Stark

Quand il se réveilla, Stark ne se rappela pas de suite ce qui s'était passé.

Constatant que Zoey était là, au lit, à côté de lui, il sourit, tout endormi, et tendit le bras pour l'attirer à lui.

Le contact de sa peau froide, sans vie, le propulsa en pleine réalité.

— Enfin ! Vous savez, vous êtes peut-être forts la nuit, vous les vampires rouges, mais le jour, vous dormez comme des morts. Qu'est-ce que c'est cliché !

Stark se redressa en faisant les gros yeux à Aphrodite, qui, assise dans l'un des fauteuils en velours crème, les jambes croisées avec élégance, sirotait une tasse de thé fumant.

— Aphrodite, qu'est-ce que tu fais là ?

Au lieu de lui répondre, elle regarda Zoey.

— Elle n'a pas du tout bougé, n'est-ce pas ?

Il se leva et replaça soigneusement la couverture sur le corps de Zoey. Il toucha sa joue du bout des doigts et embrassa la dernière Marque qui restait sur son corps, le croissant de lune ordinaire au milieu de son front.

— Ce n'est pas grave si tu reviens en tant que simple novice. L'important, c'est que tu reviennes, chuchota-t-il tout bas.

Puis il se tourna vers Aphrodite.

— Non, elle n'a pas bougé. Elle ne peut pas. Elle n'est pas là. Et nous avons sept jours pour trouver un moyen de la ramener.

— Six, rectifia-t-elle.

Il avala sa salive.

— Oui, tu as raison. Plus que six.

— Bon ! Nous n'avons pas de temps à perdre, dit-elle en sautant sur ses pieds. Viens !

Elle se dirigea vers la porte.

— Où vas-tu ?

Stark hésitait, ses yeux fixés sur Zoey.

— Hé, qu'est-ce que tu fiches ? Tu l'as dit toi-même, Zoey n'est pas là. Alors, arrête de la regarder comme si tu étais un petit chiot perdu.

— Je l'aime ! Tu comprends ce que cela veut dire ?

Aphrodite pivota sur ses talons et le foudroya du regard.

— L'amour n'a rien à voir là-dedans ! Tu es son combattant. J'ai un combattant moi aussi, alors je sais ce que c'est ! Et voilà la vérité : si mon âme était brisée et que j'étais coincée dans l'au-delà, je ne voudrais pas que Darius passe son temps à larmoyer. J'attendrais de lui qu'il se mette au boulot, c'est-à-

dire qu'il reste en vie et qu'il me protège pendant que je m'efforce de rentrer chez moi ! Bon, tu viens ou non ?

Elle rejeta ses cheveux en arrière et quitta la chambre. Stark, qui était resté bouche bée, lui emboîta le pas.

Ils descendirent en silence un escalier longèrent des couloirs de plus en plus étroits, puis s'arrêtèrent en haut d'un autre escalier,

— Où va-t-on ? répéta Stark,

— Voyons voir... On se croirait dans un donjon, ça sent la pourriture et la transpiration, le décor conviendrait aussi bien à une prison qu'à un asile psychiatrique, et Damien se croit au paradis. Devine !

— Au lycée des humains ?

— Presque, dit-elle en esquissant un sourire. On va dans une très vieille bibliothèque où le troupeau de ringards étudie frénétiquement.

Stark retint un éclat de rire. Parfois, il appréciait presque Aphrodite - même s'il ne l'admettrait jamais.

Aphrodite avait raison - le sous-sol du palais rappelait la médiathèque minable d'un lycée, ce qui était surprenant, étant donné le luxe qui régnait sur l'île de San Clémente. Il n'y avait là que quelques tables en bois abîmées, des bancs, des murs en pierre blancs et des kilomètres d'étagères remplies de livres de toutes tailles et de tous styles.

Les amis de Zoey étaient regroupés autour d'une grande table débordant de vieux volumes, de canettes de soda, de paquets de chips froissés et de bonbons.

Ils semblaient fatigués, mais énervés par le sucre et la caféine. Jack était en train de leur montrer une illustration.

— Regardez - c'est la reproduction d'un tableau représentant une grande prêtresse grecque. Elle s'appelait Calliope. Apparemment, elle a aussi été Poétesse. Lauréate après Sapho, Vous ne trouves pas qu'elle ressemble à Cher ?

— Waouh, c'est dingue ! On dirait exactement Cher jeune, acquiesça Érin.

— J'avais une poupée Barbie à l'effigie de Cher, fît Jack, l'air rêveur. Je l'adorais !

