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— Où étais-tu donc ? demanda Omago quand l’esprit d’Ara eut rejoint son corps resté au pays de Dhrall. Je craignais de t’avoir perdue à tout jamais.

— Tu ne te débarrasseras pas de moi si facilement, mon cœur… À vrai dire, tu devras me supporter jusqu’à la fin des temps, voire au-delà, alors cesse de te faire des illusions ! Quand l’univers sera un vieillard cacochyme, je marcherai toujours à tes côtés… Bien, j’ai découvert des choses intéressantes. Il y a des volcans ailleurs sur cette planète, mais pas autant qu’au pays de Dhrall, et la plupart sont inactifs. J’en déduis que notre joli continent est la partie la plus jeune de ce monde.

— Tu as repéré des formes de vie ?

— Pas sur les terres… Dans les océans, il y en a quelques-unes, très primitives, et ce n’est pas demain qu’elles sortiront de l’eau pour coloniser les continents.

Omago sonda l’océan tumultueux, dans le lointain.

— Nous sommes venus au bon moment, dirait-on… Alors, ces expériences, on les fait ? Sur d’autres mondes, nous avons vu des formes de vie dont les caractéristiques pourraient nous inspirer. En y mettant le paquet, je nous crois capables de donner le jour à une créature ailée plus intelligente que tous les oiseaux de l’univers. Que dirais-tu aussi de poissons bien plus évolués que la moyenne ?

Ara secoua la tête.

— Non, mon aimé… Les êtres que nous avons envie de créer ne sauraient que faire d’ailes ou de branchies qui leur poseraient tôt ou tard des problèmes. Nos enfants doivent nous ressembler. Nos corps sont très performants comme ça, donc inutile de nous livrer à des fantaisies !

— Au fait, dit Omago, j’ai découvert au pays de Dhrall une forme de vie que nous avons rencontrée sur d’autres mondes.

— Pourrais-tu être plus précis ? De quelle créature s’agit-il ?

— Un insecte, grosso modo… Cet être a six pattes, une carapace pour éviter que d’autres bestioles le dévorent, et il aime vivre dans les grottes, pas à l’air libre. J’ai sondé ce qui pourrait passer pour son esprit, et j’y ai trouvé une ambition dévorante. Cet insecte veut conquérir le monde et il engendre des milliers d’enfants pour qu’ils s’en chargent à sa place. Il s’est baptisé lui-même le « Vlagh », un nom qui semble vouloir dire « mère », même si cette abomination n’a rien de féminin. Si nous donnons la vie à des enfants, je crains qu’ils aient un jour des ennuis avec ce foutu Vlagh !

 

— Je réfléchis à quelque chose depuis un bon moment, dit Ara à Omago quelque temps plus tard. Nos responsabilités ne se limitent pas à cette planète, tu le sais bien. Les problèmes surviennent quand on ne les attend pas, et si une urgence se présente sur un autre monde, nous devrons partir d’ici, même si ça nous ennuie.

— Ça peut arriver, oui, concéda Omago. Te connaissant, j’imagine que tu as déjà trouvé une solution.

— Il nous faut une descendance, mon aimé !

Omago s’empourpra soudain jusqu’aux oreilles.

— Ça te pose un problème, mon chéri ? demanda Ara avec une innocence parfaitement feinte.

Omago tourna à l’écarlate.

— Serais-tu gêné par cette idée, très cher ? le taquina Ara. (Elle sourit et caressa la joue de son bien-aimé.) Nous ne sommes pas obligés de recourir aux moyens classiques, tu sais ? Il y a d’autres solutions, plus simples et plus rapides. Je peux invoquer nos petits en claquant des doigts. Ce sera bien plus pratique, parce que des bébés ne nous serviraient pas à grand-chose. Dès que nos fils et nos filles auront pris ce continent en main, nous nous mettrons en retrait pour les laisser gérer le quotidien. Bien entendu, nous serons prêts à prendre le relais dans des circonstances hors du commun.

— J’hésite un peu, mon aimée…, avoua Omago. Si nous leur donnons tous les pouvoirs, ils risquent de faire des erreurs catastrophiques.

— Pas si nous leur imposons des limites… La première devrait être l’interdiction absolue de tuer.

— Très bonne idée !

— L’ennui, c’est qu’ils ne pourront pas se nourrir, puisque chasser leur sera impossible.

— Un obstacle facile à surmonter ! Ils mangeront de la lumière, pas de la viande.

— Une ingénieuse solution, dit Ara. Mais il faudra aussi qu’ils restent éveillés en permanence, parce que nous pouvons être appelés ailleurs à n’importe quel moment. Du coup, ils ne dormiront jamais…

— Aucune créature ne peut se passer de sommeil, mon ange.

— Je vais plancher sur ce problème et trouver une idée…

— Ça ne marchera pas, mon cœur, dit Omago quand Ara lui eut exposé son plan au sujet des divinités qui régneraient sur le pays de Dhrall.

— Et pourquoi ça ?

— Les femmes sont très jolies, mais il nous faudra aussi des hommes.

— Pour quoi faire ? Ils n’auront pas d’enfants ensemble, de toute façon…

— Serais-tu heureuse si je n’existais pas ?

— Que racontes-tu là ? (Soudain, Ara se sentit un peu stupide.) Je vois ce que tu veux dire… Bizarrement, je n’avais jamais pensé que nous aurions besoin de déesses et de dieux…

— Il y a autres choses, mon cœur… Nous devrions songer sérieusement à créer de vulgaires mortels qui ressemblent beaucoup à nos dieux. Il faut que les divinités aient le sens des responsabilités. Ça suffira à les empêcher de faire n’importe quoi.

— Une idée brillante, Omago ! Mais as-tu conscience que nous inventerons de toutes pièces une nouvelle espèce ?

— Où est le problème ?

— Décidément, tu aimes compliquer les choses.

— C’est vrai, je l’avoue. La complexité rend tout plus intéressant, tu ne crois pas ?

Ara foudroya son compagnon du regard.

Puis elle éclata de rire.