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Dimanche 17 juillet 2005, 14 h 57

 

Le serrurier n’avait toujours pas terminé quand Faraday sortit de l’ascenseur, à Blake House. L’appel de Winter l’avait cueilli à son bureau des Crimes graves alors qu’il rédigeait un rapport complet sur les progrès de l’opération Coppice. Le nouveau patron de la Criminelle exigeait du concret dans son casier lundi matin à la première heure, au cas où la presse voudrait en savoir plus. Martin Barrie avait fait passer le message. Ils étaient tous deux tombés d’accord que la soif de Willard pour la publicité pourrait tourner à l’avantage de Coppice. Quand on voulait divulguer les toutes dernières pistes, rien ne valait la télé ou une bonne couverture par un tabloïd national.

Faraday s’arrêta dans le couloir devant l’appartement de Winter. L’ancienne serrure était posée sur une feuille de journal et le serrurier peinait pour installer la nouvelle, un modèle à gorges. Par la porte ouverte, Faraday entendait Winter parler au téléphone. Il semblait furieux.

Quand Faraday entra dans le salon, Winter avait raccroché. Il portait un pantalon de survêtement noir qui paraissait trop petit pour lui, et un maillot bleu de l’équipe de football de Pompey. Il adressa un signe de tête à Faraday, puis se retourna pour prendre son calepin posé à côté du téléphone. Dans le dos du maillot, en lettres blanches, le nom d’un joueur : Lua-Lua.

— Vous n’allez pas le croire, dit Winter en plantant son index sur la couverture du calepin. Hier soir, j’ai perdu mon mobile. Ce sont des choses qui arrivent. Mauvais karma. Trop de Stella. Bref. Ce matin, j’appelle Orange pour faire opposition. Et vous connaissez le plus beau ? Une tête de nœud a appelé l’horloge parlante de Melbourne.

— Combien ?

— À trois chiffres. Putain, j’y crois pas. À partir de maintenant, je prends des rechargeables.

— Vous avez aussi perdu vos clés ? demanda Faraday avec un signe de tête vers la porte d’entrée.

— Ouais.

Winter arracha une page du calepin et la froissa dans sa paume.

— Un pote a dû m’héberger cette nuit. Je ne pouvais même pas rentrer chez moi.

Faraday revint au portable.

— Vous aviez des numéros en mémoire ?

— Évidemment.

— Combien ?

— Une vingtaine. Maxi.

— Des numéros de boulot ?

— Ouais. C’est logique, non ?

— Et vous ne voyez pas du tout qui a pu vous le prendre ?

— Pas du tout. J’étais juste en face, dit-il, désignant le centre commercial de Gunwharf. Deux ou trois pintes, j’ai laissé mon anorak sur la chaise le temps d’aller pisser. Les clefs et le mobile étaient dans une poche. Plus mon portefeuille, les cartes, la totale. C’est là que ç’a dû se passer.

— Ils ont pris l’anorak aussi ?

— Ouais, bien sûr.

— Un peu risqué, non ? De tout laisser comme ça ?

— Ouais, je suis con, des fois.

Winter hocha la tête.

— Vous n’imaginez pas le nombre de coups de fil qu’il faut donner, reprit-il. Visa. Abbey National. Tout le toutim. Et un dimanche, en plus !

Il proposa du café à Faraday qui refusa d’un signe de tête. Il voulait avoir des nouvelles de Suttle. Winter avait-il appelé l’hôpital ce matin ?

— Il y a une heure.

— Et ?

— Apparemment, il n’est plus sous assistance respiratoire, il respire tout seul.

— Eh bien, ça, c’est une bonne nouvelle, non ?

— Ouais. S’ils m’ont pas mené en bateau.

Faraday le regarda longuement, puis secoua la tête.

— Vous devenez parano. Pourquoi s’amuseraient-ils à ça ?

— Parce que…

Winter lança vers la poubelle le papier roulé en boule, et rata son coup.

— Allez savoir, soupira-t-il. Écoutez, patron. J’ai un rencart cet après-midi. J’ai pensé que vous auriez peut-être envie de m’accompagner.

