X

LE MIRAGE ÉGYPTIEN

L’Orient n’attend qu’un homme.

BONAPARTE.

L‘ENCENS dont les Parisiens l’enveloppent ne l’a point grisé. Les acclamations qui saluent son arrivée au théâtre le gênent. Tôt désabusé, il confie à Bourrienne :

— On ne conserve à Paris le souvenir de rien. Si je reste longtemps sans rien faire, je suis perdu. Une renommée dans cette grande Babylone en remplace une autre ; on ne m’aura pas vu trois fois au spectacle qu’on ne me regardera plus.

Songe-t-il à prendre le pouvoir – ou, du moins à y participer en demandant une dispense d’âge pour devenir Directeur ? Barras – témoin suspect – affirmera qu’un soir Bonaparte lui parla « avec une singulière vivacité, de la docilité des peuples italiens, de l’ascendant qu’il avait sur eux ».

La suite de la confidence est moins croyable :

— Ils ont voulu me faire duc de Milan et roi d’Italie.

« Je fus peu maître de ma sensation dès le commencement de ce discours, poursuivit Barras. Bonaparte, s’apercevant, avec sa promptitude incomparable, que je sentais la sonde, se reprit, comme en paraissant continuer, et me dit :

— Mais je ne pense à rien de semblable dans aucun pays.

— Vous faites bien de ne pas y songer en France, car le Directoire vous enverrait demain au Temple pour récompenser une pareille idée ; il n’y aurait pas quatre personnes qui songeassent à s’y opposer. Il faut vous souvenir que nous sommes en République.

Toujours selon Barras, au lendemain de Rastadt, chaque fois que Bonaparte se rendait au Directoire, « il avait l’air de frémir et il trépignait quand on le laissait attendre quelques instants. Nous mettions même quelquefois de la malice à le faire attendre un peu. Lorsque, entré, il voulait se mettre directorialement à notre table, comme un collègue, nous repoussions sa familiarité par un excès de politesse, en lui donnant un siège qui n’était pas le nôtre. »

Une autre idée l’anime.

Dès son arrivée d’Allemagne, Bonaparte s’est mis au travail afin de préparer l’expédition contre l’Angleterre dont il doit prendre le commandement. Sans enthousiasme il donne les ordres nécessaires pour rassembler les flottes à Brest.

Il l’explique à son compagnon de Brienne :

— Bourrienne, tout s’use ici, je n’ai déjà plus de gloire, cette petite Europe n’en fournit pas assez. Il faut aller en Orient : toutes les grandes gloires viennent de là. Cependant, je veux auparavant faire une tournée sur les côtes, pour m’assurer, par moi-même, de ce que l’on peut entreprendre. Je vous emmènerai, vous, Lannes et Sulkowsky. Si la réussite d’une descente en Angleterre me paraît douteuse, comme je le crains, l’armée d’Angleterre deviendra l’armée d’Orient, et je vais en Égypte.

L’Égypte ! Le nom est lancé. Le Proconsulat italien s’éloignait – et le pouvoir personnel, cette véritable royauté qu’il avait exercée, lui manquait. Seul l’Orient, à défaut de la France, pouvait lui apporter ce qu’il avait perdu. Déjà, le 18 août, six mois auparavant, il avait écrit au Directoire :

« Les temps ne sont pas éloignés où nous sentirons que, pour détruire véritablement l’Angleterre, il faut nous emparer de l’Égypte. Le vaste empire ottoman, qui périt tous les jours, nous met dans l’obligation de penser de bonne heure à prendre des moyens pour conserver notre commerce du Levant. »

Durant ses longues promenades avec Bourrienne ou avec Monge, dans le parc de Passeriano, il avait, à plusieurs reprises, déclaré :

— L’Europe est Une taupinière ; il n’y a jamais eu de grands empires et de grandes révolutions qu’en Orient, où vivent six cents millions d’hommes.

Il était allé plus avant dans sa pensée et, dans une lettre en date du 13 septembre, avait de nouveau parlé de l’Égypte à Talleyrand : « L’on pourrait partir d’ici avec vingt-cinq mille hommes, escortés par huit ou dix bâtiments de ligne ou frégates vénitiennes, et s’en emparer. L’Égypte n’appartient pas au Grand Seigneur. » Il avait même ajouté : « Je désirerais, Citoyen Ministre, que vous prissiez à Paris, quelques renseignements pour me faire connaître quelle réaction aurait sur la Porte, notre expédition d’Égypte. » Dès son retour, en voyant l’état de la France et du gouvernement de l’an IV, il avait vite compris qu’il fallait choisir « entre cette hasardeuse entreprise ou sa perte ». L’Égypte, ainsi que le dira son confident Bourrienne, lui paraissait « propre à entretenir sa renommée et à rehausser encore l’éclat de son nom... »

Cependant, avant de convaincre le Directoire que, pour abattre Albion-la-Perfide, il valait mieux faire flotter le drapeau français en haut des minarets du Caire que sur la Tour de Londres, il fallait faire semblant d’inspecter l’armée destinée à envahir l’Angleterre. Aussi, le 8 février 1798 – avec Lannes, Bourrienne et Sulkowsky – il monte en voiture. Son voyage sera plus sérieux qu’on l’a affirmé. Il visite Étaples, Ambleteuse, Boulogne, Calais, Dunkerque, Furnes, Newport, Ostende, Anvers et l’île Walcheren. Partout il interroge, nous dit Bourrienne, « avec cette patience, cette présence d’esprit, ce savoir, ce tact, cette perspicacité qu’il possédait à un si haut degré », matelots, caboteurs, pêcheurs et jusqu’aux contrebandiers. « Il fait des objections et écoute attentivement les réponses. »

— Eh bien, général ! lui demande Bourrienne sur le chemin du retour, que pensez-vous de votre voyage ? Etes-vous content ? Pour moi, je vous avoue que je n’ai pas trouvé de grandes ressources et de grandes espérances dans tout ce que j’ai vu et entendu.

Bonaparte secoue la tête :

— C’est un coup de dés trop chanceux, je ne le hasarderai pas. Je ne veux pas jouer ainsi le sort de cette belle France,

Après être passé par Bruxelles, il regagne Paris le 17 février – et non le 18 ou le 20 comme on l’a dit. Trois jours plus tôt, Talleyrand, à la demande de Bonaparte, a remis au Directoire un rapport conseillant une expédition française vers l’Égypte.

L’Égypte était bien déchue de ses splendeurs d’antan. Au VIIe siècle, l’invasion arabe avait submergé la vieille terre des Pharaons et mis en servitude les coptes descendants des anciens égyptiens. Au XIIIe siècle, un sultan avait commis l’imprudence d’introduire en Égypte douze mille esclaves géorgiens, arméniens ou circassiens. Juste retour des choses, ces hommes achetés, autrement dits des mamelouks, étaient à leur tour devenus les maîtres et la vallée du Nil avait retrouvé quelque peu sa magnificence. Puis était venue l’inévitable décadence et, au début du XVIe siècle, la Sublime Porte, autrement dit la Turquie, avait conquis l’Égypte et la Syrie sur les Mameluks, mais en leur laissant, toutefois, une partie de leur autorité. Aussi leurs chefs, au nombre de vingt-quatre, continuaient-ils à gérer les provinces avec le titre de bey. Leur gouvernement – ou diwan – était présidé par un gouverneur turc, dit le pacha à neuf queues, représentant le sultan de Constantinople. Cependant, depuis bientôt un demi-siècle, l’autorité de la Porte, tombée en quenouille, consistait simplement à voir son représentant accueilli en grande pompe au Caire et, pratiquement, les Mameluks – dix à douze mille hommes – se trouvaient les seuls maîtres du pays. Assurément, il y avait une carte à jouer en affirmant que l’on venait, non en conquérant, mais en qualité d’ami du Sultan, pour libérer la population indigène du joug des Mameluks.

