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— Vous êtes certains que nous aurons besoin du petit Maag ? demanda Omago à Arc-Long et à Keselo.

— Il est très intelligent, répondit le jeune érudit, et il a souvent pensé à des solutions à nos problèmes qui ne m’avaient pas traversé l’esprit. Sans lui, la vie serait bien moins intéressante…

— Savez-vous au moins où le trouver ? s’inquiéta le faux fermier.

— Sorgan pourra nous le dire, affirma Arc-Long. Le capitaine est sûrement dans le temple d’Aracia, occupé à le piller consciencieusement. Je peux aller lui rendre une petite visite, si tu veux.

— Non, je me chargerai de trouver Lièvre. J’ai certains talents dont tu es dépourvu.

— Comme voler, par exemple ?

— C’est plus ou moins ça… Disons que je peux me déplacer très vite quand ça s’impose.

— Tu as un éclair domestique, comme Dahlaine et Veltan ?

— Pas vraiment… Si nous en restions là ? Je suis sûr que vous n’aimeriez pas savoir la vérité… Sauf problème, Lièvre et moi devrions être ici très vite. Ensuite, nous partirons pour les Terres Ravagées, histoire de faire autant d’ennuis que possible au Vlagh.

 

Omago descendit quelques marches de l’escalier de pierre. Quand il fut hors de vue de ses amis, il prit son envol et se transporta en un éclair au cœur du temple désastreux que les gros prêtres avaient fait construire pour plaire à leur défunte sainte.

Omago chercha Lièvre par la pensée et ne le trouva pas. Il repéra cependant Torl, le cousin de Bec-Crochu, et se matérialisa dans son dos histoire de l’interroger.

— Je cherche votre petit forgeron, dit-il, et je n’arrive pas à lui mettre la main dessus.

Le Maag se retourna.

— Tu es Omago le fermier, je crois ?

— En chair et en os ! Arc-Long voudrait parler à Lièvre, mais celui-ci est introuvable.

— Il est dans le port, à bord de l’Ascension, une baignoire flottante trogite. Nous avons découvert que les briques de la salle du trône d’Aracia étaient des lingots d’or, et Sorgan a chargé Lièvre de les faire fondre pour les transformer en blocs beaucoup plus petits et bien plus pratiques à transporter. Pour les achats de la vie quotidienne, plusieurs kilos d’or sont souvent superflus... (Torl dévisagea Omago.) tu crois pouvoir ramer jusqu’au navire ? Je t’aurais bien amené, mais mon cousin veut que je ne bouge pas d’ici.

— Je me débrouillerai, ne t’en fais pas. Merci pour l’information, en tout cas. J’aurais pu perdre une semaine à chercher Lièvre ici. Dis bonjour de ma part à ton cousin.

— Je n’y manquerai pas…

Omago sortit du temple et repéra très vite l’Ascension dans le port. Dès qu’il se fut transféré sur le pont, il entendit le bruit d’un marteau frappant sur une enclume.

— Te voilà enfin, Lièvre ! lança-t-il au petit pirate. Pourquoi travailles-tu en plein milieu de la nuit ?

— Ordre du Cap’tain ! Il ne se fie pas aux marins trogites. Vu que je martèle de l’or, il préfère que je me montre discret.

— J’ai entendu un bruit bizarre, en arrivant. L’or résonne-t-il comme une cloche quand on lui tape dessus avec un marteau ?

— Je cognais sur un moule, expliqua Lièvre. L’or que le Cap’tain a volé dans le temple servait de briques dans la salle du trône. Je le fais fondre, puis je le verse dans des moules. Quand il a durci, je martèle le fond du moule pour dégager la nouvelle pièce.

— Je comprends mieux… (Omago étudia la dizaine de petits cubes d’or posés sur l’enclume.) Ce sont de minuscules lingots…

— Cent cinquante grammes pièce, dit Lièvre. Une idée de Torl. Les lingots que nous a donnés Zelana sont très jolis, mais on ne peut pas s’en servir comme monnaie, sauf pour acheter un navire ou un palais à Kormo ou Weros. Selon Torl, nous avons besoin de plus petits lingots pour acheter de la nourriture, par exemple. Au pays de Maag, l’argent n’existe pratiquement pas, et toutes les transactions importantes se traitent en or pur. Le cousin de Bec-Crochu a raison : ces cubes nous seront très utiles. (Le petit pirate sourit.) Ils font penser à tout autre chose qu’une pièce d’or, pas vrai ?

— Désolé, mais je ne te suis pas vraiment…

— Il manque les points noirs, sinon on croirait voir des dés. Les Maags adorent y jouer, mais je n’ai jamais entendu parler d’une partie disputée avec des dés en or. Cette idée est du capitaine. Si ça marche, ces cubes deviendront la monnaie maag officielle.

— Futé…, dit Omago. C’est Arc-Long qui m’envoie. Keselo et lui ont besoin de toi.

— Je doute de pouvoir partir d’ici, Omago… Le capitaine m’a confié une mission qu’il estime très importante, et si je me défile, il enverra des dizaines d’hommes à ma poursuite.