— Pourquoi ?

— Parce que j’ai besoin d’une caisse. Et que ce serait utile d’avoir un témoin. Ce gars-là refusera de me parler. Je peux pas le coffrer, il a rien fait de mal. Mais il sait ce que je crois savoir, et je veux que vous soyez le premier à l’entendre.

Il fixait Faraday. Il ne décolérait pas.

— Ça se tient, patron ? Ou suis-je complètement à côté de mes pompes ?

 

Le Druid’s Arms était un pub d’angle en plein cœur de Buckland d’où rayonnait un réseau de rues de maisons identiques. En ce dimanche d’été sans nuages et par une température de vingt-cinq degrés, le jardin clôturé, à l’arrière, était rempli de familles du quartier qui s’enfilaient le menu week-end à cinq livres. Garé de l’autre côté de la rue, sa vitre baissée, Faraday entendait les rires perçants des gamins qui jouaient sur le château gonflable.

Winter était déjà à l’intérieur. Sammy Lewington, avait-il dit, était tout au bout du bar. Mieux encore : complètement pété.

— Accompagné ?

— Non.

Winter avait apporté un exemplaire du Sunday Telegraph.

— Sammy n’est jamais accompagné.

Il était 3 heures passées quand il sortit, silhouette grande et mince en jean de contrefaçon et T-shirt Pink Floyd fané. Faraday le regarda qui consultait sa montre, se frottait les joues puis prenait, d’une démarche incertaine, la direction de Buckland. Winter avait vu juste. Sammy était dans le brouillard.

Faraday attendit qu’il se soit suffisamment éloigné du pub, puis démarra la Mondeo et le suivit. Des voitures étaient garées en double file le long de la rue, laissant tout juste assez d’espace pour circuler. Il dit à Winter qu’il faudrait faire vite.

— Pas de problème, patron.

Sammy titubait à présent, bataillant avec la fermeture Éclair de sa braguette et se dirigeant vers la protection du mur le plus proche. Faraday s’arrêta à sa hauteur, regardant Winter descendre de voiture, couper la route à la camionnette d’un entrepreneur en bâtiment et faire face à Sammy sur le trottoir. Quelques secondes plus tard, il l’aidait à monter à l’arrière de la Mondeo. La trentaine ? Là quarantaine ? Avec ses cheveux filasse et son visage osseux, Faraday n’aurait su dire.

— J’ai un pote à te présenter, lui disait Winter. Tu crois que ça pourra le faire ?

Ils roulèrent hors de la ville et empruntèrent la route qui sinuait jusqu’au sommet de la colline de Portsdown. Faraday prit son temps, observant dans le rétroviseur comment les choses évoluaient. Winter, assis à côté de Sammy, très content de lui, lui tapotait le bras de temps en temps, parlant de tout et de rien comme on le ferait avec son oncle préféré lors d’une promenade dominicale. Quand Sammy commença à comprendre que quelque chose clochait, il voulut s’arrêter, il voulut descendre, mais Winter lui assura que tout se passerait bien.

— Relax, Sammy, hein ?

Le parking au sommet de la colline était bondé. Des gamins assaillaient la camionnette d’un vendeur de glaces garée dans un coin, tandis que des dizaines de familles pique-niquaient sur les pentes herbeuses qui s’inclinaient en direction des toits de tuile de Drayon. Le parking, c’était une idée de Winter. Beau panorama, avait-il dit. Et un cornet de glace pour Sammy s’il était sage.

Sammy essayait de descendre de voiture. Winter se pencha devant lui, tout sourire.

— Sécurité enfant, Sammy. Toujours utile, tu ne trouves pas ?

Sammy marmonna qu’il avait envie de pisser. Winter lui toucha la cuisse.

— Il y a un temps et un lieu pour tout, fiston. Une fois que l’affaire sera faite, tu pourras repartir.

— Quelle affaire ?

— Tout juste deux ou trois questions, Sammy. J’ai bien eu ton message, au fait. Et ça ne m’impressionne pas.

