Chapitre 12

 

Le téléphone sonna.

— Oui ? fit Laura.

— Gloria arrive à l'instant, annonça Estelle.

— Merci.

Laura repoussa son siège. Sa sœur était de retour. Avec un grand soupir, elle franchit la porte et passa devant son assistante, occupée à taper une lettre. Estelle s'abstint de lever les yeux. La patronne était de mauvaise humeur ce lundi matin - quelque chose à voir avec Gloria -, quand cela se produisait, mieux valait se faire oublier pour ne pas s'attirer ses foudres.

— Je reviens. Je ne prends aucun appel.

Laura longea le couloir, le dos raide, luttant contre la colère qu'elle sentait monter en elle. Elle se rappela les consignes du Dr Harris : « Allez-y doucement. » Facile à dire. Gloria s'était absentée tout le week-end sans un mot d'explication. Ce qui ne voulait pas forcément dire qu'elle l'avait passé avec Stan.

Foutaises.

Laura fulminait. Dire qu'elle s'était amourachée de ce psychopathe ! D'accord, elle était fragile, mais quand même, c'était effarant, la facilité avec laquelle elle s'était laissé embobiner.

Arrivée au service marketing, elle frappa à la porte du bureau de sa sœur.

— Entrez, répondit une voix joyeuse. Laura passa la tête par l'entrebâillement.

— Salut !

Gloria bondit sur ses pieds. Son visage rayonnait.

— Entre, Laura.

— Comment ça va, toi ?

— Super-bien. Au fait, désolée d'avoir filé à l'anglaise vendredi.

— Pas de problème, dit Laura en affichant un sourire factice. Tu as travaillé tard ces temps-ci. Tu méritais un break. Je peux m'asseoir ?

— Bien sûr.

Les deux sœurs s'assirent l'une en face de l'autre, affichant le genre de sourire que l'on voit sur un plateau de télé. Laura se sentait ridicule.

— Alors, c'était bien, ton week-end mystère ?

— Le bonheur total.

Laura s'efforça de garder le sourire.

— Ah oui ? Et où étais-tu ?

— À la Deerfield Inn. Tu te rappelles, on y allait quand on était gamines ?

Laura se souvenait.

— Sympa, acquiesça-t-elle.

— Mieux que ça. Laura, je suis amoureuse.

Le cœur de celle-ci se serra d'appréhension, mais elle maintint son sourire sur pilote automatique.

— C'est vrai ? Et qui est l'heureux élu ?

— Stan ! exulta Gloria. Incroyable, non ? En effet.

— Et ça remonte à quand ?

— La semaine dernière. On se connaît depuis peu, mais c'est quelqu'un de merveilleux. Chaleureux, attentionné, drôle... enfin, je n'ai pas besoin de te faire l'article. Il est exactement comme David. La comparaison hérissa Laura.

— Oublie David. Pense à Stan comme à un homme parmi d'autres.

— Comment ça ?

— Je te dis juste de considérer Stan Baskin comme un homme que tu fréquentes depuis huit jours. Ne le classe pas à part simplement parce que c'est le frère de David.

Le visage perplexe de Gloria s'éclaira.

— Ah, je vois. C'est à cause de son passé ? Ça t'inquiète ?

— Un peu, oui...

— Il m'a tout raconté. Je sais qu'il joue. Rassure-toi, il va se faire soigner.

Foutaises, pensa Laura une fois de plus. Mais en raison des recommandations de la psy, elle se trouvait dans l'impossibilité de révéler à Gloria ce que le merveilleux, le chaleureux Stan avait fait subir à sa famille. Elle se mordilla la lèvre.

— N'empêche, tu devrais te méfier.

— Le passé est le passé, Laura. Tu l'as dit toi-même quand il a débarqué à Boston.

— Oui, je sais. Je veux juste te mettre en garde.

— En garde ?

Le sourire de Gloria s'évanouit.

— Stan et moi sommes amoureux.

— Je ne le nie pas, répliqua Laura, faisant de son mieux pour se montrer diplomate. Mais tu as déjà vécu ça, non ? Souviens-toi de ce type, en Californie.

Gloria plissa les yeux.