Cette opération se présentait comme une folie. Mais Bonaparte n’était point fou...

— Je mesurais mes rêveries au compas de mon raisonnement, dira-t-il.

Quels arguments pouvait-il employer pour défendre son projet ? D’abord les entraves que les beys mameluks – puisque Constantinople et Paris s’entendaient fort bien – apportaient avec un malin plaisir au commerce français. La vie des négociants français installés en Égypte se trouvait, en effet, de plus en plus précaire. Ensuite, l’annexion éventuelle de l’Égypte permettrait de contrôler les routes conduisant vers l’Arabie et les Indes, et remplacerait les colonies perdues sous le règne de Louis XV. Sans aucun doute, si la France ne s’emparait pas de l’Égypte, une autre puissance européenne – autrement dit l’Angleterre – le ferait. Ainsi que l’avait déjà déclaré le comte de Choiseul-Gouffier : « L’Égypte est à notre porte, l’Égypte n’est plus aux Turcs ; le pacha n’y est rien ; elle n’appartient à personne. »

Vouloir atteindre l’Angleterre dans son empire des Indes était alors une idée en avance sur son temps. « Cependant, écrit Talleyrand, la fougue de son imagination et sa loquacité naturelle l’emportant hors de toute prudence, il parlait quelquefois de revenir en Europe par Constantinople, ce qui n’était pas trop le chemin de l’Inde. Et il ne fallait pas une grande pénétration pour deviner que, s’il arrivait à Constantinople en vainqueur, ce ne serait pas pour laisser substituer à l’empire ottoman une république une et indivisible ».

Il y eut tout d’abord de la part du Directoire quelques timides observations. L’extravagance du projet fit sursauter certains, et Bonaparte parla, une fois de plus, de rentrer dans la vie privée :

— Avancez, général ! lança alors Rewbell, voulant le prendre au mot. Voici une plume. Le Directoire attend votre lettre.

« François de Neufchâteau et moi-même, affirme Barras, nous mîmes le holà. Bonaparte ne signa nullement sa démission... »

Napoléon réussit d’abord à intéresser le pape des « Théophilanthropes », le Directeur La Révellière-Lépeaux, médiocre « illuminé », qui se posait en rival du pontife de Rome et souhaitait faire de Bonaparte un adepte de sa « religion ». Peut-être souhaitait-il aussi, grâce à l’appui du général victorieux, que le culte nouveau soit propagé en Afrique et en Asie ?

Les autres Directeurs qui considéraient le projet comme une idée absurde, ne virent qu’une chose : « éloigner le sabre ». Rien de plus dangereux « qu’un héros en chômage », ainsi que le dira Christopher Herold ! Bonaparte, expédié, à sa demande, à des milliers de kilomètres de la France, sa popularité n’empêcherait plus le gouvernement de dormir. Et si les Autrichiens reprenaient les armes ? Qu’importe ! Il fallait tout faire pour écarter le spectre de la dictature militaire ! Et le 5 mars – deuxième anniversaire du départ de Bonaparte pour l’Italie – le nouveau général en chef de l’armée d’Égypte recevait « tous pouvoirs pour réunir trente mille hommes à Toulon, y rassembler une escadre pour le transport et la sûreté de l’expédition ». Mais la destination de l’entreprise devait demeurer secrète. Bonaparte obtenait ainsi carte blanche pour organiser ce que les gens sensés appelaient son suicide : entraîner la meilleure armée française au bout du monde pour nuire à l’Angleterre... dont on voyait les côtes par temps clair, du haut des falaises françaises ! Comme le dit avec raison Bourrienne : « Une victoire sur l’Adige aurait mieux valu qu’une victoire sur le Nil. »

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« La terre lui brûle les pieds », ainsi que le rapportera l’un des Directeurs, et Napoléon se jette dans les préparatifs de l’expédition avec passion. Lorsqu’on lit les ordres que Bonaparte va envoyer dans toutes les directions, on demeure pantois. Les moindres détails sont prévus, jusqu’au nombre de paires de bas que chaque homme devra emporter...

Le 26 mars, il écrit au ministre de l’Intérieur : « Je vous prie, en conséquence, de vouloir bien donner l’ordre aux citoyens, dont la liste est ci-jointe, de se tenir prêts à partir au premier ordre qu’ils recevront... » Les « citoyens » ainsi cavalièrement désignés n’étaient point des militaires, mais des savants, égyptologues, astronomes, géomètres, naturalistes, minéralogistes. Le plus célèbre d’entre eux était Monge, à qui, l’un des premiers, Bonaparte avait confié ses projets en le priant de lui procurer des caractères typographiques arabes. La mission accomplie, Bonaparte lui demanda de lui trouver des interprètes. Monge obéit. Mais, lorsque le général lui fit part de son désir de le prendre avec lui, le savant refusa : il avait cinquante-deux ans et jamais sa femme ne l’autoriserait à partir. Bonaparte n’insista pas et alla rendre visite à Mme Monge. La domestique qui lui ouvrit la porte prit ce gringalet pour un élève du professeur. L’erreur dissipée, le général attaqua Mme Monge qui, bien à contrecoeur, finit par s’incliner.

Le chimiste et médecin Claude-Louis Berthollet accepta lui aussi de courir l’aventure. En Égypte, non seulement il rendra par sa science d’immenses services à l’expédition, mais ses études sur les Grands Lacs lui permettront d’établir les lois des combinaisons qui conserveront son nom.

Brusquement, entre deux ordres lancés vers Toulon, Brest ou Gênes, Bonaparte apprend par Louise Compoint, femme de chambre que Joséphine a congédiée, la randonnée amoureuse de son épouse et d’Hippolyte Charles de Paris à Milan pour venir le retrouver un an et demi auparavant. « Je me serais bien passé de cette confidence », avouera-t-il plus tard. Lorsque son époux lui parle de ce qu’il vient d’apprendre, Joséphine nie, bien sûr. Plus tard, il dira :

— On ne doit jamais s’emporter avec les femmes : c’est en silence qu’il faut les entendre déraisonner.

Mais, aujourd’hui, il harcèle Joséphine :

— Dis la vérité, il n’y a pas grand mal à cela et puis on peut coucher dans la même auberge, faire route ensemble sans...

— Non, ce n’est pas vrai !

Mais, le 21 mars 1798, Joseph à son tour ouvre les yeux de son frère. Tout ce que lui a dit Louise est exact. Bien plus : Joséphine continue à le tromper et voit Charles presque chaque jour... Bonaparte entre en ouragan dans le boudoir de sa femme :

— Connais-tu le citoyen Bodin où loge le capitaine Charles ?