— Je sais pas de quoi vous parlez.

— Mais si, fiston, mais si. On devait se voir hier soir. À l’Anson. Tu te rappelles ? Sauf que t’as téléphoné à un de nos amis communs, hein ?

— Jamais de la vie.

— Mais bien sûr que si, Sammy. Moi, je me suis pointé, mais je t’attends encore.

— Mais il m’avait dit…

— Qui, Sammy ? Qui t’avait dit quoi ?

Sammy lança un coup d’œil à Faraday. Il avait peur, ne serait-ce que de prononcer le nom.

— Cet ami commun…, marmonna-t-il. Il m’avait juré sur sa tête que vous ne viendriez pas.

— Ben, je suis venu. Ce qui prouve que tu commences à avoir de mauvaises fréquentations. L’expression « grosse déception », ça te dit quelque chose, Sammy ? Ou c’est juste que t’es con comme un manche ?

Sammy baissa la tête. Il avait vraiment envie de pisser. Il dit qu’il n’en pouvait plus.

— Tu m’étonnes, mec. Six pintes au déjeuner ? Une vieille vessie bousillée comme la tienne ? Je suis étonné qu’elle ait pas encore explosé. Écoute…

Il lui fit signe de se pencher vers lui jusqu’à ce que leurs têtes se touchent presque.

— Tu veux un bon conseil ? Quoi qu’il arrive, ne pisse pas dans ton froc ici. Tu sais pourquoi ? Parce que cette voiture appartient à M. Faraday, que M. Faraday est mon patron et qu’il supporte pas que des inconnus mouillent le capitonnage de ses sièges. Alors, ressaisis-toi, d’accord ?

Winter plaqua sa main sur le haut de la cuisse de Sammy et exerça une petite pression.

— Marché conclu ?

— Ouais, répondit Sammy, croisant les jambes. C’est bon.

— Autre chose.

— Quoi ?

— Oublie l’idée d’aller pisser ailleurs par ici. Il y a des gamins partout, Sammy, et M. Faraday et moi, on prend nos responsabilités très au sérieux. Tu me suis ?

— Non.

— Outrage à la pudeur, Sammy. Les magistrats détestent.

— Alors, où voulez-vous que j’aille ?

— Tu restes avec nous. Tu m’aides, Sammy, et je te trouverai un joli petit pissodrome au pied de la colline. M. Faraday t’y conduira. En un rien de temps. Alors, qu’en dis-tu ?

Sammy avait renoncé. Il avait fermé les yeux et rejeté la tête en arrière contre le haut de la banquette.

— Vous cherchez quoi, au juste ?

— C’est au sujet de Mickey Kearns, Sammy. Tu le sais très bien.

— Je sais que dalle sur Kearns.

— Ça, c’est des conneries, Sammy. Deuxième essai.

— Je vous ai dit, m’sieu Winter, je suis plus dans le circuit. Je ferais pas la différence entre Mickey Kearns et Mickey Mouse. Je suis trop vieux pour ces petits jeux-là. C’est des gamins de nos jours. Des foutus mômes qui circulent en 4 x 4. Comment voulez-vous que je les connaisse ?

— Kearns circule en 4 x 4 ?

Sammy, qui ouvrait les yeux maintenant, regardait droit devant lui. Winter répéta sa question. Puis, une troisième fois. Finalement, Sammy acquiesça.

— Ça veut dire oui, Sammy ?

— Ouais.

— Et de quelle couleur est-il ?

— Noir.

— Une BM noire ? C’est ce que tu essaies de nous dire ?

— J’en sais rien. Un 4 x 4 noir, point barre. Tout neuf. Le gamin doit avoir des pulsions de mort.

— Pourquoi ?

Autre long silence. Sammy transpirait. Faraday le sentait. Winter changea de tactique.

— Kearns est allé dans les Caraïbes, hein, Sammy ? Avec un autre gars, Duley ? Fais juste oui de la tête. Rien de plus.

Sammy déglutit avec peine, puis acquiesça.

