Chapitre 9

 

Laura n'en croyait pas ses yeux.

—C'est quoi, ça ?

—Une photo de Stan avec ta sœur, répondit TC.

—Je vois bien.

—Ils ont passé la nuit ensemble.

—Tu es un sacré voyeur, dis donc. Moi aussi, tu me fais suivre ?

—Je ne cherche pas à semer la zizanie. Je fait suivre Stan parce que je le connais.

—Et quelle machination diabolique ton enquête a-t-elle mise au jour ?

—Ça ne va pas te plaire.

Laura secoua la tête, incrédule.

— Tu as le culot de me reprocher d'intimider le type à la banque, et pendant ce temps tu épies ma soeur par le trou de la serrure ? Ça me dépasse.

— Tu m'écoutes ou tu continues à râler ?

Laura regarda ses yeux. Un froid soudain l'envahit.

Tout à coup, elle n'était plus aussi sûre de vouloir entendre ce qu'il avait à lui dire.

— Vas-y.

TC alluma un nouveau cigare et se lança en choisissant ses mots avec soin.

 

Stan Baskin était une crapule-née. Tout jeune, il avait sombré dans la délinquance, mais son charme et son semblant de classe lui avaient permis de se sortir de tous les mauvais pas. Paresseux de nature, il aimait l'argent facile. Il était prêt à tout pour s'en procurer, sauf à travailler. Il préférait monter des coups, et ça lui réussissait. Sacrement, même. Il soutirait des fortunes à ses victimes qui ne se doutaient de rien. Mais son talon d'Achille finissait toujours par avoir raison de lui.

Il jouait.

David avait tenté de le convaincre de se faire soigner, mais Stan était accro, au même titre qu'un drogué ou un alcoolique. Et certain de pouvoir décrocher quand il voudrait. Sauf qu’il ne voulait pas. Et puis, il était jaloux de son frère. Peu lui importait que David ait trimé dur, dans ses études comme sur le terrain de basket. Ses talents sportifs allaient lui rapporter de l'argent, beaucoup d'argent. C'était tout ce qui comptait.

David et TC étaient eh première année de fac quand Stan se trouva dans le pétrin. Un sale pétrin. Apparemment, ses « bons » plans n 'avaient pas fonctionné. Devant plein d'argent à des gens pas très fréquentables, il devait monter un gros coup. Ce fut à cette occasion que lui vint une idée de génie.

On était au mois de mars. Leur mère était à l'hôpital avec un cancer des ovaires. La saison sportive tirait à sa fin. Le campus était en effervescence car pour la première fois depuis Dieu sait combien de temps, l'université-du Michigan était arrivée en demi-finale de la NCAA. On ne parlait que du prochain match contre l'UCLA. En cas de victoire, le Michigan irait en finale.

Le pronostic gagnant était le pari « plus trois points ».

— Je n'y connais rien, au jeu, interrompit Laura. Ça veut dire quoi, le pari « plus trois points » ?

— Admettons que tu mises sur le Michigan. Pour que tu gagnes, le Michigan doit vaincre de plus de trois points. Si l'écart est inférieur à trois points ou si la victoire revient à l'UCLA, tu perds ta mise. Tu comprends ?

Stan échafauda le jour même de la rencontre un plan qui supposait la participation de David. Il se dit que son petit frère serait heureux de lui donner un coup de main. Il n'exigeait pas grand-chose, juste quelques points en moins. Quelle importance si le Michigan gagnait de deux points au lieu de cinq ? David n’avait pas besoin de saboter le match. Il suffisait qu'il se retienne.

David, évidemment, voyait cela d'un autre œil.

« Tu te rends compte de ce que tu me demandes ?

Il faut absolument que tu m'aides.

Pas question, Stan. Tu t'es fichu dedans tout seul, alors débrouille-toi pour en sortir. Et pendant que tu y es, fais-toi soigner.

Je le ferai, promis. Mais juste pour cette fois...

Mon œil. Va consulter d'abord, on parlera après. »

La discussion dégénéra, et David mit Stan à la porte.

— C'est à cause de ça qu'ils étaient fâchés ? hasarda Laura.

TC secoua la tête.

— Ce n'est que le début.

Stan n'avait pas d'argent pour jouer. Il avait espéré liquider sa dette en persuadant ses amis peu recommandables de la mafia de miser sur l'UCLA. Il leur avait dit que David avait accepté de marcher dans la combine. Du coup, il se retrouvait dans le pétrin. Impossible de faire machine arrière ; ils allaient jouer du xylophone sur ses côtelettes à coups de barre de fer.

