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POURQUOI AUSCHWITZ ?

« — J’ai souvent été prophète dans ma vie, et, la plupart du temps, on s’est moqué de moi. À l’époque ou je luttais pour conquérir le pouvoir, ce furent les Juifs qui tournèrent en dérision les paroles par lesquelles j’annonçais que je prendrais un jour la direction de l’État et par conséquent de la nation tout entière, et que je résoudrais, entre autres, la question juive. Je crois que, depuis, le ricanement d’hyène qu’ont fait retentir alors les Juifs d’Allemagne s’est étranglé dans leur gorge. Aujourd’hui, je serai prophète une fois de plus. Si la juiverie internationale à l’intérieur et à l’extérieur de l’Europe réussissait de nouveau à plonger les nations dans une guerre mondiale, il s’ensuivrait non pas la bolchevisation de la terre, et, partant, la victoire de la juiverie mais l’extermination de la race juive dans toute l’Europe. »

Ce discours, prononcé par Hitler en janvier 1939, avait été inspiré par Goebbels. Goebbels ministre de la propagande et « des informations » a presque toujours été oublié par les analystes de la « Solution Finale du Problème Juif ». Il est vrai que Heydrich, Himmler ou Eichmann qui ont « mis la main à la pâte », sont plus représentatifs de l’animalité du Reich que ce minuscule journaliste raté, à la voix éraillée et au pied de Talleyrand. « Il n’en a que le pied, disaient ses ennemis, heureusement ! »

 

Alors que les grands dignitaires et les actionnaires de l’Ordre rêvent d’un règlement du problème juif qui ne « laisserait pas de traces dégoûtantes »… émigration raisonnable et raisonnée, regroupement dans les provinces isolées de territoires conquis, enfin et surtout déportation massive des quatre millions de Juifs dans l’île de Madagascar, Joseph Goebbels est pour le traitement radical. Et il sait être persuasif.

Tous les « commencements » de solution raisonnable sont interrompus par l’invasion de la Pologne et bien vite après « l’affaire » russe, les groupes d’action chargés de passer par les armes cinq millions de Juifs donnent des signes évidents de fatigue… après leur trois cent millième assassinat. Goebbels triomphe :

« Ce sont là des actes désordonnés, à courte vue. »

Dans son journal, Félix Kersten, masseur et « médecin » d’Himmler écrit le 11 novembre 1941 :

— Himmler est anxieux. Il revient de la Chancellerie où il a vu le Führer. Je le soigne. Je tente de savoir ce qui le tourmente. Il avoue, après bien des hésitations, que l’on est en train de méditer l’extermination des Juifs.

Himmler n’en dit pas plus.

16 novembre :

— J’ai tenté ces derniers jours de remettre sur le tapis le sort des Juifs. Contre son habitude, Himmler n’a fait que de m’écouter, mais il n’a pas desserré les dents.

Kersten devra attendre un an la réponse à ses questions.

10 novembre 1942 :

— Mais bon Dieu, Kersten, jamais je n’ai songé à exterminer les Juifs. J’ai toujours eu sur ce chapitre des idées tout à fait différentes. C’est Goebbels qui est à l’origine de tout cela. Voici des années, le Führer m’a donné l’ordre d’éloigner les Juifs d’Allemagne. Ils devaient emmener leur famille et leurs biens. J’ai engagé l’action. J’ai même fait punir certains excès commis par mes gens. Cela a duré jusqu’en 1940. Puis Goebbels à eu raison.

— Kersten : « Pourquoi Goebbels ? »

— Himmler : « Goebbels a toujours été d’avis que la seule solution valable du problème juif était leur extermination. Il pense qu’un Juif vivant est et reste un ennemi de l’Allemagne nationale-socialiste. C’est pourquoi, dit-il, il n’y a pas lieu de faire du sentiment avec ces gens-là. »

Himmler acceptera cependant de réaliser la « pensée » de Goebbels, en organisant avec Heydrich le génocide ; mais il veut une « liquidation propre ». Ce qu’il à vu à Minsk – l’exécution au revolver de 200 Juifs – l’a profondément touché. Sans le bras de son chef d’état-major Wolff, il se serait effondré.

