Un ami P.-S. : Regardez sous votre oreiller.

 

La gorge nouée, elle s'approcha du lit et alluma la lampe de chevet. L'éclat soudain la fit cligner des yeux. Elle relut le message et souleva son oreiller.

Son hurlement perça le silence de la nuit.

Dans la lumière vive, elle lut l'inscription sur l'anneau de David.

1989, CHAMPIONS NBA : BOSTON CELTICS

 

Du sang, tellement de sang. « Maman ! Maman !

Sors d'ici, Gloria ! Sors d'ici tout de suite ! » Tellement de sang. Du sang partout.

Gloria hurla.

Elle se redressa d'un coup et ouvrit les yeux, pantelante.

— Gloria... Gloria, qu'est-ce qu'il y a? murmura Stan en se réveillant.

Il la prit dans ses bras et la sentit trembler contre lui.

— Là, là, chérie, c'est fini.

Elle avait le regard d'un animal pris au piège.

— Tu as fait un cauchemar ?

Elle hocha la tête et s'efforça de respirer plus calmement.

— Tu veux me raconter ?

Elle acquiesça de nouveau mais resta silencieuse pendant une bonne minute.

— Tu n'es pas obligée de m'en parler si tu ne veux pas, dit-il.

— Si... mais, je ne sais pas par où commencer... Elle hésita, la voix chevrotante.

— Ce n'est pas la première fois que je fais ce rêve. Quand j'étais petite, il revenait très souvent. Je me réveillais en hurlant et je ne pouvais plus m'arrêter. Mes parents venaient dans ma chambre pour essayer de me calmer. Ils me berçaient et me parlaient, mais ça ne servait à rien. Seule Laura réussissait à me consoler. Elle se glissait dans mon lit et me tenait la main pour que je me rendorme.

Stan lui sourit gentiment.

— Tu crois que je pourrais remplacer Laura cette nuit?

— Possible, répondit-elle en lui rendant son sourire. Bon Dieu, qu'elle était belle. Son corps si mobile, souple, délié, apparaissait à travers la fine étoffe de son déshabillé. Gloria l'excitait comme aucune autre femme au monde, excepté sa petite sœur. Et ça, amis et fans du bon vieux Stan, c'était la raison pour laquelle il restait. Il s'en était rendu compte la veille. Mister B avait tout faux : Stan n'était pas amoureux de cette fille. Non, mais c'était un coup d'enfer et, plus important, la reine des paumées constituait un barreau de l'échelle menant à son but ultime : baiser la sublime Laura Ayars-Baskin.

Mais il avait beau se le répéter, Stan savait qu'il se mentait à lui-même. Que ça lui plaise ou non, il était attaché à Gloria.

— Raconte-moi ton rêve, reprit-il.

La jeune femme baissa la tête et l'agrippa plus fort.

— Je ne m'en souviens pas très bien. Tout ce que je vois, c'est du sang.

— Du sang ?

— Oui. Dans le rêve, je suis une fillette de cinq ou six ans. À l'époque, nous n'avons pas encore déménagé à Boston et vivons dans une petite maison en banlieue de Chicago. C'est la nuit. Je traverse le couloir quand j'entends du bruit dans la chambre de mes parents. Je m'approche, je tourne la poignée de la porte et...

— Et?

Gloria secoua la tête.

— Je me mets à hurler et je me réveille toujours avant de savoir ce qui se passe. Tout ce que je vois, c'est du sang. Du sang qui coule et qui suinte de partout. Et quelqu'un regarde avec une affreuse grimace et...

— Chut, c'est fini, maintenant.

Inspirant profondément, elle se força à sourire.

— Ça paraît dingue, hein ?

— Pas du tout. On a tous nos terreurs enfantines. Elle se redressa et le regarda.

— Toi aussi ?

— Bien sûr, même si ce n'est pas vraiment un cauchemar.

— C'est quoi ?

— Il m'est arrivé une chose très étrange quand j'avais dix ans.

— Quoi ?