— J'ai changé depuis ce temps-là.

— Oui, bien sûr, mais ne précipite pas les choses.

— Laura, qu'essaies-tu de me dire ?

— Rien.

— Je te crois. Bien sûr qu'il compte, le passé ! Tu te demandes ce que fait Stan avec quelqu'un comme moi...

— Pas du tout !

— ... une traînée, une camée propre à rien...

— C'est faux ! Ce n'est absolument pas ce que je veux dire. Celui que tu aimeras sera l'homme le plus heureux du monde. Mais je ne suis pas sûre que Stan Baskin soit l'homme qu'il te faut.

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

— Je... rien. Juste un pressentiment. Gloria se leva.

— Laura, tu sais combien je t'aime. Je te dois la vie.

— Tu ne me dois rien. Nous sommes sœurs. Tu m'as aidée, je t'ai aidée.

— OK, mais tu veux que je cesse de voir Stan. Laura hésita.

— Pas exactement...

— Tu es contre cette relation.

— Je ne suis pas emballée, c'est tout.

— Et tu ne veux pas me dire pourquoi. Il y eut un silence.

— Écoute, Laura, j'ai plus de trente ans. Difficile à croire, hein ? Stan a dépassé la quarantaine. Nous ne sommes plus des enfants. Je l'aime, Laura. Je l'aime énormément.

— Je n'ai pas l'intention...

— J'espérais que toi, entre tous, tu te réjouirais pour moi, l'interrompit Gloria. Mais bon, tant pis. Ça ne change rien. Je l'aime et je continuerai à le voir.

— Tu ne sais pas ce que tu dis, s'emporta Laura. Il n'est pas fait pour toi.

— Non, mais pour qui te prends-tu ?

— C'est un malade, Gloria ! Il aime faire souffrir ! Il a même...

— J'en ai assez entendu. Ce n'est pas à toi de me dicter ma conduite !

Sur ce, Gloria sortit en claquant la porte.

Laura retomba sur son siège. Bravo, ma vieille. Bien joué. Question douceur... Elle soupira. L'altercation avec sa sœur l'avait épuisée. Et maintenant ?

Quelque chose la troublait, une chose que Gloria lui avait dite. Elle se repassa leur conversation. Et un grand froid l'envahit. Les protestations de Gloria - justifiées, au demeurant, car de quel droit se mêlait-elle de la vie amoureuse de son aînée ? - lui semblèrent familières. Ça lui rappelait...

... sa propre histoire avec David.

Laura sentit sa gorge se nouer. Le parallèle éveillait un écho douloureux dans son esprit. Sa mère ne lui avait-elle pas tenu les mêmes propos ? Ne l'avait-elle pas mise en garde contre David, sans aucune raison apparente ?

« S'il te plaît, Laura, fais-moi confiance. Cesse de le voir.

Mais pourquoi ?

Je t'en supplie. Il n'est pas pour toi. »

Laura n'avait pas adressé la parole à sa mère depuis la mort de David. Qu'avait-elle essayé de lui dire alors ?

« On pense se marier.

Jamais de la vie, Laura. Il n 'est pas question que tu épouses cet homme. »

Mais elle ne l'avait pas écoutée. Elle était partie pour l'Australie et avait épousé David, et maintenant elle était consciente d'une chose : ses supplications n'empêcheraient pas Gloria de voir Stan, tout comme sa mère avait été impuissante à la faire renoncer à David.

Laura regarda par la fenêtre. Elle aurait voulu courir derrière sa sœur, la rattraper pour l'obliger à entendre la sordide vérité, mais elle savait que c'était impossible. Sa mère s'était-elle trouvée dans la même position vis-à-vis d'elle ? Avait-elle quelque chose d'indicible à lui révéler au sujet de David ? La question qui la taraudait à présent exigeait une réponse immédiate.

Que lui cachait sa mère à propos de David ?

 

Mark Seidman reprit sa place habituelle sur l'inconfortable banc en bois. Il repéra Timmy Daniels en train de travailler son tir en suspension. Spectacle impressionnant. Éclair orange sur éclair orange, puis la balle franchissait l'anneau de métal. Le regard de Mark pivota en direction de Clip Arnstein qui se tenait à l'écart avec un groupe de reporters, admirant la performance irréprochable de Tim.

