm, ailes dépliées, guéri et puissant, lui traversa l'esprit.

— Je comprends. Je ne suis pas d'accord avec toi, Lucie, mais je comprends.

Ton plan présente un intérêt. Si tu les chasses de leur bastion et les obliges à se disperser, ceux qui resteront devront se battre pour survivre et n'auront pas le temps de « s'amuser » avec des humains.

— OK, allons prévenir les novices rouges qu'ils doivent me retrouver dans le parking, tout de suite. Je m'occupe du dortoir.

— Moi, je vais au gymnase et à la cafétéria. Quand je suis venue à ta rencontre, j'ai vu Kramisha qui y allait. Je vais la chercher. Elle sait toujours où sont les autres.

Lucie hocha la tête, et Lenobia partit au pas de course. Seule, la novice se mit à réfléchir. Elle aurait dû penser à ce qu'elle allait dire à cette imbécile de Nicole et à son groupe d'assassins. Mais elle n'arrivait pas à sortir Rephaïm de son esprit.

Pourquoi s'éloigner de lui avait été l'une des choses les plus difficiles de sa vie ?

— Parce qu'il va bien à nouveau, dit-elle à voix haute, avant de regarder autour d'elle.

Heureusement, il n'y avait personne.

Bon, Rephaïm était guéri. Et alors ? Avait-elle cru qu'il serait infirme à jamais

?

« Non ! Je ne veux pas qu'il soit infirme ! »

C'était la vérité. Mais ce n'était pas la seule chose qui la perturbait. C'était l'Obscurité qui l'avait guéri - qui l'avait rendu aussi...

Elle ne voulait pas penser à ça ; elle ne voulait pas s'avouer l'effet que lui avait fait Rephaïm, au clair de lune, puissant et entier.

Elle tritura nerveusement une mèche de ses cheveux. De toute façon, ils avaient imprimé. C'était normal qu'il lui fasse cet effet-là. Sauf qu'avec Aphrodite, cela n'avait pas été pareil...

— Oui, eh bien, je ne suis pas attirée par les femmes ! marmonna-t-elle.

Lucie avait aimé voir Rephaïm comme ça, fort, beau. Pendant un instant, elle avait aperçu la beauté dans la bête ; il n'était plus un monstre. Il était magnifique, et il était à elle.

Elle s'arrêta. C'était à cause de ce taureau noir de malheur ! Forcément. Il lui avait dit : « Je peux chasser l'Obscurité, mais alors, tu seras redevable à la Lumière, et ta dette, c'est que tu seras pour toujours attachée à l'humanité dans cette créature - celle que tu veux que je sauve. » Elle avait répondu oui sans aucune hésitation. Alors, le taureau lui avait fait quelque chose qui l'avait changée.

Mais était-ce réellement la vérité ? Non, les choses avaient changé entre elle et Rephaïm avant que le taureau noir apparaisse. C'était arrivé quand Rephaïm avait affronté l'Obscurité pour elle, et accepté de souffrir à sa place.

Rephaïm avait dit qu'elle lui appartenait. Aujourd'hui, elle avait compris que c'était vrai, et cela la terrifiait encore plus que l'Obscurité.

— Bon, alors, on est tous là ?

— Oui, tout le monde est là, dit Dallas.

— Ce sont eux qui ont tué ces gens en ville, pas vrai ? demanda Kramisha.

— Tu ne peux pas les laisser faire ça, poursuivit Dallas. Ce n'était même pas des SDF.

Lucie poussa un long soupir.

— Dallas, combien de fois devrais-je te dire que cela ne change rien qu'il s'agisse de SDF ou non, ce n'est pas bien de tuer, c'est tout.

— Désolé. Je sais que tu as raison, mais parfois, je me rappelle ce que nous faisions avant, et je m'égare.

Avant... Lucie savait exactement ce qu'il voulait dire : avant qu'elle n'ait retrouvé son humanité grâce au sacrifice d'Aphrodite, avant qu'ils aient le choix entre le bien et le mal. Elle s'en souvenait elle aussi, mais au fil des jours, il lui était de plus en plus facile de chasser ces pensées de son esprit. Alors qu'elle observait Dallas, elle se demanda si c'était différent pour lui - pour ceux qui ne s'étaient pas encore transformés - parce que Dallas faisait souvent ce genre de bourdes.