Comme on pouvait s'y attendre, le Michigan gagna haut la main. De neuf points, pour être précis. Les gangsters étaient furibonds. Ils avaient perdu gros dans la combine de Stan. Dès lors, ils n’eurent de cesse que de l'épingler.

Mais Stan n'était pas fou ; il s'était déjà planqué au fin fond du Dakota du Sud. Il savait bien qu'ils finiraient par le trouver, mais d'ici là il aurait réuni l'argent. Sauf que la patience n'était pas leur fort. Il leur fallait un bouc émissaire.

Et faute de Stan Baskin, ils s'en prirent à David.

Le match de qualification contre Notre Dame devait avoir lieu deux jours plus tard. Les pronostics étaient très serrés. Les médias spéculaient sur l'affrontement entre les deux étoiles montantes du basket universitaire, David Baskin côté Michigan et Earl Roberts côté Notre Dame.

En fait, il leur fallut attendre trois ans de plus.

Le calcul des gangsters était simple. Pour récupérer l'argent, il suffisait de truquer le match. Comment ? En pariant sur Notre Dame et en mettant hors jeu le joueur vedette du Michigan.

La veille du match, David dormait dans sa chambre d'hôtel - ou du moins essayait de dormir, vu l'ampleur de l'événement -, lorsqu'on força sa porte et que cinq hommes firent irruption dans la pièce.

Avant qu'il n'ait pu réagir, quatre d'entre eux l'immobilisèrent sur le lit. Il se débattit, mais il avaitaffaire à des professionnels qui n 'en étaient pas à leur coup d'essai.

« Couvrez-lui la bouche, chuchota l'un des hommes. Qu'on ne l'entende pas crier. »

On lui plaqua un oreiller sur le visage, et quelqu'un s'empara de son pied droit, les orteils dans une main, le talon dans l'autre.

« Tenez-le bien ! »

L'homme lui tordit le pied jusqu'à ce qu'on entende la cheville craquer. Pour faire bonne mesure, il insista encore un peu. Les os raclèrent les uns contre les autres. Le hurlement de David se perdit dans l'oreiller.

Ils déguerpirent tout aussi rapidement, sans allumer la lumière, si bien que David n 'avait aucune chance de les identifier. La cheville cassée, il passa deux mois dans le plâtre. Cette semaine-là, il eut deux de ses pires crises de migraine. Si graves que TC craignit pour la vie de son ami.

Le Michigan perdit de quinze points contre Notre Dame.

— Ce n'est pas fini, n'est-ce pas ? TC hocha la tête.

Stan ne pouvait se cacher indéfiniment. Et il fallait qu'il trouve de l'argent pour rembourser sa dette. Personne ne sut au juste comment il s'y est pris - en lui faisant signer une procuration ou autre -, mais les détails importent peu. Ce qui comptait, c'était le résultat : Stan avait volé l'argent de sa mère.

Un fils dépouillant sa mère atteinte d'un cancer de ses économies pour régler une dette de jeu à la mafia, un fils capable de la laisser mourir sur un lit d'hôpital sans un sou pour payer ses soins. Cela dépasse l'entendement.

David fit de son mieux pour s'occuper d'elle, mais elle était déjà très malade, et l'attitude de son aîné l'avait anéantie.

Elle mourut six mois plus tard. Stan n’assista pas à l'enterrement.

— Maintenant tu comprends, Laura ?

Elle restait sans bouger, sous le choc de ce qu'elle venait d'entendre.

— C'est une vieille histoire. Je ne cherche pas à le défendre, mais suppose que tu te penches sur le passé de Gloria. Qu'en déduirais-tu ? Qu'elle n'est pas très nette, non ?

— Erreur. Je dirais qu'elle est fragile, qu'elle a des tendances autodestructrices, mais qu'elle n'a jamais fait de mal à personne d'autre qu'à elle-même. Qui plus est, on parle au passé, là.

TC ouvrit sa chemise cartonnée.

— Voici l'extrait de casier judiciaire de Stan. Il a été arrêté deux fois au cours de ces trois dernières années pour escroquerie. J'ai contacté le collègue qui avait procédé à l'arrestation, le lieutenant Robert Orian. Il dit que Stan est connu pour se servir de son charme et son physique avantageux aux fins de séduire des femmes fortunées. Un grand classique, quoi. II les plume autant qu'il peut et il claque l'argent au jeu. Sauf qu'il ajoute à cette arnaque vieille comme le monde sa touche personnelle.