Les bras croisés, Clip était affublé d'un bob blanc, d'un short et du maillot vert des Celtics. Dans cette tenue, il avait plus l'air du touriste américain type que d'une légende vivante du basket.

— Beau travail, petit, lança-t-il.

Timmy s'arrêta et rejoignit le groupe au petit trot. Les journalistes se massèrent autour d'eux.

— À votre avis, Clip, les Celtics vont-ils conserver leur titre de champions ?

— Je l'espère bien.

— Vous l'espérez ?

— Je ne voudrais pas paraître présomptueux, répliqua Clip.

— Et comment pensez-vous y arriver sans David Baskin ?

— Écoutez, les gars, la perte d'un joueur comme David a forcément des conséquences. Un Éclair blanc, ça ne se rencontre pas tous les jours. Allons-nous défendre notre titre ? Bien entendu. Allons-nous le garder ? Ça, mes amis, seul le temps le dira. Il y a tant de facteurs qui entrent en jeu. Une bonne équipe et la chance, pour ne citer que ceux-là.

Mike Logan, le journaliste du Boston Globe qui suivait les Celtics depuis une dizaine d'années, prit la parole : — Clip, l'an dernier vous avez dit que David Baskin était le meilleur tireur extérieur du monde, et Timmy Daniels le deuxième.

— Et j'ai eu raison, n'est-ce pas, Mike ? Le concours à trois points l'a prouvé.

— Je ne le conteste pas, acquiesça Logan. Ma question est : maintenant que David n'est plus là, Timmy est-il le meilleur marqueur du monde ?

Clip ouvrit la bouche pour répondre, mais une voix forte cria depuis les gradins : — Non !

Tout le monde se retourna comme un seul homme vers l'impudent à la tignasse blonde.

— Alors qui est-ce ? rétorqua Logan. Mark se leva.

— Vous l'avez devant vous.

 

Mary Ayars entendit le carillon de la porte d'entrée. La sonnerie se réverbéra à travers la maison, la surprenant dans la cuisine, un verre de vin à la main. Ces temps-ci, elle buvait un peu plus que d'ordinaire. Voire un peu trop. Elle était consciente de se trouver sur une mauvaise pente, qu'elle devrait faire plus attention. Mais le poids de la culpabilité et l'attitude de Laura l'accablaient à un point tel qu'elle finissait par chercher le réconfort dans le vin blanc. Vin blanc espagnol. Sa préférence allait au rioja.

Mary jeta un œil sur la pendule. Onze heures du matin. Il n'était pas encore midi, et elle en était déjà à son premier verre.

La sonnette retentit à nouveau. Mary posa le verre, s'inspecta au passage dans le miroir et alla ouvrir.

— Laura !

— Bonjour, maman, dit sa cadette poliment. Malgré sa mine défaite, sa mère était toujours aussi belle. On lui donnait facilement quinze ans de moins que son âge véritable - cinquante ans.

Mary essaya de se ressaisir. Sa fille ne lui avait pas dit un mot depuis des mois, depuis qu'elle était partie avec...

— Ton père n'est pas là.

— C'est toi que je viens voir.

— Moi ?

— Je crois que nous avons à parler.

Mary s'effaça pour la laisser entrer. Elles allèrent au salon et s'assirent dans les fauteuils, l'une en face de l'autre. Pendant quelques instants, toutes les deux gardèrent le silence.

— Je suis si triste pour David, commença Mary, mal à l'aise.

Elle pressa ses paumes sur sa jupe.

— Je me fais tant de souci pour toi.

— Je vais bien, répondit Laura.

Se penchant, Mary lui prit la main. Ses yeux s'emplirent de larmes.

— Pardonne-moi, Laura. Je ne voulais pas te faire mal. Tu sais bien que je t'aime. Que je veux seulement ton bonheur.

S'agenouillant, Laura serra sa mère dans ses bras.

— C'est bon, maman, fit-elle doucement. Tu as essayé de m'aider.

— Je t'aime tant, ma chérie.

— Moi aussi, je t'aime, maman.

