Chapitre 14

 

— Seriîa brille d'une « splendeur minérale » dans cette robe de cocktail argentée à large ceinture dorée. La ceinture est là pour ajouter une touche de fantaisie. Mention spéciale pour le dos échancré...

Serita pirouetta pour faire admirer le dos en question. Laura la suivait des yeux depuis la coulisse. Au-dessus du podium, une banderole proclamait : à chacun son SVENGALI ! notre dernière découverte : benito spencer !

L'inscription s'ornait de part et d'autre du désormais célèbre logo SV. La salle de bal de l'hôtel Nikko de New York accueillait quelques-uns des plus grands noms de la mode. Laura s'était arrangée pour réserver le premier rang aux critiques, et, le soir même, il y aurait une fête au Palladium en l'honneur de Benito Spencer. Le service marketing de Svengali avait travaillé dur afin de créer l'événement autour de leur premier défilé depuis presque cinq mois.

Parvenue à l'extrémité du podium, Serita fit demi-tour et rebroussa chemin. Pas de doute, se dit Laura, elle était la meilleure de sa profession. Avec sa classe et son élégance innées, elle aurait donné de la sophistication à une chemise hawaïenne.

Après un dernier regard altier, Serita quitta le podium. Mais, une fois en coulisse, son calme souverain fondit comme neige au soleil.

— Poussez-vous, siffla-t-elle en piquant un sprint digne de Cari Lewis.

Tout en courant, elle défaisait déjà le zip. Quatre habilleuses s'élancèrent à sa poursuite. L'une réussit à changer ses boucles d'oreilles en cours de route. Une autre retoucha son maquillage. Arrivée dans le dressing - installé dans les cuisines de l'hôtel -, elle troqua, aidée par la troisième petite main, ses escarpins argentés contre une paire de chaussures noires aux talons moins vertigineux. La quatrième habilleuse drapa un chemisier blanc sur ses épaules. Serita se releva d'un bond et fonça vers l'entrée du podium, pendant que l'une des assistantes la suivait, armée d'un collier de perles. Elle s'arrêta en roulant des yeux exaspérés, le temps qu'elle l'attache autour de son cou gracile.

— Je déteste ça, souffla-t-elle en direction de Laura.

— A d'autres, rétorqua Laura. Tu adores !

— C'est vrai.

Quarante secondes après sa sortie en robe argentée et ceinture dorée, Serita reparut sur le podium en tailleur bleu nuit et cravate en cuir.

Serita, suprêmement élégante dans un...

— Ils vous adorent ! s'exclama une assistante qui se tenait à côté de Benito Spencer.

Il la fit taire d'un regard perçant et tira sur sa cigarette avec une violence à aspirer une balle de tennis à travers une paille.

Laura adressa un sourire rassurant à son nouveau styliste. Benito Spencer (de son vrai nom Larry Schwartz) était un jeune homme de vingt-trois ans, cheveux longs et visage émacié, dont l'avenir était en train de se jouer sur ce podium. Laura, qui ne doutait pas de son talent, était confiante dans son succès.

Autrefois, chaque défilé, fruit de longues heures de travail, de passion et d'enthousiasme, lui avait procuré un immense sentiment de joie et de satisfaction. Aujourd'hui, son métier l'aidait simplement à survivre. Svengali était la bouée de sauvetage à laquelle elle s'était cramponnée dans un océan de détresse. Le travail, comme la vie même, était devenu une manière de tuer le temps.

Elle se souvint de son dernier défilé, quelques jours avant leur départ pour l'Australie... il y avait une éternité. Dans la semaine qui avait précédé, Laura était restée au bureau tous les soirs jusqu'à minuit.

Peu avant qu'il ne commence, elle dut s'attaquer à un élément crucial pour la réussite de tout défilé : le placement des invités. Oublier d'attribuer un bon siège à une personnalité influente dans le milieu de la mode était synonyme de fiasco, quelle que soit la collection.