Elle connaît fort bien la compagnie de fournitures militaires Bodin, mais n’en affirme pas moins à son mari – avec un merveilleux aplomb féminin – que la jalousie l’égaré. Bonaparte lui révèle alors qu’il sait parfaitement que sa femme se rend tous les jours au 100 de la rue Saint-Honoré où Bodin leur a prêté sa garçonnière. Son mari est bien renseigné, aussi la créole prend-elle le parti d’éclater en sanglots :

— Je suis la plus infortunée des femmes et la plus malheureuse !

Pour soulager son coeur meurtri, elle écrit à son amant et associe dans la même « haine » – elle emploiera le mot – son mari et son beau-frère : « Je les abhorre... Qu’ai-je donc fait à ces monstres ? Mais ils auront beau faire, je ne serai jamais la victime de leurs atrocités. »

« Qu’ai-je donc fait à ces monstres » ? Elle donne elle-même la réponse dans la suite de sa lettre : « Dis, je t’en prie, à Bodin qu’il dise qu’il ne me connaît pas ; que ce n’est pas par moi qu’il a eu le marché de l’armée d’Italie ; qu’il dise au portier du n°100 que lorsqu’on lui demandera si Bodin y demeure, il dise qu’il ne le connaît pas. » Elle soupire et s’accroche à l’amour de son cher hussard : « Ah ! ils ont beau me tourmenter, ils ne me détacheront jamais de mon Hippolyte ; mon dernier soupir sera pour lui. »

Joséphine, le premier instant passé, sent tout ce qu’elle perdrait à n’être plus « la citoyenne Bonaparte », aussi parvient-elle à convaincre son mari qu’il a été trompé par Louise et par Joseph. Tout cela n’est qu’une affreuse calomnie ! Napoléon s’apaise, s’excuserait presque ! Charles n’est pas le moins du monde inquiété et la compagnie Bodin poursuit son trafic. Comment la maîtresse d’Hippolyte est-elle parvenue à ses fins ? Sans doùte en demandant à son mari de partir avec lui pour l’Égypte. D’ici le départ – l’avenir le prouvera –, elle trouvera bien le moyen de rester en France et de reprendre avec son beau hussard son duo interrompu par les « atrocités » de « ces monstres »... Mais la tragédie ne s’en est pas moins installée rue de la Victoire. « Ma belle-soeur, dira Pauline, a failli en mourir de chagrin ; moi, j’ai consolé mon frère qui était bien malheureux. » C’est assurément en pensant à ces heures pénibles qu’il dira :

— Le mariage ne dérive point de la nature.

Il se console en se jetant avec fièvre dans ses préparatifs.

— Mon général, demande Bourrienne à Bonaparte, combien d’années voulez-vous rester en Égypte ?

— Peu de mois, ou six ans, tout dépend des événements. Je coloniserai ce pays, je ferai venir des artistes, des ouvriers de tout genre, des femmes, des acteurs... Nous n’avons que vingt-neuf ans, nous en aurons trente-cinq, ce n’est pas un âge. Ces six ans me suffisent, si tout me réussit, pour aller dans l’Inde.

À la randonnée vers l’Inde, qui paraît alors être une autre planète, Bourrienne eût préféré voir son ancien camarade de Brienne prendre le pouvoir dans son pays – et Bonaparte répond encore :

— J’ai tout tenté. Ils ne veulent pas de moi. Il faudrait les renverser et me faire roi ; mais il n’y faut pas penser encore, les nobles n’y consentiraient jamais. J’ai sondé le terrain, le temps n’est pas venu : je serais seul. Je veux éblouir encore ces gens-là.

Avant de partir pour Toulon, il joue de nouveau au souverain. Entraînant dans une promenade en voiture son aide de camp Lavalette, il lui déclare :

— Je ne peux vous faire chef d’escadron, il faut donc que je vous marie : je veux vous faire épouser Émilie de Beauharnais, elle est très belle et bien élevée. La connaissez-vous ?

L’aide de camp a déjà vu deux fois cette cousine de Joséphine.

— Mais, mon général, s’exclame-t-il, je suis sans fortune et nous allons en Afrique, et je pourrai bien y être tué ; que deviendra la pauvre veuve ? Je n’ai d’ailleurs pas de goût pour le mariage !

— Il faut se marier pour avoir des enfants, c’est le grand but de la vie. Être tué, cela est possible, alors elle sera la veuve d’un de mes aides de camp, d’un défenseur de la patrie ; elle aura une pension et pourra s’établir avantageusement... Causez ce soir avec Madame Bonaparte : la mère a donné son consentement, dans huit jours la noce, et je vous donnerai quinze jours de bon temps. Vous viendrez me rejoindre à Toulon.

Lavalette ne peut s’empêcher de rire :

— Enfin, je ferai tout ce que vous voudrez. Mais la jeune personne voudra-t-elle de moi ? Je ne veux pas la contraindre...

— C’est une enfant qui s’ennuie à la pension...

Allons, c’est une affaire arrangée. Dites au cocher de retourner à la maison.

« La jeune personne » – future héroïne de l’amour conjugal – ne fut guère enthousiasmée en voyant son fiancé – Lavalette était assez disgracié par la nature –, mais il n’était déjà point question de discuter les ordres de Bonaparte !

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Le 9 mai 1798, devant la garde qui veille à l’entrée de Toulon s’arrête un cavalier qui ordonne d’ouvrir les portes :

— Je suis le général en chef Bonaparte !

À Toulon l’attendent l’armée, la flotte, les savants, et une partie du futur empire : Louis, Eugène, Murat, les généraux Berthier, Davout, Lannes, Marmont, Duroc, Bessières. Il y a aussi Kléber et Desaix qui disparaîtront tous deux en 1800.

La flotte achève son rassemblement. En mer, l’armada couvrira huit à dix kilomètres carrés. Lorsque les convois venus de Gênes, de Civita-Vecchia et d’Ajaccio auront rejoint Toulon, les forces d’invasion réuniront quatre cents vaisseaux, frégates, bricks, avisos, transports ayant à leur bord cinquante-cinq mille hommes, mille vingt-six canons, mille pièces d’artillerie de campagne, quatre cent soixante-sept véhicules, mille chevaux – sans parler de nombreuses femmes embarquées, outre les cantinières, plus ou moins clandestinement. Un témoin, qui verra la flotte mouiller devant Alexandrie prétendra que, « saisi d’une frayeur inimaginable », il ne voyait plus la mer « mais seulement des vaisseaux et le ciel ».

Faire traverser à une telle concentration la Méditerranée sur presque toute sa longueur, était une opération dangereuse. Si l’escadre anglaise de Nelson, déjà alertée, rencontrait la flotte de Bonaparte, l’expédition risquait d’être anéantie ou, du moins, si diminuée, que plans et projets pouvaient s’effondrer. Pourrait-on même combattre avec ces bateaux surchargés de terriens ?

— De quelle manière se fera le branle-bas en cas d’attaque ? demande Bonaparte à l’amiral Brueys.