— Bien, dit Winter, ravi. C’est bien. Et Kearns s’est payé ces petites vacances avec les poches pleines de fric lui venant d’autres personnes, des personnes comme le gentil Chris Cleaver, hein ? Une sorte de déplacement professionnel. J’ai raison ?

Autre signe de tête affirmatif.

— Et que s’est-il passé après, Sammy ? C’est là que tu vas devoir m’aider, tu vois. M’aider et aider M. Faraday, bien sûr.

Sammy semblait presque en état second. La pression de sa vessie pleine à craquer verrouillait ses muscles faciaux. Il en avait du mal à articuler.

— Ce petit con est revenu…, parvint-il enfin à articuler, mais sans.

— Sans quoi ? La merde qu’il était parti acheter ?

— Ouais, dit Sammy en tressaillant. Et sans le fric non plus.

Cette nouvelle fit sourire Winter. Pas étonnant que Kearns se fasse petit. Son sourire s’élargit de plus en plus. Il tapota de nouveau la cuisse de Sammy. Il était particulièrement ravi.

— Et qu’en pense-t-on, Sammy ? Ou, pour le formuler autrement, qu’en pensent tous les investisseurs ? Non, encore mieux, qu’en pense notre « ami commun » ?

— Il l’a mal pris. Très mal pris.

— Tu m’étonnes. Et pendant ce temps-là, Mickey Kearns se pavane dans son 4 x 4 flambant neuf. Bazza n’a pas apprécié la plaisanterie, hein ? Mickey qui s’offre une caisse avec son blé.

Sammy gémit.

— M’sieu Winter…, commença-t-il.

Winter l’ignora. Il voulait en savoir plus sur Bazza. Avait-il filé une dérouillée à Kearns ? Le moindre détail pouvait avoir son importance.

Sammy secoua la tête.

— Quelqu’un a balancé Kearns, dit-il, les dents serrées.

— Où ? Quand ?

— Là-bas. Là où ils sont allés.

— Mais qui aurait fait ça ?

— L’autre gars.

— Duley ? Le gars qui l’accompagnait ? Ce Duley bave sur Kearns et Bazza perd sa mise ? C’est ça, l’histoire ?

— Ouais.

— Et qu’est-il arrivé à Duley ?

— Ils sont allés lui parler, m’sieu Winter. Oh, merde…

— Quand, Sammy ? Quand sont-ils allés lui parler ?

Winter s’était jeté sur Sammy, son visage n’était plus qu’à quelques centimètres du sien. Il lui assura qu’ils en avaient presque terminé. Que, dans très peu de temps, ils seraient redescendus en ville. Il lui trouverait de jolis petits gogues, tout confort, où il pourrait pisser tout son soûl. Mais d’abord, il voulait savoir quand ils s’étaient occupés de Duley.

— Y a une quinzaine de jours. Je connais pas la date.

— Une longue conversation, c’est ça ? Dans un endroit bien tranquille ?

— J’en sais rien, m’sieu Winter.

— Mais si, Sammy, mais si. Tu dis toujours que tu ne sais pas, mais tu sais. Vas-y, fiston. Encore un petit effort, le dernier. Où ont-ils emmené Duley pour lui parler ?

— Dans une caravane. J’sais pas où. Oh, fait chier…

— Une caravane ? En ville, tu veux dire ?

— Non. Ailleurs.

— Dans une des propriétés de Bazza ?

— J’en sais rien.

— À Hayling, par exemple ?

Sammy haussa les épaules. Il appuyait de nouveau la tête contre la banquette, et les muscles de son visage étroit étaient crispés sous l’effort. Winter le scruta un moment, puis lui tapota l’épaule.

— T’es un bon gars, dit-il. Meilleur que je le pensais.

Il se pencha vers Faraday et lui parla à mi-voix. Puis, il y eut un déclic comme Faraday déverrouillait la sécurité enfant. Winter tendit la main vers la portière du côté de Sammy, et l’ouvrit en la poussant du pied. Dehors, en plein soleil, une bande de gamins essayaient de faire voler un cerf-volant.

