29 mai i960
Aidez-moi, mon Dieu ! Qu'ai-je fait ? La situation me dépasse. Elle est devenue ingérable, et je ne sais pas comment tout cela va se terminer. Je crains le pire, que pourrait-il arriver d'autre ?
Mary vient de m'appeler. Le test de grossesse est positif. Bien que James ait réussi à faire bonne figure jusqu'ici, la jalousie commence déjà à entamer sa capacité de réflexion. Quelle sera sa réaction maintenant ?
Mary est en route pour aller voir Sinclair et lui annoncer la nouvelle. Sinclair, mon bien-aimé, qu'as-tu fait ? Notre amour n 'était-il pas assez fort pour résister aux charmes vénéneux de ma sœur ? Mais peut-être te lasseras-tu d'elle et me reviendras-tu. Oui, j'en suis sûre. Je dois attendre.
Plus tard :
À la seconde où j'ai vu la chemise de James tachée de sang, j'ai compris ce qui s'était passé. Tout en gardant un visage impassible, je hurlais à l'intérieur.
« Je ne voulais pas, m'a-t-il dit sur un ton frôlant l'hystérie. Je voulais seulement l'affronter, les affronter tous les deux. Puis c'est arrivé.
— C'est arrivé, a répété une voix en écho (la mienne, j'imagine).
— Une fois devant la porte de son bureau, j'ai entendu Mary à l'intérieur. Je n'en croyais pas mes oreilles. Elle voulait me quitter. Elle voulait partir avec ce salaud. »
Je n’ai rien dit.
« Mais il a refusé de l'écouter et l'a fichue dehors Il était tellement froid, distant. Cette ordure a mis, enceinte une femme mariée, et il la jette comme u malpropre.
— Qu'a fait Mary ? ai-je demandé.
— Elle était sous le choc. Elle l'a traité de salaud elle s'est enfuie. J'ai juste eu le temps de me cacher dans une pièce vide à côté. Tout ce que je me rappe ensuite, c'est que j'avais le pistolet à la main.
— Non ! me suis-je écriée, tandis que mon esprit i hurlait : "Sinclair est mort. Et si James a appuyé s la détente, c'est ma jalousie qui l'a tué. " »
James, les yeux élargis et vagues, semblait transe.
« Je suis sorti de ma cachette, a-t-il poursuivi, entré dans son bureau. Il était assis dans son fauteuil dos tourné, et regardait dehors. Je me suis approcha sans bruit, la main serrée sur la crosse. Je n’avais pas tenu d'arme depuis mon service militaire. Quand h fait pivoter son fauteuil vers la porte, j'ai placé canon contre son crâne. Il s'est figé. Ses yeux remplit de terreur ont fixé les miens et je crois qu'il a compris qu'il allait mourir. Je l'ai traité de salaud et j tiré... »
— Papa ? a demandé Gloria, bien qu'elle connût réponse. Papa a tué Sinclair Baskin ?
Laura se sentait glisser lentement dans un é second.
— Et Judy, parvint-elle à dire. Et même Stan...
— Non, pas papa ! C'est impossible !
— Qui veux-tu que ce soit d'autre ? Tu m'as hier-que Stan avait été témoin du meurtre et qu'il se raps lait le visage de l'assassin ? Il a dû reconnaître papa quand il l'a vu, le soir du match.
— Ce n'est pas possible.
— Et Judy, continua Laura, était sur le point de tout me raconter.
— Mais je ne comprends pas. Pourquoi a-t-elle attendu tant de temps pour parler ?
— Je n'en suis pas sûre, répondit Laura, mais je crois qu'elle était terrifiée. Elle se sentait coupable de ce qui était arrivé à Sinclair. Si elle n'avait pas trahi la confiance de sa sœur, il serait encore en vie. Elle se voyait probablement comme complice du meurtre. De plus, le mal était fait. En parler ne lui aurait pas rendu Sinclair.
— Alors, qu'est-ce qui l'a fait changer d'avis après toutes ces années ?
Laura réfléchit pendant un moment.
— La noyade de David, déclara-t-elle. Lorsque David est mort, elle a dû se rendre compte qu'on ne pouvait pas se débarrasser si facilement du passé.
