Lucie

Dallas aidait Lucie à marcher, la portant à moitié, et essayait de la convaincre d'aller à l'infirmerie plutôt que dans sa chambre quand Kramisha et Lenobia, qui se dirigeaient vers le temple de Nyx, les aperçurent.

— Par la déesse ! Dans quel état tu es ! s'écria Kramisha en se figeant.

— Dallas, il faut la faire soigner ! dit Lenobia, qui, elle, avait gardé son sang-froid.

Elle s'approcha pour aider le garçon à soutenir la blessée.

— Non, je dois aller dans ma chambre, protesta celle-ci. J'ai besoin d'un téléphone, pas d'un médecin. Et je ne trouve pas mon foutu portable.

— Tout ce dont tu as besoin pour l'instant, ce sont des soins, déclara Dallas.

Cette saleté d'oiseau t'a bien amochée ! Ton téléphone, on va le chercher plus tard.

— Prends le mien, proposa Kramisha en les rejoignant.

— Tu pourras téléphoner, mais Dallas a raison, intervint Lenobia d'un ton ferme. Tu ne tiens pas debout. On va à l'infirmerie.

— Bon, d'accord. Mais je vais commencer par passer un coup de fil.

Kramisha, tu as le numéro d'Aphrodite ?

— Oui, mais ne va pas croire que nous sommes amies pour autant, marmonna la novice.

Alors qu'ils se dirigeaient vers le bâtiment, Lenobia ne cessait de regarder Lucie.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? finit-elle par demander.

Puis, comme si les paroles de Dallas lui étaient revenues en mémoire, elle s'arrêta et se tourna vers lui.

— C'est un oiseau qui avait fait ça ? Tu en es sûr ?

— Je le suppose, dit Dallas, juste au moment où Lucie répondait : « Non ! »

— Tu veux dire que tu n'as pas vu ce qui lui était arrivé ? demanda Lenobia.

— Non. Il y avait plein de fumée, et il faisait trop sombre, et je ne pouvais pas entrer dans le cercle pour l'aider. Et quand tout s'est éclairci, elle était comme ça, et un gros oiseau était accroupi au-dessus d'elle.

— Dallas, arrête de parler de moi comme si je n'étais pas là ! s'écria Lucie.

Et il n'était pas accroupi. Il était allongé par terre, à côté de moi.

Lenobia n'eut pas le temps de réagir : ils étaient arrivés. Saphir, la grande blonde qui avait été promue chef de l'infirmerie en l'absence de la guérisseuse, les accueillit avec son habituel air aigri, qui se transforma vite en stupéfaction.

— Installez-la ici ! ordonna-t-elle en désignant une chambre.

Ils allongèrent Lucie sur le lit, et Saphir se mit à fouiller dans un des placards métalliques. Elle attrapa un sac de sang et le lança à Lenebia.

— Faites-la boire ! Tout de suite !

Personne ne dit rien pendant les quelques secondes qu'il fallut à Lenobia pour ouvrir la poche et aider Lucie à la porter à ses lèvres.

— Encore ! souffla la blessée quand elle eut avalé la dernière goutte.

— J'ai besoin de savoir ce qui t'a coupée comme ça et pourquoi ton sang a une odeur aussi bizarre, dit Saphir.

— Un Corbeau Moqueur ! s'écria Dallas.

— C'est un Corbeau Moqueur qui t'a fait ça ? demanda Lenobia.

— Non, et c'est ce que j'essaie de mettre dans le crâne de Dallas depuis tout à l'heure. L'Obscurité nous a attaqués, moi et un Corbeau Moqueur.

— N'importe quoi ! s'entêta Dallas. J'ai vu cette bête ! Il n'y avait rien d'autre

!

— Dis plutôt que tu n'as rien vu d'autre ! cria Lucie, exaspérée. Normal, il y faisait noir comme dans un four !

— Pourquoi tu essaies de défendre ce truc ? lâcha-t-il en levant les bras au ciel.

— Je ne défends personne d'autre que moi-même, comme d'habitude, d'ailleurs ! Tout à l'heure, dans le cercle, j'ai dû me débrouiller toute seule aussi, je te rappelle !

Il y eut un long silence. Dallas regardait Lucie, visiblement blessé.

