Lucie

— Skye ? C'est où, ça ? En Irlande ? demanda Lucie.

— En Écosse, pas en Irlande, espèce d'attardée, répondit Aphrodite.

— C'est pas un peu la même chose, non ? Et ne me traite pas d'attardée !

— Oh, ça va ! Contente-toi de m'écouter et de faire un effort, espèce de boulet. Je veux que tu retournes communier avec la Terre pour essayer de trouver des infos sur la Lumière et l'Obscurité - avec un L et un O majuscules.

Et sois attentive si un arbre ou je ne sais quoi te parle de deux taureaux.

— Des taureaux ? Tu veux dire des vaches ?

— Tu n'es pas de la campagne ? Tu devrais savoir ce que c'est, un taureau !

— Ce n'est pas parce que je ne viens pas d'une grande ville que je m'y connais en vaches ! Bon sang, je n'aime même pas les chevaux.

— J'y crois pas ! Le taureau, c'est le mâle de la vache. Même le caniche schizophrène de ma mère le sait. Concentre-toi, tu veux ? C'est important. Tu dois aller interroger ton élément sur une mythologie ancienne et barbare où il y a des taureaux qui se battent, un blanc et un noir, et où il est question d'une lutte virile, violente et incessante entre le bien et le mal.

— Quel rapport avec Zoey ?

— Eh bien, cela pourrait nous permettre d'envoyer Stark dans l'au-delà sans qu'il meure. Apparemment, ça ne se passe pas trop bien pour les combattants qui veulent protéger leurs grandes prêtresses là-bas.

— Comment des vaches pourraient faire ça ? Elles ne savent même pas parler !

— Des taureaux, débile ! Il ne s'agit pas seulement d'animaux, mais du pouvoir brut qui les entoure, et qu'ils représentent.

— Alors, ils ne vont pas parler ?

— Oh, merde ! Peut-être que oui, peut-être que non - c'est de la magie ancienne, idiote ! Qui sait ce qu'ils sont capables de faire ? Mets-toi ça dans la tête : pour aller dans l'au-delà, Stark ne peut pas être civilisé, moderne et gentil.

Il doit être bien plus que ça afin de rejoindre Zoey et la protéger sans qu'ils se fassent tuer tous les deux, et cette légende pourrait être la clé.

— Ça se tient. Kalona n'est pas franchement un mec moderne...

Lucie hésita, se rendant compte qu'elle ne pensait pas à Kalona, mais à Rephaïm.

— Et il possède aussi un pouvoir brut, ajouta-t-elle.

— Et il est dans l'au-delà, alors qu'il n'est pas mort.

— Là où doit aller Stark.

— Eh bien, va parler aux fleurs de ces taureaux qui se bagarrent, et écoute ce qu'elles vont te dire !

— D'accord.

— Appelle-moi quand elles t'auront répondu.

— D'accord.

— Hé, sois prudente !

— Tu vois que tu peux être gentille quand tu veux !

— Ne sois pas mielleuse ! Dis-moi plutôt avec qui tu as imprimé quand notre Empreinte s'est brisée ?

Lucie se figea.

— Avec personne !

— Donc, c'était quelqu'un de tout à fait inapproprié. Est-ce l'un de ces losers de novices rouges ?

— Aphrodite, j'ai dit « personne ».

— Oui, c'est ça ! Tu sais, l'un des trucs que j'ai pigés grâce à mes dons de prophétesse - qui sont drôlement casse-pieds, soit dit en passant -, c'est que je n'ai pas besoin d'écouter avec mes oreilles pour apprendre des choses.

— Tu dérailles, Aphrodite !

— Je répète, sois prudente. Je reçois des vibrations bizarres de ta part, et je me dis que tu pourrais bien avoir des ennuis.

— N'importe quoi !

— Lucie, je suis sûre que tu caches quelque chose, et que...

— Bon, je vais aller parler des vaches avec des fleurs, la coupa Lucie. Au revoir, Aphrodite.

— Des taureaux. Salut, boulet.