— Si cette circonstance arrivait, général, je donnerai des ordres pour que tout le monde jette ses malles à la mer.

Dès son arrivée, Bonaparte a harangué ses troupes :

— Officiers et soldats, il y a deux ans que je vins vous commander. À cette époque, vous étiez dans la rivière de Gênes, dans la plus grande misère, manquant de tout, ayant sacrifié jusqu’à vos montres pour votre subsistance : je vous promis de faire cesser vos misères, je vous conduisis en Italie. Là, tout vous fut accordé... Ne vous ai-je pas tenu parole ?

Une grande clameur lui répond.

— Eh bien, poursuit Bonaparte, je vais actuellement vous mener dans un pays où, par vos exploits futurs, vous surpasserez ceux qui étonnent aujourd’hui vos admirateurs et rendrez à la patrie des services qu’elle a le droit d’attendre d’une armée invincible. Je promets à chaque soldat qu’au retour de cette expédition il aura à sa disposition de quoi acheter six arpents de terre.

— Vive la République immortelle ! crient d’une seule voix cinquante mille hommes.

Durant une semaine, le général en chef ronge son frein : les vents sont forts et contraires. Joséphine met à profit ce retard pour invoquer des raisons de santé qui l’obligent à se rendre aux eaux. Une fois de plus, Bonaparte cède ; il l’enverra chercher plus tard... Une promesse qui, au grand contentement de la créole, ne se réalisera pas.

Le 19 mai, il gravit les trente-deux échelons conduisant au pont de l’Orient et peut écrire au Directoire : « Il est sept heures du matin. L’escadre légère est sortie, le convoi défile et nous levons l’ancre avec un très beau temps. »

Après avoir reçu cette nouvelle, Barras notera, soulagé :

— Il est enfin parti. Le sabre s’éloigne...

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Aussi peu croyable que cela puisse paraître, rares sont ceux parmi les compagnons de Bonaparte qui connaissent le but réel du voyage. Certains pensent à la Sicile ou à Naples. Seuls, les plus aventureux envisagent une expédition vers le Levant. Cependant, pour l’instant, la plupart des passagers, en proie au mal de mer, entassés, mangeant mal, regrettent la terre et oublient leurs maux en se moquant des six arpents promis par le général en chef...

Lui aussi est incommodé par le roulis. Il passe le plus clair de son temps dans sa cabine. Bourrienne lui fait la lecture. Dès qu’il apprend qu’un bâtiment neutre a été arraisonné, il interroge le capitaine – ici un Suédois commandant la Marie-Sophie – et les questions pleuvent :

— Quand êtes-vous parti de Londres ?

— Où avez-vous relâché ?

— Combien de temps ?

— Depuis quand avez-vous quitté cette ville ?

— Avez-vous vu dans la Manche une escadre anglaise ?

— Avez-vous vu quelques bâtiments dans votre passage de la Manche au détroit ?

— Depuis quand et quel jour êtes-vous passé devant Gibraltar ?

— Avez-vous entendu parler d’une escadre anglaise dans la Méditerranée ?

— Avez-vous vu des vaisseaux portugais ?

— Avez-vous vu l’escadre anglaise ? Où ? Combien de voiles ?

Lorsque le temps le permet, il monte sur le pont. Un soir, tandis que le soleil se couche, il se promène sur la dunette avec Bourrienne. Ce dernier est tout agité : il croit voir le sommet des Alpes. Bonaparte se moque de lui et appelle l’amiral Brueys. Celui-ci prend sa lorgnette et confirme les dires de Bourrienne. « Les Alpes ! À ce mot-là, rapportera le secrétaire, je crois voir encore Bonaparte ; je le vois longtemps immobile et, sortant tout à coup de son extase :

— Je ne puis voir sans émotion la terre de l’Italie ! Ces monts dominent les plaines où j’ai eu le bonheur de conduire tant de fois les Français à la Victoire. Avec eux, nous vaincrons encore ! »

Au début, les compagnons de Bonaparte tuent les heures en jouant gros jeu, mais « l’argent de tous se trouve bientôt réuni dans quelques poches pour n’en plus sortir ». Alors l’état-major se rejette dans la lecture, et la bibliothèque dont Arnault a la garde est d’une grande ressource. La collection de romans suffit à peine. Entre le déjeuner et le dîner, les officiers, installés sur un divan qui fait le tour de la pièce, lisent sans lever les yeux. Parfois, Bonaparte apparaît dans la bibliothèque « joutant pour l’ordinaire avec celui-ci et avec celui-là, c’est-à-dire tirant les oreilles de l’un, ébouriffant les cheveux de l’autre, ce qu’il pouvait se permettre sans inconvénient, chacun, à commencer par Berthier, ayant adopté la coiffure héroïque comme on sait ».

Il demande :

— Que tenez-vous là, Bessières ?

— Un roman !

— Et toi, Eugène ?

— Un roman !

— Et vous, Bourrienne ?

— Un roman !

« M. de Bourrienne, racontera Arnault, tenait Paul et Virginie, ouvrage que, par parenthèse, il trouvait détestable. Duroc aussi, lisait un roman, ainsi que Berthier qui, sorti par hasard dans ce moment-là de la petite chambre qu’il avait auprès du général en chef, m’avait demandé quelque chose de bien sentimental et s’était endormi sur les passions du jeune Werther. »

— Lectures de femmes de chambre ! s’exclame le général avec humeur.

Puis, se tournant vers Arnault :

— Ne leur donnez que des livres d’Histoire. Des hommes ne doivent pas lire autre chose.

— Pour qui garderons-nous les romans, général, car nous n’avons pas ici de femmes de chambre ?

Bonaparte ne sait que répondre et rentre dans sa cabine.

Le soir, il invite les savants à dîner à sa table avec les chefs de l’armée et son état-major. Il désigne « trois ou quatre personnes pour soutenir une proposition et autant pour la combattre ». Ainsi il connaîtra mieux ses compagnons. « Chose qui ne paraîtra pas singulière à ceux qui ont vécu avec Bonaparte dans son intimité, rapportera Bourrienne ; après ces luttes d’esprit, il donnait la préférence à ceux qui avaient défendu avec habileté une proposition absurde, sur ceux qui s’étaient faits les défenseurs de la raison

— Un jour, il demandait si les planètes étaient habitées ; un autre jour, quel était l’âge du monde ; puis, il donnait pour objet de la discussion, la probabilité de la destruction de notre globe, soit par l’eau, soit par le feu ; enfin la vérité ou la fausseté des pressentiments et l’interprétation des rêves. »

C’est là ce qu’il appellera son Institut. « Quelques incidents bouffons, racontera encore Arnault, avaient tempéré parfois le sérieux de ces séances, qui n’étaient pas du goût de tout le monde, et auxquelles le général en chef avait presque exigé que tout le monde assistât. Ils provenaient presque tous de Junot à qui le général passait beaucoup de choses, et qui s’en permettait beaucoup. »

Un jour, Junot feint de s’endormir, ou s’endort peut-être...

— Qui est-ce qui ronfle ici ? demande le général.

— C’est Junot ! répond Lannes.

— Réveillez-le !

On réveille Junot qui, un moment plus tard, ronfle de plus belle.