— Dallas, tu dois partir, dit Saphir. Je vais découper le peu qu'il reste de ses vêtements, et il serait indécent de le faire devant toi.

— Mais je..., commença le garçon.

— Tu as ramené ta grande prêtresse chez elle. Tu as très bien agi, intervint Lenobia en lui touchant doucement le bras. Maintenant, laisse-nous prendre soin d'elle.

— Et si tu allais chercher quelque chose à manger ? Je vais bien, fît Lucie, regrettant déjà de s'être déchargée sur lui de la tension que la peur et la culpabilité avaient accumulées en elle.

— D'accord, j'y vais.

— Hé, Lenobia a raison, affirma Lucie. Tu m'as aidé à rentrer à la maison.

Il lui jeta un coup d'œil par-dessus son épaule. Lucie ne lui avait jamais vu un regard aussi triste.

— C'était un plaisir, petite.

Il avait à peine fermé la porte que Lenobia lança :

— Parle-nous de ce Corbeau Moqueur !

— Je pensais qu'ils étaient tous partis, dit Kramisha.

Lucie cherchait désespérément une parade quand Saphir lui sauva la mise en tendant une poche de sang à Lenobia.

— Ouvrez ça pour elle. Kramisha, va te laver les mains, puis passe-moi des cotons imbibés d'alcool. J'aurais besoin de votre aide car j'ai envoyé Margareta chercher d'autres poches à l'hôpital Saint John.

Kramisha la regarda en haussant les sourcils, mais elle obéit. Lenobia ouvrit la poche et la donna à Lucie, qui la but lentement pour gagner du temps.

Saphir, de son côté, découpa sans ménagement ce qu'il restait du jean et du tee-shirt de la jeune prêtresse. Celle-ci remua nerveusement, gênée : elle aurait aimé porter un soutien-gorge plus joli.

— J'adorais ce jean ! fit-elle. Dire que je vais devoir retourner au centre commercial pour m'en acheter un autre... Il y a toujours des embouteillages dans ce coin de la ville.

— Et si tu en profitais pour changer de style ? suggéra Kramisha. Il y a une boutique qui vend de jolis jeans à la mode pas loin d'ici.

Trois paires d'yeux se tournèrent vers elle.

— Quoi ? fit-elle en haussant les épaules. Tout le monde sait qu'elle a besoin d'un relooking !

— Merci, Kramisha. Je me sens beaucoup mieux ! ironisa Lucie.

En réalité, c'était vrai. Le contenu des deux poches l'avait réchauffée, et elle était moins faible. Elle avait l'impression que le sang circulait à toute vitesse dans son corps.

« C'est le sang de Rephaïm, qui, mélangé au mien, me donne de l'énergie ! »

songea-t-elle.

— Lucie, maintenant que tu sembles en pleine possession de tes moyens..., commença Lenobia, qui l'observait attentivement.

— J'ai besoin d'un téléphone, la coupa Lucie. Kramisha, tu peux me passer...

— Je vais d'abord nettoyer ces blessures, l'interrompit à son tour Saphir, et je t'assure que tu n'arriveras pas à discuter en même temps...

— Alors, attendez que j'aie appelé Aphrodite. Kramisha, sors-moi ce fichu téléphone de ton sac géant.

— Impossible ! déclara sèchement Saphir. Tes blessures sont très graves. Je dois les nettoyer, et te mettre des points de suture. Il faut aussi que tu boives plus de sang. A vrai dire, il serait mieux qu'on t'amène un volontaire humain pour que tu puisses te servir directement. Cela accélérerait le processus de guérison.

— Un humain ? Volontaire ? répéta Lucie. Je ne vais pas boire le sang d'un inconnu ! s'écria-t-elle avec véhémence, ce qui lui valut un regard étonné de Kramisha et de Lenobia. Euh... je voulais dire que les poches de sang, ça irait très bien. C'est trop bizarre de m'imaginer en train de mordre quelqu'un que je ne connais pas. Surtout après, vous savez...

Elle suspendit la voix, espérant que les trois femmes penseraient qu'elle parlait de son Empreinte avec Aphrodite. En réalité, elle n'avait envie - et besoin - de « se servir » qu'auprès d'une seule personne : Rephaïm.

— Ton sang a une drôle d'odeur, remarqua Lenobia.

