Chapitre 21
Laura avait déjà salué les anciens coéquipiers de David, à grand renfort d'accolades et de mots aimables. Toute l'équipe était là, sauf Clip et sa mystérieuse nouvelle recrue. Laura avait encore du mal à croire à ce qu'elle avait vu et comprenait ce qu'Earl lui avait dit. Il y avait chez ce Seidman quelque chose de profondément déroutant : son jeu - techniquement si comparable à celui de David, mais sans une once d'émotion. Or c'était l'émotion qui poussait David à donner le meilleur de lui-même. Il se nourrissait de son affection pour ses coéquipiers et de son amour du jeu. Cela se voyait sur son visage à chaque tir, à chaque passe, à chaque rebond. Mark Seidman, lui, semblait guidé par des motivations abstraites et impersonnelles. On aurait dit un guerrier tentant de survivre à la plus infernale des batailles pour pouvoir simplement rentrer chez lui.
Cependant, et on y revenait toujours, il avait beaucoup de points communs avec David. Il avait pris sa place dans la sélection, jouait au même poste, affichait la même concentration sur le terrain et, surtout, maîtrisait le fameux tir en suspension. Avec Seidman comme avec David, le ballon semblait flotter vers l'anneau, guidé par quelque main invisible. Laura n'arrivait pas à le quitter des yeux. Chacun des mouvements de Mark Seidman la remuait au plus profond d'elle-même. Il avait tant de David. De son beau, de son merveilleux David. Maintenant encore, elle en tremblait.
Voyant Clip pénétrer dans la salle, elle tenta de chasser de ses pensées le nouveau joueur. Le patron des Celtics lui adressa un sourire un peu triste... le sourire réconfortant d'un vieil ami. Elle s'avança à sa rencontre puis se figea.
Mark Seidman venait d'entrer juste derrière.
Pour une raison inexplicable, Laura se sentait obligée de regarder ailleurs.
Clip prit Seidman par le bras et l'escorta à travers la pièce, le présenta aux Ayars, à Serita, à TC. Puis le guida jusqu'à elle.
— Laura, voici Mark Seidman. Mark, je te présente Laura Baskin.
Laura releva lentement la tête. Elle eut l'impression de recevoir un coup en pleine poitrine. Aussitôt, elle détourna les yeux, et il fit de même. Mais, en cette fraction de seconde, elle avait lu dans son regard une douleur indicible.
— Félicitations pour votre match, réussit-elle à dire.
— Merci, répondit-il d'une voix douce. Je suis désolé pour votre mari.
Ils se serrèrent la main. Le visage de Mark rougit à ce contact.
— Si vous voulez bien m'excuser.
Clip voulut le retenir, mais Mark lui échappa et s'éloigna.
— Que vous dire ? s'excusa Clip, embarrassé. Mark est d'une timidité maladive.
— Earl m'en a parlé.
— Un type vraiment bizarre. Mais un bon joueur. Laura hocha la tête. Clip la laissa pour aller rejoindre les entraîneurs des Celtics.
Ce fut alors que Stan s'avança vers elle d'une démarche titubante.
Après avoir avalé plusieurs bières au cours du match, il traînait autour du bar bien garni depuis le début de la réception. Manifestement, ivre, il tenait à peine debout. Laura eut beau fouiller la pièce des yeux, Gloria n'était nulle part en vue.
Arrivé près d'elle, il lui passa le bras autour des épaules, se pencha et l'embrassa.
— Toujours aussi bandante, Laura.
— Connard, susurra-t-elle.
— Tout doux, c'était juste un petit baiser sur la joue.
— Qu'est-ce que tu veux ?
Stan vacilla puis se redressa. Le bras toujours passé autour du cou de Laura, il l'attira plus près de lui.
— Ce que tu peux être désagréable ! On ne te l'a jamais dit ?
— Tu es ivre.
— Sans blague ! Je suis ivre, et alors ? Ça devrait m'empêcher de venir voir comment va ma petite belle-sœur ? Tu ne peux même pas être polie dans une circonstance aussi tragique ?
Laura gloussa amèrement.
— Pour un dollar, tu cracherais sur la tombe de David.
— Même pour la moitié, marmonna-t-il.
Laura eut bien envie de le frapper, comme le jour où il l'avait agressée dans son bureau, mais le lieu était mal choisi pour faire une scène.
Prenant sur elle, elle plaqua un sourire sur son visage.
— Lâche-moi, sale porc.
— J'ai une bonne nouvelle pour toi, Laura. Le mystère est sur le point d'être résolu.