Gloria secoua la tête.
— Tout de même... David s'est noyé il y a six mois. Pourquoi a-t-elle attendu tout ce temps pour te parler ? Et ça ne résout pas les autres questions : où est passé l'argent de David ? Et qui s'est emparé de son anneau pour le déposer sous ton oreiller ?
— Je ne sais pas encore. Mais il y a peut-être un moyen d'en avoir le cœur net.
— Lequel ?
Laura alla chercher son manteau dans le placard de l'entrée. Il était six heures du matin.
— Toi, tu restes là et tu finis la lecture du carnet, au cas où il contiendrait d'autres révélations.
— Où vas-tu ?
Laura attrapa ses clés au passage et se dirigea vers la porte.
— Parler à papa.
Gloria tourna la page. C'était celle du 30 mai.
James roulait à tombeau ouvert, sans craindre l'excès de vitesse. Il était un grand ponte du Bos Mémorial. S'il se faisait arrêter, il prétendrait qu'i ; urgence l'appelait à l'hôpital. Une question de vie t de mort. Cette phrase possédait un authentique po voir : l'espace d'un fugitif instant, tous les gens l'entendaient se trouvaient rappelés à leur propre mortalité.
Il atteignit l'immeuble qu'il cherchait dam proche banlieue de la ville. Le quartier ne payait de mine, mais il est vrai que les policiers n'ava pas des salaires mirobolants. Il jeta un coup d'œ i l'horloge du tableau de bord : 6 h 30. TC dormi;: sûrement encore. Mais après tout, il s'agissait d'une urgence. Une question de vie ou de mort... pour et tous.
À la seconde où Laura l'avait appelé d'Australie, mois plus tôt, il avait su que Mary lui avait en< menti, qu'elle n'était pas allée en Californie mai: Australie, et qu'elle était responsable de la soudaine noyade de David. La terreur, noire et froide, l'a saisi. Pourquoi n'avait-il rien vu venir ? Pourquoi; n'avait-il pas trouvé un moyen de la faire taire, av j qu'elle ne parle à David ?
Si seulement il avait pu l'arrêter... Si seulement David ne l'avait pas écoutée... Si seulement L'enchaînement infernal des si le ramena aux événements d'autrefois : si seulement Mary avait été une épouse fidèle et non une traînée.
Mais penser à ce qui aurait pu être ne changeait rien à ce qui s'était passé. Il lui fallait aller de l'avant, sauver ce qui pouvait encore l'être.
Avant de frapper à la porte, il palpa sa poche dans laquelle se trouvait le pistolet... juste au cas où TC refuserait de se montrer coopératif. Il ne souhaitait de lui qu'un tout petit renseignement : qu'il lui donne l'adresse de Mark Seidman.
Lorsqu'il l'aurait en face de lui, le pistolet resservirait. Une dernière fois. Une dernière balle, et tout serait fini.
À en juger par l'air hagard de TC quand il ouvrit la porte en plissant les yeux, il devait bel et bien dormir.
— Docteur Ayars ?
— Puis-je vous parler un instant ? demanda James. C'est très important.
TC recula.
— Entrez.
— Non, je n'en ai que pour une seconde.
— Comme vous voudrez. Que puis-je faire pour vous ?
James s'humecta ses lèvres.
— Je dois parler à David.
— Hein?
— Inutile de faire semblant. Je sais que David et Mark Seidman sont une seule et même personne. Et je le sais depuis un bon bout de temps.
— Qu'est-ce que c'est... ?
— Écoutez-moi. Je sais que David a mis en scène sa noyade. Et je sais pourquoi il l'a fait. Je ne veux causer de souci à personne. Dites-moi seulement où le trouver.
TC ne répondit pas.
— C'est une question de vie ou de mort, insista James. Laura est en danger. Je ne cherche pas à révélé le secret de Seidman. Je désire uniquement lui parle
TC haussa les épaules.
— David est mort, docteur Ayars.
— Bon sang ! Judy a été assassinée. Arrêtez ce p< jeu...