— Comment ça ?

— Il y a quelque chose d'étrange, acquiesça Saphir en commençant à nettoyer les entailles profondes avec les boules de coton imbibées d'alcool que lui tendait Kramisha.

Lucie serra les dents sous le coup de la douleur.

— Je suis un vampire rouge. Mon sang est différent du vôtre.

— Non, elles ont raison. Il put, dit Kramisha en plissant le nez.

— C'est parce qu'il en a bu.

— Qui ? demanda Lenobia. Le Corbeau Moqueur ?

— Non ! Je me tue à vous-dire que le Corbeau Moqueur ne m'a rien fait.

C'était une victime, lui aussi.

— Lucie, que t'est-il arrivé ? fit Lenobia.

Lucie inspira profondément et se lança dans une histoire presque vraie.

— Je suis allée au parc pour essayer d'obtenir de la Terre des informations qui me seraient utiles pour aider Zoey. Il y a de vieilles croyances qui, d'après Aphrodite, pourraient permettre à Stark de rejoindre Zoey dans l'au-delà.

— Mais Stark ne peut pas entrer dans l'au-delà sans mourir ! protesta Lenobia.

— Oui, c'est ce que tout le monde dit, mais Aphrodite et moi avons découvert des trucs vraiment anciens qui changent la donne. Cette religion, si on peut appeler ça comme ça, est apparemment représentée par des vaches - je veux dire des taureaux, un blanc et un noir.

Elle frémit à ce souvenir.

— Sauf qu'Aphrodite a oublié de me prévenir que le taureau blanc était méchant, et le noir gentil, alors j'ai appelé le mauvais.

Le visage de Lenobia était si pâle qu'il en était presque transparent.

— Oh déesse ! Tu as appelé l'Obscurité ?

— Vous êtes au courant de cette histoire ?

Lenobia toucha sa nuque d'un geste machinal.

— Je connais un peu l'Obscurité et, en tant que professeur d'équitation, je m'y connais en bêtes.

Saphir nettoya la coupure qui courait sur la taille de Lucie.

— Ah, mince, ça fait mal ! grimaça celle-ci.

Elle ferma les yeux, essayant de se concentrer malgré la douleur. Lorsqu'elle les rouvrit, Lenobia l'observait avec une expression indéchiffrable.

— Qu'est-ce que le Corbeau Moqueur faisait là ? Tu dis qu'il ne t'a pas attaquée, mais il n'avait aucune raison de s'en prendre à l'Obscurité.

— Parce qu'ils sont du même côté, précisa Kramisha en hochant la tête, pensive.

— C'est le taureau qui s'est jeté sur le Corbeau Moqueur ! A vrai dire, c'est l'arrivée de l'oiseau qui m'a sauvée. Il est tombé du ciel et a distrait cette créature de malheur suffisamment longtemps pour que je puise du pouvoir dans la Terre et appelle le bon taureau. Je n'avais jamais rien vu de tel, ajouta-t-elle en souriant. Il était si beau, si bienveillant, si bon ! Il a chassé le taureau blanc, et ils ont disparu tous les deux. Ensuite, Dallas a pu entrer dans le cercle, et le Corbeau Moqueur s'est envolé.

— Tu prétends qu'avant l'arrivée du Corbeau Moqueur le taureau blanc buvait ton sang ? demanda Lenobia.

— Oui, répondit Lucie en réprimant un frisson de dégoût. Il a dit que j'avais une dette envers lui parce qu'il avait répondu à ma question. C'est sans doute pour ça que mon sang a une drôle d'odeur. Je vous assure qu'il empestait ! Et c'est aussi pour ça que je dois téléphoner. Le taureau m'a expliqué ce que Stark devait faire, et il faut que je parle à Aphrodite.

— Vous pouvez la laisser faire, dit Kramisha en désignant les coupures autour des chevilles de Lucie. Elle n'a pas besoin de points de suture. Ses blessures se referment déjà.

Lucie baissa les yeux, sachant à l'avance ce qu'elle allait voir. Le sang de Rephaïm répandait sa chaleur et sa force dans tout son corps, et sa chair se réparait toute seule.

— C'est vraiment inhabituel, lâcha Saphir. Tout comme la vitesse étonnante avec laquelle tes brûlures ont guéri après la mésaventure sur le toit de la gare.