Laura s'en voulait terriblement de ce qu'elle lui avait fait vivre.

— Je regrette d'avoir été aussi dure avec toi.

— Mais non, voyons, tu étais dans ton bon droit. Mary la regarda avec espoir.

— Vraiment, Laura, tu me pardonnes ? La page est tournée ?

Laura hocha la tête.

— Maman ?

— Oui, chérie.

— J'ai quelque chose d'important à te demander. Mary se tamponna les yeux avec un mouchoir.

— Quoi, mon cœur ?

— Pourquoi tu n'aimais pas David ? Mary se raidit.

— Oh, Laura, tout ça est de l'histoire ancienne.

— Je veux savoir.

Les yeux de Mary firent le tour de la pièce, comme pour chercher une issue de secours.

— Ça n'a plus d'importance.

— Maman...

— Tu l'aimais, chérie. Je n'aurais pas dû intervenir.

— Mais tu devais avoir tes raisons.

— C'est possible.

— Possible ?

— Tu... Tu sais comment c'est, une mère ! tenta d'expliquer Mary d'une voix hachée. Aucun homme n'est assez bien pour sa petite fille chérie.

— J'en ai fréquenté d'autres avant David. Tu ne t'en es jamais mêlée.

— Parce que ce n'était pas sérieux. S'il te plaît, on peut parler d'autre chose?

Laura fit mine de n'avoir pas entendu.

— Ça ne tient pas debout. David, tu l'as pris en grippe d'emblée, dès que j'ai eu prononcé son prénom. Pourquoi, maman ?

Mary haussa nerveusement ses jolies épaules.

— Je n'ai jamais fait confiance aux sportifs. Mais j'ai eu tort, chérie. C'était un homme merveilleux. Je suis sûre qu'il t'aimait beaucoup.

— Qu'est-ce qui te fait dire ça maintenant ?

— Je... Je ne sais pas. J'ai dû me rendre compte que je m'étais trompée.

— À quel moment t'est venue cette révélation ? Après sa mort ?

— Non... enfin... Laura, je t'en prie, j'ai commis une erreur. Ne pourrait-on pas tirer un trait sur le passé ?

— Et je fais comment ? cria Laura. J'ai perdu le seul homme que j'aie jamais aimé. Nous avons été obligés de partir à la sauvette, et tu sais pourquoi ?

'— La presse devait vous harceler...

— Non, maman ! Nous étions tous deux habitués à gérer la presse. Nous sommes partis parce que ma propre mère avait juré de tout faire pour empêcher notre mariage ! C'est pour ça que nous nous sommes envolés pour l'Australie sans te prévenir.

Sa mère fondit en larmes.

— Et maintenant David est mort.

Mary se redressa d'un mouvement brusque.

— Tu ne peux pas me reprocher sa mort ! J'ai seulement...

— Tu as seulement quoi ? Tu ne comprends donc pas ce qui est arrivé ? A cause de Dieu sait quelle lubie, David et moi nous sommes sentis rejetés par ma propre mère. Nous nous sommes réfugiés en Australie par ta faute !

— Arrête ! S'il te plaît !

— Et il s'est noyé là-bas. L'homme que j'aimais a péri parce que tu n'aimes pas les sportifs, parce que...

— J'avais mes raisons ! cria Mary à son tour.

— Lesquelles ? Quelles étaient tes raisons ?

Pour seule réponse, Laura eut droit à une nouvelle crise de larmes. Les épaules de Mary tremblaient, sa poitrine se soulevait convulsivement. Face à ce spectacle pitoyable, Laura sentit sa colère retomber. Qu'avait-elle fait ? Elle était venue offrir son pardon, délivrer sa mère du calvaire qu'elle vivait depuis trop longtemps, au lieu de quoi elle l'avait agressée avec une rancœur redoublée.

— Désolée, maman, je ne voulais pas te bousculer. Mais j'ai tellement mal que parfois je perds les pédales...

Laura prit sa mère dans ses bras et pleura avec elle. Tout en lui caressant les cheveux, elle se dit que certains secrets défiaient la mort, et que certaines vérités devaient rester enfouies ; les étaler au grand jour pouvait causer des dommages irréparables.