— Laquelle ? TC hésita.

— Il ne se contente pas de les larguer. Il les casse. Il prend un plaisir sadique à les détruire. L'une de ses victimes a fait une dépression. Une autre a tenté de se suicider. On a diagnostiqué chez lui un trouble narcissique de la personnalité, doublé d'une haine maladive à l'égard du sexe féminin. Il sait comment faire souffrir une femme, Laura, et il aime ça.

— Mon Dieu !

— J'ai mené ma petite enquête, poursuivit TC. Stan doit un gros paquet d'oseille à un bookmaker réputé pour sa propension à briser les os.

Laura se dressa sur son siège.

— Sa main ?

— Fracturée. Juste un doigt, en fait. Une vilaine fracture. Il faut qu'il trouve de l'argent, et vite. Tu es sa nouvelle cible, Laura, mais je ne m'inquiète pas trop pour toi. Tu es capable de te défendre.

TC prit la photo de Stan en train d'embrasser Gloria et la lui tendit.

— Alors que Gloria ?...

Le patient lisait le Boston Globe du dimanche. Il avait une prédilection pour les journaux du dimanche. Du temps où il était étudiant, lui et ses camarades émergeaient péniblement à midi, après une soirée de samedi particulièrement mouvementée, et s'installaient devant un brunch en étalant les journaux autour d'eux. À l'heure du dîner, ceux-ci finissaient par former un revêtement de sol.

Depuis, c'était devenu un rituel.

Il tourna les pages jusqu'à ce qu'il tombe sur la rubrique des sports. D'habitude, il ne la lisait pas, ce qui ne laissait pas de surprendre son entourage. Mais, dernièrement, il avait changé d'avis.

Page 1. Un papier de Mike Logan. Le patient aimait bien Mike Logan. C'était un excellent journaliste, passionné par son boulot et par les Boston Celtics.

LES CELTICS : UN PARCOURS SEMÉ D'EMBÛCHES

 

Mon équipe - notre équipe, les gars -est en difficulté. En grande difficulté. Rappelez-vous les matches de qualification de la saison passée. Les Celtics l'avaient emporté de justesse devant les Chicago Bulls et les Détroit Pistons. Et quand je dis de justesse, ce n'est pas une figure de style. La marge d'erreur était inexistante.

Et la rencontre avec les Lakers pour le titre de champion de la NBA?? Ne nous voilons pas la face. Les Celtics auraient dû perdre. Sans le miracle de dernière minute accompli par David Baskin, les Celtics ne seraient pas en train de remettre leur titre en jeu aujourd'hui.

Oui, il y a des équipes qui montent au sein de la NBA, tandis que les Celtics, eux, sont en pleine dégringolade.

Ce n'est pas leur faute. L'accident tragique de David Baskin, ils n'y sont pour rien. Mais on ne gagne pas un championnat avec des excuses. On gagne avec une bonne équipe, un bon coach et un bon encadrement. Côté coach, pas de problème. Idem pour 1 ' encadrement de Clip Arnstein.

Mais les joueurs !

Personne ne conteste le talent du pivot Earl Roberts, le tir extérieur de Timmy Daniels ou le dribble de Johnny Dennison. Ils sont formidables. On est tous d'accord là-dessus. Seulement, sans l'Éclair blanc, c'est juste une bonne équipe. Pas une équipe d'exception. Il leur faut un grand attaquant. Mais où le trouver ?

Par le passé, Clip Arnstein, dit le Faiseur de miracles, avait toujours réussi l'impossible. Comme dégoter la perle rare parmi les nouvelles recrues. Mais cette année, même Clip reconnaît que le choix est médiocre. Un candidat libre, alors? Jusqu'ici, on n'a jamais recruté un joueur d'exception dans leurs rangs. Un échange, peut-être? Hmm. Les autres équipes ne sont pas chaudes pour filer un coup de pouce aux Celtics.

Qu'est-ce qui reste?

Vous avez tout compris. Je suis journaliste. Trouver la perle rare n'est pas dans mes attributions, Dieu merci. Clip Arnstein est un génie intemporel, et il ne le sait même pas. Mais quand on a suivi cette équipe depuis aussi longtemps que moi, on finit par croire aux miracles. Il viendra, forcément, celui qui sauvera les Celtics.