Les yeux rivés au plafond, Stan se demanda pourquoi il s'apprêtait à révéler à Gloria un secret qu'il avait gardé cadenassé en lui pendant presque trente ans... surtout au moment où il venait de se convaincre qu'elle ne comptait pas pour lui. Il s'était juré de ne jamais raconter ça à quiconque. Jamais. Mais David était mort. Tout comme leur mère. Comment la vérité pourrait-elle encore le faire souffrir ? Il contempla Gloria pendant un long moment sans rien dire. Puis : — J'ai vu mon père se faire assassiner. Gloria tressaillit.

— Mais... Mais David avait dit que...

— Qu'il s'était suicidé ? Je sais. C'est ce que tout le monde croit. Mais c'est faux. Mon père a reçu une balle dans la tête, puis on lui a fourré le pistolet dans la main pour faire croire à un suicide.

Toute couleur reflua du visage de Gloria.

— Mais... je ne comprends pas. Comment l'assassin s'en est-il sorti ?

— Très simple. Personne ne m'a vu. J'étais caché derrière le canapé. J'aimais bien aller jouer dans le bureau de mon père, même si ça le rendait dingue. Il piquait des colères noires quand j'entrais en douce et que je dérangeais ses précieux papiers avec mes jeux. Donc, en l'entendant arriver, je me suis planqué derrière le canapé. Mais j'ai tout vu. J'ai vu le pistolet pressé contre son crâne. J'ai vu le sang gicler de sa tête. Jamais je n'oublierai ces images, Gloria. Jamais.

— Tu n'en as parlé à personne ? Pourquoi ?

— Si je le savais... Au début, j'étais sous le choc. Et aussi mort de trouille.

— À cause de quoi ?

— De l'assassin. J'avais peur qu'il ne vienne me tuer à mon tour. En plus, je crois que la police connaissait la vérité sur ce meurtre.

— Mais pourquoi... ?

— En raison de pressions de la direction du collège universitaire. Mon père enseignait à Brinlen.

— Brinlen ? Nous habitions tous près, autrefois.

— Ça se trouve bien dans la banlieue de Chicago, acquiesça Stan. Et Brinlen était un de ces établissements huppés pour les rejetons de la grande bourgeoisie. Un suicide aurait déjà causé un scandale de tous les diables, alors un meurtre ! L'image du collège en aurait pris un coup.

— Je ne sais pas quoi dire, murmura Gloria.

— Ne dis rien. Et je t'en prie, surtout, garde ça pour toi.

— Promis, souffla-t-elle. Stan, je peux te poser une question ?

— Bien sûr.

Elle lui caressa tendrement les cheveux.

— Tu as reconnu l'assassin ? Je veux dire : tu le connaissais ?

— Non, mais je me rappelle encore son visage. Stan ferma les yeux. Oh oui, il se rappelait le visage grimaçant qui hantait encore ses rêves. Il était sûr de ne jamais le revoir.

En quoi il se trompait.

 

— Récapitulons, déclara le plus grand des deux policiers qui avaient répondu à l'appel de Laura.

D'une maigreur peu commune, la pomme d'Adam saillante, il présentait une singulière ressemblance avec Ichabod Crâne, l'enquêteur de Sleepy Hollow.

— Vous vous étiez absentée pendant deux jours, exact ?

— Oui.

— Vous êtes revenue en taxi de l'aéroport. Vous avez pris l'ascenseur, traversé le couloir jusqu'à votre porte. Elle était fermée à clé ?

— Oui.

— OK, porte verrouillée, inscrivit-il dans son calepin. D'où veniez-vous, madame Baskin ?

— Qu'est-ce que ça peut faire ?

— Eh bien...

Une voix l'interrompit :

— Je m'en occupe, Sleepy. Le policier fit volte-face.

— Salut, TC, comment vas-tu ?

— Pas mal. Qu'est-ce qui se passe, ici ?

— Il y a eu une effraction.

— Tu permets que je prenne le relais ? Sleepy haussa les épaules.

— Je t'en prie. Joe est dans la pièce d'à côté. On a tout vérifié. Pas d'empreintes. C'est assez bizarre. Quelqu'un est entré, a allumé le magnétoscope...