Oui, mais elle, ce n'était pas pareil. Son cœur était déjà en miettes. Qu'elle exhume ou non le passé, le mal était fait. Elle voulait la vérité.

Et elle la trouverait.

Tous les regards étaient fixés sur Mark.

— Je tire mieux que n'importe qui.

— Et vous êtes qui, vous ? cria un reporter.

— Mark Seidman du Boston Eagle Weekly.

— Du quoi ?

— Faites pas attention à lui, les gars, intervint Clip Arnstein. C'est un emmerdeur. Pour répondre à votre question, Mike, Timmy Daniels est bien notre meilleur marqueur à l'heure actuelle.

— On parie ? lança le blond.

Clip se tourna vers les agents de sécurité.

— Bon, ça suffit. Fichez moi ça dehors.

Les vigiles en uniforme s'approchèrent des gradins. Toujours debout, Mark sortit une liasse de billets verts de sa poche.

— Dix mille dollars ! Cent fois la tête de Ben Franklin sur des coupures flambant neuves que je peux battre Timmy Daniels dans un concours de tir à trois points.

Le silence se fit dans le gymnase. Mark vit le visage de Clip s'empourprer de fureur.

— Je vous ai dit de le ficher dehors.

Les flashes crépitaient. Mark agita les billets.

— Dix mille dollars pour l'œuvre caritative de votre choix, monsieur Arnstein. Vous-même ne misez rien. Zéro. Que risquez-vous... sinon que l'ego de votre tireur vedette se trouve égratigné par un illustre inconnu ?

Timmy se pencha vers Clip.

— Je vais lui régler son compte, à ce bouffon.

— Mais oui, Clip, renchérit l'un des journalistes. Laissez donc Tim récupérer le fric.

Des murmures d'assentiment s'élevèrent dans l'assistance.

Clip était toujours rouge pivoine.

— Tu permets que je compte l'argent, grande gueule ?

— Pas de problème, répondit Mark. Vous pouvez même le garder pendant qu'on tire.

Il descendit des gradins et lui remit la liasse. Clip le fusilla du regard. Tout autour, les commentaires chuchotes allaient bon train.

Tu dis quoi, toi ?... Un flambeur qui ne sait pas quoi faire de son fric... Il ne bosse pas dans la presse... Salaud de riche... Tim va lui mettre la pâtée... Tocard, va.

Clip compta l'argent et soupira.

— OK. Allons-y, finissons-en.

On lança une pièce de monnaie. Mark gagna et choisit de tirer en second. Un ramasseur disposa rapidement des ballons à plus de six mètres du panier, zone réservée aux tireurs d'élite. Mike Logan observait la scène avec intérêt. Il avait couvert le dernier concours à trois points avant le Ail-Star Game de Dallas. David Baskin avait gagné en battant son propre record : vingt-deux tirs réussis en une minute. Vingt-deux. Un véritable prodige. Timmy Daniels s'était classé deuxième, avec vingt paniers, et Reggie Cooper, des Chicago Bulls, troisième, en avait mis dix-neuf.

Timmy s'approcha du premier rack de ballons à gauche du panier, concentré sur un seul objectif, le cercle de métal. Il s'accroupit et attendit le signal de départ.

— Une minute de tir. Prêt ? Go !

Tim lança le ballon. Il se déplaça du côté gauche vers le centre ; ses tirs en forme d'arc-en-ciel convergeaient vers le cercle.

Il était toujours aussi bon tireur.

— Trente secondes !

— Il en a déjà douze ! cria quelqu'un. Il est parti pour battre son record.

Fermant les yeux, Mark pria pour que Timmy rate son prochain tir. Mais il continuait à marquer avec une adresse exceptionnelle. Ses mains bougeaient avec précision, même geste rapide, lancer après lancer.

— Top !

Le chronométreur leva les yeux.

— Nom de Dieu ! Vingt-trois. Un nouveau record ! Il a battu le score de l'Éclair blanc.

Des applaudissements et des acclamations retentirent dans le gymnase. Les coéquipiers de Timmy, dont Earl Roberts, vinrent féliciter leur nouveau champion. Clip lui donna une tape dans le dos. Les journalistes prenaient des notes. Timmy lui-même semblait un peu ahuri par ce qu'il venait d'accomplir.