 

Le patient leva les yeux du journal. Il avait déjà sa petite idée sur la question.

— Stan Baskin est là.

La jambe de Laura fut prise d'un tremblement.

— Faites-le entrer.

Quelques secondes plus tard, Stan poussait la porte, un grand sourire aux lèvres.

— Salut, Laura.

Elle s'efforça de parler d'un ton égal.

— Entre, Stan.

Il referma la porte et vint l'embrasser sur la joue.

— Toujours aussi ravissante.

— Merci. Assieds-toi. L'interphone bourdonna.

— Oui, Estelle ?

— Ça ira si je prends ma pause déjeuner maintenant ?

— Allez-y.

— Je reviens dans une heure.

Sa jambe, se rendit compte Laura, tremblait plus que d'ordinaire. Elle fit un effort sur elle-même pour se maîtriser.

— Je voulais te parler de ton projet de galerie marchande.

— Oui ?

— Tu peux me donner quelques détails ?

— Des détails ?

— Oui. J'aimerais en savoir plus.

Stan sentit comme un changement de ton.

— Oh, il n'y a pas grand-chose à dire. Ce sera super, une fois achevé. Deux cents commerces au bas mot.

— Quelle superficie ?

— Euh... je ne sais pas encore.

— Et le choix du lieu ?

— Boston.

— Centre ?

— Bien sûr.

Laura s'adossa à son siège.

— Il n'y a pas de terrains constructibles de cette surface au centre-ville. Et il te faudra plus d'un million pour lancer le projet.

— Oui, mais...

— Qui est l'entrepreneur ?

— L'entrepreneur ?

— Le constructeur.

Le sourire de Stan vacillait comme une vieille ampoule électrique.

— J'ai oublié son nom.

— Et ton avocat a obtenu un permis de construire auprès de la mairie ?

— Euh... c'est tout comme.

— Ne t'inquiète pas pour ça. C'est Teddy Hines qui s'occupe des permis de construire au bureau du maire. Je l'appellerai pour m'assurer que tout se passe bien.

Le regard de Stan errait à travers la pièce.

— Ne t'embête pas avec ça, Laura.

— Bah, ça ne m'embête pas.

Elle se sentait plus maîtresse d'elle-même, à présent.

— Parle-moi de ta dernière affaire dans le Michigan.

— Pour ne rien te cacher, j'ai eu quelques soucis.

— Je vois, répondit-elle posément.

— Je dirigeais une usine de jouets.

— Ah oui ? Quel genre de jouets ?

— Oh, tout ce qu'il y a de classique. J'ai dû vendre.

— Et qui l'a rachetée ?

— Tu ne connais pas.

— Dis toujours.

Acculé, Stan ne savait comment réagir.

— Un ami.

— Je vois. Et comment va ton doigt, Stan ?

— Ça va mieux, merci.

— Un accident, hein ? Il haussa les épaules.

— Ce sont des choses qui arrivent.

— Claquer la portière uniquement sur le majeur, sans toucher aux autres doigts ? C'est plutôt inhabituel comme blessure.

Ils se turent, se dévisagèrent brièvement. Stan rompit le silence le premier.

— Qu'y a-t-il, Laura ? Pourquoi toutes ces questions ?

Elle prit une grande inspiration.

— J'ai eu une discussion avec TC...

— Il ne m'aime pas, je te l'ai déjà dit.

— Il m'a expliqué ce qui s'est passé entre David et toi.

Ses paroles lui firent l'effet d'une douche glacée.

— TC exagère. Ne crois pas tout ce qu'il raconte. Elle prit une chemise cartonnée sur son bureau.

— Et ton casier judiciaire ? Ça aussi, il l'a inventé ? Stan déglutit. Le passé était en train de le rattraper.

Si près du but... et maintenant cette garce le poignardait dans le dos.

— Les charges étaient truquées. Je n'ai jamais dit que j'étais un saint avec les femmes. Je le reconnais. Mais je ne les ai pas escroquées et je n'ai pas eu l'intention de les faire souffrir. Simplement, il y en a qui ne voulaient pas me lâcher. Tu sais ce que c'est, une maîtresse éconduite.

Se levant, Laura contourna son bureau.

— Peut-être, mais je ne tiens pas à prendre ce risque. Tu as tenté de profiter de moi et de ma famille. J'ai donc décidé de ne pas partager l'argent de David avec toi. Je crois qu'il n'aurait pas approuvé.