— Les hommes auront remarqué, dit-il, à quel point cette tâche sanglante me rebute. Mais chacun doit faire son devoir, aussi pénible soit-il.

Ce soir-là, à Minsk, Himmler décide d’abandonner les armes traditionnelles des pelotons. Il confie à Nebe, le chef du groupe d’Action qui vient de lui servir cette démonstration sanglante :

— Il nous faudra bien trouver un autre mode d’exécution… peut-être ces chambres à gaz qui ont été utilisés dans les hôpitaux psychiatriques pour « aider à mourir » les aliénés. Et puis ces fossés ! Si les Russes ou des espions les découvraient ! Il faut réduire les corps en cendres.

*
*   *

1960
INTERROGATOIRE D’ADOLF EICHMANN PAR LE CAPITAINE AVNER LESS (JERUSALEM)

 

EICHMANN(15) : L’été 1941 était déjà bien avancé quand Heydrich me demanda de venir le voir… « Le Führer a donné l’ordre de supprimer les Juifs ! » Ce sont exactement les mots qu’il prononça en me recevant ; et, pour vérifier l’effet produit, contrairement à son habitude, il s’arrêta un très long moment. Je m’en souviens encore très bien.

D’abord je n’ai pas très bien saisi la portée de cette phrase. Heydrich choisissait toujours très bien ses mots, et je savais que je n’avais rien à dire… mais je n’avais jamais pensé à une telle solution de force.

J’en eus le souffle coupé. Puis il me dit d’aller voir… Globocnik, à Lublin… « Le Reichsführer a déjà donné des ordres en conséquence à Globocnik, voyez où il en est… je crois qu’il se sert des fossés antichars russes pour se débarrasser des Juifs. » … Je me rappelle très bien… ce sont des mots qui ne s’oublient pas… de ma vie je ne les oublierai. C’est tout ce qui a été dit lors de cette entrevue.

C’est la première fois que j’entendis parler de ce Globocnik, ancien Gauleiter de Vienne, chef des S.S. et de la police du district de Lublin, au gouvernement général, subordonné du chef supérieur des S.S. et de la police de Cracovie.

Comme j’en avais reçu l’ordre, je me suis rendu à Lublin dans les locaux du chef des S.S. et de la police : je m’y suis fait annoncer comme venant de la part du chef de la Sipo et du S.D. ; j’ai répété à Globocnik ce qui m’avait été dit, notamment que le Führer avait décidé « l’extermination physique des Juifs… ».

Müller me demanda de me rendre à Litzmannstadt (Lods) pour lui dire comment les choses se passaient là-bas. Il me l’avait demandé de la même manière que Heydrich… peut-être moins crûment, il était quand même moins brutal, plus « diffus ». Il s’était à peu près exprimé ainsi : « Là-bas, Eichmann, il y a en cours une action contre les Juifs, allez-y voir, et rendez-moi compte ! » Eh bien, j’y suis allé, je me suis présenté à la direction de la police d’État à Litzmannstadt où l’on me raconta que le Reichsführer avait dépêché un commando spécial… on m’indiqua très exactement où se trouvait ce Culm (Chelmno). Voici ce que j’y ai vu, autant que je puisse m’en souvenir : un local, peut-être cinq fois celui-ci, rempli de Juifs que l’on obligeait à se déshabiller, un camion fermé venait se ranger, les portes ouvertes, et les Juifs devaient s’y engouffrer. Les portes claquaient… et le camion s’éloignait.

LESS : Combien de personnes pouvaient prendre place dans ce camion à gaz ?

EICHMANN : Exactement je ne le sais pas ; je n’ai pu regarder tout le temps de la manœuvre… je ne supportais pas les cris, et j’étais bien trop énervé. J’ai suivi le camion, certainement accompagné de quelqu’un qui connaissait la route… et j’ai vu la chose la plus horrible de ma vie. Le camion longea une fosse, on ouvrit les portes et on jeta les cadavres dans la fosse… les membres des cadavres étaient aussi souples que s’il s’était agi de vivants… j’ai encore devant moi l’image d’un civil arrachant des dents à l’aide d’une pince, et… j’ai pris la fuite. Je me suis précipité dans la voiture et je n’ai plus ouvert la bouche. Je sais seulement qu’il y avait un médecin en blouse blanche qui me conseilla de regarder par un trou pour voir comment ça se passait à l’intérieur du camion. J’ai refusé de regarder… Rentré à Berlin, j’ai fait mon compte rendu au Gruppenführer Müller. Je lui ai dit ce que je viens de vous dire… c’était épouvantable ! C’était l’enfer !