— Où est Gloria ?
— Partie se repoudrer le nez. Mais écoute-moi. C'est fini. Ce soir.
Il tanguait d'avant en arrière.
— Je n'ai plus besoin de ton fric ni de celui de ta frangine.
— Je ne sais pas de quoi tu parles et je m'en fiche. Va-t'en, c'est tout ce que je te demande.
— Sois patiente. C'est fini. Je m'en vais.
— Ravie de t'avoir connu. Adieu. Stan sourit, les yeux injectés de sang.
— Tu n'oublies pas un petit détail ?
— Quoi donc ?
— Gloria ?
— Et alors ?
Il haussa les épaules et faillit vaciller sous l'effort.
— Elle m'aime, tu sais. Je peux la laisser tomber en douceur, en lui racontant que je ne suis pas assez bien pour elle et ce genre de conneries. Ou alors, je peux la détruire, lui dire que je me suis servi d'elle, qu'elle n'est qu'une pute.
Malgré la rage qui montait en elle, Laura parvint à conserver un air serein.
— Si tu fais ça, dit-elle d'un ton égal, je te tuerai. Je le jure.
— Des menaces, Laura ? Je te pensais plus maligne.
— Que veux-tu ? Je croyais que tu n'avais plus besoin d'argent. Et c'était quoi, ce cirque, avant le match ?
— Patience, ma petite fleur. Tu as raison sur ce point : je n'ai plus besoin de ton argent.
— Dans ce cas, pourquoi ne pas laisser ma sœur tranquille ?
— Rien ne me ferait plus plaisir. Mais la vie n'est pas si simple. D'abord, tu dois faire quelque chose pour moi.
Stan la saisit par l'épaule et l'obligea à le regarder.
— Quoi ?
— Coucher avec moi. Si tu acceptes, je ne ferai aucun mal à ta sœur.
Prise d'un haut-le-cœur, Laura se rendit compte soudain que les apparences pouvaient être trompeuses. Stan et elle se souriaient, face à face, en pleine intimité. Autour d'eux, les gens devaient les prendre pour un couple heureux et séduisant...
Sauf Mark Seidman. Pour la première fois de la soirée, Laura vit son masque se fissurer. Il se tenait derrière eux, non loin de Stan, les traits déformés par une grimace de haine. Mais pourquoi ?
— Alors ? reprit Stan, l'haleine chargée d'alcool. J'attends.
Laura reporta son regard sur lui.
— Tu es ivre.
— Tu te répètes. J'attends toujours ta réponse.
— Va te faire foutre. Stan secoua la tête.
— Pas très malin de ta part, Laura. Tu devrais y réfléchir d'abord.
— Réfléchis plutôt à ça, Stan : tu es l'être le plus répugnant que j'aie jamais rencontré. Je te déteste.
— Sais-tu pourquoi ta me détestes ?
— Tu veux la liste complète de mes raisons ? Il éclata de rire.
— Laura, pourquoi continuer à te mentir à toi-même ? Pourquoi ne pas admettre que je te plais ? Tu me désires, mais tu te sens coupable. Tu as l'impression de trahir David. Comment compenser ça ? En créant cette affreuse illusion, une illusion que tu peux haïr.
— Tu es malade, Stan, rétorqua Laura. Quand je t'ai vu avec Gloria ce soir, j'ai eu la bêtise de penser que tu tenais à elle. Mais je n'oublierai pas la vérité. La vérité, c'est que tu n'es qu'une merde.
— Peut-être, mais une merde qui obtiendra de toi ce qu'elle voudra.
— Jamais.
— Ah, Laura, tu cèdes une fois de plus à tes émotions. Ne t'ai-je pas déjà mise en garde ? Dis-toi qu'il s'agit d'une décision pragmatique. Si tu couches avec moi ce soir, je disparaîtrai pour toujours. Pour Gloria, je ne serai plus qu'un agréable souvenir. Si tu refuses, je la détruirai. Penses-y, Laura. Que vaut pour toi la vie de Gloria ? Compte-t-elle moins que ta chasteté de veuve?
Laura ne répondit pas, mais le petit sourire satisfait de Stan lui labourait le cœur.
— Je vois que tu commences à y réfléchir rationnellement. Une nuit, et je disparais. Rien ne t'empêchera de fermer les yeux. En revanche, bien sûr, si ton corps s'aperçoit qu'il en redemande, je pourrais rester un temps avec toi. Ce sera notre petit secret.