Stan serra les poings, luttant pour conserver son sang-froid.

— Très bien, Laura. Comme je l'ai déjà dit, je ne le mérite pas de toute façon.

— Une dernière chose.

— Oui?

— J'aimerais que tu nous laisses tranquilles, ma famille et moi.

Il sentit la panique le gagner.

— Tu ne parles pas sérieusement ! Que j'aie commis des erreurs dans le passé, c'est une chose. Tu l'as dit toi-même, le passé, c'est le passé. Je fais de mon mieux pour me racheter. Ne me prive pas de la seule famille que j'ai.

— Je suis on ne peut plus sérieuse.

Elle plongea la main dans le tiroir du haut pour en sortir la photo de Stan avec sa sœur.

— Et je veux surtout que tu fiches la paix à Gloria. Stan jeta un regard noir sur la photo. Une note de colère perça enfin dans sa voix.

— Comment as-tu eu ça ?

— Peu importe.

— Comment l'as-tu eu ? répéta-t-il. Laura remit la photo dans le tiroir.

— Tu n'as pas d'autres chats à fouetter, Stan ? Comme rembourser le monsieur qui t'a cassé le doigt ?

Le visage de Stan s'empourpra. Il chercha un moyen de sauver les meubles, en vain. Laura n'était qu'un numéro de plus dans la longue liste des femmes qui avaient voulu le posséder. C'était simplement sa façon de prendre le dessus. Eh bien, il était temps de renverser la vapeur. De lui montrer de quel bois il se chauffait.

— OK, Laura, tu as gagné. Je suis désolé pour tout. Crois-moi.

— Si m le dis.

Elle pivota vers la fenêtre.

— Va-t'en, maintenant.

Il se leva, se dirigea vers la porte.

— Laura ?

Elle se retourna. Ses yeux s'agrandirent à la vue du poing qui lui arrivait au visage. Elle se baissa. Le coup lui frôla la tempe. Étourdie, elle tomba à genoux.

Debout au-dessus d'elle, Stan la saisit par les pans de son chemisier. Laura s'écarta, et la fine étoffe craqua sous ses doigts.

— Oh, mon Dieu, souffla-t-il, l'enveloppant d'un regard chargé de désir. Oh, bon sang, ce que tu es bien roulée !

Elle voulut se dégager, mais il la tenait bien.

— Détends-toi, Laura, chuchotat-il. Je ne te ferai pas de mal. J'ai envie de toi depuis le jour de notre rencontre. Et tu as envie de moi. David était tout sauf un homme, Laura. Tu vas te faire baiser par un homme, un vrai, pour la première fois de ta vie.

Baissant les yeux, il défit, sa ceinture. Ce fut une erreur. Laura en profita pour lui envoyer son poing à l'aine. Stan en eut le souffle coupé. Elle se leva en trébuchant, mais elle n'alla pas loin. L'empoignant par la cheville, il l'entraîna vers le sol.

— Espèce de salope !

— Lâche-moi ! cria-t-elle.

Il obéit, avec un air d'enfant perdu.

— Mais... je croyais que tu avais envie de moi. Elle le regarda, atterrée. Il paraissait sincère. Il y avait vraiment cru.

— Je préférerais faire l'amour avec un saint-bernard.

— Sale petite allumeuse.

Elle resserra sur sa poitrine les pans de son chemisier déchiré.

— Va-t'en, Stan. Disparais avant que je ne te fasse boucler.

Il eut un sourire dément.

— Je ne te crois pas, Laura. Tu as toujours envie de moi. Avoue-le. Tu es juste jalouse de Gloria.

Elle s'éloigna en rampant.

— Tu n'es qu'une racaille. Fiche le camp d'ici. Et laisse ma sœur tranquille.

Il secoua la tête.

— Pas avant que ce ne soit fini, Laura. Elle paniqua.

— C'est fini, Stan. Va-t'en.

Il se releva, l'air pincé, et alla ouvrir la porte.

— Fini, Laura ? répéta-t-il en secouant la tête. Oh, que non !

 

Stan sortit en courant de l'immeuble. Que lui arrivait-il ? Il était à deux doigts de toucher le jackpot, et voilà qu'en l'espace de quelques minutes tout avait volé en éclats.

Enfoiré de TC.