Laura travaillait donc d'arrache-pied, penchée sur la liste des magazines représentés. Elle savait que la journaliste de Vogue était en bisbille avec celle de Mademoiselle, il fallait donc éviter de les placer côte à côte. Et la journaliste de...

Laura s'interrompit. Le bureau était désert. Pourtant, elle sentait un regard sur elle. Lentement, elle leva la tête.

« Salut », fit David doucement.

Elle le scruta. Ses yeux brillaient de manière suspecte.

« Depuis combien de temps es-tu ici ? s 'enquit-elle.

Environ cinq minutes.

Tout va bien ? »

Il hocha la tête.

« Je voulais juste te faire une surprise.

Qu'est-ce qui ne va pas, David ? » Il souriait à présent.

« Mais rien, mon amour. Rien du tout.

Tu pleures.

Je larmoie, Laura.

Pourquoi ? »

Il haussa les épaules et, s'avançant, la prit dans ses bras.

« Comment te dire ? J'ai voulu te surprendre. Tu as tellement de boulot ces temps-ci que j'ai pensé qu'un petit break te ferait du bien.

Tout à fait.

Bref, j'arrive à la porte. Je te vois assise là et... je ne sais pas. J'aime te regarder. J'aime ta façon d'incliner la tête quand tu lis. J'aime ta façon de sourire quand tu as une idée. Ta façon de te recoiffer avec les doigts. Et même ta jambe qui tressaute. J'étais fasciné, et je pensais à ta beauté, et à mon amour pour toi... tout ça. »

Laura l'embrassa.

« Tu es le plus adorable...

Ne commence pas, toi, l'interrompit David. Un peu de guimauve, ça va, mais trop, bonjour les dégâts.

Je t'aime, David. Je t'aimerai toujours. »

 

Cette création de Benito Spencer est idéale pour la femme active. Elle peut se porter avec ou sans veste...

Les visages des personnalités assises au premier rang se fondaient en une masse indistincte couleur chair. Plus de deux semaines s'étaient écoulées depuis sa réconciliation avec sa mère, deux semaines pendant lesquelles elle s'était jetée à corps perdu dans ses préparatifs. Mais la discussion qu'elles avaient eue continuait à lui trotter dans la tête. Mary lui cachait quelque chose, Laura en était convaincue. Elle lui cachait quelque chose à propos de David.

Mais quoi ? Qu'y avait-il dans le passé de David qu'il aurait tu ? Et comment sa mère aurait-elle été au courant ? Pourquoi refusait-elle d'en parler ? Qu'était-il arrivé à David qui aurait expliqué l'inexplicable ?

Assassiné.

Laura avait l'esprit en ébullition. Elle tenta de chasser cette idée, mais celle-ci ne voulait pas disparaître. TC, tante Judy, son père... ils avaient tous un comportement bizarre depuis quelque temps...

Assassiné. .

... comme s'ils avaient des soupçons...

La voix du présentateur lui parvenait par bribes.

Un ensemble rouge très glamour...

Il manquait cinq cent mille dollars. Un demi-million. Des tas de gens seraient prêts à tout pour une somme pareille. À tricher. À tromper. À voler. À kidnapper.

Assassiné.

Laura repensa à sa conversation avec Richard Corsel à la banque.

« Votre mari m'a fait transférer l'argent en Suisse.

Quand ?

Je ne peux pas vous le dire. »

Pourquoi tant de mystères concernant la date du transfert ? À moins que... Les interrogations se bousculaient dans sa tête.

David s'était noyé dans les flots tumultueux de l'océan Pacifique.

Noyé ? David ?

Ça ne tenait pas debout. Elle avait écouté leurs arguments à propos des courants dangereux, mais aujourd'hui l'explication lui semblait bidon. Courants ou pas, David était un excellent nageur. Et prudent pardessus le marché. Il se serait renseigné avant d'aller se baigner. Il était peut-être imprévisible, mais il ne prenait pas de risques inutiles, surtout s'agissant de sa santé.