Lucie ouvrit la porte de sa chambre, contrariée par les commentaires d'Aphrodite, et faillit se cogner contre Kramisha, qui s'apprêtait à frapper. Elles sursautèrent toutes les deux.

— Ne fais pas des trucs comme ça ! lâcha Kramisha. Ça me donne l'impression que tu n'es pas normale.

— Réfléchis : si j'avais su que tu étais là, je n'aurais pas sursauté. Et je te signale, aucun de nous n'est normal - enfin, plus maintenant.

— Parle pour toi. Moi je suis comme avant. Il n'y a rien qui cloche chez moi, je t'assure ! Toi, par contre, tu as l'air bizarre.

— Je te rappelle que j'ai failli brûler sur un toit il y a deux jours. Je pense que ça me donne le droit d'avoir une sale tête.

— Ce n'est pas ce que je voulais dire, répondit Kramisha.

Elle portait sa perruque blonde au carré, assortie à une ombre à paupières jaune fluo.

— À vrai dire, tu as bonne mine, reprit-elle. Tu es toute rose, comme les gens en pleine santé. Ou des porcelets.

— Kramisha, je te jure que tu me donnes la migraine. Qu'est-ce que tu racontes ?

— Je dis juste que tu as l'air bien, mais que tu ne vas pas bien. Là, et là, précisa-t-elle en désignant son cœur et sa tête.

— J'ai beaucoup de soucis.

— Oui, avec ce qui est arrivé à Zoey... Mais tu dois tenir le coup.

— J'essaie.

— Essaie plus fort. Zoey a besoin de toi ; je sens que tu peux l'aider, même si elle est loin. Alors, il faut que tu fasses preuve de bon sens.

Lucie se tortilla : Kramisha la fixait avec une intensité qui la mettait mal à l'aise.

— Qu'est-ce que tu mijotes ? reprit la poétesse.

— Rien !

— Mmm... Tu es sûre ? Parce que c'est pour toi.

Kramisha brandit un morceau de papier sur lequel elle avait écrit quelque chose.

— Et ça me paraît bizarre.

Lucie lui arracha la feuille de la main.

— Bon sang, pourquoi ne m'as-tu pas simplement dit que tu avais encore écrit quelque chose ?

— C'est ce que j'allais faire !

Kramisha croisa les bras et s'appuya contre le montant de la porte, attendant visiblement que Lucie lise le poème.

— Tu n'as pas des trucs à faire ? demanda cette dernière.

— Non. Les autres mangent. Oh, à part Dallas. Il fait de l'escrime avec Dragon, même si les cours n'ont pas repris officiellement ; je ne sais pas pourquoi il est aussi pressé de retourner en classe. Bref, lis ça, grande prêtresse.

Je ne vais nulle part.

Lucie réprima un soupir : les poèmes de Kramisha étaient toujours compliqués et abstraits, mais ils étaient aussi prophétiques, et rien que de penser que l'un d'eux la concernait lui donnait la nausée. Elle commença de lire à contrecœur.

La Rouge pénètre dans la Lumière

Revêt son armure pour Le combat apocalyptique.

L'Obscurité se cache sous différentes facettes Vois par-delà la forme, la couleur, les mensonges Et les tempêtes émotionnelles.

Allie-toi avec lui ; paie avec ton cœur

Même si la confiance ne peut être donnée À moins que tu ne sépares l'Obscurité.

Vois avec ton âme, pas avec tes yeux Parce que pour danser avec des bêtes Tu dois percer leur déguisement.

Lucie secoua la tête, regarda Kramisha, puis relut le texte, lentement, priant pour que son cœur arrête de battre si fort et ne trahisse pas la terreur coupable que ces lignes avaient éveillée en elle. Car Kramisha avait raison, ce poème parlait d'elle. Enfin d'elle et de Rephaïm...

« Une chance qu'il n'évoque pas des ailes et des yeux humains dans une tête d'oiseau ! » pensa-t-elle.

— Tu vois, il y est question de toi, fît la poétesse.

— Oui, Kramisha, en effet. Je suis mentionnée dès la première ligne.

