17

Le mardi 25 juillet 1917, la famille Picard se trouvait réunie devant le déjeuner sans montrer un bien grand appétit. Le Soleil était grand ouvert au milieu de la table. Édouard commenta, dépité :

— Cette fois, ils l’ont, leur foutue loi!

La nouvelle n’en était plus une. La veille, la loi de conscription passait avec une énorme majorité à la Chambre des communes. Dans les fenêtres des divers journaux de la ville, de même que dans celles des bureaux de télégraphe, les résultats du vote se trouvaient affichés.

— Par cent deux voix contre quarante-quatre, compléta Thomas.

— Les seuls opposants sont des libéraux de langue française. Les Canadiens anglais ont déserté Laurier en masse pour appuyer la mesure de Borden.

Les prédictions du vieux chef se réalisaient inéluctablement : poussés par des électeurs partisans de l’enrôlement obligatoire, des députés libéraux du reste du Canada se ralliaient à cette loi dans l’espoir de sauver leur siège lors de la prochaine élection.

— Tu crois que pour toi?... laissa échapper Élisabeth en regardant son fils.

Thomas prit sur lui de la rassurer :

— La loi comprend un certain nombre de mesures d’exception, dont une relative aux gens mariés. Évidemment, si ce conflit s’éternise…

— C’est impossible, trancha sa femme. Les États-Unis sont entrés en guerre en avril, ils promettent de fournir plus d’un million de soldats.

— Aucun de ceux-ci n’atteindra l’Europe avant l’automne, déclara Édouard en posant la main sur l’avant-bras de sa belle-mère. La conscription, ici comme au Royaume-Uni, doit permettre aux Alliés de tenir le coup le temps de voir arriver ces renforts.

Elle referma le journal en secouant la tête, désireuse de voir les deux hommes changer de sujet. Ce geste ne suffit pas. Son époux augmenta encore un peu son inquiétude en ajoutant :

— La menace est d’autant plus grande que les Russes s’écrasent totalement du côté du front de l’est. Cela permet aux Allemands de ramener des troupes en France et en Belgique.

Élisabeth posa sa fourchette en travers de son assiette, puis s’essuya la bouche avec sa serviette. Rien ne passerait plus, autant s’en tenir à sa seule tasse de thé. Thomas n’arrivait pas à changer de sujet :

— Que se passera-t-il du côté de la Ligue anticonscriptionniste?

— Les assemblées publiques vont se multiplier, expliqua son fils. Lavergne entend continuer à inviter les gens à défier la loi.

— Cela risque tout simplement de conduire un tas de pauvres types au pénitencier.

— Les cachots de la prison des plaines d’Abraham valent certainement mieux que les champs de bataille.

Ce fut au tour d’Élisabeth de toucher le bras de son fils pour murmurer :

— Sois prudent, ne te mêle pas à ces protestations. Dans dix jours, tu seras à l’abri de cela.

Le jeune homme acquiesça, s’essuya la bouche, puis quitta la table en disant :

— Je vais démarrer la voiture.

Après avoir entendu la porte d’entrée se refermer sur lui, Thomas demanda à voix basse :

— Viendront-ils au mariage?

— … Les faire-part viennent tout juste d’être postés. Nous ne le saurons pas avant quelques jours.

La tradition voulait que le père de la mariée assume les frais de la noce et s’occupe des divers aspects de la cérémonie. Le samedi précédent, Évelyne Paquet, tout effarée, avait sonné à la porte de la rue Scott. La jeune femme venait de découvrir que la famille de madame veuve Alfred Picard ne figurait pas sur la liste des personnes à inviter. Elle paraissait sur le point d’éclater en sanglots face à cet impardonnable impair. Élisabeth, peu désireuse de partager des secrets de famille, avait feint de ne pas comprendre les raisons d’un pareil « oubli ».

Elle n’avait toutefois guère d’autre choix que de laisser sa future bru mettre une invitation à la poste. Autrement, l’absence des seuls parents vivants d’Édouard ferait trop jaser.

— Dans mes pires cauchemars, confessa le commerçant, j’imagine Marie hurlant ses accusations en pleine basilique, juste avant l’échange des vœux.

— De sa part, cela n’aurait aucun sens, le corrigea son épouse. Mais cette jeune fille de la Basse-Ville a des motifs plus sérieux de s’exprimer.

L’homme demeura interloqué, puis avoua :

— Je n’y avais même pas pensé… Moi qui espérais me faire rassurer. Si tu avais vu la scène au magasin! L’histoire a fait le tour des employés en moins d’une heure.

Bien que fort désagréable, l’événement ne nuisait pas vraiment à la réputation du jeune homme. Même les vendeuses tendaient à pardonner les frasques du charmant garçon du propriétaire, si gentil et si souriant. Elles préféraient condamner la maîtresse abandonnée, prêtes à lui concéder tous les torts dans cette histoire.