— Je suis la grande prêtresse des vampires rouges, dit Lucie en soutenant son regard, la première du genre. Il faut croire que nous guérissons vite.

Maintenant, je veux téléphoner.

Sans un mot, Kramisha alla chercher son portable et le lui tendit. Lucie composa le numéro. Aphrodite répondit à la troisième sonnerie et lança :

— Oui, il est bien trop tôt pour appeler, et non, je n'en ai rien à faire du dernier poème débile que tu as écrit, Kramisha.

— C'est moi.

Aphrodite changea de ton.

— Qu'est-ce qu'il y a, Lucie ?

— Tu savais que le taureau blanc, c'était le méchant, et le noir, le gentil ?

— Oui. Je ne te l'ai pas dit ?

— Non ! Du coup, j'ai appelé le mal dans mon cercle.

— Oh, oh. Ce n'est pas bon, ça. Que s'est-il passé ?

— Pas bon ? C'est ce qu'on appelle l'euphémisme de la décennie. C'était terrible. Vraiment terrible.

Lucie aurait aimé que Lenobia, Saphir et Kramisha s'en aillent pour pouvoir parler à Aphrodite en privé, et ensuite se permettre une vraie crise de nerfs et pleurer toutes les larmes de son corps ; cependant il fallait qu'elles entendent ce qu'elle avait à dire.

— Aphrodite, je n'avais jamais rien vu d'aussi maléfique. A côté, Neferet passe pour une gamine, ajouta-t-elle en ignorant le regard outré de Saphir. Et il est d'une puissance qui dépasse l'entendement. Je ne pouvais pas le combattre.

Je pense que personne n'en est capable, à part l'autre taureau.

— Alors, comment t'en es-tu sortie ? Tu t'en es sortie, hein ? Rassure-moi, c'est bien toi qui m'appelles ?

— Arrête, Aphrodite !

— Dis-moi quand même quelque chose pour me prouver que tu es bien toi.

— Tu m'as traitée d'attardée la dernière fois qu'on s'est parlé. Plus d'une fois.

C'était pas cool.

— OK, c'est bien toi. Alors, comment tu lui as échappé ?

— J'ai réussi à appeler le noir, qui est aussi bon que l'autre est mauvais. Il l'a combattu, et ils ont disparu tous les deux.

— Alors, tu n'as rien appris ?

— Si.

Lucie se concentra, essayant de se rappeler mot pour mot ce que le taureau blanc lui avait dévoilé.

— Je lui ai demandé comment Stark pouvait rejoindre Zoey pour la protéger le temps qu'elle rassemble son âme et revienne ici. Voila ce qu'il a répondu : «

Le combattant doit regarder dans son sang pour découvrir le pont menant à l'île des Femmes ; puis il lui faudra se vaincre lui-même pour entrer dans l'arène.

C'est seulement de cette façon qu'il pourra rejoindre sa prêtresse, Ensuite, ce sera son choix à elle de revenir ou non, »

— Il a dit : « l'île des Femmes » ? Tu en es sûre ?

— Oui, sûre et certaine.

— Bon. OK. Attends, je vais noter tout ça pour ne rien oublier.

Lucie l'entendit griffonner à toute vitesse avant de lancer d'une voix excitée :

— Ça signifie que nous sommes sur la bonne piste ! Mais comment Stark va-t-il pouvoir découvrir un pont en regardant son sang ? Et c'est quoi, cette histoire de se vaincre lui-même ?

Lucie soupira. Une terrible migraine lui enserrait les tempes.

— Je n'en ai aucune idée, mais cette info a failli me coûter la vie, alors ce doit être important.

— Il faut espérer que Stark va trouver la solution. Écoute, si le taureau noir est vraiment bon, tu ne pourrais pas le rappeler et...

— Non ! s'écria Lucie avec une telle force que tout le monde sursauta. Plus jamais. Et tu ne dois laisser personne appeler ces créatures. Le prix à payer est trop élevé.

— Comment ça, le prix est trop élevé ?

