30 mai 1960

Ce cauchemar n'aura pas de fin. Je suis prisonnier de la toile que j'ai tissée moi-même. Le plan de James est complètement insensé et parfaitement diabolique. Utiliser le pouvoir de séduction de Mary à son profit et faire de moi sa complice.

« Tu es mouillée jusqu'au cou dans cette histoire, m'a-t-il dit d'une voix cruelle. Je déclarerai que tu m'as aidé à assassiner Sinclair Baskin.

Je nierai. Ce sera ta parole contre la mienne. » Il a eu un sourire mauvais.

« Ce que tu peux être bête, par moments. Qui croira-t-on, à ton avis, une femme jalouse qui a couché avec un homme marié puis a trahi sa propre sœur, ou un honorable médecin trompé, pilier de la communauté ? »

Je n'ai rien dit, j'étais trop terrorisée.

« Tu vas m'aider à faire ce qui doit être fait ; ainsi notre secret et nos destins seront liés à jamais. Aucun de nous ne pourra révéler les méfaits de l'autre sans se condamner lui-même. A partir d'aujourd'hui, nous nous comporterons comme si de rien n'était. Jamais plus nous n’en reparlerons.

Mais tu ne peux pas faire ça, c’est épouvantable ! »

Son visage s'est assombri.

« Je le sais bien. Éliminer Sinclair Baskin n’était que justice. Cette fois, c'est plus compliqué.

Alors, ne le fais pas ! l'ai-je exhorté. Oublie cette idée folle. Oublie tout. Je ne dirai jamais rien à personne, je te le jure.

Non. Je ne peux pas oublier... même si ça implique la mort d'un être innocent. Mary jouera le jeu inconsciemment. Quel autre choix a-t-elle ? Sinclair n'est plus là, et jamais elle ne me dira la vérité.

Certes, ai-je admis. Elle devra te faire croire que l'enfant est de toi. »

James a souri.

« Précisément. Alors, faisons en sorte que son souhait devienne réalité. »

La maison était plongée dans le noir. Dans le salon, la radio diffusait un air familier dont je n'arrivais pas à me rappeler le titre. James et moi avons parcouru le couloir sans bruit, passant devant la chambre de Gloria.

A quelques pas de leur chambre, j'ai murmuré : « Tu es sûre que Mary est inconsciente ?

Elle a avalé assez de médicaments pour assommer un cheval. Elle ne sentira rien jusqu'à demain matin. A ce moment-là, je lui donnerai une autre dose. »

Lorsqu'il a ouvert la porte, un rayon de lumière du couloir est tombé sur le corps immobile de Mary. « Allez, au travail.

Je t'en prie, James, réfléchis encore. » Il m'a pris le bras.

« On y va. »

Il m'a entraînée dans la pièce et a refermé la porte. Quand il a allumé le plafonnier, Mary n'a même pas tressailli.

« Tu vois. Elle est ailleurs, cette putain.

Si c’est ce que tu penses, pourquoi restes-tu avec elle ? »

Il m'a regardée comme si j'avais demandé à un prêtre pourquoi il croyait en Dieu, compte tenu de la cruauté du monde.

« Parce que je l'aime », a-t-il répondu.

Et je crois que j'ai compris.

Ouvrant sa sacoche médicale, il en a retiré un instrument métallique.

« Je l'ai pris à l'hôpital. Redoutable d'aspect, pas vrai ? »

J'ai hoché la tête. Tout mon corps était glacé. Je me suis mise à reculer, jusqu'à ce que le mur m'empêched'aller plus loin. Le visage de James s'était transformé, comme s'il avait revêtu un masque. Il a pris l'instrument et s'est mis au travail. A la vue du sang, j'ai cru que j'allais vomir. J'ai fermé les yeux, mais j'entendais toujours les bruits de raclement. Je priais pour qu'il se dépêche, pour qu'on en finisse.

Le temps s'étirait, jusqu'à ce que, enfin, le bruit s'arrête. Une autre vie s'achevait ici.

« Nettoie-moi ça, m'a-t-il ordonné. Dépêche-toi. »

J'avais à peine fait un pas quand la porte s'est ouverte. Gloria se tenait dans l'embrasure, les yeux écarquillés par la peur.

« Maman ! Maman ! a-t-elle crié, le regard braqué sur la mare de sang entre les jambes de sa mère.

Sors d'ici, Gloria ! a hurlé James. Sors d'ici tout de suite ! »

Gloria n'a pas bougé. Elle semblait paralysée. Je l'ai prise dans mes bras et l'ai éloignée de la chambre, éloignée du sang...


