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Lièvre ne fut pas long à s’aviser que la révélation au sujet d’Omago n’avait en réalité rien de stupéfiant. La femme du « fermier », Ara, détenait des pouvoirs qui dépassaient jusqu’à ceux des dieux du pays de Dhrall. Une dame pareille n’aurait sûrement pas passé sa vie avec un homme dont le seul intérêt était de regarder pousser des navets.

Du coup, Lièvre ne s’étonnait guère que le « fermier » comprenne si bien la nature des monstres qui grouillaient dans la salle du trône.

Qu’ils rampent sur le sol, volent près de la voûte ou escaladent les parois, tous les insectes regardaient le cocon avec une fascination débordante de ferveur religieuse.

— Nous arrivons au bon moment, dit Omago. Le Vlagh vient d’ordonner à ses serviteurs de prendre soin des petits. (Il se concentra un moment, puis sourit.) Voilà qui devrait faire l’affaire !

Sans crier gare, la quasi-totalité des monstres présents dans la grotte se précipitèrent vers la sortie.

— Pourquoi ne les as-tu pas envoyés tous dehors ? demanda le petit Maag.

— Pour tromper le Vlagh, mon ami, et parce que ces serviteurs-là vont faire quelque chose qui brisera le cœur de leur maître. Le Vlagh criera très bientôt, et il risque de se lamenter pendant très longtemps…

Toujours invisibles, Lièvre et ses trois amis approchèrent du cocon.

Quand l’horrible nid s’ouvrit, une silhouette très familière en sortit.

— Je la croyais morte ! s’écria Lièvre en reculant d’instinct.

— Aracia a bien quitté ce monde, dit Omago, et nous ne contemplons pas son fantôme. À mon avis, Alcevan a dit au Vlagh que la sœur de Zelana était la reine de l’Est. Et notre ennemi a décidé d’adopter l’apparence de ma défunte fille. Ne le déplorons pas, car sa véritable forme n’a rien de ragoûtant. Comme Aracia, le Vlagh adore qu’on le vénère. Tout bien réfléchi, la sainte et lui se ressemblent beaucoup… Les insectes aussi sont vaniteux, et le Vlagh a toujours aimé tromper ses adversaires.

La fausse Aracia bourdonna un ordre aux chenilles qui grouillaient à présent sur le sol. Braillant comme des folles, toutes se précipitèrent vers les serviteurs adultes.

— Je ne parle pas l’insecte, dit le petit forgeron, mais je crois que ces bébés demandent à manger.

— C’est à peu près ça, approuva Keselo. Maintenant qu’Omago a fait partir le plus gros des serviteurs, ces pauvres enfants vont devoir faire la queue un sacré moment !

— Tu crois qu’ils savent attendre devant la porte de l’épicerie ?

— J’en doute, et je parie que nous allons voir un combat des plus intéressants.

Mais il n’y eut pas de foire d’empoigne, car les insectes adultes entreprirent de dévorer les nouveau-nés.

Quand le Vlagh hurla, ses anciens serviteurs ne lui accordèrent aucune attention.

— Une solution originale à la surpopulation, souffla Lièvre.

— Efficace mais assez peu recommandable, approuva Keselo.

— En tout cas, maman Vlagh n’a pas l’air d’apprécier...

— Mon ami, j’ai peur que tu aies passé un peu trop de temps avec Eleria… (Le jeune Trogite regarda Arc-Long et Omago.) Notre cher archer doit avoir un sacré cas de conscience. Il rêvait de loger une flèche entre les deux yeux du Vlagh, mais le voir souffrir ainsi doit lui ravir l’âme.

— Ses cris sont une merveilleuse musique, il faut l’avouer… (Lièvre regarda autour de lui.) Qu’en penses-tu, Keselo ? On reste ici à admirer le spectacle, ou on va voir un peu partout dans le pic comment les insectes réagissent au désastre ?

— Je vote pour la deuxième proposition. Je parierais que tous les monstres sont plongés dans la confusion, mais aller s’en assurer ne serait pas idiot…