Laura ravala sa bile, sans croire elle-même à ce qu'elle s'apprêtait à lui demander.
— Qu'est-ce qui me prouve que tu partiras vraiment ?
Le sourire de Stan s'élargit. Elle avait mordu à l'hameçon.
— Tu ne me fais pas confiance ?
— Absolument pas.
— Eh bien, il va pourtant falloir, chérie. La vie est un pari. Tu devras faire un choix et l'assumer. Dans tous les cas, je pars demain. Si tu retrouves Gloria dans les toilettes, les poignets tailladés, tu sauras que tu as pris la mauvaise décision.
À l'autre bout de la salle, Laura repéra sa sœur.
— Je te retrouve chez toi à minuit, chuchota Stan.
Il s'éloigna en chancelant pour aller rejoindre Gloria qui s'illumina en le voyant. Sa sœur était follement amoureuse de ce sale type. Elle ne pouvait rien y faire.
David était mort. Elle était arrivée trop tard pour le sauver. En revanche, Gloria était bien vivante.
Et elle, Laura pouvait encore la sauver.
En voyant Laura et Stan, Mark bouillait de rage. Il n'en croyait pas ses yeux. Pourquoi TC ne lui avait-il pas dit que Stan était à Boston ? La réponse était évidente : maintenant que David Baskin était mort, Mark Seidman n'était pas en droit de savoir quoi que ce soit.
Une voix qu'il connaissait l'arracha à sa fureur.
— Excusez-moi...
Mark pivota et se retrouva face à une grande femme aux cheveux auburn. Judy Simmons. Il s'était attendu à ce qu'elle assiste à la cérémonie et le redoutait. La brillante tante de Laura était la seule en mesure de découvrir ce qui était vraiment arrivé à David Baskin.
— Oui, madame...
Il feignit d'avoir oublié son nom.
— Simmons, compléta Judy. Judy Simmons. Je suis la tante de Laura Baskin.
— Oui, bien sûr.
Elle le dévisagea un long moment.
— Je voulais juste vous complimenter sur votre jeu de ce soir, monsieur Seidman.
— Merci.
— Où avez-vous appris à jouer comme ça ? Mark haussa les épaules.
— Ici et là.
— Eh bien, félicitations. Je n'avais jamais vu une telle performance lors d'une première sélection.
Elle s'interrompit et plissa les yeux.
— Votre visage m'est familier, monsieur Seidman. Nous sommes-nous déjà rencontrés ?
— Je ne crois pas.
— C'est drôle, je suis sûre de vous avoir déjà vu. Avez-vous fréquenté le Colgate Collège ?
— Non.
— J'ai peut-être connu votre mère. Oui, sûrement. Seidman... même votre nom me dit quelque chose.
— Ma mère est décédée il y a très longtemps.
Une fois encore, Judy le disséqua du regard. Elle avait remarqué sa réaction en découvrant Laura et Stan ensemble, mais cette fois, il demeura de marbre.
— Je suis désolée.
— Si vous voulez bien m'excuser, madame.
Judy ne le quitta pas des yeux alors qu'il lui adressait un faible sourire, hochait la tête et se dirigeait vers la sortie.
Impossible, se dit-elle. Calme-toi. Mark Seidman n'est qu'un nouveau jeune prodige sportif. Rien de plus. Arrête ton cinéma.
Mais elle savait qu'elle essayait de se leurrer elle-même.
La démarche erratique, Stan traversa le couloir vide du Boston Garden pour se rendre aux toilettes du dernier étage. Il n'en était pas à sa première cuite, loin de là, mais ce soir il se sentait malade, incapable de se contrôler. La tête lui tournait comme un 78-tours sur un vieil électrophone. Il lui semblait avoir la gorge emplie de sable. Et son estomac..., bon sang, son fichu estomac semblait bourré d'explosifs.
Il se regarda dans le miroir, la gorge nouée par la peur. L'alcool n'était pas le seul responsable de son état. Jamais de sa vie il ne s'était senti aussi terrifié, alors même qu'une occasion extraordinaire venait de se présenter à lui. Du fric. Autant qu'il en voudrait. Autant qu'il en avait besoin. À portée de main. Il allait exiger cent mille tout de suite, puis réclamerait des rallonges chaque fois qu'il le jugerait nécessaire. Il pourrait satisfaire toutes ses lubies...
... à condition de serrer la main du diable.