— Allez, casse-toi, c’est l’heure, Sammy, dit Winter en le poussant légèrement. Et dis à notre ami commun où je t’ai largué, d’accord ?

 

Faraday roula jusqu’à l’île de Hayling en suivant les indications de Winter. À sa grande surprise, ce dernier n’eut pas envie de s’appesantir sur son échange avec Sammy Lewington, de tirer gloriole des informations qu’il lui avait arrachées, et encore moins de prétendre avoir pris un scalp. C’est un Winter très différent, songea-t-il, et toujours furax.

Le trafic était dense sur l’île, longues files de voitures pleines de familles avides de finir la journée à la plage, aussi Faraday prit-il deux ou trois raccourcis pour éviter le gros des embouteillages. Vingt minutes plus tard, il atteignait le sud de l’île et tournait dans North Shore Road. Au-delà de la rangée de vastes propriétés privées sur la gauche, s’étalait l’étendue bleu outremer du port de Langstone. Faraday sourit. Il balayait cet alignement de villas cossues en bord de mer chaque matin avec ses jumelles depuis son bureau à l’étage de la maison de marinier. Quelle ironie de penser que l’une d’entre elles renfermait peut-être la clé de la mort de Duley.

— Vous avez une adresse ?

— La dernière sur la gauche, patron. Après, c’est une impasse.

La dernière propriété tenait du chantier de construction. La maison était tapissée d’échafaudages, et il y avait de hautes piles de briques sur des palettes en bois à côté du portail. De lourds véhicules avaient transformé la pelouse en parking creusé d’ornières profondes, et un gros tas de sable avait débordé sur un parterre de roses qui avait dû être joli. Au-delà des fleurs, une bétonnière côtoyait un assortiment de bois de charpente.

— C’est là, patron. Pas de doute.

Faraday braqua le regard dans la direction que Winter pointait. La propriété était, des deux côtés, bordée d’une haie touffue. Dans l’angle le plus éloigné, juste avant que la route ne prenne fin, se trouvait une caravane blanche.

Faraday se gara à côté du tas de briques et descendit de voiture. Winter le suivit jusqu’à l’arrière de la maison et le long du jardin d’agrément jusqu’à ce qu’ils se trouvent face au mur donnant au bord de l’eau. Pour autant que Faraday pouvait en juger, c’était marée haute. Il y avait une petite plage de galets et un ponton en pierre affaissé au milieu, au bout duquel un groupe de mouettes méditerranéennes criardes prenaient le soleil. Faraday aperçut un cormoran solitaire un peu plus loin, sur l’eau. La perfection, songea-t-il.

Il se retourna vers la maison. Un jardin d’hiver récemment construit prolongeait l’arrière de la propriété, et des travaux de terrassement étaient en cours pour une future piscine. Faraday regarda l’excavateur jaune perché au bord du trou, essayant d’imaginer à quoi cet endroit ressemblerait l’année suivante. Avec la piscine, viendraient sûrement un éclairage sous-marin, un jacuzzi extérieur, des cocktails à gogo et une sono d’enfer. Les riverains de North Shore Road, songea-t-il, vont se régaler.

— Vous voulez dire que ça appartient à Mackenzie ?

— Ouais. Mais il en a fait cadeau.

— À qui ?

— À Misty.

— Misty ? Aux dernières nouvelles, elle était maquée avec Mike Valentine. Ça en est où ?

— Elle l’a largué. Je vous parie tout ce que vous voulez qu’elle est retournée avec Baz. Cette fois, il ne prend pas de risque. Comme vous le voyez.

Ils reprirent leur marche. La caravane était verrouillée, les rideaux tirés à toutes les fenêtres. Sans clé et sans fouille par l’équipe de scène de crime, il n’y avait aucun moyen de la relier au tabassage qui avait envoyé Duley aux urgences, mais son isolement même parlait fortement en faveur de la théorie de Winter.