Clip tira de sa poche le cigare de la victoire. L'assistance se déchaîna.

— Pas si vite, monsieur Arnstein. L'entraîneur contempla Mark pardessus son cigare.

— Tu ferais mieux de rentrer chez toi, fiston. Murmures d'assentiment.

— Pas encore, répondit Mark calmement.

Mais il était inquiet. Timmy avait vraiment réalisé un exploit.

— C'est mon tour.

— Tu nous fais perdre notre temps, fiston.

— Mon nom est Mark Seidman, monsieur Arnstein, et le concours n'est pas terminé.

Clip alluma son cigare. Tout le monde rit.

— Eh bien, allons-y, monsieur Mark Seidman. Déjà qu'on prend du retard sur l'entraînement à cause de tout ça.

Les ramasseurs récupérèrent rapidement les ballons et les disposèrent pour le second tour. Mark alla se poster à gauche du panier et se tourna vers Clip.

— On parie autre chose ? proposa-t-il.

— Quoi ? T'es cinglé, fiston ?

— Oui ou non ? Clip sourit.

— Si tu veux.

— Si je gagne, vous me prenez à l'essai. Si je perds, votre œuvre caritative touchera dix mille dollars de plus.

De nouveaux éclats de rire retentirent dans la salle surchauffée.

— Ça marche, s'exclama Clip.

Mark hocha la tête et attendit, les muscles bandés. Il sentait les regards moqueurs peser sur lui.

— Prêt ? Go !

Mark attrapa un ballon sur le rack et le lança. Trop vite. Le ballon rebondit sur l'arceau. Les spectateurs s'esclaffèrent. Le tir suivant toucha au but. Celui d'après aussi...

— Pas mal. Il pourrait presque arriver à quinze.

— Tu rigoles ?

... et de quatre, et de cinq...

— Ce gars-là sait tirer.

— Il n'arrivera même pas à seize. ... manqué, panier, panier, panier...

— Bizarre comme lancer, hein ?

— Oui. Rapide à la détente. Ça fait un peu penser à Baskin.

— Eh, Clip, qu'en dites-vous ?

Arnstein ne disait rien. Il observait les gestes à la fois gauches et gracieux. Les mains de Mark voltigeaient.

— Trente secondes !

— Bon sang, il en est à dix !

Tous les regards étaient rivés sur Mark à présent, tandis qu'il passait à un autre rack. Il était toujours derrière Timmy Daniels, et personne ne croyait sérieusement qu'il avait une chance de le battre, mais jusqu'ici seuls sept joueurs professionnels avaient franchi le score de dix-huit paniers, et l'intrus semblait à deux doigts d'égaler leur performance. Mark continuait à tirer, s'abandonnant au pur plaisir de manier le ballon. Son lancer était fluide ; la balle retombait dans le filet en tournant sur elle-même.

— Top !

Silence abasourdi. Le chronométreur leva la tête.

— Vingt-quatre, fit-il tout bas. Record absolu.

Tous les regards suivirent Clip Arnstein qui s'approcha lentement du blond inconnu. Personne ne pipait. Arrivé à la hauteur de Mark, Clip lui rendit son argent.

— Tu m'as impressionné, fiston. Mark ne dit rien.

— Mais vois-tu, au basket il ne suffit pas de savoir tirer.

Mark hocha gravement la tête.

Clip le dévisagea. Ce jeune homme venait de battre le meilleur marqueur de la NBA et d'établir un nouveau record, mais, au lieu de jubiler, il tirait une tête d'enterrement. Clip haussa les épaules, détournant les yeux de son regard bleu éteint.

— Un pari, c'est un pari, dit-il au bout d'un moment. Va te changer.

Mark passa au trot devant ses futurs coéquipiers qui le lorgnaient d'un air mauvais, puis devant les journalistes. Mike Logan l'observait. Il n'en croyait pas ses yeux. Un amateur qui venait de battre le record de tir à trois points. Et son style, curieux, qui n'était pas sans rappeler...

Logan sortit son calepin et nota un surnom, au cas où.

Éclair blanc II.

Sans un adieu
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