— Je m'en suis doutée, même si je n'ai jamais entendu personne t'appeler la Rouge.

— C'est logique, fit Lucie, essayant d'effacer le souvenir de Rephaïm la désignant ainsi. Je suis la seule vampire rouge, à part Stark ; alors, forcément...

— C'est ce que je pensais ! Seulement, il y a ces trucs flippants sur les bêtes, et tout ça. Et cette histoire de combat...

— Il y a eu de nombreux combats, ces derniers temps.

— Eh bien, on dirait qu'un autre t'attend. Tu ferais mieux de te tenir prête.

Kramisha se racla la gorge et demanda :

— Qui est-ce ?

Lucie se força à la regarder dans les yeux.

— Qui ça ?

Kramisha croisa les bras.

— Ne me parle pas comme si j'étais débile ! Lui. Le mec à qui tu vas donner ton cœur, selon mon poème.

— Sûrement pas !

— Oh, donc tu sais de qui il s'agit, rétorqua Kramisha en tapant du pied. Et, de toute évidence, ce n'est pas Dallas, sinon l'idée de lui donner ton cœur ne te mettrait pas dans un tel état. Alors, qui est-ce ?

— Je n'en ai aucune idée. Je ne vois personne d'autre que Dallas. Moi, ce qui m'inquiète plus, ce sont les passages sur l'Obscurité et ses déguisements.

— Mouais...

— Écoute, je vais le garder et y réfléchir, dit Lucie en fourrant le papier dans la poche de son jean.

— Laisse-moi deviner ! Tu veux que je n'en parle à personne, c'est ça ?

— Oui, parce que je dois essayer de..., commença Lucie.

Son excuse s'évanouit sous le regard entendu de Kramisha. Elle poussa un long soupir, décidant de lui dire une partie de la vérité.

— J'ai un problème de mecs en ce moment, lâcha-t-elle, et ça craindrait si Dallas l'apprenait maintenant, parce que je ne suis pas du tout sûre de ce qui se passe entre moi et ce... cet autre garçon.

— Je préfère ça ! Les histoires de cœur, c'est un sacré merdier, et comme dirait ma mère, ce n'est pas bien d'étaler sa vie privée devant tout le monde.

— Merci, Kramisha. J'apprécie.

— Attends ! J'en ai pas fini avec toi. Mes poèmes sont importants. Celui-là ne parle pas que de ta situation amoureuse embrouillée. Alors, mets de l'ordre dans tes idées et n'oublie pas de te servir de ta raison. Tu dois aussi savoir que, à chaque fois que j'écris le mot « Obscurité », ça me fait mal au ventre.

Lucie la regarda un long moment, puis prit sa décision.

— Tu veux bien m'accompagner jusqu'au parking ? J'ai quelque chose à faire hors du campus, et je voudrais te parler avant.

— Pas de problème. Il est grand temps que tu te confies enfin à quelqu'un.

Tu te conduis de façon bizarre, et pas seulement depuis que Zoey a été brisée.

— Oui, je sais, marmonna Lucie.

Elles n'ajoutèrent rien alors qu'elles descendaient l'escalier et traversaient le dortoir bouillonnant d'activité. On aurait dit que le dégel avait réveillé les novices.

Ils avaient recommencé à sortir et à se comporter plus normalement. Lucie et Kramisha attiraient encore beaucoup les regards : cependant ceux-ci n'étaient plus craintifs et hostiles mais juste curieux.

— Tu penses vraiment qu'on pourrait revenir ici et retourner en cours, comme si nous étions encore chez nous ? demanda Kramisha quand elles eurent quitté le bâtiment.

Lucie la regarda d'un air surpris.

— A vrai dire, c'est ce que je commence à penser. Ce ne serait pas si mal...

Kramisha haussa les épaules.

— Moi, tout ce que je sais, c'est que je me sens bien quand je dors sous terre pendant la journée.

— Oui, c'est un problème.

— L'Obscurité mentionnée dans mon poème, tu ne penses pas que c'est nous, hein ?