Quelqu'un comme lui se serait noyé ? Assassiné.

Autour d'elle, les murs semblaient murmurer ce mot. Cinq cent mille dollars envolés dans les jours qui avaient suivi la mort de David. Coïncidence ou... ?

Assassiné.

Peut-être bien que TC et les autres soupçonnaient la même chose. Ce qui expliquerait leur étrange attitude à son égard. Essayaient-ils de la protéger ? Était-ce pour cette raison que TC lui avait reproché d'avoir employé la méthode forte à la banque ?

Et, pour finir, une éblouissante robe de soirée... Laura s'assit. L'hôtel Nikko, le défilé s'évanouirent ; elle n'en percevait plus qu'un brouhaha lointain. Était-elle en train de devenir folle ou bien entrevoyait-elle le sens de ce qui lui était arrivé ? Quatre mois pénibles s'étaient écoulés depuis la mort de David, mais Laura ne s'y faisait toujours pas. On ne meurt pas comme ça. Surtout quelqu'un comme David...

David, qu'est-ce qu'on t'a fait ?

Le défilé prit fin, et Serita vint s'asseoir à côté d'elle.

— Je crois que ça s'est bien passé. Laura hocha la tête.

Serita connaissait bien cet air absent, mais, cette fois, Laura n'était pas simplement prostrée. Il y avait autre chose.

— Qu'est-ce que tu as ? Laura se tourna vers elle.

— Il y a un truc qui cloche, Serita.

— Comment ça ?

A cet instant, une assistante de Benito Spencer tapota l'épaule de Laura. . — Téléphone pour vous.

— Prenez le message, fit Laura.

— C'est un certain Richard Corsel d'une banque de Boston. Il dit que c'est urgent.

 

Gloria se sécha soigneusement le visage avec sa serviette grise. Curieux que sa salle de bains soit grise. Celle de ses parents était rouge. Celle de Laura, bleue. Celle du rez-de-chaussée, jaune. Mais la sienne était grise. Était-ce un présage ?

Plus maintenant, en tout cas.

Elle reposa la serviette et, pivotant vers le miroir, passa les doigts à travers ses épais cheveux blonds. En examinant son reflet, elle se dit que jamais elle ne s'était sentie aussi bien dans sa peau. Tellement bien, en fait, que, malgré les protestations de la psy, elle avait annulé tous ses rendez-vous à venir. Elle n'avait plus besoin de la psychiatrie. Sa nouvelle thérapie, c'était l'amour.

Gloria retourna dans sa chambre, enjamba ses deux valises et descendit l'escalier. Elle hésita un instant avant d'entrer dans le salon.

Ses parents étaient en train de lire sur le canapé: Levant la tête, James la contempla pardessus ses demi-lunes. Il tenait dans les mains un exemplaire du New England Journal of Medicine. Mary, les pieds sur un tabouret, les cheveux noués en arrière, feuilletait le dernier numéro du New Yorker.

— Salut, hasarda Gloria.

— Bonjour, chérie, répondit sa mère en posant son magazine. Tu vas bien ?

— Très bien. Je voulais juste vous parler. Son père se redressa.

— Qu'est-ce qui t'arrive ?

Gloria ne savait pas trop par où commencer.

— Vous savez que j'ai passé ces dernières semaines avec un ami ?

— Oui ? dit Mary.

— Cet ami... c'est plus qu'un ami, en fait, débitat-elle d'un trait. Il y a quinze jours nous sommes allés à la Deerfield Inn, et, depuis, on se voit tous les soirs.

Gloria guettait leur réaction. Comme toujours, le visage de son père demeurait impassible. Celui de Mary, en revanche, parut s'illuminer.

— Tu as rencontré quelqu'un de bien ? Gloria hocha la tête.

— Il est génial. Nous avons décidé de vivre ensemble.