— Des Barbie, le troupeau de ringards ? J'y crois pas ! Vous êtes censés sauver Zoey, vous vous souvenez ! lança Aphrodite en secouant la tête, dégoûtée.

— C'est ce qu'on a fait toute la journée. Là, on s'accorde une petite pause, expliqua Damien. Thanatos et Darius sont allés chercher à manger. On a pas mal avancé, mais je vais attendre leur retour pour tout vous raconter.

Il salua Stark, imité par les autres.

— Oui, ne juge pas à l'emporte-pièce, Aphrodite, reprit Damien. On a travaillé dur, tu verras.

— Vous parliez de poupées !

— On a voulu se détendre, intervint Érin. Alors on a imaginé des trucs rigolos...

— Genre, une poupée Britney Spears chauve, enchaîna Shaunee, avec plein de perruques bizarres et, bien entendu, des petites culottes en option.

— Et pourquoi pas une poupée Paris Hilton avec un cerveau en option !

gloussa Jack.

Aphrodite haussa un sourcil.

— Ne dis pas de bêtises ! Il y a des choses que même cette nana ne peut pas acheter.

Ils éclatèrent tous de rire. Stark les regardait, ahuri :

— Mais vous êtes fous, ou quoi ? hurla-t-il. Comment pouvez-vous plaisanter alors que Zoey risque de mourir ?

La voix forte de Thanatos rompit le silence gêné qui avait suivi ses paroles.

— Non, combattant. Ils ne l'oublient pas ; ils s'accrochent à la vie !

Elle entra dans la pièce, suivie de Darius, qui portait un plateau chargé de sandwichs et de fruits. Il le posa sur la table et s'assit à côté d'Aphrodite.

— Et, crois-en une spécialiste de la mort, poursuivit Thanatos, s'accrocher à la vie est la meilleure chose à faire dans une telle situation.

Damien se racla la gorge, s'attirant un regard assassin de Stark. Il le soutint sans ciller.

— Oui, c'est l'une des choses que nous avons découvertes grâce à nos recherches.

— Pendant que toi, tu dormais, murmura Shaunee.

— Ce que nos recherches nous ont appris, dit Damien, devançant la riposte de Stark, c'est qu'à chaque fois qu'une grande prêtresse a subi un choc assez fort pour briser son âme, son combattant n'a pas réussi à rester en vie.

— Tu veux dire que tous les combattants sont morts sur le coup ? s'étonna Stark.

— Certains se sont suicidés pour suivre leur prêtresse dans l'au-delà et continuer de les y protéger, expliqua Thanatos.

— Mais ça n'a pas marché, car aucune prêtresse n'est revenue, c'est ça ?

— Exact. Nous croyons savoir qu'elles n'ont pas supporté la mort de leurs combattants. Certaines ont réussi à guérir leur âme, mais elles ont choisi de rester dans l'au-delà avec eux.

— Et celles qui n'ont pu guéri ? voulut savoir Stark.

Les amis de Zoey s'agitèrent sur leurs chaises, mal à l'aise, mais la voix de Thanatos resta ferme.

— Comme tu l'as appris hier, si une âme reste brisée, la personne devient une Caoinic Shi, un être qui ne trouvera jamais le repos.

— C'est comme un zombie, sauf qu'il ne mange pas les gens, dit doucement Jack.

— Ça ne peut pas arriver à Zoey ! s'écria Stark.

— Cependant, même si le résultat a été le même, tous les combattants ne se sont pas suicidés pour suivre leur prêtresse, reprit Damien.

— Parle-moi des autres, demanda Stark, qui faisait les cent pas devant la table.

— Nous avons découvert que ceux-là avaient tenté toutes sortes de choses pour se rendre dans l'au-delà.

— Certains étaient complètement fous, enchaîna Jack, comme celui qui s'est affamé jusqu'à ce qu'il se mette à délirer, et ensuite il a quitté son corps.

— Il est mort, précisa Shaunee.

— Certains ont pris de la drogue pour se mettre en état de transe, et ils ont réussi à envoyer leur esprit hors de ce monde, continua Damien. Mais ils n'ont pas pu entrer dans l'au-delà. Nous le savons, car ils sont revenus dans leurs corps suffisamment longtemps pour témoigner de leur échec.

Damien se tut et jeta un coup d'œil à Thanatos.

— Alors, ils sont morts. Tous, conclut-elle.

— Ne pas réussir à protéger leur grande prêtresse les a tués, dit Stark d'un ton neutre.

— Non, c'est tourner le dos à la vie qui les a tués, le corrigea Darius.