— Non ! Nous ne faisons rien de mal. Toi, moi, Dallas et tous les novices rouges, nous avons pris une décision. Nyx nous a donné le choix, et nous avons choisi le bien plutôt que le mal, la lumière plutôt que l'obscurité. Le poème ne parle pas de nous, j'en suis certaine.

— Ce sont les autres, alors ?

Même si elles étaient seules, Kramisha avait baissé la voix. Lucie réfléchit un instant et se rendit compte qu'elle avait peut-être raison. Elle avait été tellement préoccupée par sa culpabilité à cause de Rephaïm qu'elle n'y avait même pas pensé. Bon sang ! Il fallait qu'elle se reprenne.

— Je suppose, oui. Et si c'est le cas, c'est très grave.

— Je t'en prie ! On sait tous qu'ils sont dangereux.

— Oui, eh bien, grâce à Aphrodite, je viens de découvrir des trucs qui aggravent encore les choses. Il s'agit de l'Obscurité, avec un O majuscule. Et s'ils trempent là-dedans, alors ils sont encore plus dangereux qu'on le croit.

Comme Neferet.

— Merde.

— Donc, ton poème pourrait parler d'un combat contre eux. Par ailleurs - et c'est de ça que je voulais te parler - Aphrodite et moi avons découvert des choses anciennes. Si anciennes que même les vampires les ont oubliées.

— Waouh !

— Aphrodite, Stark, moi et les autres, continua Lucie, allons essayer d'utiliser ces infos pour aider Stark à se rendre dans l'au-delà pour protéger Zoey pendant qu'elle rassemble les morceaux de son âme.

— Envoyer Stark dans l'au-delà sans qu'il soit obligé de mourir ?

— Oui. Apparemment, s'il se pointait là-bas mort, ce ne serait pas bon pour Zoey.

— Alors, vous allez vous servir de ces vieux trucs pour savoir comment y parvenir ?

— On va tenter le coup, répondit Lucie. Et tu peux nous aider.

— Tu n'as qu'à demander. Je suis là.

— OK : Aphrodite, grâce à ses pouvoirs, a été nommée prophétesse par le conseil supérieur. Même si elle est aussi contente qu'un chat pris dans une averse, ajouta-t-elle, ce qui fit rire Kramisha. Du coup, je me dit que, même si je n'ai pas de cercle ici, j'ai moi même une prophétesse.

Kramisha cligna des yeux, perplexe et, comme Lucie continuait de la regarder, elle écarquilla les yeux.

— Moi ?

— Oui. Enfin, toi et ta poésie. Tu as déjà aidé Zoey pour trouver comment chasser Kalona, non ?

— Mais...

— Réfléchis ! Aphrodite a réussi. Tu penses qu'elle est plus intelligente que toi ?

Kramisha haussa les épaules.

— Mon intelligence dépasse de loin celle de cette Blanche !

— Dans ce cas, passons à l'action. Je vais appeler la Terre et voir si je peux découvrir quelque chose. Toi, trouve Dallas, et raconte-lui tout, à part le poème.

— Je t'ai déjà promis de ne pas te dénoncer.

— Merci, Kramisha. Tu es une bonne Poétesse Lauréate.

— Tu n'es pas mal non plus, pour une fille de la campagne.

— À plus ! lança Lucie en courant vers la voiture de Zoey.

— Je surveille tes arrières, grande prêtresse !

A ces mots, Lucie eut mal au ventre. Elle allait démarrer quand elle se rendit compte que a) elle ne savait pas où aller et, b) appeler la Terre serait beaucoup plus facile si elle avait une bougie verte et un bouquet d'herbes sèches pour attirer de l'énergie positive. En colère contre elle-même, elle se mit au point mort. Où allait-elle bien pouvoir aller ?

« Auprès de Rephnïm, »

Cette pensée était comme la respiration : instantanée et naturelle. Lucie posa la main sur le levier de vitesses, puis hésita. Était-ce vraiment la meilleure chose à faire ? D'accord, il lui avait fourni de nombreuses infos sur Kalona et l'Obscurité, mais elle ne lui faisait pas totalement confiance.