Toutefois, le jeune homme avait demandé le renvoi immédiat du secrétaire, pour son « indiscrétion ». Pareil manque de jugement troublait un peu son père. Chasser cet employé entraînerait irrémédiablement une avalanche de révélations sur les secrets glanés au fil des ans, amplifiés par la colère. Pour cela, cet homme méritait des égards.

— Je rendrai visite à Marie demain, déclara Élisabeth en se levant. Tu dois aller travailler.

Thomas quitta sa place en prenant une dernière gorgée de thé et demanda, au moment d’atteindre le hall d’entrée :

— Tu crois que c’est une bonne idée?

— Certainement. Tu sembles oublier que nous sommes devenues amies.

Le mot paraissait un peu exagéré pour désigner la nature de leur relation. Pourtant, leurs quelques rencontres annuelles se révélaient fort agréables.

* * *

— Cet homme ne changera jamais, commenta Gertrude en rendant le petit carton beige à sa patronne. Vous inviter au mariage de son fils!

— L’invitation vient de la famille Paquet, répondit Marie. Je m’étonne cependant de figurer parmi la liste des invités.

La domestique haussa les épaules, comme si la précision ne revêtait aucune importance, et regagna la cuisine.

La boutique ALFRED venait de fermer ses portes. La famille se trouvait réunie dans la salle à manger pour le souper. Très régulièrement, la mère levait les yeux sur son fils. Mathieu arborait sans fierté particulière son uniforme de sous-lieutenant du 22e bataillon. Sa scolarité antérieure et sa relative connaissance de l’anglais lui valaient le privilège de recevoir une formation d’officier. Robuste, de grande taille, les jeunes femmes se tournaient sur son passage. La complaisance du commandement du camp Valcartier lui permettait de se trouver avec sa famille : des volontaires comme lui représentaient la meilleure publicité pour le bureau de recrutement.

— De toute façon, ils n’avaient pas le choix, intervint le garçon de sa voix posée. Nous sommes sa seule famille. Les Paquet doivent avoir une collection d’oncles, de tantes, de cousins et de cousines. De son côté, tu l’imagines avec quelques fournisseurs et des amis fidèles du Parti libéral?

Marie posa sur lui ses grands yeux bleus et cilla encore à la vue de l’uniforme kaki. Jamais elle ne s’y ferait.

— Je n’irai pas. Tu sais que je dois aller à Rivière-du-Loup… et toi aussi.

— Moi, glissa Thalie, je vais garder le magasin, toute seule comme une grande. Dommage! Je lui aurais volontiers remis une autre plume.

Mathieu jeta un regard sur sa sœur, puis déclara d’un air faussement sévère :

— Pour t’empêcher de faire cela, maman et Gertrude vont t’attacher sur ton lit, ou alors tu iras à la campagne à ma place.

— Voyons, ce n’est pas moi qui rêve d’une jolie fille timide. Tu ne sacrifieras pas ce voyage.

Elle le regardait en riant, amusée par la petite rougeur sur son cou. Mathieu répondit d’un sourire, puis expliqua à sa mère :

— Je vais aller à ce mariage. Je prendrai le train en fin de journée pour te rejoindre là-bas.

— Mais pourquoi? Mieux vaut ignorer totalement cette famille.

— Bien au contraire, je ne veux pas leur donner la chance de m’oublier.

Elle se troubla en se souvenant de la recommandation figurant au testament d’Alfred. La suggestion de prendre un jour possession du magasin de la Basse-Ville lui paraissait tellement ridicule.

— Si tu crois cela nécessaire, admit-elle pourtant. J’attendrai pour faire le trajet avec toi.

— Vous êtes vraiment cruels, tous les deux, commenta Thalie. Deux personnes se languissent de vous dans le Bas-du-Fleuve, et au lieu de vous précipiter vers elles, vous trouvez de mauvaises raisons pour les faire attendre.

— Ma petite sœur a à moitié raison. Maman, ne change rien à tes projets. Monsieur Dubuc est en train de se ruiner en timbres à t’écrire tous les jours. J’irai à ce mariage samedi, puis je te rejoindrai en soirée.

Gertrude revenait de la cuisine avec un plat de service. Elle intervint sans vergogne dans la conversation :

— Et cette jeune personne toute frémissante?

— Elle profitera de ma compagnie tout un dimanche.

Françoise recevrait une portion congrue de sa présence.

* * *

Soulignée par le tintement joyeux de la clochette, la porte de la boutique s’ouvrit pour laisser passer Élisabeth Picard. Elle marcha sans hésiter vers Marie, la main tendue. Après l’échange de salutations et d’informations sur leur santé réciproque, elle demanda :

— Puis-je vous parler un moment?

Devant les yeux interrogateurs de la marchande, elle ajouta :

— En privé.

Quelques minutes plus tard, elles s’enfermaient dans la salle de repos.