LESS : Que vous a dit Müller ?

EICHMANN : Müller avait l’habitude de ne rien dire, pas plus dans ce cas que dans d’autres affaires. Calme, avare de mots, il ne disait que le strict nécessaire.

LESS : Avez-vous fait un rapport écrit ?

EICHMANN : Non, on me l’avait formellement interdit.

LESS : Était-ce Müller qui vous l’avait interdit ?

EICHMANN : Oui… non, je crois que ç’avait été Heydrich.

LESS : Lui aviez-vous aussi rendu compte ?

EICHMANN : Non, pas de ma mission à Litzmannstadt. Müller m’avait envoyé là-bas, je crois bien pour chronométrer exactement le temps de la manœuvre, mais je n’étais pas capable de le renseigner. C’était donc la seconde fois que j’avais eu à connaître ce genre de choses. La première fois, c’était avec les gaz d’échappement d’un moteur de sous-marin, je l’avais entendu tourner ; la seconde fois… j’avais vu…

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Le 29 juin 1941, le commandant Hoess est convoqué à Berlin.

— Selon(16) la volonté d’Himmler, Auschwitz était destiné à devenir le plus grand camp d’extermination de toute l’histoire de l’humanité. Au cours de l’été 1941, lorsqu’il me donna personnellement l’ordre de préparer à Auschwitz une installation destinée à l’extermination en masse et me chargea moi-même de cette opération, je ne pouvais me faire la moindre idée de l’envergure de cette entreprise et de l’effet qu’elle produirait.

— Il y avait certes dans cet ordre quelque chose de monstrueux qui surpassait de loin les mesures précédentes. Mais les arguments qu’il me présenta me firent paraître ses instructions parfaitement justifiées. Je n’avais pas à réfléchir ; j’avais à exécuter la consigne. Mon horizon n’était pas suffisamment vaste pour me permettre de me former un jugement personnel sur la nécessité d’exterminer tous les Juifs.

— Du moment que le Führer lui-même s’était décidé à « une solution finale du problème juif », un membre chevronné du parti national-socialiste n’avait pas de question à se poser, surtout lorsqu’il était un officier S.S. « Führer ordonne, nous te suivons » signifiait pour nous beaucoup plus qu’une simple formule, qu’un slogan. Pour nous, ces paroles avaient valeur d’engagement solennel. Après mon arrestation, on m’a fait remarquer à maintes reprises que j’aurais pu me refuser à l’exécution de cet ordre ou même, le cas échéant, abattre Himmler. Je ne crois pas qu’une idée semblable ait pu effleurer l’esprit d’un seul parmi les milliers d’officiers S.S. C’était une chose impossible, impensable. Il y a certes beaucoup de cas où des officiers S.S. ont critiqué tel ordre particulièrement sévère d’Himmler ; ils ont protesté, grogné, mais pas un seul cas où ils se soient refusés à obéir.

— Parmi les officiers S.S. nombreux étaient ceux que la dureté implacable d’Himmler avait blessés, mais je suis fermement convaincu qu’aucun d’entre eux n’aurait osé lever la main sur lui ; même dans leurs pensées les plus intimes, ils auraient reculé devant un tel acte. En sa qualité de Reichsführer S.S., Himmler était « intouchable ». Les ordres qu’il donnait au nom du Führer étaient sacrés. Nous n’avions pas à réfléchir ou à rechercher des interprétations plus ou moins plausibles. Nous n’avions qu’à en tirer les dernières conséquences même en sacrifiant sciemment notre vie, comme beaucoup d’officiers S.S. l’ont fait pendant la guerre.

— Ce n’est pas en vain que les cours d’entraînement pour S.S. nous offraient les Japonais comme un lumineux exemple du sacrifice total à l’État et à un empereur d’essence divine.