— Réveillez-le donc, vous dis-je !

Junot ouvre un oeil.

— Qu’as-tu donc à ronfler ainsi ? demande Bonaparte.

— Général c’est votre sacré fichu Institut qui endort tout le monde, excepté vous.

— Va dormir dans ton lit !

— C’est ce que je demande, s’exclame en se levant l’aide de camp.

Prenant cela pour un congé définitif, Junot se crut dès lors autorisé à ne plus assister aux séances de l’Institut d’Égypte.

Le 9 juin, après trois semaines de mer, l’Orient et l’escadre française arrivent devant le port de La Valette. « Jamais, racontera un témoin, Malte n’avait vu dans ses eaux une flotte aussi nombreuse. La mer était au loin couverte de bâtiments de toutes grandeurs, dont les mâts ressemblaient à une immense forêt. » Aussitôt l’ancre jetée, Bonaparte envoie Desaix à Ferdinand Hompesh, Grand Maître de l’Ordre, pour lui demander de « permettre à l’escadre de faire de l’eau ». La réponse du Grand Maître est loin d’être satisfaisante : il n’accorde la permission de débarquer qu’à quatre bâtiments à la fois. La nuit suivante, le consul de France à Malte – le citoyen Caruson – appelé à bord du vaisseau amiral, écrit à Hompesh : « Quel temps ne faudrait-il pas à cinq ou six cents voiles pour se procurer de cette manière, l’eau et d’autres choses dont elles ont un pressant besoin ? Le général Bonaparte est résolu à se procurer de force ce qu’on aurait dû lui accorder, en suivant les principes de l’hospitalité... »

Les chevaliers de Malte peuvent-ils résister ? Ils sont trois cent trente-deux – dont deux cents Français – et les dix à douze mille hommes de la garnison maltaise n’ont aucune allure guerrière. L’artillerie – un millier de canons – est inutilisée depuis un siècle, cependant Hompesh hésite. Bonaparte n’est pas d’humeur à attendre sous l’orme. Et l’ordre est donné d’attaquer les premières défenses de La Valette. Une résistance de ces vieux débris du Moyen Age chrétien – même de quelques jours – eût certes fort ennuyé Bonaparte qui s’attendait toujours à voir apparaître les voiles de Nelson. Fort heureusement, la peur fait perdre la tête au Grand Maître et il prend le parti de capituler. Malte est cédé à la France moyennant l’octroi de pensions au Grand Maître et aux Chevaliers.

« L’armée est prévenue que l’ennemi s’est rendu, déclare Bonaparte ; l’étendard de la liberté flotte sur les forts de Malte. »

Il peut se féliciter. En examinant les fortifications ceinturant le port et la ville, le chef du génie, le général Caffarelli, lui déclare :

— Il est fort heureux qu’il se soit trouvé des gens dans la place pour nous en ouvrir les portes ; car, si elle eût été déserte, tous les efforts de l’armée n’auraient pu lui en procurer l’entrée.

Durant la semaine où il restera à Malte, Bonaparte, « avec l’impétuosité d’un cyclone » – l’expression est de Herold – dicte cent soixante-huit rapports. Il organise, légifère, s’occupe de l’aménagement des hôpitaux, de la religion, de la garde nationale, des impôts, de la poste, du costume, de la justice, des pensions. Il réquisitionne de l’argent, des armes, des vaisseaux, des frégates, des galères de l’Ordre et renvoie vers le continent les chevaliers – sauf trente-quatre qui s’engagent dans l’armée d’Égypte. Les expulsés ont seulement le droit d’emporter avec eux deux cent quarante francs pour leurs frais de voyage.

Le 17 juin, l’avant-veille de son départ, il peut écrire au Directoire : « Quoi qu’il en soit, nous avons, dans le centre de la Méditerranée, la place la plus forte de l’Europe, et il en coûtera cher à ceux qui nous délogeront. »

Le 19 juin, Bonaparte quitte Malte. Nelson court toujours après lui sans le joindre. Dans la nuit du 22 au 23, les vaisseaux de l’amiral anglais, marchant deux fois plus vite que ceux de Bonaparte, passent sans s’en apercevoir à quelques milles de distance des Français. Le 25, la flotte d’invasion est en vue de la Crète – ce qui fournit au général en chef un nouveau thème de discussion : « les fables ingénieuses de la Mythologie et la décadence de l’empire d’Orient ». Le 29 juin, Nelson, avec quatorze vaisseaux, entre dans le port d’Alexandrie. Point de flotte française ! Ulcéré, les nerfs à bout, il repart vers la Sicile.

Il en reviendra.

Deux jours plus tard, à la pointe du jour, Bonaparte a devant lui la côte de l’Égypte. Alexandre et César avaient connu avant lui ce même spectacle. La vue de ce pays plat et brûlé par le soleil fait naître parmi la troupe la plaisanterie bientôt classique :

— Regarde ! voilà les six arpents de terre qu’on t’a décrétés !

Sur chaque unité de l’armada, on lit la proclamation écrite par le général : « Soldats ! Vous allez entreprendre une conquête, dont les effets sur la civilisation et le commerce du monde, sont incalculables. Vous porterez à l’Angleterre le coup le plus sûr et le plus sensible, en attendant que vous puissiez lui donner le coup de mort... »

Bonaparte recommande ensuite aux athées républicains, à ceux qui, il n’y a guère longtemps, acclamaient la déesse Raison, d’avoir des égards – et même du respect – pour les Croyants : « Les peuples avec lesquels nous allons vivre sont mahométans ; leur premier article est celui-ci : Il n’y a pas d’autre Dieu que Dieu et Mahomet est son prophète. Ne les contredisez pas ; agissez avec eux comme nous avons agi avec les Juifs, avec les Italiens ; ayez des égards pour leurs muphtis et leurs imans, comme vous en avez eu pour les rabbins et les évêques ; ayez pour les cérémonies que prescrit l’alcoran, pour les mosquées, la même tolérance que vous avez eue pour les couvents, les synagogues, pour la religion de Moïse et celle de Jésus-Christ... »

Il y a deux ans, il montrait à ses soldats en guenilles les riches plaines d’Italie où ils allaient pouvoir se livrer au pillage. Aujourd’hui, il l’interdit :

« Le pillage n’enrichit qu’un petit nombre d’hommes, il nous déshonore, il détruit nos ressources, il nous rend ennemis des peuples qu’il est de notre intérêt d’avoir pour amis. La première ville que nous allons rencontrer a été bâtie par Alexandre : nous trouverons à chaque pas de grands souvenirs, dignes d’exciter l’émulation des Français. »

La nouvelle de la prise de Malte a créé fermentation et inquiétude à Alexandrie. Aussi les Mameluks ou, pour être plus précis, les deux principaux beys

— Mourad, chef de l’armée, et Ibrahim, chef de l’administration – ont-ils fait trompetter le branle-bas de combat à travers la province de Bahyreh.

Le débarquement se présente mal. Le vent est grand, frais, et la mer extrêmement houleuse. L’amiral Brueys veut attendre douze heures. Et si Nelson revenait ?

— Amiral, s’exclame Bonaparte, impatienté, nous n’avons pas de temps à perdre, la fortune ne me donne que trois jours, si je n’en profite pas, nous sommes perdus !