— Je peux nous faire un peu de thé…

— Ce ne sera pas nécessaire, je resterai seulement une minute. Vous avez reçu le carton d’invitation?

— … Oui, hier. Il est arrivé un peu à la dernière minute.

Le reproche implicite s’accompagnait d’un sourire ironique. La visiteuse ne se troubla pas.

— Nous n’avions pas songé à vous inviter, mais les beaux-parents d’Édouard ne l’entendent pas ainsi.

— Et votre époux mesure sans doute aussi combien l’absence de sa seule famille prêtera à diverses interprétations.

Élisabeth resta immobile, un peu embarrassée. Marie jugea préférable de clarifier les choses tout de suite :

— Je préférerais mourir plutôt que de me trouver là. Mais je ne connaîtrai pas un sort aussi triste : je me rendrai plutôt auprès d’un ami très cher.

Une fois déjà, elle avait évoqué l’existence de Paul à mots couverts devant la visiteuse. Celle-ci acquiesça d’un signe de tête, pour signifier son appréciation de la situation.

— Thalie devra s’occuper du magasin, ce dont le futur marié et votre époux devraient se réjouir, compte tenu de son caractère fantasque. Mathieu entend y aller. Il représentera notre famille.

— … Je serai heureuse de le revoir.

— Je vous crois. Votre sympathie pour mes enfants paraît sincère.

Marie marqua une pause, puis ajouta dans un sourire :

— Vous pouvez être rassurée : votre mari pourra compter sur la présence de son fils cadet au mariage de son aîné.

Cette fois, Élisabeth se troubla pour de bon. La longue étude du manuel de civilité de la baronne de Staffe ne lui servait à rien dans une situation aussi délicate. Heureusement, la marchande posa sa main droite sur la sienne au moment de dire encore :

— Ne craignez rien, tout ira bien. Maintenant, je vous chasse afin de revenir à ma caisse enregistreuse.

Lorsqu’Élisabeth franchit la porte du magasin, elle se retourna pour articuler un « merci ».

* * *

Les noces canadiennes-françaises permettaient habituellement de regrouper des familles nombreuses. Selon un usage ancien, les parents de chacun des mariés se répartissaient de part et d’autre de l’allée centrale, les allées latérales recevant les curieux. Parce que les proches des Paquet dépassaient en si grand nombre ceux des Picard, un marguillier crut nécessaire de demander aux premiers de se mêler aux seconds pour rétablir un certain équilibre et briser l’impression de désertion.

Édouard Picard, au moment de répondre « Oui, je le veux », parcourut nerveusement la basilique du regard, à la recherche d’une silhouette blonde. Ses mots vinrent dans un soupir de soulagement : Clémentine ne s’y trouvait pas. Évelyne, émue jusqu’au tréfonds de l’âme, ne remarqua rien de son malaise. Plusieurs minutes plus tard, elle marcha au bras de son époux jusqu’aux grandes portes donnant sur le parvis, magnifique dans un fourreau de soie, et cligna des yeux sous l’éclatant soleil de ce 4 août.

Mathieu, sanglé dans un uniforme d’apparat de son régiment, la casquette basse sur le front, se retrouva mêlé à la famille immédiate du marié au moment de la prise des photos. Si Élisabeth lui adressa un sourire engageant, Édouard, Thomas et Eugénie lui présentèrent un visage froid. Puis, toute la compagnie s’égailla en direction de la place d’Armes.

La grande maison des Paquet ne suffisait pas à recevoir tous les invités au repas de noces. Comme à l’occasion du mariage de l’aînée, l’année précédente, une salle du Château Frontenac permit de réunir les convives. Avant de s’installer autour des grandes tables circulaires, les nouveaux mariés se tinrent debout près de l’entrée, en compagnie de leurs parents, afin de serrer toutes les mains qui se tendaient vers eux. Mathieu s’exécuta avec toute la politesse de façade d’un marchand. Au moment de prendre la main d’Évelyne, il prononça avec entrain en s’inclinant vers elle :

— Madame Picard, je suis heureux de vous compter désormais parmi mes cousines. J’aurais presque envie de dire demi-sœur. Je vous souhaite d’être heureuse.

Il la laissa interloquée, puis passa devant le jeune homme pour continuer :

— Édouard, je suis content de te revoir. Mes meilleurs vœux.

— … Merci.

— Thalie s’occupe du magasin aujourd’hui. Elle ne peut pas être là. Elle ne te manquera sans doute pas. Cette charmante jeune personne a évoqué l’idée de t’offrir à nouveau une plume de poulet, ces derniers jours.

Le nouveau marié se raidit. Il formula d’une voix blanche :

— Dans quelque mois, tu seras dans une tranchée…

— Et toi bien à l’abri, je sais. Ne viens-tu pas de t’acheter une assurance contre les balles allemandes?