— Je vois, fit le Dr Ayars.

— Nous nous aimons.

— Je vois, répéta son père avec un petit signe de tête.

— Et comment s'appelle ce jeune homme, chérie ? demanda Mary en souriant.

Gloria repoussa sa crinière blonde en arrière.

— Stan Baskin.

Le sourire de sa mère s'évanouit comme si on l'avait giflée.

— Comment ?

— C'est le frère de David, maman. Ah oui, c'est vrai, tu ne le connais pas. Il est venu à Boston pour l'enterrement. Toi, tu l'as rencontré, papa.

— En fait, non, répliqua James sans se départir de son calme. Il y avait tellement de monde que je n'ai pas fait attention. Mais Laura m'a dit qu'il avait été un grand soutien pour elle.

— C'est vrai.

Gloria risqua un regard en direction de sa mère dont les traits parfaits étaient figés en un masque d'épouvante.

James retira ses lunettes de lecture.

— Et comment est-ce arrivé ?

— C'est arrivé, point, dit Gloria avec un haussement d'épaules. Nous sommes très amoureux.

Mary finit par recouvrer l'usage de ses cordes vocales.

— Tu es sûre de toi, ma chérie ? Je veux dire : une décision pareille ne se prend pas à la légère.

— Je sais, maman, mais j'ai trente et un ans. Je ne suis plus une gamine. Et j'aime Stan.

Une lueur de panique brilla dans les yeux de Mary.

— Voyons, Gloria, je crois que tu ne devrais pas...

— Tous nos vœux t'accompagnent, l'interrompit son père, la faisant taire d'un regard impérieux. Si tu es heureuse, nous le sommes aussi.

Nullement affectée par la réticence de sa mère, Gloria se jeta au cou de son père et l'embrassa. Puis elle fit de même avec sa mère.

— Je vous aime tous les deux.

— Nous aussi, nous t'aimons, répondit James avec un sourire chaleureux. Nous serons ravis de faire la connaissance de ce jeune homme, au moment qui vous arrangera. Amène-le dîner un de ces soirs.

— Non !...

Mary se tut, se reprit.

— Enfin, je veux dire : seulement si tu en as envie, Gloria. Nous ne t'obligeons à rien.

— Je ne me sens absolument pas obligée. Ce sera avec plaisir.

— Parfait, ajouta son père.

— Papa, tu peux m'aider à charger mes affaires dans la voiture ?

— Bien sûr, chérie. J'arrive tout de suite.

Gloria quitta la pièce. James glissa un marque-page dans son périodique et le posa sur la table basse. Il soupira, se leva lentement et se tourna vers sa femme.

— Je crois qu'il serait temps qu'on ait une petite discussion tous les deux.

 

— Je t'assure, il est bizarre, ce type, dit Earl Roberts à Timmy Daniels.

— Je veux, répliqua Timmy. H n'a pas dit cinq mots depuis qu'il m'a battu au tir à trois points il y a quinze jours.

Les deux joueurs burent une gorgée d'eau à la fontaine et retournèrent sur le terrain. Ils étaient en nage. Comme les quinze autres qui composaient encore pour le moment l'équipe des Celtics. C'était la pause. Éparpillés à travers le gymnase, tous profitaient de ces cinq minutes de repos pour reprendre leur souffle.

Tous sauf un.

Timmy se laissa tomber sur le sol à côté d'Earl.

— Il ne parle pas. Il joue et il s'en va.

— Moi, ça m'arrange, fit remarquer Earl.

— Pourquoi tu dis ça ?

— Je ne l'aime pas. Il n'est pas net, ce gars-là.

— De quel point de vue ? Earl haussa les épaules.

— Faut être réaliste. Mark Seidman est un joueur exceptionnel. Personne ne peut égaler ses tirs ou ses passes.

— Oui, et alors ?

— Alors, où était-il donc pendant tout ce temps ? À ce niveau-là, comment est-il possible de n'avoir jamais joué dans une équipe universitaire ?

