Zoey

C'était trop étrange.

Je savais que j'étais dans l'au-delà sans être morte, avec Heath, qui, lui, l'était.

Déesse ! Était-ce normal que la mort de Heath ne me révolte plus.

J'étais blottie contre Heath. Nous étions allongés comme un vieux couple au pied d'un arbre, sur un matelas de mousse, à l'endroit où se rejoignaient des racines, formant un creux de la taille d'un lit. La mousse était moelleuse, et Heath semblait vivant. Je pouvais le voir, l'entendre, le toucher - il avait même gardé son odeur. J'aurais dû me détendre...

« Alors, pourquoi, me demandai-je en observant des papillons aux ailes bleues, pourquoi suis-je aussi agitée, pourquoi ne suis-je pas dans mon assiette, comme dirait Grand-Mère ? » Grand-Mère...

Elle me manquait. Ce sentiment était comme un mal de dents : parfois, il disparaissait, mais je savais qu'il était là, et qu'il reviendrait, en pire.

Elle devait se faire du souci pour moi. Elle devait être triste. Songer à sa tristesse était difficile, et je m'efforçai de ne plus y penser.

Mal à l'aise, je me levai en prenant soin de ne pas réveiller Heath et je me mis à faire les cent pas.

Cela me calmait un peu. Du moins, au début. J'allais et venais, en gardant Heath dans mon champ de vision. Il était si mignon quand il dormait !

J'aurais aimé sombrer dans le sommeil, moi aussi. Mais j'en étais incapable.

Si je fermais les yeux, j'avais peur de perdre encore des morceaux de moi. Je me souvins d'un rêve hyper-bizarre que j'avais fait un jour de grande fièvre : je tournais, tournais sur moi-même jusqu'à ce que des parties de moi se détachent et s'envolent.

Je frémis. Pourquoi ce souvenir était-il aussi vivace alors que tant d'autres étaient embrumés ?

Déesse, j'étais vraiment fatiguée !

Distraite, je trébuchai sur l'un des cailloux blancs qui parsemaient la mousse, et me rattrapai à l'arbre le plus proche.

Je me figeai : ma main, mon bras ! Ils n'étaient pas normaux. Ma peau ondulait, comme dans un de ces films d'horreur où d'affreuses bestioles pénètrent sous la peau de l'héroïne à moitié nue et...

— Non ! hurlai-je en me frottant frénétiquement le bras. Non ! Stop !

— Zo, bébé, que se passe-t-il ?

— Heath, Heath, regarde ! C'est un cauchemar !

Ses yeux passèrent de mon bras à mon visage.

— Zo, de quoi tu parles ?

— Ma peau ! Elle bouge !

Son sourire ne dissimulait pas son inquiétude. Il passa lentement la main sur mon bras. Lorsqu'il eut atteint ma main, il glissa ses doigts entre les miens.

— Il n'y a rien d'anormal, bébé.

— Tu le penses vraiment ?

— Bien sûr. Hé, qu'est-ce qui t'arrive ?

J'allais lui dire que j'avais l'impression de me perdre que des morceaux de moi s'envolaient dans les airs - quand quelque chose capta mon attention.

Quelque chose de noir et de flou, qui remuait entre les arbres.

— Heath, je n'aime pas ça, soufflai-je en désignant les ombres mouvantes.

La brise agita les larges feuilles vertes, et la forêt, soudain, ne me paraissait plus aussi protectrice que quelques instants plus tôt. L'odeur parvint jusqu'à moi, écœurante, fétide, comme celle d'un animal mort sous les roues d'une voiture et resté en plein soleil.

Heath sursauta, et je sus que ce n'était pas le fruit de mon imagination.

Alors, j'entendis le battement d'ailes.

— Oh, non ! murmurai-je.

Heath pressa ma main.

— Viens, il faut qu'on s'enfonce encore dans le bois.

J'étais comme paralysée.

Des larmes emplirent mes yeux.

— À quoi ça nous servirait ?

Heath prit mon menton dans sa main et me força à le regarder.

— Zo ! Cette forêt est pleine de bonté. Tu ne sens pas la présence de ta déesse ?

— Non, dis-je doucement, pas du tout.

Il m'enlaça et me serra contre lui.

— Ne t'inquiète pas, Zo. Je la sens, moi ! Tout ira bien, je te le promets.

CHAPITRE ONZE