— Lucie ? Ça va ? demanda-t-il, l'air gêné par son regard insistant.

— Oui, ça va. Je réfléchissais. Bon, voilà ce qui va se passer : je vais retourner dans les souterrains de la gare, nos souterrains, et je vais leur donner une dernière chance. S'ils choisissent le bien, ils pourront rester et reprendre les cours avec nous dès lundi. Sinon, il faudra qu'ils se débrouillent tout seuls, ailleurs, car nous allons les déloger de là-bas.

Kramisha sourit.

— On va retourner vivre dans les tunnels !

— Oui, dit Lucie, et elle sut, aux acclamations soulagées, qu'elle avait pris la bonne décision. Je n'en ai pas encore parlé à Lenobla, mais je ne pense pas que ça posera de problème. Nous ferons des allers-retours entre la Maison de la Nuit et les souterrains. Nous devons être sous terre, et même si j'aime beaucoup cette école, je ne m'y sens plus chez moi.

— Je suis d'accord avec toi, petite, déclara Dallas. Mais nous devons tout de suite mettre les choses au clair. Tu n'affronteras pas ces novices toute seule. Je viens avec toi.

— Moi aussi, dit Kramisha. Je me fiche des bobards que tu as racontés aux autres. Je sais que c'est à cause d'eux que tu as failli frire sur ce toit.

— Oui, on en a tous parlé, enchérit l'athlétique Johnny B. Nous ne laisserons pas notre grande prêtresse prendre des risques.

— Si puissante soit-elle, ajouta Dallas.

— Je ne vais pas y aller seule. C'est pour ça que je vous ai convoqués. Nous allons récupérer nos souterrains ensemble et, s'il faut leur mettre une raclée, alors c'est ce qu'on fera. Bon, Johnny B, je veux que tu conduises le Hummer, dit-elle en lui lançant les clés. Prends Ant, Shannoncompton, Montoya, Elliott, Sophie, Geraty et Vénus avec toi. J'emmènerai Dallas et Kramisha dans la Coccinelle de Zoey. Suivez-moi.

— D'accord, mais comment pouvons-nous être sûrs que nous allons les trouver ? Vous savez comment sont ces souterrains, c'est une vraie fourmilière, objecta Ant.

— C'est aussi ce que je me disais, fit Kramisha, et j'ai eu une idée. La voici : ces novices ont déjà essayé de te tuer, pas vrai ?

— Alors, je suppose que, s'ils n'ont pas réussi à se débarrasser de toi la première fois, ils vont vouloir réessayer ?

— Probablement.

— Que feraient-ils s'ils croient que tu es de nouveau seule ?

— Ils viendraient vers moi.

— Dans ce cas, sers-toi de ton affinité avec la Terre pour leur faire savoir que tu es là. Tu peux faire ça, non ?

— Je n'y avais pas pensé, mais oui, c'est possible.

— C'est génial, Kramisha ! s'exclama Dallas.

— Carrément ! dit Lucie. Bon, attendez. Je vais essayer quelque chose.

Elle se dirigea vers deux vieux chênes, au pied desquels se trouvait un banc en fer forgé, et une fontaine entourée par une rangée de pensées jaunes et violettes prises dans la glace. Sous les yeux de ses novices, elle se tourna vers le nord et s'agenouilla devant le plus gros des deux arbres. Elle baissa la tête et se concentra.

— Viens à moi, Terre, murmura-t-elle.

Aussitôt, le sol se réchauffa, et elle sentit un parfum de fleurs sauvages et d'herbes d'été. Elle appuya les mains contre la Terre qu'elle aimait tant, se délectant de sa connexion avec son élément. Emplie de la force de la nature, elle dit :

— Oui, je te reconnais. Je me sens en toi et je te sens en moi. S'il te plaît, fais quelque chose pour moi. Prends un peu de cette magie qui est la nôtre, et déverse-la dans le sous-sol de la gare, comme si j'étais là-bas, de façon que tous ceux qui y vivent croient en ma présence.

Elle ferma les yeux et imagina une lumière verte et luisante quittant son corps et pénétrant dans la Terre, puis s'introduisant dans les souterrains, juste devant sa chambre.

— Merci, Terre. Tu peux partir, maintenant.