Timmy changea de position pour regarder Mark tirer au panier.

— Mystère. Je crois qu'il a dit à Clip avoir fait ses études à l'étranger. Sa famille voyageait beaucoup, un truc comme ça.

— N'empêche, rétorqua Earl. Personne n'avait entendu parler de ce type. Il refuse de répondre aux journalistes. Ils ont essayé de lui tirer les vers du nez, mais il les a envoyés paître. Tu imagines, toi, un débutant faire des trucs pareils ? Enfin, quoi, il va commencer sa première saison en NBA, et il joue les divas auprès des médias. Ça me dépasse.

Timmy acquiesça.

— C'est le rêve de tous les petits jeunes d'être sélectionné en NBA, et il tire une gueule de six pieds de long.

Les deux coéquipiers suivirent le ballon des yeux. Earl épongea son visage en sueur avec une serviette.

— Il y a autre chose qui me gêne chez lui.

— Je vois ce que tu veux dire, opina Timmy.

— On dirait qu'il fait exprès d'essayer de jouer comme lui. Ça m'énerve.

Timmy se tourna vers Mark.

— Je ne crois pas que ce soit ça. Ce tir en suspension, on le rencontre chez d'autres joueurs.

— Peut-être, fit Earl tandis que la balle franchissait une nouvelle fois l'anneau métallique, mais ils sont combien à avoir la même précision ?

Quand Laura et Serita firent leur entrée à la banque Héritage of Boston, tout s'arrêta. Les yeux s'écarquillèrent. Les cous se démanchèrent. Les bouches s'ouvrirent. Déjà, une seule pouvait causer un éblouissement momentané. Les voir ensemble, c'était quasiment l'accident vasculaire cérébral.

— On nous regarde, souffla Serita.

— Tu adores ça.

— Comme d'hab.

Elles passèrent devant les guichets et se dirigèrent vers les bureaux. Toutes les têtes pivotèrent de concert.

Une secrétaire âgée aux cheveux blancs tirant sur le mauve leva les yeux de son bureau. Chaussant ses lunettes, elle les dévisagea d'un air suspicieux. Sa plaque indiquait qu'elle s'appelait Eleanor Tansmore.

— Vous désirez ?

— Nous aimerions voir M. Corsel, répondit Laura.

— Vous avez rendez-vous ?

— Pas exactement, mais il était prévu qu'on passe.

— M. Corsel est très occupé aujourd'hui. Il vaut mieux que vous rappeliez dans la journée pour fixer une heure.

— J'ai une meilleure idée, l'interrompit Serita : pourquoi ne pas prévenir M. Corsel de notre arrivée ?

— Qui dois-je annoncer ?

Serita eut un sourire machiavélique.

— Nous sommes les filles que M. Corsel a louées à notre... euh... agent. M. Tyrone Landreaux.

— Pardon ? fit la secrétaire.

— Une Blanche, une Noire. Conformément à ce qu'il a commandé.

— Quoi ?

— Dépêchez-vous, chérie. Appelez-le. Notre temps, c'est de l'argent. Beaucoup d'argent, si vous voyez ce que je veux dire.

Eleanor Tansmore décrocha le téléphone et sourit, narquoise.

— Avez-vous apporté vos propres chaînes et fouets cette fois ? demanda-t-elle à Serita. M. Corsel déteste utiliser les siens.

Serita la contempla avec stupeur.

— Vous me faites marcher, là ?

— Oui.

Un sourire respectueux se dessina sur ses lèvres.

— Vous êtes parfaite, madame T.

— Vous n'êtes pas mal non plus, répliqua Mme Tansmore. Allez vous asseoir là-bas.

— Excusez le comportement de mon amie, intervint Laura. Voulez-vous dire à M. Corsel que Laura Baskin est là ? Je pense qu'il prendra le temps de nous recevoir.

— Laura Baskin ? Le top model ?