— Ils sont trop puissants. On ne peut pas les contrôler ! Aphrodite, il y a certaines choses avec lesquelles il ne faut pas jouer, et ces deux-là en font partie, puis, je ne suis pas sûre qu'on puisse en appeler l'un sans que l'autre déboule à son tour, et crois-moi, tu ne voudrais pas te trouver nez à nez avec ce taureau blanc.

— OK, OK, détends-toi. Je comprends ! Rien que de t'en entendre parler me donne la chair de poule. Ne stresse pas. On va se contenter d'aider Stark à localiser le pont qui mène sur l'île de Skye.

— Encore faudrait-il comprendre comment faire !

Lucie se frotta le visage, et se rendit compte, surprise, que sa main tremblait.

— Ça suffît, pour l'instant, murmura Lenobia. Tu es forte, mais tu n'es pas immortelle.

— Euh... je dois terminer, Aphrodite, fît Lucie. Je ne me sens pas très bien.

— Oh, non ! Tu n'es pas encore en train de mourir, hein ? C'est vraiment désagréable, quand tu fais ça.

— Non, je ne suis pas en train de mourir. Plus maintenant. Je te rappellerai plus tard. Passe le bonjour à tout le monde.

— Oui, oui, je répandrai de l'amour en ton nom. Au revoir, idiote.

— Au revoir.

Lucie rendit le téléphone à Kramisha et s'affaissa lourdement sur ses oreillers.

— Ça vous dérangerait que je dorme un peu ?

— Bois ça d'abord, dit Saphir en lui donnant une poche de sang. Vous deux, vous devez partir et la laisser se reposer.

L'infirmière jeta les boules de coton dans un sac-poubelle, retira ses gants en latex et se mit à taper du pied devant la porte en regardant Lenobia et Kramisha d'un air mauvais.

— Je reviendrai te voir quand tu te seras réveillée, promit Lenobia.

— D'accord, fit Lucie en lui souriant.

Lenobia pressa sa main avant de partir. Lorsque Kramisha se pencha sur elle à son tour, Lucie crut un instant qu'elle allait la prendre dans ses bras ou, pis encore, l'embrasser. Au lieu de ça, Kramisha la regarda droit dans les yeux et murmura :

Vois avec ton âme, pas avec tes yeux

Parce que pour danser avec des bêtes Tu dois percer leur déguisement.

Lucie fut parcourue par un frisson glacé.

— J'aurais dû t'écouter... Comme ça, j'aurais su que j'appelais la mauvaise vache.

— Il n'est peut-être pas trop tard, fit la poétesse d'un air entendu. Quelque chose me dit que tu n'as pas fini de danser avec des bêtes.

Elle se redressa.

— Dors. Tu auras besoin d'être en forme demain, ajouta-t-elle d'une voix normale.

Lorsque la porte se fut refermée, Lucie poussa un soupir de soulagement.

Elle but le sang jusqu'à la dernière goutte, puis remonta la couverture sur son cou, se recroquevilla sur le côté et enroula une de ses mèches blondes autour de son doigt. Elle était épuisée. Apparemment, le pouvoir du sang de Rephaïm lui avait ôté des forces tout en la guérissant.

Rephaïm.

Lucie songea qu'elle n'oublierait jamais le moment où il avait affronté l'Obscurité pour elle. Il avait été si courageux, si bon ! Peu importait que Dallas, Lenobia et tout le monde pensent qu'il était du côté de l'Obscurité ; peu importait que son père soit un combattant déchu de Nyx qui avait choisi le mal.

Elle avait vu la vérité. Il s'était sacrifié pour elle. Il n'avait peut-être pas choisi la Lumière, mais il avait bel et bien rejeté l'Obscurité.

Elle avait eu raison de le sauver ce jour-là, dans le parc de l'abbaye, et elle avait aussi eu raison de le défendre aujourd'hui face à Lenobia - quel que soit le prix qu'elle aurait à payer.

Rephaïm méritait d'être sauvé.

Ses paupières se refermèrent et le souvenir du taureau blanc et de la souffrance qu'il lui avait infligée revint. Alors qu'elle luttait contre l'épuisement, au milieu de ce cercle de terreur, Lucie entendit à nouveau la voix de Rephaïm :

« Je suis là parce qu'elle m'appartient. »

Avant de s'endormir, elle se demanda s'il saurait jamais à quel point ce qu'il avait dit était devenu vrai...

CHAPITRE QUINZE