Mais il n'y avait pas que TC dans l'histoire. C'était cette mal baisée de Laura qui l'avait planté. Pour une raison évidente. Elle se moquait de son passé. Ce n'était qu'un prétexte. La vraie raison, c'était la jalousie. Elle était furax parce qu'il fricotait avec sa sœur, pas avec elle. Sauf que, compte tenu de son récent veuvage, elle ne pouvait pas le draguer ouvertement. De quoi aurait-elle l'air ? Eh oui, se dit Stan, la belle-sœur n'était qu'un sac d'embrouilles et de désirs frustrés.

En attendant, il était dans les emmerdes jusqu'au cou. Il avait Mister B sur le dos, et aucun moyen de le rembourser. Il pouvait dire adieu au million de dollars... pour le moment, du moins. Il fallait qu'il se cache, qu'il trouve une nouvelle combine, qu'il...

Mais de quoi diable parlait-il ?

Stan sourit. La partie n'était pas finie. Loin de là. Il lui restait un atout majeur dans son jeu.

Gloria Ayars, la reine des paumées.

Il tourna le coin, trouva une cabine téléphonique et glissa une pièce dans la fente.

— Allô ? fit la voix de Gloria.

— Salut, beauté.

Elle répondit avec un tremblement nerveux, comme à son habitude : — Stan ?

— Oui, mon amour. Comment te sens-tu par cette belle journée ?

— Bien. Et toi ? risqua-t-elle.

— Scandaleusement heureux. Je suis sur un petit nuage.

— C'est vrai ?

— Évidemment. Tu es ce qui m'est arrivé de mieux depuis des années. J'ai hâte de te revoir.

— Je sors dans deux heures, annonça-t-elle avec entrain.

— Désolé, je n'attendrai pas aussi longtemps. On n'a qu'à se retrouver maintenant.

— Stan, dit-elle avec un petit rire, je travaille.

— Si on disparaissait pendant quelques jours ? Rien que toi et moi.

— C'a l'air merveilleux.

— Alors faisons-le. Trouvons-nous un coin isolé et romantique.

— Je connais un endroit comme ça.

— Où?

— La Deerfield Inn. Une petite auberge campagnarde à une heure et demie d'ici.

— C'est parfait.

— Mais, Stan, je ne peux pas partir tout de suite. J'ai du boulot, moi.

Il ne cacha pas sa déception.

— J'aurais tant aimé passer quelques jours avec toi. En tête-à-tête, pour explorer nos sentiments.

— Ça ne peut pas attendre ce soir ? Il hésita.

— Oh, si. Je n'aurais pas dû te mettre la pression. Pardonne-moi. Je me suis laissé emporter pour avoir vécu une nuit magique avec toi. Mais tu n'es pas obligée d'éprouver la même chose.

— J'éprouve la même chose, le rassura-t-elle. Gloria réfléchit un instant, enroulant le fil du téléphone autour de ses doigts.

— Oh, et puis pourquoi pas ? Allons-y. Il rit presque de sa crédulité.

— Tu es sûre ?

Elle sourit, ravie de sa décision.

— Certaine. Je vais juste prévenir Laura...

— Non, l'interrompit-il. Je voudrais qu'on garde notre petit secret. Ça n'en sera que plus spontané et romantique.

— Mais elle va s'inquiéter.

— Laisse-lui un mot pour l'informer que tu t'absentes plusieurs jours. Sans donner de détails.

Il y eut un silence.

— Oui, je peux faire ça. Mais...

— Super. Je passe te prendre dans dix minutes. Gloria ?

— Oui?

— Je le sens vraiment bien, tu sais.

— Moi aussi, Stan.

 

Fermant à clé la porte de son bureau, Laura passa à côté, dans son cabinet de toilette privé, se déshabilla et entra dans la douche. À moitié hébétée, elle avait encore du mal à croire à ce qui venait d'arriver. L'incident lui-même paraissait irréel. Stan l'avait-il agressée pour de bon ou l'avait-elle seulement rêvé ?

Une fois douchée et séchée, elle jeta son chemisier déchiré à la poubelle et sortit des vêtements de rechange qu'elle gardait dans le placard. Elle s'assit sur le tabouret, les bras repliés autour d'elle. Sa jambe tressautait.

Aide-moi, David. J'ai tant besoin de toi. Reviens, s'il te plaît, et dis-moi ce que je dois faire.

Ses yeux débordèrent. Sa confrontation avec Stan avait viré au cauchemar. Qu'allait-elle dire à Gloria ?