Mathieu se déplaça vers Thomas sans attendre la répartie de son demi-frère, serra la main du commerçant, puis celle de l’épouse de celui-ci. Au moment de s’éloigner, il entendit la mariée murmurer à l’intention de son compagnon :

— Que voulait-il dire, avec son histoire de demi-sœur?

La réponse lui échappa tout à fait.

Au début de l’après-midi, après un repas plus que convenable, le nouveau couple ouvrit la danse en occupant seul la piste, le temps d’une valse. Les invités se joignirent à eux pour les pièces suivantes. Mathieu fit tourner quelques cousines de la mariée, pâmées sur son bel uniforme. Figurer parmi les braves procurait au moins cet avantage. Puis, Élisabeth marcha vers lui, très séduisante dans sa robe de satin bleue.

— Je vais heurter toutes les convenances, commença-t-elle dans un sourire. Voulez-vous danser avec moi?

— Personne, dans cette salle, n’oserait refuser pareille invitation venant d’une femme aussi belle. J’accepte avec plaisir.

Un instant plus tard, une main sur sa taille fine, l’autre tenant légèrement ses doigts gantés, il l’entraîna dans un tourbillon.

— Vous êtes courageux de vous porter ainsi volontaire, dit-elle.

— Une qualité inégalement partagée chez les Picard.

Il lut la tristesse sur son visage, se trouva immédiatement mal à l’aise, puis bredouilla :

— Je vous demande pardon. Sincèrement.

Le silence s’installa entre eux, lourd. Il continua après une pause :

— Je ne sais pas si je suis courageux. Aucun des volontaires ne le sait vraiment. Nous partirons tous avec l’espoir que le feu ennemi frappera nos camarades, tout en nous épargnant. En ce qui me concerne, je le saurai là-bas. Selon les histoires sans cesse répétées au camp d’entraînement, la bravoure vient le plus souvent de ceux dont on ne l’attendait pas.

Élisabeth le regarda un moment dans les yeux, puis souffla :

— Je souhaite de tout mon cœur que les balles vous épargnent. Sincèrement.

Au terme de la valse, Mathieu préféra s’éclipser discrètement.

* * *

La grande maison blanche, rue Hôtel-de-Ville, affichait un air de quiétude identique à celui de l’année précédente. Le village semblait hors du temps. Marie se sentait presque chez elle, confortée par l’accueil de Paul. Même tante Louise paraissait disposée à accepter la présence d’une nouvelle femme dans la vie de son frère cadet. Une veuve dans la maison d’un veuf heurtait bien des convenances, d’autant plus que le chaperon manquait à l’appel. Au moins, Mathieu serait là avant la nuit.

En fin d’après-midi, Paul avait multiplié les excuses avant de se rendre à une réunion politique. Amélie s’ébattait près du fleuve avec une brochette de cousins et de cousines. L’aînée demeura seule avec la visiteuse.

— J’avais si hâte de le revoir, prononça Françoise.

Les deux femmes occupaient des fauteuils de rotin placés sur la longue galerie. Marie choisit de mentir un peu, par gentillesse.

— Lui aussi, soyez-en certaine. Il convenait qu’au moins un membre de la famille assiste à ce mariage.

La jeune fille posa ses yeux gris sur son interlocutrice pour l’amener à répondre à une question muette.

— Personnellement, cela m’était impossible. Mes relations avec mon beau-frère furent… très difficiles.

— … Je comprends.

« Jusqu’à quel point? » se demanda la femme. Elle connaissait assez la nature humaine pour se douter que les jeunes filles timides et sages possédaient une ouïe et une sensibilité très fines. Les vicissitudes de l’existence ne présentaient peut-être pas de grands mystères pour elle.

— Comment se déroule votre été? demanda-t-elle, soucieuse de changer de sujet.

— … Bien, sans doute.

— Vous ne paraissez pas certaine.

Françoise la regarda à nouveau et hésita un moment avant de confier :

— L’été est merveilleux, avec papa et ma sœur dans la maison. Mais je gâche tout en songeant sans cesse à l’automne prochain.

Elle baissa le regard avant de poursuivre à voix basse :

— Il sera en Europe… et moi seule ici à me torturer d’inquiétude, sans personne à qui en parler. Enfin, tante Louise sera là…

À nouveau, elle chercha un appui dans les yeux de son interlocutrice.

— Mais sa présence ne se compare pas à celle de vos proches, je sais. Même Amélie doit faire une confidente agréable.

— C’est vrai. Elle répète les secrets qui n’en sont pas, mais se révèle absolument muette sur les autres.

Elle marqua une nouvelle pause avant de continuer.

— J’ai beau avoir dévalisé la Librairie Garneau fin juin et rationner mes lectures depuis, je ne pourrai m’occuper l’esprit bien longtemps. Vous savez, l’hiver à Rivière-du-Loup est bien long.

— Je peux facilement imaginer le froid, les grands vents venus du fleuve…

— Puis, papa restera sans doute à Québec toutes les fins de semaine.