— Mais, poursuivit TC d'une voix égale, si v< souhaitez parler à Mark Seidman, il s'entraîne ; Boston Garden tous les matins à l'aube.
— Merci, dit James avant de tourner les talons. Parfait. À cette heure matinale, il n'y aurait personne au Garden. James pourrait s'y introduire discrètement surprendre David, lui planter le pistolet sur la tempe tirer.
Et enfin, tout serait terminé.
Gloria ne s'attaqua pas tout de suite au 30 mai 1960 Le journal de Judy ressemblait à un médicament amer qu'on ne pouvait ingurgiter qu'à petites doses, el 29 mai avait déjà été suffisamment dur à avaler.
Reposant le carnet, elle alla se préparer un café p s'approcha de la fenêtre. Laura jouissait également d'une vue sur la Charles River. Elle se rappela à quel point Stan adorait s'installer sur leur balcon po admirer le fleuve. En définitive, c'était un homme simple, égaré dans un labyrinthe, incapable de trou la sortie. Il avait été tué au moment même où Gloria i avait pris la main pour le guider.
Et pas par un inconnu - par son père.
Comment était-ce possible ? Comment un homme aimant pouvait-il abriter un tel monstre en lui ?
De retour sur le canapé, elle reprit le journal l'ouvrit.
30 mai 1960.
Gloria écarquilla les yeux. Du sang...
Très vite, les mots se mirent à danser devant ses yeux. Son ventre se contracta douloureusement. Des images, des images épouvantables...
Du sang, tellement de sang...
... tourbillonnaient dans son esprit. Ses plus sombres cauchemars reprenaient vie, la poursuivaient...
Du sang...
... animées d'une faim destructrice. À l'époque, elle n'était qu'une toute petite fille et, grâce à Dieu, elle ne s'était jamais souvenue de ce qui s'était passé.
« Maman ! Maman !
— Sors d'ici, Gloria. Sors d'ici tout de suite ! »
Des visions lui apparurent par flashes. Elle était redevenue cette enfant de cinq ans qui parcourait le couloir sombre, sauf que, cette fois, elle savait où elle allait : à la chambre de ses parents. Elle avait soif et voulait qu'on lui donne un verre d'eau. Accompagnée de son lapin en peluche, elle longeait le couloir vers la chambre de son père et de sa mère.
Gloria aurait voulu refermer le journal pour ne plus jamais l'ouvrir. Mais ses yeux, comme aimantés, suivaient les mots à vive allure. Ils lui ouvraient une porte de son esprit fermée à double tour depuis l'enfance. Soudain, la petite Gloria se retrouva devant la chambre de ses parents, se hissant sur la pointe des pieds pour atteindre la poignée de la porte, son doudou coincé sous le coude.
« Sors d'ici, Gloria. Sors d'ici tout de suite ! »
La poignée tournait dans sa main. Elle verrait enfin ce qui se cachait derrière cette porte. Elle avait passé sa vie à refouler ce moment, mais cette fois, elle ne pourrait plus échapper à ces images. Même en fermant yeux, elle voyait la porte s'ouvrir.
Elle regarda à l'intérieur. Se souvint. Et hurla.
Tremblant de tous ses membres, elle referma I journal. Les mots de Judy levaient le voile sur ce 3 mai 1960. Tout était vrai. Son père avait tué Sinclair Judy, Stan...
Et David ?
La sonnerie de l'interphone carillonna. En allas répondre, Gloria aperçut l'horloge de la cuisine. Set heures. Qui pouvait bien passer si tôt ?
— Oui?
— M. Richard Corsel désirerait parler à Mme Baskin annonça le portier. Il dit que c'est urgent.
— Faites-le monter.
Tandis que Gloria attendait le visiteur, la réalité ce qu'elle venait de lire s'enfonça dans son cerveau comme une brique avalée par des sables mouvants. Sa cœur cognait dans sa poitrine. La vérité se révéla encore plus tragique que tout ce qu'elle avait jam a osé imaginer. Reprenant le journal sur le canapé, elle parcourut rapidement la suite. Les mots sur la page confirmèrent ses pires craintes : sa mère avait eu ter David et Laura n'étaient pas frère et sœur.
