VIII
Mme Donadieu s’était inquiétée de ma disparition. Elle m’a reproché d’être parti sans la prévenir alors qu’elle vivait des moments difficiles.
— Vous ne vous rendez pas compte, monsieur Laurent, le souci que j’ai… Maintenant tout le quartier est au courant, les journalistes n’arrêtent pas de me poser des questions ; ils vont chez les commerçants ; regardez là-bas, sur le trottoir, il y a un photographe qui n’a pas bougé depuis ce matin. Tout cela finira mal !
J’eus beaucoup de peine à la rassurer, à la convaincre que je n’avais jamais rencontré Kibler, fût-ce dans le couloir de nos chambres.
— Oui, mais le commissaire a des doutes. C’est embêtant, non ?
— Non, madame Donadieu, c’est amusant au contraire.
Il était huit heures du soir, je venais de passer un après-midi calme, et rien n’aurait pu troubler ma sérénité. Des fenêtres voisines montait l’indicatif du journal télévisé, et j’ai proposé à ma logeuse que nous regardions ensemble les informations de la journée.
Nous nous sommes installés devant le gros poste en bois ciré, qui était posé sur une étagère haut perchée dans le salon d’attente où, quelques heures plus tôt, la police nous avait interrogés.
— Allumez-le monsieur Laurent, j’ai peur de tomber en montant sur une chaise.
Il ne s’était rien passé d’important ce jour-là. Je m’en souviendrais. Le présentateur nous confirma qu’il avait fait très beau, que les plages de France battaient des records d’affluence, il cita le général de Gaulle à plusieurs reprises, et nous vîmes des images d’Algérie où il faisait beau aussi, malgré tout.
Mme Donadieu n’écoutait pas vraiment, occupée qu’elle était à répondre au téléphone et à nous servir deux verres de Martini glacé.
— Vous croyez qu’ils vont parler de nous ?
J’en doutais et j’avais raison. Le meurtre d’une prostituée ne dérange pas les affaires du monde.
Mme Donadieu était quand même déçue. Moi aussi.
Nous avons bavardé un moment en picorant des gâteaux salés et, pour finir, le photographe que je surveillais, grâce à un jeu de glaces, s’en est allé, lassé d’attendre un événement qui ne se produisait pas.
La rue Dugommier retrouvait son aspect des soirs ordinaires, je pouvais ressortir sans crainte.
Je suis allé boire de la bière, place de la Nation, dans un grand café éclairé au néon, où des filles en jupe large dansaient sans s’occuper de moi, devant des appareils à sous qui faisaient de la musique moderne.
Une journée étonnante qui s’achevait drôlement.