Lorsqu'elle rejoignit ses novices, ils la dévisageaient tous, les yeux écarquillés.

— Quoi ? demanda-t-elle.

— C'était incroyable ! souffla Dallas.

— Oui, tu étais toute verte et brillante, ajouta Kramisha. Je n'avais jamais vu une chose pareille.

— C'était trop cool, dit Johnny B., pendant que tous les autres hochaient la tête en souriant.

Lucie leur rendit leur sourire. Elle avait vraiment l'impression d'être une vraie grande prêtresse.

— En tout cas, je suis quasiment sûre que ça a marché.

— Tu crois ? demanda Dallas.

— Je crois, oui.

Ils échangèrent un regard, et Lucie frissonna. Elle se reprit et se concentra.

— Bon, allons-y.

Quand les novices se furent installés dans les deux véhicules, Dallas posa le bras sur les épaules de Lucie, puis l'attira contre lui. Elle se laissa faire.

— Je suis fier de toi, petite.

— Merci, dit-elle en glissant la main dans la poche arrière de son jean.

— Et je suis content que tu nous emmènes avec toi, cette fois.

— C'est la meilleure chose à faire. Nous sommes plus forts ensemble.

Devant la Coccinelle, il s'arrêta et la prit dans ses bras.

— C'est vrai, petite, nous sommes plus forts ensemble, murmura-t-il contre ses lèvres.

Alors, il l'embrassa avec une passion et une possessivité qui la surprirent.

Sans même s'en rendre compte, elle lui rendit son baiser - retrouvant avec bonheur le contact de son corps, familier et parfaitement normal.

— Prenez une chambre, lança Kramisha depuis la voiture.

Lucie gloussa, un peu étourdie, en se disant qu'elle ne pouvait même pas embrasser l'autre. Dallas la laissa se dégager, à contrecœur, et elle s'assit à la place du conducteur.

— Une chambre, ça me paraît très bien, souffla-t-il en croisant son regard.

Lucie se sentit rougir, et un autre gloussement lui échappa.

— J'ai entendu ! grommela Kramisha. Et tout ce que j'ai à dire, c'est que vous feriez mieux de penser aux novices qui égorgent des humains, au lieu de flirter.

Dallas lui adressa un petit sourire insolent.

— Je peux faire plusieurs choses à la fois, dit Lucie avec un petit rire.

— Peu importe, fît Kramisha. Allons-y. J'ai un drôle de pressentiment.

Lucie reprit aussitôt son sérieux et lui jeta un coup d'œil dans le rétroviseur tout en démarrant.

— Un drôle de pressentiment ? Tu as écrit un autre poème ?

— Non, et je ne parle pas de ces novices.

Lucie lui fit les gros yeux.

— De quoi tu parles, alors ? demanda Dallas.

Kramisha regarda Lucie d'un air entendu avant de lui répondre.

— De rien. C'est juste de la parano. Et le fait que vous vous léchiez le visage au lieu de vous concentrer sur nos affaires n'arrange pas les choses.

— Je suis concentrée ! protesta Lucie en détournant le regard.

— Oui, n'oublie pas que ma copine est une grande prêtresse, intervint Dallas.

Elle peut gérer plein de trucs à la fois.

— Hum, hum, fit Kramisha d'un ton méprisant.

Le trajet jusqu'à la gare fut rapide et silencieux. La présence de Kramisha mettait Lucie mal à l'aise. « Elle sait pour Rephaïm ! »

Cette pensée se faufila dans son esprit, et elle la chassa aussitôt. Kramisha ne savait rien, juste qu'il y avait un autre garçon. Personne n'était au courant.

À part les novices rouges.

La panique s'insinua en elle. Qu'allait-elle faire si Nicole ou l'un des autres parlait de Rephaïm à son groupe de fidèles ? Elle imaginait bien la scène !

Nicole serait haineuse et grossière ; eux seraient choqués. Ils ne croiraient jamais...

Soudain, elle trouva la solution à son problème : ses amis ne croiraient pas qu'elle avait imprimé avec un Corbeau Moqueur. Jamais ! Elle n'aurait qu'à nier.