— Ex-top model, rectifia Laura.

— J'ai su, pour votre mari. Toutes mes condoléances.

— Merci.

Eleanor Tansmore regarda Serita.

— Et qui est cette jeune personne pleine d'esprit ?

— Son garde du corps, fit Serita.

La secrétaire afficha un sourire professionnel.

— Allez vous asseoir, toutes les deux. Je préviens M. Corsel.

Laura et Serita s'assirent. Une porte s'ouvrit sur un petit homme à fine moustache.

— C'est lui ? chuchota Serita. Laura fit non de la tête.

— Tant mieux.

En voyant ces deux créatures sublimes dans la salle d'attente, l'homme, un cadre de la banque, rentra le ventre et leur sourit. Serita lui adressa un clin d'œil aguicheur. Puis, lentement, elle croisa ses jambes interminables. L'homme aurait pu se prendre les pieds dans sa langue pendante. Serita s'esclaffa.

— Arrête ça, lui intima Laura.

— Désolée.

— Je te jure, je ne te sortirai plus.

— C'était juste pour détendre l'atmosphère.

— Laisse tomber.

— OK, mais je ne t'ai jamais vue aussi nouée. Ce n'est pas bon pour toi, Laura. J'essaie seulement de te décoincer.

— Serita ?

— Quoi ?

— Suis-je folle ? Je veux dire : avec ces histoires de complot et de meurtre.

Serita haussa les épaules.

— Probablement.

— Je te remercie.

— Écoute, Laura, tu ne tourneras pas la page tant que tu ne sauras pas ce qui s'est réellement passé. Alors vas-y, fonce. Fouille dans tous les coins. S'il y a quelque chose de louche là-dessous, tu le trouveras. S'il n'y a rien, tu le découvriras aussi.

Eleanor Tansmore s'approcha d'elles.

— M. Corsel va vous recevoir. Laura se leva.

— Tu viens ?

— Nan, répondit Serita en souriant. J'attendrai ici avec ma copine, Mme T. Débrouille-toi toute seule pour lui faire sa fête.

— Tu es une vraie amie, dit Laura en s'engouffrant dans le couloir.

Lorsqu'elle eut le dos tourné, le sourire déserta le visage de Serita. Une larme coula au coin de son œil.

— La meilleure, murmura-t-elle.

 

Le Dr James Ayars fit face à la femme qui était la sienne depuis trente-trois ans. Il repensa à leur première rencontre. Interne à Chicago, travaillant cent heures par semaine dans le meilleur des cas, il sortait alors avec une brillante étudiante du nom de Judy Simmons. La mignonne petite Judy Simmons. Une gentille fille. Cheveux auburn. Bien faite. Drôle. Le jeune Dr Ayars avait été très épris de Judy Simmons.

Jusqu'à ce qu'il rencontre sa jeune sœur, Mary.

Quand Judy la lui présenta, il sentit son estomac se nouer. U n'avait même pas imaginé qu'une telle beauté puisse exister sur terre. Ce jour-là, Mary Simmons lui sourit et le sortilège opéra. Il l'avait, désirée plus que tout au monde. Il voulait l'avoir coûte que coûte, la posséder, la choyer...

Le désir avait tourné à l'obsession, et cela lui fit peur.

Bien sûr, cela n'avait pas été simple. Il fallait penser à Judy, mais la tendre, la gentille Judy avait compris. Elle s'était éclipsée et leur avait souhaité tout le bonheur du monde.

Aujourd'hui, trente-trois ans plus tard, Mary était toujours aussi ravissante. Il arrivait encore que son estomac se noue quand il la regardait. Leur couple avait traversé des moments difficiles, comme tous les autres, mais, dans l'ensemble, ce mariage avait été une réussite. Ils avaient eu deux filles merveilleuses. La vie était belle...

... excepté...

— Que se passe-t-il ? demanda James à sa femme.

— Comment ça ?