Les divisions commandées par Berthier, Menou et Bon commencent à débarquer. Les hommes doivent « se laisser glisser le long du vaisseau avec une corde et y rester suspendus jusqu’à ce que la vague remontât la chaloupe qu’elle venait de faire descendre ». Une nuit entière est nécessaire pour atteindre le rivage, nombreuses sont les embarcations qui chavirent sur les récifs. Le mal de mer se met de la partie et les noyades sont assurément plus nombreuses que ne l’affirmera Bonaparte.

À son tour, à une heure du matin, le 2 juillet

— 14 messidor, an VI – Napoléon prend pied sur la terre égyptienne, non loin de la plage du Marabout. À trois heures du matin, il passe en revue cinq mille hommes.

Leur moral est exécrable.

Toute l’armée est même « en insurrection », précisera Bonaparte. Pas plus le ravitaillement que le matériel, pas plus les chevaux que l’artillerie n’ont été débarqués. Les puits sont vides... Pas une goutte d’eau à trouver. « Entre nous, écrira le lieutenant Thurman à sa famille, je puis vous assurer que la soif de nos soldats fut le premier mobile de la prise d’Alexandrie. Au point où l’armée en était, il fallait trouver de l’eau ou périr. »

Et l’on se met en marche vers la ville. Des cavaliers bédouins tourbillonnent sur les côtés et sur les arrières de la colonne. Les traînards – parmi lesquels se trouvent plusieurs femmes – sont faits prisonniers. « Lorsque les captifs furent restitués quelques jours plus tard, le récit qu’ils firent se propagea dans l’armée entière et supprima toute envie de rester à la traîne lors des marches qui suivirent. Les prisonniers mâles, par leur peau blanche et douce, avaient provoqué l’admiration de leurs ravisseurs, décharnés, mais vigoureux, qui les avaient abondamment violés ; les femmes, elles, avaient seulement été battues. Les goûts des personnes qui se nourrissent toute l’année de lait de chameau sont imprévisibles{17}... »

À la pointe du jour, l’avant-garde arrive devant Alexandrie. Bonaparte ne pense plus à la soif : il vient de voir se dresser dans la claire lumière de l’aube, la fière colonne de granit rouge de Pompée. Il court vers elle et escalade le socle. Il regarde les deux obélisques de Cléopâtre et les remparts arabes d’où émergent les minarets et les coupoles.

L’Orient de ses rêves est devant lui...

Des murailles, on commence à parlementer avec les défenseurs assez mal armés. « Tout à coup, racontera le lieutenant Desvernois éclatent des hurlements effroyables d’hommes, de femmes et d’enfants et une décharge d’artillerie nous fait connaître les intentions des Arabes. Bonaparte fait alors sonner la charge et les hurlements redoublent. À onze heures du matin, cheiks et ulémas livrent la ville. Dès son arrivée, « Bonaparte, membre de l’Institut national, général en chef », lance aux Égyptiens une solennelle proclamation dans laquelle il précise fort habilement :

« Peuples de l’Égypte, on vous dira que je viens détruire votre religion ; ne le croyez pas ! Répondez que je viens vous restituer vos droits, punir les usurpateurs et que je respecte, plus que les Mameluks, Dieu, son prophète et l’Alcoran... Dites-leur que tous les hommes sont égaux devant Dieu ; la sagesse, les talents et la vertu mettent seuls de la différence entre eux. Or, quelle sagesse, quels talents, quelles vertus distinguent les Mameluks, pour qu’ils aient exclusivement tout ce qui rend la vie aimable et douce ? Y a-t-il une belle terre ? Elle appartient aux Mameluks. Y a-t-il une belle esclave, un beau cheval, une belle maison ? Cela appartient aux Mameluks. Si l’Égypte est leur ferme, qu’ils montrent le bail que Dieu leur en a fait. Mais Dieu est juste et miséricordieux pour le peuple... »

Napoléon le reconnaîtra plus tard avec franchise : il s’agissait là d’une forme de démagogie qu’il appellera de nouveau du « charlatanisme ». Et il s’exclamera :

— Il faut être charlatan ! Ce n’est que comme cela qu’on réussit.

Il lui faut l’être, assurément, pour enjoliver la première – et détestable – impression. La chaleur est épouvantable et la poussière qui flotte dans l’air, desséchant gorge et poitrine, se trouve si dense que l’on « voit à peine le disque du soleil ». Le ravitaillement est inexistant, aussi Bonaparte, le 5 juillet, fait-il venir plusieurs cheiks. Après un interminable marchandage, il est décidé, contre paiement en espèces, que les Bédouins fourniraient trois cents chevaux et cinq cents chameaux... mais l’accord conclu, rien ne se présente.

Il l’avouera plus tard, « il n’en revient pas d’étonnement » en voyant la médiocrité du port d’Alexandrie.

— Six flûtes ne pouvaient pas y entrer ; je croyais pouvoir y mettre ma flotte en sûreté !

Il demeure là jusqu’au 7, ignorant encore le drame qui se joue sur la route du désert. Le 4 juillet, la division Desaix, envoyée en avant-garde, s’est enfoncée à travers le désert de Bahyreth pour joindre Le Caire par Damanhour, une marche, racontera le soldat François, « dans une campagne de sable, plate, stérile, sans arbres, sans maisons, et par une chaleur insupportable, qui nous oblige à consommer en peu d’heures, le peu d’eau que nous avions pu recueillir... Vers les quatre heures de l’après-midi, halte près de deux puits qu’a fait nettoyer le général Desaix. En cinq minutes, ces puits ont été taris ; des soldats se pressaient pour y descendre en si grand nombre que plusieurs Ont été étouffés ; d’autres ont été écrasés par la foule. Plus de trente soldats sont morts autour de ces puits. Plusieurs, ne pouvant avoir de l’eau, se sont suicidés. »

Épouvanté, Desaix prévient Bonaparte : « Si toute l’armée ne passe par le désert avec la rapidité de l’éclair, elle périra ».

Napoléon est bien de cet avis. Il a sans cesse présent à l’esprit l’exemple de Saint-Louis qui, devant ce même désert « passa huit mois à prier, alors qu’il eût fallu les passer à marcher, à combattre et à s’établir dans le pays ».

Il faut battre rapidement l’armée des Mameluks ! Après avoir organisé la « base » d’Alexandrie, Bonaparte part à son tour pour Damanhour où l’avant-garde est en train de se refaire. Dans cette bourgade misérable – bien des villages égyptiens d’aujourd’hui étalent un semblable dénuement –, les hommes ont pu acheter des galettes plates, non contre des pièces de monnaie, mais contre des boutons de leurs uniformes. Les Égyptiens croient dur comme fer que les mameluks vont bientôt rejeter les envahisseurs à la mer. Que se passera-t-il quand les futurs vainqueurs découvriront par la présence des pièces que les marchands ont commercé avec les Français ? En montrant des boutons d’uniformes, les Égyptiens pourront affirmer avoir massacré les Infidèles...

Bonaparte s’installe chez le cheik local dans une maison dont l’intérieur est « dans un délabrement inimaginable ». Le propriétaire possède cependant quelque bien et le général en chef s’étonne.