Le type avec qui tu as couché la nuit dernière est la pire ordure à avoir jamais foulé le sol terrestre. À côté de lui, tes ex-petits amis ressemblent à Gandhi.

Quelques semaines plus tôt, Laura aurait juré que plus jamais Gloria ne ferait confiance à un homme. À la lumière de ses expériences passées, elle était convaincue que les hommes ne cherchaient qu'à abuser d'elle. Elle devait être vraiment mordue pour avoir baissé la garde devant Stan Baskin.

Que faire ?

La solution lui apparut soudain. Elle allait appeler la psychiatre de Gloria, le Dr Jennifer Harris. Depuis le début, Gloria avait tenu à ce que Laura soit impliquée dans sa thérapie. Et, après avoir reçu les deux sœurs ensemble, le Dr Harris avait accepté.

Passé les quelques politesses d'usage, Laura lui raconta toute l'histoire, depuis l'apparition de Stan à l'enterrement jusqu'à son départ en trombe de son bureau.

Lorsqu'elle eut terminé, le Dr Harris resta silencieuse un moment.

— Gloria m'a parlé de Stan Baskin, dit-elle finalement. Vous avez raison. Je crois qu'elle est très éprise de lui.

— Que dois-je faire ? questionna Laura.

— Depuis sa dépression, Gloria ne s'est pas risquée à entamer une relation avec un homme. Si elle a franchi le pas, elle ne l'a pas fait à la légère. Elle doit être très angoissée à l'heure qu'il est ; elle se demande si elle a fait le bon choix. Mais comprenez bien ceci, Laura : si elle n'était pas à cent pour cent sûre des sentiments de Stan Baskin à son égard, elle n'aurait pas pris ce risque. Autrement dit, dans son esprit, il n'y avait pas de danger.

— Mais c'est une ordure, docteur.

— Ce n'est pas vraiment un terme médical, mais je vois ce que vous voulez dire. Vous marchez sur des œufs, Laura. Vous ne pouvez pas faire irruption dans le bureau de Gloria pour lui annoncer que l'homme qu'elle aime est un salaud.

— Mais je ne peux pas non plus rester les bras croisés et la laisser s'engluer dans cette histoire. Il faut que je lui dise la vérité.

— Oui et non.

— Je ne comprends pas.

— Vous pouvez manifester votre désapprobation, mais sans trop insister. Et surtout, sans entrer dans les détails.

— Pourquoi ?

— Parce que si Gloria est vraiment tombée amoureuse de cet homme, elle ne vous écoutera pas. Elle se retranchera, s'isolera de vous, et, au lieu de l'éloigner de Stan, vous la pousserez encore plus dans ses bras.

— Alors je fais quoi ?

— Vous pouvez l'aider, Laura, mais, au bout du compte, Gloria doit gérer cette situation toute seule. Nous ne pouvons lui imposer un point de vue qu'elle refuse d'entendre.

Laura réfléchissait aux propos du Dr Harris.

— Gloria peut être très têtue, concéda-t-elle.

— En effet.

— Mais je dois faire quelque chose.

— Je suis d'accord avec vous. Simplement, allez-y avec discernement, Laura. Ne videz pas votre sac d'un seul coup. Aidez-la à entrevoir la vérité par elle-même. Et amenez-la-moi le plus vite possible.

— OK. Merci, docteur.

— Laura ?

— Oui?

— Comment ça va, ces derniers temps ?

— Très bien.

— Pas de questions dont vous aimeriez discuter ?

— Rien. Tout baigne. Un lourd silence suivit.

— J'ai une heure de libre à midi, dit enfin le Dr Harris. Si vous passiez me voir pour bavarder ?

— Ce n'est pas la peine...

Laura déglutit. Ses mains tremblaient.

— C'est gentil, Jennifer. Merci.

— À tout à l'heure, Laura.

Laura raccrocha, sortit dans le couloir et se dirigea vers le bureau de Gloria. Au moment où elle arrivait à sa porte, elle entendit : — Laura ?

La secrétaire de Gloria.

— Oui ?

— Gloria n'est pas là.

— Où est-elle ?

La femme haussa les épaules en souriant.

— Elle vient de partir, toute pimpante. Elle vous a laissé un mot.

Laura déchira l'enveloppe. Laura,

Je pars jusqu'à lundi. Ne t'inquiète pas pour moi. Je vais bien. Je te rappellerai à mon retour. Je t'aime.

Sans un adieu
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