— Tu sais de quoi je parle. D'abord tu snobes David. Maintenant tu snobes son frère. Pourquoi ?

Mary déglutit.

— Je... Je ne sais pas. Je ne leur fais pas confiance, c'est tout.

— Pourquoi ?

— Franchement, je ne saurais te répondre, James.

— Mary, tu as été une bonne mère. J'ai toujours été fier de la manière dont tu as élevé nos filles. Tu te souviens, quand Gloria a eu tous ces problèmes ? J'avais juré qu'elle ne remettrait plus les pieds dans cette maison.

Mary hocha la tête.

— Eh bien, j'avais tort, poursuivit James. Et tu le savais. Mais au lieu de croiser le fer avec moi - bataille perdue d'avance -, tu m'as prouvé en douceur que, quoi qu'elle ait fait, Gloria restait notre fille. Tu t'en souviens ?

À nouveau, Mary fit oui de la tête.

— Aujourd'hui, je crois que c'est mon tour. Je te conseille de réfléchir sérieusement aux conséquences de ton attitude. Regarde ce qui est arrivé pour n'avoir pas voulu accepter David...

— Quoi ? l'interrompit Mary d'une voix forte. Tu ne vas pas m'accuser, toi aussi ?

— Laura ne t'accuse pas, la rassura-t-il, conciliant, et moi non plus. Mais comme elle est très malheureuse, elle tient des propos qui dépassent sa pensée.

— Ce n'est pas ma faute. J'ai voulu faire au mieux.

— Au mieux pour qui ?

Une lueur de défi brilla dans les yeux de Mary.

— Pour Laura.

— Et c'est pareil pour Gloria et Stan ? Tu veux faire au mieux pour Gloria ?

Fermant les yeux, Mary se laissa aller en arrière. James avait raison, bien sûr. Cette fois, elle n'avait pas agi dans l'intérêt de sa fille. Elle avait d'abord songé à elle-même.

Calme-toi, se dit-elle. Après tout, quel tort Stan Baskin pouvait-il causer aux Ayars aujourd'hui ? La réponse lui fit froid dans le dos.

 

Un sourire nerveux aux lèvres, Richard Corsel se leva pour accueillir Laura. Ses cheveux fins avaient besoin d'un coup de peigne, ses joues d'être rasées. Il n'avait plus rien du cadre supérieur élégant et soigné qui avait reçu Laura la première fois.

— Madame Baskin, fit-il, son sourire s'élargissant avant de revenir à la normale, c'est un plaisir de vous revoir.

— Merci.

— Asseyez-vous, je vous prie. Comment vous sentez-vous par cette belle journée ?

— Ça va.

— Bien, bien.

Il regarda autour de lui comme un animal traqué cherchant une échappatoire.

— Je peux vous offrir quelque chose ? Un café ?

— Non, merci. Monsieur Corsel, vous avez dit au téléphone que vous aviez quelque chose d'urgent à me communiquer.

Son sourire s'affaissa comme vaincu par l'épuisement.

— Oui... enfin, peut-être.

— Je ne comprends pas.

Il secoua lentement la tête.

— Moi non plus, madame Baskin. Moi non plus.

— Que voulez-vous dire ? Corsel prit un stylo, le reposa.

— Je veux dire que j'ai réexaminé le dossier de votre mari. Et il se peut qu'il y ait un problème.

— Un... problème ?

— Il se peut, insista-t-il.

Il ouvrit le tiroir de son bureau pour en sortir un dossier.

— Puis-je vous poser une question, madame Baskin ?

Laura hocha la tête.

Corsel s'adossa à son siège. Son regard se fixa sur le plafond et n'en bougea plus.

— D'après les journaux, votre mari est allé nager le 14 juin et s'est noyé ce jour-là entre seize et dix-neuf heures, heure locale. C'est bien ça ?

— Oui.

Il acquiesça, les yeux au plafond.