— Il y a quelques années, explique le cheik, que j’ai fait restaurer ma maison et acheté quelques meubles : on l’a su au Caire, on a exigé de l’argent, parce que ces dépenses prouvaient que j’étais riche. J’ai refusé, on m’a maltraité, il a fallu payer. Depuis ce temps, je me réduis au plus strict nécessaire et je ne répare plus rien.

Le 10 juillet, le quartier général arrive à Rahmahanie’h, sur les bords du Nil. Les soldats se précipitent pour boire l’eau du fleuve et s’y baigner, puis dévorent les pastèques qui poussent dans les champs avoisinants. On devine le résultat : toute l’armée est bientôt atteinte de dysenterie.

Pendant ce temps, Bonaparte « inspecte » le Delta.

— Si j’étais le maître de ce pays, dit-il à Desaix, pas une goutte d’eau du fleuve ne se perdrait dans la mer.

Le 13 juillet, à Chebreïss, pour la première fois, il rencontre les Mameluks de Mourad-Bey. Ces terribles cavaliers sont persuadés qu’ils vont faire de ces soldats français exténués de la « poussière de paille ».

Au moment où va s’engager la bataille, Bonaparte ordonne de former plusieurs carrés au centre desquels se placent l’artillerie et le peu de cavalerie dont il dispose. « Au lever du soleil, raconte un témoin, une musique guerrière retentit tout à coup. Le général en chef avait donné l’ordre de jouer La Marseillaise, dont il connaissait bien l’effet sur la troupe. Cet admirable chant excite l’audace des soldats, allume leur patriotisme et leur fait comprendre que l’heure de se plaindre est passée et qu’il faut vaincre. »

La formation en carré intrigue les Mameluks. Avec leurs magnifiques chevaux couverts d’or et d’argent, ils essayent bien de charger, mais, chaque fois, l’artillerie, du centre même de ces fortins vivants, les cloue sur place.

Pendant ce temps sur le Nil, le duel entre canonnières françaises et mameluks se poursuit. Elles échangent quinze cents coups de canon, jusqu’au moment où le principal bateau ennemi saute, envoyant son équipage « en l’air, comme des oiseaux ».

C’est la victoire.

Bonaparte est devenu pour les indigènes, admiratifs et respectueux, « le père du feu »... De nouveau, il insiste sur la protection d’Allah.

— Retourne à la mosquée remercier Dieu de ce qu’il a donné la victoire à la juste cause, déclare-t-il au cheik de Chebreïss.

Le 14 juillet, il passe la nuit à Chadour, puis, dès le lendemain, reprend la route du Caire. Il presse la marche – une marche épuisante sous l’écrasant soleil – tandis que l’on massacre allègrement des villages entiers « afin, nous dit encore le soldat François, de donner un exemple terrible à ce pays demi-sauvage et barbare ».

Le 19, Bonaparte se trouve à Wardan – ou Ouârdan. Bourrienne qui se tient à quelque distance de son général – il se trompera en situant la scène plus tard – voit Bonaparte parler à Berthier, puis à son aide de camp Julien, et surtout à Junot. Bonaparte est pâle, plus pâle que de coutume. Il y a même, remarquera Bourrienne « quelque chose de convulsif dans la figure, d’égaré dans son regard ». À plusieurs reprises, il se frappe la tête. Soudain, le visage défait par la colère, blême, Bonaparte s’avance vers lui et lui lance, « d’une voix altérée » :

— Vous ne m’êtes point attaché. Les femmes !... Joséphine !... Si vous m’étiez attaché, vous m’auriez informé de tout ce que je viens d’apprendre par Junot : voilà un véritable ami. Joséphine !... Et je suis à six cents lieues... Vous deviez me le dire !... Joséphine !... M’avoir trompé !... Elle !... Malheur à eux ! J’exterminerai cette race de freluquets et de blondins !... Quant à elle ! Le divorce !... Oui, le divorce ! Un divorce public, éclatant !... Il faut que j’écrive... Je sais tout !... C’est votre faute ! Vous deviez me le dire !

Il sait tout, en effet, et il a affreusement mal

— Eugène l’écrira à sa mère : « Il a été affecté plus que je ne le croyais de cette conversation. Tous les mots que j’ai entendus (reviennent) à ce que Charles est rentré dans ta voiture jusqu’à trois postes de Paris, que tu l’as vu à Paris, que tu as été aux Italiens avec lui dans les quatrièmes loges, qu’il t’a donné son petit chien, que même il est en ce moment près de toi ; voilà en mots entrecoupés tout ce que j’ai pu entendre. »

Quels que soient les sentiments qui l’animent, Bonaparte doit faire taire son coeur et reprendre la poursuite des Mameluks. Le 20 juillet, il peut annoncer au Directoire : « Nous avons marché pendant huit jours, privés de tout, et dans un des climats les plus brûlants du monde. Au matin, nous aperçûmes les Pyramides. Au soir, nous nous trouvâmes à six lieues du Caire, et j’appris que les vingt-trois beys, avec toutes leurs forces, s’étaient retranchés à Embâbeh, qu’ils avaient garni leurs retranchements avec plus de soixante pièces de canon. »

Un écrasant spectacle s’offre aux yeux éblouis de l’armée, à l’aube du 21 juillet – 3 thermidor an VI – : d’un côté les pyramides, colossaux et majestueux triangles qui scintillent sous le soleil, de l’autre, derrière le Nil et les remparts, les trois cent cinquante minarets du Caire et, coiffant le tout, la citadelle de Saladin. Douze mille fellahs occupent Embâbeh, plusieurs dizaines de milliers de combattants grouillent dans la plaine, tandis que devant le fleuve occupé par les canonnières d’Ibrahim, la longue ligne de six mille Mameluks étincelants qui s’apprêtent à charger. Bonaparte a-t-il alors dit :

— Soldats, du haut de ces Pyramides, quarante siècles vous regardent ?...

En tous les cas, l’armée occupant un front de plusieurs kilomètres, le fameux discours ne fut assurément entendu que par quelques unités ! Les officiers donnent l’ordre : À vos rangs ! En un instant les hommes sont disposés en carré sur six rangs de profondeur, prêts à soutenir le choc. L’ennemi fonce. Lorsqu’il est à cinquante pas, une grêle de balles et de mitraille l’accueille. Le carnage est affreux. Bientôt, les Mameluks en fuite se jettent dans le Nil L’effroyable boucherie s’achève dans le fleuve. « Le combat, racontera un combattant ennemi – Nicolas le Turc – n’avait pas duré plus de deux heures – mais quelles heures de terreur indescriptible ! Les gens sanglotaient, se frappaient le visage en hurlant : « Malheur à nous ! Nous voici prisonniers des Français ! »

Les quarante siècles peuvent maintenant contempler un extravagant spectacle. Un gigantesque bazar s’établit sur le champ de bataille ; on dépouille, on vend, on troque. « Les uns, nous dit un témoin, se coiffent de turbans, tout sanglants encore ; les autres se drapent fièrement dans des pelisses fourrées de zibeline ou dans des vestes brodées d’or. »

Au Caire – immense cité dont la superficie est plus grande que celle de Paris –, c’est la consternation. Mourad et Ibrahim se sont enfuis, tandis que le pacha Abou-Bekr, pâle représentant du sultan de Constantinople, suit leur exemple. Aussi les cheiks arabes et les Ulémas décident-ils de capituler et, le 24 juillet, Bonaparte fait son entrée dans la ville. Il est à cheval, ayant à son côté le général Kléber, splendide soldat aux formes athlétiques, et qui attire bien davantage l’admiration des Arabes que le petit général au teint jaune et à l’allure chétive. Il établit son quartier général dans la maison de Mourad-Bey.