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Rudolf Hoess ne disposait que de quatre semaines pour établir son projet d’usine de mort… un combinat exceptionnel, « révolutionnaire », capable de dissoudre la première année un million de corps, la seconde deux millions.

— Je(17) me rendis à Treblinka pour voir comment se déroulaient les opérations d’extermination. Le commandant du camp me dit qu’il avait « liquidé » 80 000 détenus en six mois. Il s’occupait plus particulièrement des Juifs du Ghetto de Varsovie. Il utilisait l’oxyde de carbone et ses méthodes ne me parurent pas très efficaces.

Hoess fit procéder à diverses expériences dans le silence des bunkers et de l’infirmerie. Ces essais – injections dans le cœur de phénol, d’essence, d’eau oxygénée – devaient répondre à cette seule question : combien faut-il de temps à un être humain pour mourir ? Eichmann consulté développa longuement les bienfaits de l’oxyde de carbone dégagé par un moteur de sous-marin. Hoess se replongea dans ses calculs. Combien de moteurs lui faudrait-il ? Le 28 juillet, 575 détenus « invalides » furent conduits à Königstein. Le lieutenant Hössler devait rendre compte minutieusement à Hoess du déroulement de l’action. Les malades, séparés en six groupes par les infirmiers de l’asile psychiatrique, reçurent un copieux repas dans le réfectoire et attendirent… le dernier groupe ne fut gazé dans la salle de douches que cinquante-deux heures plus tard. Pour atteindre les objectifs fixés par Himmler, Hoess conclut qu’il devait faire construire une cinquantaine de hangars à douches et récupérer cinquante moteurs… ce qui lui sembla impossible.

Le 1er septembre, Hoess déprimé s’accorde une semaine de permission. Son suppléant, le Schutzhaftlagerführer Fritzch découvre dans les réserves de la salle de désinfection des boîtes de cyclon B. Cet insecticide est utilisé depuis le début de la guerre par les troupes en campagne et l’inspection Générale des Camps en a fait livrer à tous ses commandants. À Oranienburg, par exemple, le cyclon B sert à la désinfection des vêtements. Fritzch, après avoir expérimenté quelques granulés de cyclon sur deux lapins enfermés dans une boîte hermétique décide de passer à l’homme(18).

Le 2 septembre, les bunkers du block 11 sont évacués. Une corvée de douze détenus élève devant chaque fenêtre une butte de terre. Des lanières découpées dans des couvertures militaires sont clouées sur les cadres, les feuillures et à l’intérieur des couvre-joints de toutes les portes. Serrures et fentes sont enduites de colle à bois ou de cire à cachet.

Une rafle rapide dans les allées encombrées du Revier rassemble 250 malades. Fritzch veut mille hommes. Une heure plus tard, le Rapportführer Palitzch entasse dans trois cellules 578 prisonniers de guerre soviétiques. La corvée de déportés cloue des planches sur les portes. Palitzch enfile un masque à gaz. Deux médecins déposent à ses pieds une douzaine de boîtes métalliques. Le dernier S.S., avant de quitter le block 11, déverrouille les guichets. Palitzch déverse à l’intérieur des cellules les cristaux bleutés du cyclon B.

— Le lendemain(19), le Rapportführer Palitzch protégé par un masque à gaz ouvrit les portes des bunkers et constata que quelques détenus étaient encore vivants. Alors on mit encore une dose de gaz et on referma les portes. Le 5 septembre au soir, on ramassa quelques dizaines de prisonniers de la compagnie disciplinaire et de l’infirmerie, et on les amena dans le block 11 où on leur donna des masques à gaz. Ensuite on leur ordonna de descendre à la cave, d’ouvrir les bunkers et de porter les cadavres des gazés dans la cour du block 11. Là, les prisonniers, sous la surveillance des officiers de la S.S. : Fritzch, Mayer, Palitzch et du médecin Entress triaient les prisonniers de guerre soviétiques gazés et leur enlevaient uniformes, montres, bagues, etc. Deux nuits durant, on transporta les cadavres au crématoire sur des charrettes tirées par les déportés.