— Je ferai en sorte qu’ils ne te retrouvent pas, mon ami.

— Et comment t’y prendras-tu ?

Certain que le petit Maag ne le croirait pas s’il lui disait la vérité, le compagnon d’Ara préféra éluder la question.

— Dors, Lièvre, dit-il simplement.

Il rattrapa au vol le pirate soudain plongé dans un profond coma, le ceintura et s’éleva dans les airs avec lui.

— De toute façon, tu avais l’air très fatigué, petit homme.

Sur ces mots, Omago prit la direction du col de Long.

 

— Tu as fait vite ! s’exclama Keselo quand il vit que le faux fermier était déjà revenu.

— J’ai un peu triché, reconnut Omago. tu ne vas pas en croire tes oreilles, mon ami ! Sorgan Bec-Crochu a volé des tonnes d’or dans le temple d’Aracia, et il a chargé Lièvre de les transformer en petits cubes. Si tout marche comme prévu, ces cubes deviendront la monnaie officielle maag.

— Je n’aurais jamais eu une idée pareille, avoua Keselo, sincèrement surpris.

— Sorgan est très doué pour imaginer des choses qui ne viendraient jamais à l’idée de personne, dit Arc-Long. (Il étudia le petit Maag, toujours endormi.) Il va bien, au moins ?

— Il se réveillera en pleine forme, ne t’inquiète pas !

— Nous ne devrions pas attendre l’aube pour partir, dit Keselo. Si on nous voit nous engager sur la pente, une multitude de gens nous courront après pour nous accabler de questions.

— Keselo n’a pas tort, dit Arc-Long, mais ce n’est pas le seul problème. Si nous partons en plein jour, les monstres du Vlagh nous verront aussi et nous les aurons tous sur le dos !

— Ils ne nous verront pas, mon ami, je te le garantis.

— Tu vas nous rendre invisibles ? crut deviner Keselo.

— Pas vraiment… « Indétectables » serait un mot plus juste. Nos ennemis poseront les yeux sur nous, mais ils ne nous verront pas.

— Tu peux faire un truc pareil ? s’étonna le jeune érudit.

— C’est le jeu favori de Zelana. Si c’est dans ses moyens, ça devrait être aussi dans les miens !

 

— Voyons si j’ai bien compris, dit Lièvre quand Omago l’eut tiré de son sommeil. D’après ce que vient de me raconter Arc-Long, nous allons nous enfoncer tous les quatre dans les Terres Ravagées, entrer dans le nid du Vlagh et persuader ses serviteurs de le laisser tomber ?

— En gros, c’est ça…, dit Omago. Ce sera un peu plus compliqué que ton résumé lapidaire, mais l’idée générale y est…

— Vous avez bu trop de grogs, ou un truc dans ce genre ? demanda le Maag. Les monstres du Vlagh ont tué des milliers d’hommes, et vous croyez pouvoir vous promener parmi eux sans problème ? C’est de la folie !

— Tu vas devoir réviser ta façon de penser, Lièvre, intervint Keselo. Si Omago a l’air d’un banal fermier, il possède en réalité autant de pouvoir que sa compagne, et nous savons tous de quoi Ara est capable. Les monstres ne nous verront pas quand nous traverserons les Terres Ravagées puis quand nous entrerons dans le nid du Vlagh. Ils ignoreront que nous sommes là, et ça nous laissera les coudées franches.

— Pour assassiner le Vlagh ? demanda le petit pirate, visiblement sceptique.

— Omago, tu vas devoir lui faire une petite démonstration de tes pouvoirs, soupira Arc-Long. Lièvre est du genre à ne croire que ce qu’il voit.

— Juste pour le plaisir, dit Keselo, peux-tu nous montrer le truc qui nous rendra indétectables quand nous serons chez l’ennemi ?

— Je suis tout disposé à vous faire plaisir, messires, dit Omago en se levant. (Il s’éleva dans l’air et fit un peu de vol stationnaire quarante pieds au-dessus de ses amis.) Cela te conviendra, Lièvre ? Et maintenant, regardez-moi tous fixement.

Omago influença simplement l’esprit de ses amis.

— Où est-il passé ? s’exclama Lièvre.

— Je n’ai pas bougé, c’est vous qui ne pouvez plus me voir.

— Tu veux dire que tu es invisible ?

— Non, vous ne me voyez plus, c’est très différent. Regardez bien !

Le mari d’Ara relâcha son influence mentale et réapparut soudain devant ses compagnons.

— Tu es sûr que cette… hum… astuce… peut marcher également pour nous ? demanda Keselo.

— Si ça me chante, je peux faire disparaître une chaîne de montagnes. Elle sera toujours là, mais plus personne ne la verra. Ça n’a rien d’extraordinaire. Zelana fait ça tout le temps.

— Tu prétends être aussi puissant qu’elle ? lança Lièvre.

— Bien plus, mon ami ! Elle fera des progrès en vieillissant, mais pour l’instant, elle ne m’arrive pas à la cheville. Bon, tu as d’autres questions ? Nous avons un long chemin à faire, et le temps presse.