L’affirmation contenait un reproche implicite à l’égard de la visiteuse. Paul aurait certainement bien du mal à renoncer à ses rendez-vous dominicaux clandestins. Elle tenta de corriger son indélicatesse en ajoutant bien vite :

— Il voudra visiter Amélie au monastère des ursulines.

— Les droits de visite sont calculés si chichement, assura Marie en affichant un sourire complice. Il lui devient difficile de se multiplier.

Françoise rougit un peu, sourit aussi. « La grande fille sage n’a rien d’une sotte », conclut la femme avant de révéler ses intentions.

— Si nous nous y mettions toutes les deux pour le convaincre, croyez-vous que votre père vous laisserait occuper un emploi plutôt digne et loger dans la chambre d’une maison bien tenue?

— … Je ne sais pas. Il est si soucieux de bien paraître aux yeux de ses électeurs.

— Je ne parle pas d’une usine de munitions. Plutôt d’une boutique respectable, où même des députés viennent acheter de jolies robes à leurs filles adorées.

Le rouge monta sur le cou de l’adolescente au moment où elle saisit le sens de ces paroles.

— Je ne sais pas si je saurais…

— Si le travail de vendeuse se trouve à ma portée et à celle de Thalie, vous vous débrouillerez très bien. Il s’agit juste de vouloir essayer.

— Je suis si timide…

— Aux yeux de Mathieu, ce n’est pas un si grand défaut. Si, de votre côté, vous souhaitez gagner un peu d’assurance, le magasin ALFRED vous procurera une meilleure opportunité de le faire que cette grande maison désertée pendant tout l’hiver.

Françoise cligna des yeux. Ses paupières se chargèrent de larmes.

— Je… je ne sais pas.

Marie se leva à demi pour approcher son fauteuil de celui de sa compagne. Elle se pencha un peu pour la regarder de plus près et prendre sa main.

— Nous allons toutes les deux nous inquiéter de cet adorable fou décidé à jouer au soldat. Sa chambre sera vide, vous pourrez l’occuper. Au High School, Thalie commencera l’année préparatoire aux examens universitaires. Toutes ses soirées seront consacrées à ses livres. Pourquoi ne pas nous entraider? Nous nous tiendrons compagnie, toutes les deux.

— Mais, vendeuse?...

— J’ai un vrai problème avec le personnel depuis deux ans. Les usines de munitions versent de meilleurs gages que moi.

— Je ne sais rien faire…

— Alors que j’avais votre âge, mon mari, qui était mon patron à l’époque, m’a dit de ne pas répéter une chose pareille, car même si elle n’était pas vraie, les gens finiraient par le croire. C’était un excellent conseil. Je vous l’offre à mon tour.

Un nouveau clignement des yeux fit couler les larmes sur les joues de la jeune fille. Marie les essuya du bout des doigts, déclenchant une petite ondée sans le vouloir. Privée de ce genre de tendresse depuis longtemps, le geste atteignait Françoise au cœur.

— Je vous donnerai la même chose qu’à n’importe quelle débutante, en retenant le prix de la pension. Ensuite, le salaire augmentera en proportion de votre performance.

— Je n’ai besoin de rien…

— Vous êtes incorrigible. Dire cela, c’est comme affirmer ne savoir rien faire.

Le bout des doigts demeurait sur sa joue.

— Je ne sais pas si papa…

Cela valait un assentiment. De la crainte d’accepter, elle passait directement à celle d’un interdit paternel.

— Crois-tu vraiment que le député de Rivière-du-Loup peut me refuser quelque chose de raisonnable, ou que moi-même je puisse refuser quelque chose à ce digne représentant du peuple?

Le premier tutoiement passa inaperçu devant le sous-entendu contenu dans le propos. L’expression troublée de Françoise témoignait de sa parfaite compréhension de la situation. Elle aussi ne saurait rien refuser au sous-lieutenant qui montait dans un train au même moment, à Lévis.

— Madame, vous êtes très généreuse…

— Marie. Plus de « Madame » entre nous. Et le jour où tu te sentiras assez à l’aise, tu me diras « tu ».

— Je n’oserai pas… Marie.

La visiteuse se cala dans son fauteuil et sourit gentiment avant d’affirmer :

— En réalité, je suis égoïste. Ma proposition fera plaisir à Mathieu, à Paul et à toi, tout en réglant un problème très réel de personnel. Trois personnes voudront me faire plaisir à leur tour. Tu crois que je serai perdante?

— Je ne pense pas, Marie.

Le bruit des sabots d’un cheval dans la rue attira leur attention. Paul allait les trouver particulièrement souriantes.

* * *

— Ma fille, vendeuse?