Il n'y avait aucune preuve. Son sang avait une drôle d'odeur ? Elle avait déjà fourni une explication : l'Obscurité en avait bu. Kramisha la croyait, et Lenobia aussi. Les autres la croiraient également. Ce serait sa parole, la parole d'une grande prêtresse, contre celle d'une bande de novices qui avaient mal tourné et qui avaient essayé de la tuer.

Et si certains d'entre eux choisissaient le bien ce soir et restaient avec eux ?

« Alors, il faudra qu'ils se taisent, ou ils devront dégager », pensa-t-elle en se garant sur le parking de la gare. Elle rassembla ses troupes autour d'elle.

— OK, on y va. Surtout, ne les sous-estimez pas.

Sans un mot, Dallas se plaça à sa droite, et Johnny B. à sa gauche. Les autres les suivaient de près quand ils poussèrent la grille pour entrer dans la gare abandonnée de Tulsa.

L'endroit n'avait pas beaucoup changé depuis l'époque où ils vivaient là. Il y avait peut-être un peu plus de déchets, mais c'était toujours aussi froid et sombre.

Ils se dirigèrent vers le fond de la pièce, d'où l'on pouvait rejoindre les souterrains.

— Tu vois quelque chose ? demanda Dallas.

— Bien sûr, mais j'allumerai les torches dès que je trouverai des allumettes pour que vous puissiez voir, vous aussi.

— J'ai un briquet, dit Kramisha en fouillant dans son énorme sac.

— Kramisha ! Ne me dis pas que tu fumes.

— Non, je ne fume pas. Ni sois pas stupide. Mais j'aime être préparée à tout.

Et un briquet peut s'avérer bien pratique parfois, comme maintenant!

Lucie s'apprêtait à descendre l'échelle en métal quand Dallas la prit par le bras.

— Non, je vais passer le premier. Ce n'est pas moi qu'ils veulent tuer.

— Je te suis, annonça Johnny B.

Quand ils furent tous les deux en bas, elle les rejoignit et les fit attendre au pied de l'échelle tandis qu'elle allumait l'une des lanternes à kérosène qu'elle avait elle-même accrochées à des clous sur les murs incurvés du souterrain. Puis elle se tourna vers ses amis en souriant.

— Voilà ! C'est mieux, non ?

— Bien joué, petite ! dit Dallas avant de lui faire signe de se taire. Vous entendez ça ?

Lucie regarda Johnny B., qui secouait la tête en aidant Kramisha à descendre.

— Quoi ? demanda Lucie.

Dallas appuya les mains contre le mur en béton.

— Ça, répondit-il, comme hypnotisé.

— Dallas, on ne te suit pas, là, dit Kramisha.

— Je n'en suis pas sûr, mais j'ai l'impression que j'entends le bruit des lignes électriques.

— C'est bizarre, fit Kramisha.

— Tu as toujours été très doué pour l'électricité et tous ces trucs de mecs, dit Lucie.

— Oui, mais ça ne m'a jamais fait ça. Tu te rends compte ? J'entends l'électricité qui passe dans les câbles !

— C'est peut-être une sorte d'affinité, dont tu ne t'étais pas rendu compte avant parce que ça te paraissait normal.

— Mais l'électricité n'a rien à voir avec la déesse ! Comment pourrait-il s'agir d'une affinité ? objecta Kramisha en regardant Dallas d'un air soupçonneux.

— Pourquoi pas ? demanda Lucie. J'ai déjà vu des trucs plus bizarres qu'un novice doté d'une affinité avec l'électricité. Par exemple, un taureau blanc personnifiant le mal.

— Tu n'as pas tort, concéda Kramisha.

— Alors, j'aurais vraiment une affinité ? lâcha Dallas, hébété.

— Bien sûr, répondit Lucie.

— Si c'est vrai, ça pourrait s'avérer utile, commenta Johnny B. en aidant Shannoncompton et Vénus à descendre.

— Utile ? Comment ça ?

— Par exemple, pour savoir si ces satanés novices rouges ont utilisé l'électricité récemment, suggéra Kramisha.

— Je vois.

Dallas appuya de nouveau les mains contre le mur et ferma les yeux. Au bout de quelques secondes, il les rouvrit en poussant un petit cri.

— Oui, ils s'en sont servis ! À vrai dire, ils s'en servent en ce moment même.

Ils sont dans la cuisine.

— Alors, c'est là où nous allons, décida Lucie.

CHAPITRE VINGT-DEUX