Dès son retour à Auschwitz, Hoess « veut voir ». Fritzch prépare une nouvelle « représentation ».

— C’est(20) dans les cellules d’arrestation du block 11 qu’on procédait à la mise à mort des prisonniers au moyen des gaz. Protégé par un masque à gaz, j’y ai assisté moi-même. L’entassement dans les cellules était tel que la mort frappait la victime immédiatement après la pénétration des gaz. Un cri très bref presque étouffé, et tout était fini. J’étais peut-être trop impressionné par ce premier spectacle d’hommes gazés pour en prendre conscience d’une façon suffisamment nette. Je me souviens par contre avec beaucoup plus de précision de la façon dont furent gazés peu après neuf cents Russes. Comme l’utilisation du block 11 exigeait des préparatifs trop compliqués, on les dirigea vers le vieux crématoire. Tandis qu’on déchargeait les camions, on perça rapidement plusieurs trous dans les parois de pierre et de béton de la morgue. Les Russes se déshabillèrent dans une antichambre et franchirent très tranquillement le seuil : on leur avait dit qu’ils allaient à l’épouillage. Lorsque tout le convoi se trouva rassemblé, on ferma les portes et on laissa pénétrer le gaz par les trous. Je ne sais combien de temps a pu durer cette exécution. Pendant un bon moment, on entendait encore les voix des victimes. D’abord des voix isolées crièrent : « Les gaz ! » et puis, ce fut un hurlement général. Tous se précipitèrent vers les deux portes mais elles ne cédèrent pas sous la pression. On ouvrit la pièce au bout de quelques heures seulement, et c’est alors que je vis pour la première fois les corps des gazés en tas.

— Je fus saisi d’un sentiment de malaise et d’horreur. Pourtant, je m’étais toujours imaginé que l’usage des gaz entraînait des souffrances plus grandes que celles causées par l’asphyxie. Or, aucun des cadavres ne révélait la moindre crispation. Le médecin m’expliqua que le cyanure exerce une influence paralysante sur les poumons si rapide et si puissante qu’il ne provoque pas de phénomènes d’asphyxie semblables à ceux que produit le gaz d’éclairage ou la suppression totale de l’oxygène.

— À cette époque, je ne m’étais pas livré à des réflexions particulières à propos de cette extermination de prisonniers de guerre russes : un ordre était donné et je n’avais qu’à l’exécuter. Mais je dois avouer en toute franchise que le spectacle auquel je venais d’assister avait produit sur moi une impression plutôt rassurante. Quand nous avions appris qu’on procéderait prochainement à l’extermination en masse des Juifs, ni moi ni Eichmann n’étions renseignés sur les méthodes à employer. Nous savions qu’on allait les gazer, mais comment et avec quels gaz ? Maintenant, nous possédions les gaz et nous en avions découvert le mode d’emploi. En pensant aux femmes et aux enfants, j’envisageais toujours avec horreur les fusillades qui allaient se produire. J’étais fatigué des exécutions d’otages et de la fusillade des divers groupes de détenus, selon les ordres d’Himmler ou de tel autre dirigeant de l’administration policière. Désormais, j’étais rassuré : nous n’assisterions plus à ces « bains de sang » et jusqu’au dernier moment l’angoisse serait épargnée aux victimes. Or, c’est cela qui m’inquiétait le plus lorsque je pensais aux descriptions que m’avait faites Eichmann du massacre des Juifs par les « commandos opérationnels » au moyen de mitrailleuses ou de carabines automatiques. Des scènes épouvantables s’étaient déroulées à ces occasions : des blessés s’enfuyaient ; on en achevait d’autres, surtout des femmes et des enfants ; des soldats du commando, incapables de supporter ces horreurs, se suicidaient, devenaient fous, tandis que la majorité avait recours à l’alcool pour effacer le souvenir de leur effroyable besogne.

La découverte de Fritzch comblait les espérances de Hoess. Il pourrait désormais concrétiser les désirs les plus « irréalisables » du Bureau des Affaires Juives. Tout le reste : aménagement des fermes du secteur Birkenau en chambres à gaz, construction de crématoires, n’était plus qu’une question de temps et de crédits…