— Merci, Sleepy. Je vais repartir de là.

TC lança un coup d'œil à Laura. Elle l'observait, le regard brillant de colère.

— Comme tu veux, dit Sleepy. Joe, on y va ! criat-il.

Joe sortit de la chambre, et les deux policiers prirent congé, laissant TC et Laura seuls dans l'appartement. Aucun ne dit mot. TC regardait la porte close ; Laura n'avait pas bougé d'un pouce. Au bout d'un moment, il se tourna vers elle.

— Tu ne me fais plus confiance, n'est-ce pas, Laura ?

Elle tenta de dissimuler sa panique.

— Je devrais ?

— Je regrette, dit-il. Je regrette vraiment. Il sortit un cigare de sa poche.

— Tu permets ? Elle hocha la tête.

— Bon. Que s'est-il passé ici ?

— Quelqu'un est entré chez moi.

— Et?

— C'est tout.

— Écoute, Laura, je finirai par savoir. Ne serait-il pas plus simple que tu me racontes ?

Elle continuait de le dévisager.

— Je me suis absentée quelques jours. À mon retour, le magnétoscope était allumé et passait le dernier match joué par David.

— La cassette marchait ?

— Oui.

— Donc, la personne qui est entrée a tout calculé. Elle savait précisément à quelle heure tu allais revenir.

— Logique, admit Laura.

— Qui était au courant de ton emploi du temps ?

— Personne.

— Tu es sûre ?

— Uniquement Serita.

— Bon, on peut l'exclure. Où étais-tu, d'ailleurs ?

— En voyage d'affaires.

TC soutint son regard un long moment.

— Tu n'as vraiment plus confiance en moi, Laura ?

— Je ne sais plus que croire.

— Penses-tu sincèrement que j'aie pu faire du mal à David ?

Laura hésita ; les interrogations les plus folles se bousculaient dans son esprit.

— Non, je ne crois pas, finit-elle par répondre.

TC poussa un profond soupir. Le soulagement se lisait sur ses traits.

— Alors, où étais-tu ?

— En Australie.

— Je sais.

— Tu sais ? Comment as-tu... ?

— J'ai mes sources, expliqua-t-il.

— TC, lui demanda-t-elle d'une voix lente. Crois-tu que David ait été assassiné ?

Elle reçut la réponse comme un coup de poignard dans le cœur.

— Oui.

— As-tu tué mon mari ?

— Non.

— Alors, qui ?

TC traversa la pièce et alla regarder par la fenêtre.

— Je ne sais pas. Du moins, pas encore.

— Tu veux dire que tu es près de trouver ?

— J'étais beaucoup plus près avant que tu n'ailles mettre le bazar en Australie.

— Comment sais-tu cela ? demanda une nouvelle fois Laura.

— Enfin, Laura, ouvre les yeux. Tu joues dans une autre division, là. Tu t'imagines que je suis le seul à être au courant de ton voyage ? Tu t'imagines que celui qui s'est introduit chez toi est un amateur ?

— Comment l'as-tu découvert ? insista-t-elle.

— Crois-moi, ça n'a pas été difficile pour moi, et pas non plus pour eux. Je te le répète, tu ne boxes plus dans ta catégorie. Alors, arrête de jouer et raconte-moi ce que tu as appris là-bas.

Laura le regarda un bref instant, puis tout sortit d'un coup. Elle ne garda rien pour elle. Si TC était lié à la mort de David, elle se moquait de ce qui pourrait se passer. Mais il n'avait pas tué David. Elle en était sûre. Personne ne pourrait jouer aussi bien la comédie. Bien sûr, elle s'était laissé abuser par Stan. TC, elle le connaissait depuis des années et l'avait vu avec David en d'innombrables circonstances. Jamais il ne lui aurait fait de mal. Non, son étrange comportement s'expliquait certainement par sa volonté de la protéger - non pas par le souci de dissimuler un complot mortel.

Se confier, partager ses secrets et ses peurs, se reposer un tant soit peu sur TC lui faisait du bien.