Le nom de Duley était apparu en rapport avec la mise de fonds perdue par Kearns. Il s’était rendu à l’île de Margarita avec ce gars de Buckland. Il parlait la langue, avait dû servir d’interprète sur place, peut-être fait lui-même quelques deals pour prendre part à l’action, puis il avait balancé Kearns. Étant donné l’ampleur des récents investissements, on parlait de montants non négligeables, de dizaines de milliers de livres. Perdre ces sommes-là, ça faisait très mal, ça donnait toutes les raisons, une fois de retour à Pompey, d’avoir droit à une conversation entre quat’z’yeux. On racontait que les plus inventifs des gros bras de Bazza aimaient jouer avec deux cutters scotchés ensemble. De cette façon, disait-on, on ne pouvait recoudre les plaies. Où mieux qu’ici parfaire de telles pratiques ?

Winter s’éloigna, laissant Faraday élaborer les prochaines étapes. L’équipe de Jerry Proctor pourrait faire parler la caravane en une journée maxi. Les traces d’ADN de Duley permettraient de reconstituer son passage à tabac. Mais, en soi, cela ne reliait pas nécessairement Mackenzie et ses acolytes à l’incident du tunnel. Pour cela, il faudrait d’autres preuves.

— Patron… ?

Winter avait atteint la maison. Faraday le trouva à côté d’un tas d’éléments démontables, reliques qui attendaient d’être jetées. Sur le coup, Faraday ne reconnut pas la longueur de corde que Winter tenait à la main.

— C’est quoi ?

— Du cordon de fenêtre à guillotine. Il doit venir d’une de celles-là, ajouta Winter avec un signe de tête vers des châssis correspondants calés contre le mur. Misty a horreur de tout ça. Elle est plutôt branchée PVC, une fan. Depuis toujours.

Faraday contemplait toujours le cordon. À première vue, Winter avait raison. Il semblait correspondre parfaitement à ceux retrouvés dans le tunnel. À faire analyser par le labo, songea-t-il. Juste pour être certain.

Winter était reparti en direction de la bétonneuse, se frayant un chemin entre des piles de déchets. Le large sourire qu’il arborait indiqua à Faraday que Coppice abordait un tournant.

— Par ici, patron. Venez voir…

Faraday s’agenouilla pour inspecter la chaîne qui reliait la bétonneuse à un gros piton fixé dans du ciment. À nouveau, il ne pouvait avoir de certitude, pas avant l’analyse forensique, mais son expérience lui dictait d’écarter l’idée de coïncidence. Duley avait été attaché à la voie ferrée avec des chaînes très similaires à celles-là. Il y avait gros à parier qu’ils trouveraient d’autres chaînes antivol sur le site.

— Il nous manque quoi, maintenant ? demanda Winter, faisant allusion aux objets trouvés dans le tunnel.

— Une cornière d’angle. À peu près grosse comme ça, si mes souvenirs sont bons.

Winter évalua la taille au juger, puis acquiesça.

— Pour poteaux de clôture, dit-il. Pas de doute.

Il mesura du regard le capharnaüm autour d’eux. Puis il s’éloigna de nouveau.

Faraday le suivit jusqu’à la route. Des piquets en bois flanquaient l’entrée de la propriété, mais le portail en lui-même avait manifestement succombé au passage d’un des nombreux camions de livraison de Bazza. En guise de solution provisoire, quelqu’un avait relié des piquets en fer les uns aux autres avec du barbelé que Winter trouva, enroulé, sous la haie toute proche. Winter expliqua à Faraday que, chaque soir, quelqu’un le déroulait pour sécuriser la propriété.

Faraday se pencha pour les examiner de plus près. Winter avait raison. C’étaient des cornières d’angle trouées pour recevoir le barbelé, exactement pareilles à celle trouvée dans le tunnel. Dans quelques instants, il lancerait un mandat de perquisition pour la caravane et une surveillance nocturne de la propriété, mais, avant, il ne put résister à poser la question qui s’imposait.

Il leva les yeux sur Winter.

— Vous ne pourriez pas me dégoter un cadenas, par hasard ?