Le député paraissait soucieux. Afin de s’éloigner des oreilles bienveillantes et curieuses de tante Louise, le couple avait migré, le thé glacé à la main, dans une gloriette située au fond de la cour. La période du grand deuil étant terminée depuis plusieurs mois, la famille Dubuc pouvait maintenant passer ses dimanches dans des atours mieux adaptés à la période estivale. Paul paraissait plutôt bien dans son costume de lin pâle, un chapeau de paille sur la tête.

— La fonction ne s’avère pas indigne à tes yeux, j’espère?

Le sourire amusé de Marie ramena son compagnon à de meilleurs sentiments.

— À moi, jamais. Mes électeurs, toutefois…

— Juges-tu vraiment utile de le leur apprendre du haut d’une estrade, lors de la prochaine campagne électorale?

— Je suppose que pendant tout le prochain siècle, les candidats libéraux gagneront tous les sièges de la province en murmurant le mot « conscription ».

— Alors pourquoi ne dis-tu pas : « Bravo, quelle excellente idée »?

Paul contempla le bout de ses doigts un moment, évitant de répondre vraiment.

— Tu imagines combien ce sera exigeant pour toi de la former. Puis, elle est si timide…

— Je perds mon temps à former des gamines sans aucune expérience de travail. Toutes me désertent après six semaines pour regagner une usine de munitions. Quant à sa timidité, préfères-tu la garder rougissante toute sa vie?

— Non, bien sûr…

— Alors donne-lui la chance de voir des gens. Tante Louise paraît bien gentille, mais je ne la crois pas très compétente pour accompagner une jeune fille dans le monde. Mais si Thalie déteint juste un peu sur elle…

L’homme sourit en se souvenant du caractère frondeur de la fille de sa maîtresse.

— Ce genre d’assurance ne paraît pas contagieux, sinon Amélie aurait contaminé son aînée… Tu es certain que cet arrangement ne t’ennuiera pas?

— Elle couchera dans la chambre de Mathieu, apprendra à vendre des sous-vêtements aux dames de la Haute-Ville. Tu auras la meilleure raison du monde de venir manger à la maison.

— Elle saura… pour nous.

— Elle sait depuis un an. Si elle avait un doute, depuis la nuit dernière…

Paul changea de position sur sa chaise, soudainement très mal à l’aise. Soucieux d’échapper aux oreilles attentives de sa sœur aînée, il avait préféré monter à l’étage au milieu de la nuit au lieu de demander à sa maîtresse de descendre le rejoindre. Si les craquements de l’escalier, puis les murmures étouffés dans la chambre, avaient échappé à tous les occupants de l’étage, cela tenait du miracle.

— Je… Je ne veux pas donner le mauvais exemple.

— Alors tu devras te priver de tes visites rue de la Fabrique.

Depuis le jour où Mathieu avait annoncé à sa mère son désir de s’enrôler, l’homme était venu manger à l’appartement à quelques reprises, lors de ses passages à Québec. Tout naturellement, il s’était attardé chaque fois après que les enfants se soient retirés dans leur chambre. Le sourire de Marie témoignait de sa conviction que son amant ne renoncerait pas facilement à cette nouvelle routine.

Après une longue pause, l’homme poussa un soupir, puis se résolut enfin à avouer le fond de sa pensée à voix basse :

— Ta proposition, relativement à Françoise, me prend totalement au dépourvu. Je comptais aussi te surprendre, aujourd’hui.

De nouveau, il se perdit dans ses pensées, puis plongea :

— J’aimerais t’épouser. Mon deuil est terminé, je sais que je ne désirerai jamais personne d’autre…

Il s’arrêta, rougissant, incapable de fixer les yeux de sa compagne. La voix de celle-ci l’atteignit en même temps que sa main se posa sur la sienne :

— Je te remercie de tout mon cœur, mais nous ne le pouvons plus.

— … Que veux-tu dire?

Ses yeux, maintenant fixés dans les siens, trahissaient son désarroi.

— Françoise et Mathieu sont en train de se dire qu’ils s’aiment. Nous ne savons pas comment cette histoire se terminera, mais un mariage entre nous les empêcherait de s’unir un jour à leur tour. Je ne connais pas le droit canon, mais entre un demi-frère et une demi-sœur…

Paul la contempla longuement, puis concéda enfin :

— Cela ne m’avait pas du tout effleuré l’esprit.

— Je me dois d’être tout à fait honnête avec toi : même sans ce motif, je refuserais ta demande.

Paul essaya de retirer sa main. Elle s’accrocha à ses doigts.

— En tant que veuve, je possède et dirige mon commerce à ma guise. Je suis responsable de ma propre vie, de mon avenir.

— Je ne me mêlerais de rien…

— Je te crois. Tout de même, aux yeux de la loi, je ne disposerais plus de rien. Puis tôt ou tard, tes collègues députés murmureraient dans ton dos au sujet de ta femme commerçante. Tu désirerais que je cesse…

Les yeux sombres de la femme ne quittaient pas les siens. Son affection pour lui se mélangeait à une sourde détermination, celle de ne jamais se trouver à nouveau à la merci de quiconque. La petite main crispée sur ses doigts témoignait d’une force étonnante.