Lorsqu'elle eut tout raconté, elle lui tendit l'anneau trouvé sous son oreiller.

— Tu l'as montré à Sleepy ou à Joe ? s'enquit TC.

— J'allais le faire, mais je me demandais si c'était une bonne idée. Qu'est-ce que ça veut dire ?

TC écrasa son cigare et s'assit. Tel un bijoutier évaluant un diamant, il examina l'anneau.

— Il y a certaines choses, commença-t-il, que je ne veux pas te dire. Il vaut mieux que tu les ignores.

— Comme quoi ?

— Je t'en prie, Laura, laisse tomber.

— Pourquoi tu ne m'as pas dit que David avait été assassiné ?

— Je ne voulais pas que tu souffres davantage.

— En me mentant ?

— En te protégeant, corrigea-t-il. Laura, regarde ce que ces types sont capables de faire ! Ils avaient même minuté ton retour dans ton appartement. À quoi cela aurait-il servi de t'en parler ? Tu as déjà mis ta vie en danger, et en plus tu as fait fuir le meurtrier. Je voulais leur faire croire qu'ils ne risquaient plus rien. C'est comme ça qu'ils commettent des erreurs.

— Qu'essaies-tu de me dire ?

— Reste à l'écart de tout cela.

La voix de Laura n'était plus qu'un murmure.

— Je ne peux pas.

— C'est pour ton bien.

— Je me fiche...

— De toi-même ? l'interrompit TC. David, lui, ne s'en serait pas fichu. Il n'aurait pas voulu qu'il t'arrive quoi que ce soit. Il t'aimait, Laura. Il m'avait fait promettre de veiller sur toi.

Elle ferma les yeux et tourna la tête pour le faire taire. En vain.

— Et ta famille ? Tu voudrais la mettre en danger, elle aussi ?

Laura se rappela le message scotché sur le téléviseur.

— Tu penses vraiment que le tueur...

—... s'en prendrait à eux ? Ces gars-là ne plaisantent pas, Laura. Tuer fait partie de leur métier.

— Mais pourquoi ? Pourquoi ont-ils assassiné David ?

— Je ne sais pas. Mais j'ai bien l'intention de le découvrir.

 

Graham Rowe alluma le ventilateur. Bon Dieu, quelle chaleur ! Vivant à Palm Cove, il avait l'habitude des températures élevées, mais aujourd'hui le thermomètre battait des records.

Il se cala dans son fauteuil et parcourut des yeux son bureau. La paperasse s'accumulait, et il détestait le boulot administratif. Il jeta un coup d'œil à ses fusils, à la cellule vide : n'importe quoi pour échapper à la corvée.

Se sentant poisseux, il tira sur sa chemise humide, qui émit un bruit de ventouse en se recollant à son torse. Il avait désespérément besoin d'une douche. Et s'il repassait chez lui en vitesse pour se changer ? Ensuite, il serait d'attaque pour affronter toute la paperasserie de la semaine.

Il se leva à moitié, sourit puis se rassit. Tu n 'as pas honte, espèce de flemmard ? Comme si ça allait changer quoi que ce soit... tes vêtements propres seront tout aussi trempés avant même que tu aies atteint la voiture.

En soupirant, Graham prit la pile des permis de pêche, et il commençait à les feuilleter quand le téléphone sonna.

— Bureau du shérif.

— Graham ?

Il reconnut aussitôt la voix de Gina Cassler.

— Comment ça va, Gina ?

— Tu fais aussi réceptionniste ?

— Ce n'est pas un hôtel ici, mon chou. Quoi de neuf?

— Nous devrions avoir les formulaires de passeport dans un jour ou deux, mais mon neveu a été efficace. J'ai les factures téléphoniques sous les yeux.

Un frisson d'excitation le parcourut.

— Des appels vers les États-Unis ce soir-là ?

— Oui. Et passés de l'appareil du hall exactement à l'heure.

— Bon sang de bonsoir, marmonna Graham. Coinçant le combiné contre son épaule, il attrapa ses clés de voiture.

— J'arrive.

 

Sans un adieu
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