Le Caire le déçoit quelque peu. Que le voilà loin du décor des Mille et Une Nuits qu’il croyait trouver dans la fameuse cité ! « Il est difficile, écrit-il au Directoire, de voir une terre plus fertile – c’est, bien entendu, de l’étroite vallée dont il parle – et un peuple plus misérable, plus ignorant et plus abruti. » Pour lui, les trois cent mille habitants du Caire forment la « plus vilaine populace du monde ».

Il devrait être tout à la joie de sa victoire, mais, à son frère Joseph, il trace ces lignes désabusées : « Je peux être en France dans deux mois, je te recommande mes intérêts. J’ai beaucoup de chagrin domestique, car le voile est entièrement déchiré. Toi seul me restes sur la terre. Ton amitié m’est bien chère. Il ne me reste plus pour devenir misanthrope qu’à la perdre et à te voir me trahir... C’est une triste position que d’avoir à la fois tous les sentiments pour une même personne dans un même coeur... Tu m’entends... Fais en sorte que j’aie une campagne à mon arrivée, soit près de Paris ou en Bourgogne. Je compte y passer l’hiver et m’y enfermer. Je suis ennuyé de la nature humaine. J’ai besoin de solitude et d’isolement. Les grandeurs m’ennuient. Le sentiment est desséché. La gloire est fade. À vingt-neuf ans, j’ai tout épuisé, il ne me reste plus qu’à devenir bien vraiment égoïste. Je compte garder ma maison. Jamais je ne la donnerai à qui que ce soit. Je n’ai plus de quoi vivre. Adieu, mon unique ami, je n’ai jamais été injuste envers toi. Tu me dois cette justice, malgré le désir de mon coeur de l’être !... Tu m’entends ! Embrasse ta femme. »

Ces deux lettres, celle d’Eugène et celle de Bonaparte à son frère – ainsi que tout le courrier de l’armée d’Orient –, seront interceptées par Nelson, expédiées à Londres et, peu élégamment, publiées en anglais et en français, le 24 novembre, par le Morning Chronicle.

Pour ne plus penser à l’infidèle, Bonaparte se grise de travail. Il commence par organiser l’Égypte et, ici comme en Italie, les ordres pleuvent... Au général Zajonchek, gouverneur de la province de Menouf : « Vous avez dû recevoir hier les ordres pour l’organisation de votre province. Il faut que vous traitiez les Turcs avec la plus grande sévérité ; tous les jours, ici, je fais couper trois têtes et les promener dans Le Caire, c’est le seul moyen de venir à bout de ces gens-ci. »

Le lendemain, 31 juillet, ce n’est plus trois prisonniers, mais « cinq ou six » qu’il donne l’ordre de décapiter, ainsi qu’il le précise au général Menou : « Les Turcs ne peuvent se conduire que par la plus grande sévérité. Tous les jours, je fais couper cinq ou six têtes dans les rues du Caire. Nous avons dû les ménager jusqu’à présent pour détruire cette réputation de terreur qui nous précédait. Aujourd’hui, au contraire, il faut prendre le ton qui convient pour que les peuples obéissent. Et obéir, pour eux, c’est craindre. »

Le 8 août, il quitte Le Caire pour Belbeïs à la poursuite d’Ibrahim-Bey. En chemin, il croise la caravane pour La Mecque ; les pèlerins l’appellent « le roi de France ». Le matin du 14 août, à Belbeïs, au nord du désert du Sinaï, un paysan tend à Lavalette une lettre que lui avait remise un officier français venu d’Alexandrie, et dont le cheval épuisé ne pouvait plus avancer. L’aide de camp pâlit en jetant les yeux sur le billet : c’est la nouvelle du désastre d’Aboukir : toute la flotte française, à l’ancre, surprise par Nelson, a été détruite ou capturée. Bonaparte lut à son tour le billet avant de passer à table...

— Vous savez ce qu’il contient, déclare-t-il à Lavalette, gardez le secret.

Le déjeuner est fort gai. Les troupes viennent d’enlever aux mameluks tout le butin qu’ils avaient pris à une caravane. Bonaparte décide que les soldats pourront vendre les marchandises à leur profit, dès le retour au Caire. Tous les convives ont le sourire lorsque, au milieu du repas, il annonce paisiblement :

— Eh bien, vous vous trouvez bien dans ce pays, cela est heureux car nous n’avons plus de flotte pour nous ramener en Europe...

La consternation est générale et chacun repousse son assiette, tandis que Bonaparte essaye de rendre moins dramatique la situation :

— Eh bien, nous voilà dans l’obligation de faire de grandes choses ! Nous les ferons ! De fonder un grand empire. Nous le fonderons ! Des mers dont nous ne sommes pas maîtres nous séparent de la patrie, mais aucune mer ne nous sépare ni de l’Afrique ni de l’Asie. Nous sommes nombreux, nous ne manquerons pas d’hommes pour recruter nos cadres. Nous ne manquerons pas de munitions de guerre, nous en aurons beaucoup ; au besoin, Champ et Conté nous en fabriqueront.

Sans doute a-t-on perdu les vaisseaux de ligne, mais les bateaux de transport se trouvent toujours dans le port d’Alexandrie. Et puis, la flotte française de l’Atlantique ne se portera-t-elle pas à leur secours ? Que le désastre d’Aboukir ne leur fasse pas oublier les victoires remportées par l’Armée ! Paris recevra en même temps les deux nouvelles et les noms prestigieux des Pyramides, du Caire et du Nil sauront éclipser celui d’Aboukir qui ne dit rien à personne.

Seul avec Bourrienne, Bonaparte ne dissimule pas son découragement. Son ami le raisonne : le malheur est grand sans doute, mais il eût été bien plus grand si Nelson avait rencontré la flotte à Malte, ou s’il l’eût attendue vingt-quatre heures devant Alexandrie ou en pleine mer :

— Tout était alors perdu sans ressources. Puisque nous sommes bloqués ici, il faut nous suffire à nous-mêmes. Il y a des vivres et de l’argent. Attendons l’avenir, et ce que fera le Directoire.

— Pour votre Directoire, interrompt vivement Bonaparte, c’est un tas de j... f... Ils m’envient et me haïssent, ils me laisseront périr ici. Et puis, ne voyez-vous pas toutes ces figures ? C’est à qui ne restera pas !

C’est à qui ne restera pas ?

Mais que pouvaient-ils faire ? Bonaparte et ceux qu’il avait entraînés dans cette folle aventure, se trouvaient prisonniers de leur conquête – d’une conquête qui était d’ailleurs bien loin d’être accomplie.