— Ce n'est pas ce que tu ferais, toi ? insista Stark. Si Aphrodite mourait par ta faute, tu ne choisirais pas la mort plutôt qu'une vie sans elle ?

Aphrodite ne lui laissa pas le temps de répondre.

— Ça m'aurait trop mise en rogne ! C'est ce que j'essayais de t'expliquer tout à l'heure. Arrête de regarder en arrière, de contempler Zoey, le passé, ton serment ! Tu dois aller de l'avant et trouver une autre façon de vivre, et de la protéger.

— Alors, dites-moi quelque chose, n'importe quoi, que vous avez déniché dans ces fichus bouquins, et qui pourrait m'aider, plutôt que de me raconter comment d'autres combattants ont échoué !

— Je vais te dire quelque chose que je n'ai pas lu dans un livre, lança Aphrodite. Lucie a accidentellement appelé le taureau blanc hier.

Thanatos sursauta comme si Aphrodite venait de lâcher une bombe en plein milieu de la pièce.

— Une novice a appelé l'Obscurité en ce monde ?

— Lucie n'est pas une novice. C'est un vampire rouge, comme Stark, mais oui, elle l'a fait. À Tulsa, C'était une méprise.

Ignorant le regard choqué de Thanatos, Aphrodite sortit un bout de papier de sa poche.

— Le taureau a dit : « Le combattant doit regarder dans son sang pour découvrir le pont menant à l'île des Femmes, puis il lui faudra se vaincre lui-même pour entrer dans l'arène. Ce n'est de cette façon qu'il pourra rejoindre sa prêtresse. Ensuite, ce sera son choix à elle de revenir ou non. » Quelqu'un a une idée de ce que ça veut dire ?

Damien lui prit la feuille des mains et relut le texte alors que Jack regardait par-dessus son épaule.

— Quel prix l'Obscurité a-t-elle exigé pour de telles informations ? lâcha Thanatos, le visage livide. Comment Lucie a-t-elle survécu sans perdre la tête ou son âme ?

— C'est ce que je me suis demandé, quand elle m'a dit à quel point le taureau blanc était mauvais. D'après Lucie, personne ne pouvait le vaincre, à part le taureau noir, et c'est comme ça qu'elle s'en est sortie.

— Elle a aussi appelé le taureau noir ? souffla Thanatos. C'est incroyable !

— Lucie a une affinité très puissante avec la Terre, expliqua Jack.

— Oui, elle s'est servie du pouvoir de la Terre pour appeler la Lumière.

— Et tu as confiance en cette fille ?

— La plupart du temps, répondit Aphrodite après une hésitation.

Les autres restèrent silencieux.

— Pourquoi posez-vous cette question ? demanda finalement Damien.

— Parce que l'une des rares choses que je sais au sujet de ces taureaux qui symbolisent l'Obscurité et de la Lumière, c'est qu'ils exigent toujours un prix pour leurs faveurs. Toujours.

— Mais Lucie a appelé le bon taureau, et il a chassé le mauvais. C'est ce qui lui a évité de payer, dit Jack.

— Alors, elle a une dette envers le taureau noir, déclara Thanatos.

Aphrodite se frappa le front.

— Voilà pourquoi elle a dit qu'elle n'appellerait plus jamais les taureaux !

— Vous devriez questionner votre amie pour apprendre quel service elle a rendu au taureau noir pour payer sa dette.

— Et pourquoi elle ne veut pas me le dire, ajouta Aphrodite, l'air vexé.

— On pourrait arrêter de parler de ce qui est arrivé à Lucie ? lança Stark. Je dois aller de l'avant ! A Skye, au pont de sang.

— Ho là, mon grand, on se calme ! fit Aphrodite. Tu ne peux pas te pointer devant l'île des Femmes et arpenter la rive à la recherche d'un pont de sang. Le sort protecteur de Sgiach t'enverra promener - en gros, il te tuera.

— Il ne faut pas que tu prennes les choses au pied de la lettre, Stark, dit Damien. D'après le message, tu es censé regarder dans ton sang pour découvrir le pont - pas de chercher un pont de sang.

— Beurk, une métaphore ! grimaça Aphrodite. Une autre raison pour laquelle je déteste la poésie.

— Je suis bon en métaphores, dit Jack. Fais voir.

Damien lui tendit le bout de papier. Jack se mordilla la lèvre.

— Hum... Si tu avais imprimé avec quelqu'un, je dirais qu'il faudrait parler à cette personne, et qu'elle saurait sans doute quelque chose.