Stan s'écarta du miroir. Parfois, il se comportait comme un imbécile, surtout quand il s'agissait de Laura. Quand apprendrait-il à fermer sa grande gueule ? Peut-être devrait-il lui présenter des excuses ? Non, inutile. Elle se contenterait de lui cracher dessus. Pourquoi agissait-il toujours ainsi ? Pourquoi replongeait-il au fond du trou alors qu'il était sur le point d'en sortir ? Il avait trop bu, il avait vu Laura, et son désir de se venger de David avait repris le dessus. Le pauvre type était mort. Pourquoi, confronté à la beauté de Laura, sa vieille haine refaisait-elle toujours surface ?
Il défit sa braguette et s'approcha de l'urinoir. À la vérité, il n'avait pas encore envie de prendre le large. Il pouvait très bien récupérer l'argent et garder Gloria... même si ça risquait de devenir compliqué. Après tout, sa source financière faisait partie de la famille.
Oui, il pensait au chantage, purement et simplement. Mais il n'allait pas s'en prendre à n'importe qui.
Il ferait chanter l'assassin de son père.
Il s'agrippa au bord de l'urinoir pour ne pas chanceler. Ses vêtements imbibés de sueur lui collaient désagréablement à la peau. Après toutes ces années, il venait enfin de revoir la personne qui avait tué son père. La plupart des fils auraient crié vengeance. Ils en auraient appelé à la justice divine, auraient réclamé du sang, la mort. Mais pas Stan. Trop d'années avaient passé pour qu'il joue les redresseurs de torts. De plus, il n'avait jamais été un adepte de la violence. Il pourrait aller trouver les flics, mais qui le croirait ? Qui prêterait foi à la parole d'un homme ayant attendu trente ans pour affirmer avoir été le témoin du meurtre de son père ? Avec un casier judiciaire comme le sien ? La bonne blague.
Non, il lui faudrait prendre une revanche à sa façon contre l'assassin de son enfance heureuse. Il l'obligerait à vivre dans la peur permanente d'être dénoncé... et réaliserait du même coup un joli profit.
Une vague de nausée le submergea. Sur le point de vomir, il tituba vers la cabine, se cognant l'épaule contre la paroi métallique. S'il avait été sobre, il se serait sûrement rendu compte d'une douleur sourde dans l'omoplate. Heureusement, l'alcool l'anesthésiait. Stan tomba à genoux, saisit le rebord de la cuvette et attendit.
Ce fut alors qu'on l'attrapa par les cheveux.
— Putain, qu'est-ce... ?
La fin de sa phrase se noya dans l'eau glacée. La tête de Stan s'enfonça dans la cuvette et s'écrasa contre le fond. Paniqué, il tenta de se débattre, mais ne réussit pas à se libérer de la main de fer qui le tenait en étau.
— Espèce d'ordure !
Stan entendait à peine les mots qu'on lui criait. Je vais mourir, songea-t-il. Je vais me noyer dans de foutues chiottes.
Ses poumons menaçaient d'éclater. De l'eau lui descendait dans la gorge. Il suffoquait. Les yeux lui sortaient des orbites. Toute pensée l'abandonna. Seul demeura un instinct primitif. L'instinct de survie. Comme tout mammifère coincé sous l'eau, il se retrouvait incapable de respirer. Il avait beau gigoter, ruer, la main lui maintenait la tête en bas, lui écrasant le nez contre la porcelaine. Stan vit son propre sang se mélanger à l'eau.
Sa gorge le brûlait. Ses yeux se révulsèrent. La mort. La noyade. Comme David. C'était comme ça, petit frère? C'était... ?
Son assaillant le ressortit de l'eau, relâchant sa tête tel un objet inanimé. Son crâne heurta le bord de la cuvette avant d'atterrir sur le carrelage, mais Stan s'en rendit à peine compte. Il haletait et se convulsait, la main autour de la gorge, dans une vaine tentative pour atténuer la douleur. Il roula par terre, essayant désespérément d'apporter de l'oxygène à ses poumons douloureux.
Puis on le saisit de nouveau par les cheveux.
— Putain, non, réussit-il à prononcer.
Sa tête fut projetée vers le bord de la cuvette ; son visage plongea, s'arrêta à un centimètre de l'eau.
— Non, s'il vous plaît...
Stan sentit son agresseur se baisser vers lui, sans relâcher sa prise. Une haleine chaude lui picota l'oreille et le cou.
— Si tu t'approches d'elle encore une fois, dit la voix masculine, je te tue.
Le coup jaillit de nulle part. La tête de Stan partit en arrière. Son corps se liquéfia. Il glissa sur le sol et plongea dans une bienheureuse inconscience.