— Je suis ta femme depuis un an. Aucune bénédiction, aucun contrat notarié ne peuvent augmenter ou réduire mon attachement pour toi. En doutes-tu?

— Non. Moi non plus, je n’ai pas besoin d’un curé pour m’attacher à toi. Sauf que j’aimerais dire à haute voix que je suis avec toi.

— Ne crains rien. Juste à nous voir nous promener dans la rue, les gens avec deux sous de jugement le comprennent très bien. Nous ne sommes pas discrets.

Paul se pencha pour poser ses lèvres sur celles de sa maîtresse. Au moment de reprendre sa place, il précisa :

— S’il ne s’agissait que de tes réticences, j’insisterais. Je suis pas mal convaincant, tu sais, et je pense être capable de concocter un contrat de mariage capable de te rassurer. Mais tu as raison à propos des enfants. Si on lui en laisse la chance, Françoise voudra porter les enfants de ce brave…

Marie rendit la pression des doigts et tenta de chasser de son esprit le véritable sens des mots « Si on lui en laisse la chance ». Des jeunes gens mourraient à la guerre sans laisser de descendance. Paul comprit son inquiétude et essaya de changer le cours de sa pensée en demandant :

— Tu penses faire d’une fille timide une bonne vendeuse?

— Sans aucun doute. Elle est si gentille que les clientes achèteront juste pour ne pas la décevoir.

— Tu lui donnes combien de temps pour te tutoyer?

La nouvelle intimité entre elles l’avait un peu ému, lors du souper de la veille.

— Octobre.

— Ce sera peu orthodoxe, entre une belle-mère et sa bru.

— Comme tu as pu le remarquer, je ne suis pas une femme ordinaire.

Il s’inclina à nouveau pour l’embrasser. Si quelqu’un, parmi les voisins, se penchait à ce moment au-dessus de sa haie, la vraie nature de leur relation serait commentée dans tout le village à l’heure du souper.

* * *

Les militaires profitaient de certains avantages, même dans une province tellement réfractaire à l’enrôlement. Parmi ceux-ci figurait le privilège de marcher dans un parc avec une jolie fille pendue à son bras. Si l’homme s’avérait élégant, il pouvait même passer son bras autour de la taille de la demoiselle sans trop faire sourciller.

— Si je ne savais pas qu’à ce moment la date de ton embarquement sera terriblement proche, j’aurais hâte à l’automne prochain, laissa entendre Françoise au moment de s’asseoir sur un banc dans le parc longeant la rivière.

— C’est gentil à toi d’avoir accepté. Maman sera moins seule.

— Et moi aussi. Nous nous inquiéterons ensemble.

Mathieu posa sa main sur le dossier du banc. Même s’il ne la touchait pas, la jeune fille se trouvait dans le cercle de son bras. Elle ferma son ombrelle pour la poser en travers de ses genoux et se plaça si près de lui que son bras toucha son flanc.

— Je préférerais vous épargner ce souci…

Elle leva la main, mit le bout de ses doigts gantés sur ses lèvres.

— Ne dis rien.

La main du garçon se déplaça sur l’épaule, exerça une pression légère, puis revint sur le banc. Les mots ne servaient plus à grand-chose. Le silence dura de longues minutes. À la fin, le sous-lieutenant jugea de son devoir de préciser :

— Je ne sais pas combien de temps je serai parti.

Elle le regarda brièvement, ramena ses yeux vers le centre de la rivière du Loup.

— Ni même si je reviendrai…

— Tu reviendras. Jamais je n’envisagerai une autre possibilité.

La voix s’avérait grave, un peu hésitante, comme si une main invisible serrait son cou fin et pâle.

— Si jamais tu acceptais de voir un autre garçon, pendant mon absence…

— Cela ne se produira pas.

— … Je comprendrais, continua Mathieu, comme s’il n’avait rien entendu. J’ai décidé seul de m’enrôler, tu n’as pas à en subir les conséquences.

Les yeux gris revinrent vers lui, les paupières lourdes de larmes.

— Tu me connais mal. Je t’attendrai tout le temps nécessaire. J’accepte ta décision, même si je ne la comprends pas. Il me suffit de savoir que c’est important pour toi.

Une perle de rosée descendit sous l’œil gauche, roula sur la joue. L’homme se pencha pour l’effacer de ses lèvres, effleura la bouche tout en posant sa main contre son épaule. Tout l’après-midi, la jeune fille resterait recroquevillée dans l’arc de son bras.