— Je n'ai imprimé avec personne, lui assura Stark en se remettant à faire les cent pas.

— Alors, il faut que tu cherches en toi - il y a peut-être quelque chose qui pourrait te permettre d'entrer sur l'île de Sgiach.

— Je ne sais pas comment chercher ! éclata Stark. C'est ça, le problème !

— OK, OK ! Bon, et si on regardait les notes qu'on a prises sur Sgiach pour voir si ça te dit quelque chose ? proposa Jack.

— Mange, dit Thanatos en prenant un sandwich et en s'asseyant à côté de Jack. Concentre-toi sur la vie.

Stark réprima un grognement de frustration, attrapa le sandwich et se laissa tomber sur le banc.

— Damien, sors le graphique qu'on a fait, demanda Jack. Je suis sûr que quelque chose nous a échappé !

— Bonne idée ! Le voilà.

Damien arracha une feuille du carnet jaune qu'il avait rempli de notes. En haut, il avait dessiné un grand parapluie ouvert. Sur un côté, il avait écrit LUMIÈRE, et sur l'autre OBSCURITÉ.

— C'est une bonne image, commenta Thanatos. Elle montre que les deux forces sont mêlées.

— Sous « Lumière », reprit Damien, j'ai listé : le bien, le taureau noir, Nyx, Zoey et nous. Sous « Obscurité » : le mal, le taureau blanc, Neferet, Tsi Sgili, Kalona et les Corbeaux Moqueurs.

— Et tu as placé Sgiach entre les deux, fit remarquer Thanatos.

— Oui, ainsi que des beignets aux oignons et mon nom, remarqua Aphrodite. Tu peux me dire pourquoi ?

— C'est parce que nous ne savons pas si Sgiach est une force du bien ou du mal, répondit Damien.

— Quant aux beignets, c'est moi qui les ai mis, dit Jack. Ils sont frits et font grossir, mais un oignon est un légume. Alors, c'est bon pour la santé ou pas ?

— Et c'est nous qui avons ajouté ton nom, dit Érin.

— Oui, parce que tu es super agaçante, mais parfois, tu as de bonnes idées et tu nous sauves la mise, expliqua Shaunee.

— Ce qui ne nous empêche pas de penser que tu es une sorcière, conclut Érin avec un sourire insolent.

— Allez, on avance ! fit Damien en gommant rapidement les beignets et le nom d'Aphrodite. Voilà les infos que nous avons sur Sgiach. Elle est considérée comme la reine des combattants. Nombre d'entre eux ont été formés sur son île ; alors il y a eu beaucoup d'allées et venues. Ceux qui sont restés avec elle, qui lui ont prêté serment...

— Attends ! l'interrompit Stark. Sgiach avait plus d'un combattant à son service ?

— Apparemment, elle avait tout un clan. Sauf qu'ils ne se faisaient pas appeler les Fils d'Erebus. Leur titre était...

Il tourna des pages.

— Ah, voilà ! C'étaient les gardiens de l'As.

— Pourquoi ?

— Encore une métaphore, soupira Aphrodite en levant les yeux au ciel. C'est comme ça qu'ils appelaient Sgiach, la reine de leur clan.

— Normal, ça se passe en Écosse, dit Jack. Je suppose qu'ils portent des jupes, comme tous les membres des clans ?

— Ce sont des kilts, pas des jupes, rectifia Stark.

— Comment tu le sais ? Je suppose que tu aimes en porter, railla Aphrodite.

— Pas moi, mon grand-père.

— Tu es écossais ? s'étonna Damien. Et tu ne nous le dis que maintenant ?

Stark haussa les épaules.

— Qu'est-ce que ma famille humaine a à voir là-dedans ? Je ne leur ai pas parlé depuis quatre ans.

— Il ne s'agit pas seulement d'une famille ! s'écria Damien, la voix montant dans les aigus.

Il se remit à feuilleter son carnet.

— Oh, punaise, Stark ! souffla Aphrodite. Ta famille, c'est ton sang, abruti !

Comment s'appelait ton grand-père ?

— MacUallis, répondirent en chœur Damien et Jack.

— Comment vous l'avez découvert ? demanda Stark, sidéré.

— Facile ! Ceux du clan MacUallis étaient les gardiens de l'As.

Damien brandit ses notes, avec un sourire victorieux. On y lisait : CLAN MACUALLIS = GARDIENS DE L'AS.

— On dirait qu'on vient de trouver notre pont de sang ! se réjouit Jack.

CHAPITRE SEIZE