Et puis, il lui embrouillait les idées. Quand elle avait lu le poème de Kramisha, elle avait été tellement obsédée par lui qu'elle n'avait pensé à rien d'autre - notamment au fait qu'il pouvait s'agir d'un avertissement au sujet des novices rouges.

Alors, que devait-elle faire ?

Elle avait dit à Rephaïm qu'elle reviendrait, mais ce n'était pas la seule raison pour laquelle elle voulait y aller. Elle avait besoin de le voir. « Besoin ? »

s'étonna-t-elle. Oui, admit-elle à contrecœur. Cet aveu la rendit nerveuse.

— J'ai imprimé avec lui. Cela signifie qu'il y a un lien entre nous, et je ne peux pas y faire grand-chose, marmonna-t-elle en s'accrochant au volant. Je vais juste devoir m'y habituer et en prendre mon parti.

« Et ne pas oublier qu'il est le fils de son père. »

Bon. Très bien. Elle irait rendre visite à Rephaïm. Elle lui poserait des questions sur la Lumière et l'Obscurité, et sur les deux vaches.

Elle fronça les sourcils. Non, les taureaux. Mais il fallait qu'elle commence par faire des recherches toute seule. Elle devait appeler son élément pour essayer d'obtenir quelques informations. Ce serait faire preuve de bon sens.

Soudain, elle sourit et frappa le volant.

— J'ai trouvé ! Je m'arrêterai dans ce joli parc sur lu route de Gilcrease. Je ferai un peu de magie, et puis j'irai voir Rephaïm. Trop facile !

D'abord, il fallait qu'elle fasse un saut au temple de Nyx pour prendre une bougie verte, des allumettes et des herbes. Soulagée d'avoir un plan, elle s'apprêtait à sortir quand elle entendit des bottes de cow-boy claquant sur l'asphalte, puis la voix de Dallas, qui parlait avec une nonchalance exagérée.

— Je vais juste jusqu'à la voiture de Zoey. Je ne veux pas surprendre Lucie et lui faire peur.

Lucie baissa sa vitre.

— Salut, Dallas ! Je croyais que tu t'entraînais avec Dragon.

— Le cours est terminé. Regarde : il m'a donné ce super poignard. Il dit que c'est une dague. Il prétend qu'il y a des chances que j'arrive à bien m'en servir.

Lucie le considéra d'un air dubitatif pendant qu'il sortait un couteau pointu à double tranchant d'un fourreau en cuir attaché à sa ceinture, le tenant assez maladroitement, comme s'il avait peur de couper quelqu'un, ou de se couper lui-même.

— Il est drôlement pointu, remarqua Lucie en essayant de prendre un ton positif.

— Oui, c'est pour ça que je ne m'en sers pas encore pendant l'entraînement.

Mais Dragon m'a autorisé à le porter, à condition de faite attention.

— Oh, d'accord. Cool, fit Lucie en pensant que, même si elle devait vivre cinq millions d'années, elle ne comprendrait jamais rien aux garçons.

— Bref, j'ai croisé Kramisha, reprit Dallas en rangeant son couteau. Il paraît que tu t'apprêtes à parti pour faire un truc avec la Terre ? Je voudrais y aller avec toi.

— Oh. C'est gentil, Dallas, mais je suis bien toute seule. A vrai dire, ce qui m'aiderait, ce serait que tu ailles me chercher une bougie verte et des allumettes dans le temple de Nyx. Oh, et si tu trouves un bouquet d'herbes sèches, prends-le aussi, d'accord ? Appeler la Terre est beaucoup plus facile avec une bougie appropriée, et j'ai complètement oublié d'aller en prendre une, sans parler des herbes qui permettent de rassembler de l'énergie positive.

Dallas resta planté là à la regarder, les mains dans les poches, l'air contrarié.

— Quoi ? fît-elle.

— Je suis désolé de ne pas être un combattant ! explosa-t-il. Je fais de mon mieux pour apprendre quelque chose de Dragon, mais il va me falloir du temps pour y arriver. Je ne me suis jamais vraiment intéressé au combat, et je suis désolé ! répéta-t-il, l'air bouleversé.