* * *

En d’autres circonstances, Édouard aurait sans doute accepté la dépense d’un voyage de noces en Europe. Malheureusement, la guerre sur le Vieux Continent rendait la chose tout à fait impossible. La côte de la Virginie fournissait une alternative raisonnable. Pendant trois semaines, un grand hôtel construit en bois et orné, sur la façade, d’une immense galerie couverte donnant sur la mer, abrita les amours des nouveaux mariés. Évelyne se permit même l’audace de revêtir un maillot de bain bien impudique – il découvrait ses mollets et ses bras et, une fois mouillé, collait à son corps de très près – afin de profiter un peu de la caresse de l’eau de mer.

À la fin du mois d’août, les époux regagnèrent le domicile des Picard, rue Scott. Un peu de la même façon que chez les Dupire, trois ans plus tôt, Thomas avait consenti à effectuer certains aménagements afin de rendre la cohabitation plus facile. Heureusement pour la nouvelle venue, l’atmosphère de la demeure se révélait agréable. Élisabeth entendait multiplier les efforts afin de lui rendre la transition facile.

Au lendemain de son retour, le couple se retrouva à la table familiale pour le déjeuner. Évelyne gardait les yeux modestement baissés, les joues un peu roses, comme si elle demeurait vaguement gênée de partager la couche d’un homme.

— Avez-vous bien dormi? questionna la maîtresse de maison en lui versant du café.

Son arrivée entraînait déjà une petite rupture avec la tradition : la consommation exclusive de thé prenait fin. Les domestiques devraient se faire à ce changement.

— Oui, madame, très bien.

— Nous avions convenu d’utiliser nos prénoms.

— Je… Je suis désolée.

Les yeux gris se perdirent dans la contemplation de la confiture. Thomas regardait la jeune femme avec un sourire amusé. La demoiselle s’avérait jolie, bien élevée, d’une innocence sans doute charmante aux yeux de son fils. Toutefois, les réticences de maître Paquet de l’abandonner à un marchand lui paraissaient ridicules, tellement elle semblait fade à côté d’Élisabeth, même si celle-ci comptait plus de deux fois son âge. Édouard le sortit de ses réflexions en demandant :

— Rien de nouveau, au magasin?

— La routine. La marchandise de l’automne s’entasse dans l’entrepôt, nous allons sacrifier ce qui reste de l’été pour faire de la place. Aussi longtemps que durera le plein emploi, les affaires demeureront excellentes.

Devant son épouse, le jeune homme aurait préféré voir souligner la longueur de son absence et l’utilité de son retour. Il enchaîna :

— Et la politique?

Pendant ses trois semaines de séjour aux États-Unis, les assemblées populaires opposées à l’enrôlement obligatoire s’étaient poursuivies sans interruption. La mise en œuvre de la mesure ne tarderait plus guère, maintenant.

— Armand Lavergne prône la révolte. Les affrontements entre les protestataires et les soldats se multiplient. À Montréal, un type s’est fait tuer, des bâtons de dynamite ont explosé près des résidences des propriétaires de journaux favorables à la mesure.

— Si la même chose arrivait à ceux du Chronicle

— Vous n’allez pas discuter de la conscription le premier jour de la présence d’Évelyne parmi nous? demanda Élisabeth.

Les deux hommes lui adressèrent un sourire et acceptèrent de commenter les derniers beaux jours de la saison estivale et les charmes de la vie domestique. Le maître de la maisonnée s’engagea à inviter les beaux-parents de son fils à souper le prochain samedi.

— Afin que votre père constate par lui-même que nous ne vous maltraitons pas trop, ajouta-t-il en adressant un clin d’œil à sa bru.

Quarante minutes plus tard, les deux femmes faisaient la bise à leur conjoint respectif dans le hall d’entrée, puis revenaient dans la salle à manger.

— J’essaie de réprimer un peu leur enthousiasme pour les questions politiques, confessa la plus âgée en se versant du thé. Je n’ai pas trop de succès.

— Édouard s’intéresse beaucoup à cette question de la conscription.

— En réalité, tous les motifs de contestation présentés par les nationalistes l’ont passionné au cours des dix dernières années.

— Son père ne partage pas son opinion.

La naïveté de la remarque fit rire Élisabeth.

— Regardez cela dans l’autre sens. Votre jeune époux cherche des façons de se distinguer de son père. Si Thomas appréciait les idées de Bourassa, vous verriez Édouard chanter les louanges de Laurier.

Évelyne vida sa tasse de café, refusa de la main quand sa belle-mère voulut lui en verser encore. La dynamique des rapports filiaux lui paraissait bien mystérieuse. Maître Paquet tolérait mal la dissidence. La demeure de la Grande Allée présentait un front idéologique uni.

— Que voulez-vous faire aujourd’hui?

— Je ne sais trop.

— Si cela vous agrée, nous pourrions nous promener dans le parc des Champs-de-Bataille cet après-midi.

— Ce sera avec plaisir.

Après des années de cohabitation avec Eugénie, Élisabeth ne savait trop si elle devait se réjouir de tant de docilité.