Les mains tremblantes, Mark regarda la forme immobile de Stan. Il serra les poings et tenta de ravaler sa rage contre ce salaud. Jamais il n'avait perdu le contrôle de lui-même de cette façon ; jamais il ne se serait cru capable d'une telle violence.
Du pied, il fit rouler Stan sur le dos. Son visage était couvert de sang. Rien d'inquiétant cependant : dans son état d'ébriété, il aurait suffi d'une pichenette pour lui faire perdre connaissance.
Stan était donc de retour. Et, à en juger par les bribes de conversation qu'il avait surprises entre Laura et lui, il n'avait pas changé : c'était toujours une ordure doublée d'un taré.
Pourquoi était-il venu à Boston ? Pas besoin de chercher la réponse très longtemps : l'argent. Stan avait dû s'imaginer que la riche veuve de son défunt frère serait une proie facile. La trouver seule, vulnérable et magnifique n'avait dû la rendre que plus attirante.
Quel salaud !
Un coup retentit à la porte.
— Mark ? Tu es là ? Il sortit de la cabine.
— TC, tu es seul ?
— Oui.
Il alla ouvrir la porte. TC entra dans les toilettes et referma le loquet.
— Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-il.
Puis il remarqua Stan avachi par terre dans la cabine et émit un sifflement.
— Qu'est-ce que tu lui as fait ?
— Une petite trempette. Merde, pourquoi tu ne m'as pas dit qu'il était ici ?
TC se détourna, haussa les épaules.
— Ça ne te regardait pas.
— Quoi ? Tu n'as pas l'impression de...
Mais il ne put finir sa phrase. La douleur le submergea par vagues violentes, irrésistibles. Se prenant la tête à deux mains, les ongles enfoncés dans les tempes, Mark tomba à genoux.
Sans hésiter, TC se précipita vers lui.
— Ça va, je suis là.
Mark leva vers lui des yeux où ne se lisait qu'une incoercible douleur. Prenant son ami par les épaules, TC l'aida à se mettre debout.
Il est de retour, songea TC, saisi de frayeur. Le démon est de retour.
Laura prit congé et se dirigea vers la sortie. Elle avait besoin de s'extraire un moment de la cohue, d'être seule pour penser à David. Les soirées comme celle-là se déroulaient dans un état second, mais Laura savait qu'au bout d'un moment le mur protecteur érigé autour d'elle se fissurait et que la réalité reprenait ses droits.
Elle déambula sans but dans le hall vide, hantée par des images de David. Les six mois écoulés lui avaient appris que chacun réagissait à sa façon face à la mort. Certains affichaient leur douleur. D'autres tentaient d'éviter le chagrin en feignant de se comporter comme s'il ne s'était rien passé et que l'être aimé n'avait jamais existé. Laura, elle, entrait dans une troisième catégorie. Ses amis lui enjoignaient de surmonter la tragédie, affirmant que la vie continuait. Et sans doute aurait-elle prodigué le même conseil à des proches endeuillés. Mais elle ne voulait pas oublier David, puisant un étrange réconfort à penser à lui, à se rappeler tous les moments passés ensemble. Elle se laissait aller à pleurer en contemplant les albums de photos, en songeant à tout ce qu'ils n'avaient pas encore vécu, à la famille heureuse qu'ils n'auraient jamais. Il n'y avait pas de mal à pleurer. Cela valait mieux que d'occulter l'existence de David. Mieux que de ne rien éprouver.
La voix de TC l'arracha à ses pensées pour la ramener dans le hall obscur du Boston Garden. Il parlait bas. Elle dut se rapprocher pour l'entendre.
— Tout va bien, disait-il. Je te tiens.
Elle passa la tête à l'angle du mur et s'immobilisa. TC soutenait Mark Seidman pour l'aider à avancer dans le couloir. Les jambes du basketteur semblaient ne plus fonctionner. Il se tenait la tête dans les mains, comme si elle était près d'exploser. TC étouffa son cri en lui plaquant une main sur la bouche.
— Courage, mon vieux. Appuie-toi sur moi. Tu seras bientôt à la maison.
Mark répondit dans un murmure douloureux :
— Je ne voulais pas la voir, TC. Je ne voulais pas m'approcher d'elle.
— Je sais, Mark. Je sais.
Laura demeura figée par le choc pendant que les deux hommes disparaissaient au détour du couloir. Quelques heures plus tôt, TC ne lui avait-il pas affirmé n'avoir jamais rencontré Mark Seidman ?