— Dallas, mais qu'est-ce que tu racontes ?

Il leva les mains, frustré.

— Que je ne suis pas assez bien pour toi. Tu as besoin d'un vrai combattant !

Bon sang, Lucie, si j'avais été ton combattant, j'aurais été là à tes côtés quand ces novices t'ont attaquée et ont failli te tuer. Si j'étais ton combattant, tu ne me confierais pas des missions stupides. Tu me garderais auprès de toi pour que je puisse te protéger.

— Je me protège très bien toute seule, et aller me chercher ces choses-là n'a rien de stupide.

— Peut-être, mais tu mérites mieux qu'un type comme moi.

— Dallas, tu n'aurais pas pu empêcher ce qui s'est produit sur le toit ! Tu sais comment ils sont.

— J'aurais dû être avec toi ! J'aurais voulu être ton combattant.

— Je n'ai pas besoin d'un combattant ! hurla-t-elle, exaspérée par son entêtement.

— Dis plutôt que tu n'as plus besoin de moi.

Il se détourna et fourra les mains dans ses poches. Lucie regarda ses épaules affaissées avec chagrin. C'était sa faute. Elle l'avait blessé en le repoussant, lui comme tous les autres, pour ne pas révéler son secret. Elle descendit du véhicule et toucha doucement son épaule.

II ne bougea pas.

— Hé, ce n'est pas vrai. J'ai besoin de toi.

— C'est ça ! C'est pour ça que tu passes ton temps à me fuir !

— J'ai été occupée, Dallas. Excuse-moi si j'ai été méchante.

— Tu n'as pas été méchante. C'est juste que tu n'as plus rien à faire de moi.

— Ce n'est pas vrai ! dit-elle en le serrant contre elle.

— Alors, laisse-moi t'accompagner, lui souffla-t-il à l'oreille.

Lucie recula pour pouvoir le regarder et le « non, c'est impossible » qu'elle s'apprêtait à dire mourut sur ses lèvres. Elle avait l'impression de voir son cœur dans ses yeux, et il ne faisait aucun doute qu'elle allait le briser. Pourquoi blessait-elle ce garçon à cause de Rephaïm ? Elle ne regrettait pas d'avoir sauvé le Corbeau Moqueur. Elle regrettait pourtant que cela affecte les personnes qui l'entouraient. « Ça suffit ! décida-t-elle. J'arrête de blesser ceux qui comptent le plus pour moi. »

— Bon, d'accord, tu peux venir avec moi.

Son regard s'illumina.

— Tu es sérieuse ?

— Bien sûr. En attendant, j'ai vraiment besoin de cette bougie. Et de l'herbe, aussi.

— Eh bien, je vais aller te chercher ça tout de suite ! s'exclame Dallas avant de l'embrasser et de partir en courant.

Lucie remonta lentement dans la voiture. Elle s'agrippa au volant et regarda droit devant elle, récitant la liste des choses qu'elle avait à faire, comme un mantra.

— Appeler la Terre avec Dallas. Découvrir autant de choses que possible sur les taureaux de la légende. Ramener Dallas à l'école. Inventer une bonne excuse pour repartir, cette fois seule. Aller au Gilcrease prendre des nouvelles de Rephaïm et voir s'il sait quelque chose qui pourrait aider Zoey et Stark. Revenir ici. Ne pas blesser mes amis en les repoussant. Aller voir les novices rouges.

Tenir Lenobia et les autres au courant de ce qui se passe en Italie. Rappeler Aphrodite. Trouver quoi faire des novices rouges à la gare. Enfin, ne pas me jeter du toit d'un building...

Elle avait l'impression de se noyer dans un cloaque de stress. Elle posa le front contre le volant. Comment Zoey supportait-elle tout ce bazar et toute cette tension ?

« Elle ne le supportait pas, pensa-t-elle soudain. C'est ce qui l'a brisée. »

CHAPITRE DOUZE