— Il y a quinze heures de décalage entre l'Australie et nous... quinze heures de moins ici. Autrement dit, M. Baskin se serait noyé le 14 juin entre une heure et quatre heures du matin, heure de Boston.

— C'est ça.

Corsel se redressa, toujours sans la regarder.

— J'ai reçu son appel le 14 juin à huit heures trente du matin. Il était donc presque minuit en Australie, cinq heures après son accident.

Laura sentit son sang se glacer.

— Tenez, ajouta Corsel en poussant le dossier dans sa direction. Lisez-le. Conformément à ce qui est noté ici, M. Baskin m'aurait téléphoné plusieurs heures après sa noyade.

— Vous êtes sûr de l'heure ? Vous n'avez pas pu vous tromper ?

Il secoua la tête.

— Impossible. Et bien que j'aie reconnu la voix de votre mari et qu'il m'ait donné son code d'accès, j'ai effectué une vérification complémentaire, compte tenu du montant de l'opération.

— Qu'entendez-vous par vérification complémentaire ?

Corsel déglutit.

— Je lui ai demandé de me donner son numéro de téléphone afin que je puisse le rappeler. Une femme à l'accent australien lui a transmis la communication. Le numéro est marqué ici. Il y a aussi une copie de la facture de téléphone avec l'heure exacte.

Laura parcourut le dossier jusqu'à ce qu'elle tombe sur le numéro : 011 61 70 517 999. Puis elle vit l'heure de l'appel. Son cœur manqua un battement. Comment ?... Le coup de téléphone avait été passé le 14 juin à 8 h 47. Minuit moins treize en Australie. Plusieurs heures après la noyade de David.

— Le 011, c'est pour un appel longue distance, expliqua Richard Corsel. Le 61, l'indicatif de l'Australie. Le 70 correspond à Caims.

Cairns. La ville où Laura avait eu rendez-vous avec le groupe Peterson, pendant que David allait se baigner...

— Je ne comprends pas, monsieur Corsel. Comment David aurait-il pu vous téléphoner cinq heures après s'être noyé ?

Corsel haussa les épaules.

— Je ne suis pas détective, madame Baskin. Je dispose juste des faits que vous avez sous les yeux. Il m'en coûte de l'admettre, mais je crois que vous avez raison. Quelqu'un a dû se procurer le code d'accès de David Baskin et imiter sa voix suffisamment bien pour me flouer. Je ne vois pas d'autre explication... à moins que le légiste ne se soit trompé sur l'heure de la mort.

Laura se tassa dans son fauteuil. Si le légiste s'était trompé, où David était-il passé pendant tout ce temps ? Et pourquoi aurait-il fait transférer son argent avant d'aller prendre un bain de minuit ?

— Je peux garder ce dossier, monsieur Corsel ?

— Je préfère que vous notiez les renseignements qui vous intéressent. De mon côté, je continuerai à enquêter sur la disparition de cet argent. Votre mari... enfin, celui qui m'a téléphoné et qui avait le code d'accès, a insisté sur le caractère strictement confidentiel de l'opération, alors, s'il vous plaît, madame Baskin, je ne vous ai jamais montré ceci. Cette fois, il s'agit d'une chose infiniment plus précieuse que mon poste.

Laura acquiesça. Elle avait saisi l'allusion.

 

De retour chez elle, toujours flanquée de Serita, Laura décrocha le téléphone et composa le 011 61 70 517 999. Elle songea aux milliers de kilomètres de câbles et de transmission par satellite que franchissait son appel pour aboutir dans une petite ville à l'autre bout du monde. Après quelques secondes, la ligne se mit à grésiller, puis elle entendit sonner.

Les doigts de Laura se crispèrent sur le combiné. Quelqu'un décrocha à la troisième sonnerie. Un sifflement parasite retraversa la moitié du globe pour lui vriller les oreilles, suivi d'une voix de jeune femme : — Pacific International, j'écoute.

Sans un adieu
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