Laura ne pouvait plus contenir ses tremblements. Mary non plus.

— C'est vrai, déclara Gloria. Tout est vrai. Le cauchemar que je n'arrivais pas à expliquer... c'était ça. Tout m'est revenu quand j'ai lu le journal de Judy. J'ai revu le sang. J'ai revu ton corps, maman, écartelé sur le lit. J'ai revu le visage grimaçant de papa, et même Judy, recroquevillée dans un coin.

— Il t'a avortée, murmura Laura.

Elle regardait sa mère, qui frissonnait comme si elle avait la fièvre.

— Il a retourné toutes tes ruses contre toi, dit-elle. Finalement, c'est toi qui as été abusée sur l'identité du vrai père, pas lui. Tu croyais tellement l'avoir dupé que tu as même mis ma naissance tardive sur le compte de la chance.

— Et ma grossesse difficile ? s'enquit Mary.

— Il en est responsable aussi. Il n'a pas cessé de te droguer pour que tu ne te doutes de rien. Tu m'as bien dit que tu étais malade, mais que tu n'osais pas aller consulter un médecin ? Parce que tu craignais que papa l'apprenne ? Tu lui as donné le temps dont il avait besoin pour te mettre enceinte.

Gloria intervint :

— Et ça explique pourquoi Judy a attendu aussi longtemps pour parler. Au moment de la prétendue noyade de David, elle n'avait aucune raison d'avouée la vérité. Mais en voyant Mark Seidman au Boston Garden, elle a dû comprendre que David était toujours vivant. Il n'était pas trop tard pour vous réunir, tous les deux.

— Mon Dieu, bredouilla Mary. Donc, David n'est pas ton frère ?

Laura secoua la tête.

— Alors, le pistolet...

— Quel pistolet, maman ?

— J'ai vu ton père partir, tout à l'heure. Il avait un pistolet.

Laura se rua sur le téléphone et composa un numéro. On répondit à la première sonnerie.

— Allô?

— Clip ? C'est Laura.

— Ah, Laura, répondit le président des Celtics Comment allez-vous ?

— Ça va, merci.

— J'ai appris la nouvelle pour votre tante. C'est une année décidément tragique...

— Écoutez, Clip, je suis un peu pressée, le coupa-t-elle. Je dois parler à Mark Seidman. C'est urgent. Vous avez son numéro de téléphone ?

— Seidman ? Mais pourquoi ?

— Je vous en prie, Clip, c'est très important.

— Bon, si vous voulez le voir tout de suite, allez au Garden. Il s'entraîne là-bas tout seul le matin... comme David.

Laura n'entendit pas la suite. Elle se précipitait déjà vers sa voiture.


— Coupez l'intraveineuse et surveillez ses signes vitaux, aboya James de sa voix autoritaire.

— Oui, docteur.

— Demandez au Dr Kingfield de s'en occuper. Je serai là dans deux heures.

— Oui, docteur.

De la cabine téléphonique, James observa les rues alentour. Il n'était plus qu'à cent mètres du Boston Garden.

— Autre chose ?

— Non, docteur.

— Bien. Je rappellerai dans un moment.

Il raccrocha avant d'entendre le « Oui, docteur » de l'infirmière et retourna aussi tranquillement que possible vers sa voiture. Ce n'était pas facile. Il était anxieux.

Quelques minutes plus tard, il s'engageait sur le parking du Garden. Bien que le vieux bâtiment eût besoin d'une rénovation complète, il n'en possédait pas moins une certaine majesté. En le regardant, James se sentit intimidé : en raison de l'histoire de l'édifice ou de l'acte innommable qu'il s'apprêtait à y commettre ? Il n'aurait su le dire.

Il se gara non loin de l'entrée latérale que David empruntait autrefois. Un coup d'œil alentour lui appris qu'il n'y avait personne. L'endroit était totalement désert.

Parfait.

James sortit son pistolet et vérifia qu'il était bien chargé. L'arme qu'il avait utilisée la veille reposait ai fond du fleuve. Celle-ci était neuve... impossible i relier au meurtre de Stan Baskin. Il la remit dans s; poche et sortit du véhicule.

Il jeta un dernier regard autour de lui avant de pousser la lourde porte. Une fois entré, il retint le bat tant pour l'empêcher de claquer mais pas de grince légèrement.

Le rez-de-chaussée du Garden était plongé dan; l'obscurité. Au bout du corridor se trouvait le terrain James entendait l'écho distinct d'un ballon de basket qu'on faisait rebondir.

Sans un adieu
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