CHAPITRE XX
LA CHARGE DE LA BRIGADE « LÉGÈRE »

Vingt nains armés jusqu’aux dents menaient la colonne de tête, leurs boucliers formant une muraille d’acier.

Le général Dagna et l’élite de ses voltigeurs suivaient, armés d’arbalètes aux carreaux enduits de magnésium. Vingt cavaliers avaient pris des cochons sauvages comme monture. Le reste de l’armée arborait une mine sinistre.

Les nains ne plaisantaient pas sur un sujet aussi grave que les elfes noirs. Leur roi était en grand danger, s’il n’était déjà mort.

Ils atteignirent un premier passage latéral ; les ténèbres magiques s’étaient dissipées.

— Les prêtres, chuchota Dagna.

Le mot d’ordre passa de ligne en ligne. Dans les rangs, une demi-douzaine de magiciens, arborant le symbole sacré du marteau de mithril se tinrent prêts.

Le mur de boucliers s’ouvrit devant eux.

Rien ne se produisit.

Visiblement, les Drows ne les avaient pas attendus…

Le détachement reprit sa route en pressant l’allure.

Des éclaireurs fouillèrent les passages latéraux.

Des grognements d’impatience parcoururent la troupe.

L’enfer se déchaîna soudain.

Des arbalètes cliquetèrent dans le noir, une multitude de carreaux s’écrasant sur les pavois. Ceux qui avaient été décochés d’en haut frappèrent les deuxième et troisième rangs. Les soldats étant bien entraînés, la confusion ne dégénéra pas en chaos.

Les prêtres psalmodièrent des incantations pour repoussant de nouvelles ténèbres magiques et les cochons de guerre chargèrent en grognant. Bientôt, les carreaux enduits de magnésium embrasèrent la scène.

La férocité de l’attaque prit les Drows par surprise ; Dagna et les siens crièrent de joie. S’ils pouvaient distancer les nains sans peine, les elfes noirs étaient vite rattrapés par leurs montures.

— Danger au-dessus de nous ! cria un soldat.

Une vingtaine d’arbalétriers tirèrent en l’air, presque à l’unisson.

La troupe de Dagna chargea, s’inquiétant de l’obscurité comme d’une guigne. Dans ce secteur, les corridors étaient plats et larges.

*
* *

Les molosses du général Dagna foncèrent dans un enchevêtrement de cavernes ; des nains chargés d’outils suivaient. Ils assureraient leurs arrières. Quand les chiens tirèrent de côté, vers les tunnels latéraux, leurs maîtres, rusés, continuèrent en avant.

Une dizaine de Drows surgirent.

Les nains firent volte-face ; les prêtres illuminèrent les lieux par magie. A quatre contre un, les elfes noirs préférèrent tourner les talons.

Ils étaient certains de pouvoir fuir sans difficulté. A la vue des barrières d’acier dressées en toute hâte derrière eux, ils comprirent vite leur erreur. Poursuivis par ceux qu’ils avaient cru piéger, les Drows bifurquèrent à plusieurs reprises…, se cassant le nez à chaque fois sur des détachements en armes.

De désespoir, ils invoquèrent des sphères de ténèbres pour ralentir les équipes de nains.

Mais les autres nains les rattrapèrent.

La mêlée fut d’une férocité inégalée. Plutôt que de chercher l’aide des prêtres, les nains mortellement blessés préféraient entraîner leurs adversaires drows dans la mort, sauvant ainsi leurs camarades les plus proches de leurs coups.

Ceux qui parvenaient à attraper un elfe noir dans la confusion le mettaient littéralement en pièces.

Dans l’étroit goulot où se noua le drame, plus d’une vingtaine de nains mourut, ainsi qu’une quinzaine de Drows.

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L’entêtement était tout ce qui guidait encore les pas de Catti-Brie et de son père, éreintés et blessés. Ils s’enfonçaient de plus en plus profondément dans les entrailles de la terre. S’ils tombaient sur des elfes noirs, c’en serait fini d’eux.

— Où est cette damnée panthère ? pesta Bruenor. Et ce fou furieux de Pointepique ?

La jeune femme secoua la tête. Qui aurait pu le dire ? A l’allure où il avait couru, Pointepique devait avoir gagné la Gorge de Garumn à l’heure qu’il était. Quant à Guenhwyvar… Catti-Brie palpa la merveilleuse figurine à travers le tissu de la bourse passée à sa ceinture. La panthère était sûrement retournée se reposer. Sinon, elle les aurait déjà rejoints.

Catti-Brie posa la statuette par terre et prononça le nom de l’animal.

La brume grise apparut, hésitante.

La pauvre bête avait l’air hagard ! Une plaie ouverte lui barrait le flanc droit.

— Oh, retourne chez toi, Guenhwyvar ! s’écria la jeune femme horrifiée.

Elle ramassa la statuette.

Malgré son épuisement, la panthère réagit avec une rapidité surprenante ; d’un coup de patte, elle fit sauter l’objet d’onyx de la paume de Catti-brie.

— Laisse-la, dit Bruenor. ( Sa fille leva un regard incrédule vers lui. ) Nous ne sommes pas en meilleur état qu’elle. Son aide nous sera précieuse.

Il caressa la tête du félin.

— Continuons, lança-t-il. Battons ces Drows à leur propre jeu avant de nous écrouler !

*
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A peine conscient de la présence du petit homme à son côté, Drizzt sentit qu’il touchait au but.

Soudain, il projeta Régis à terre et se plaqua contre la paroi. Un nain harnaché de façon incroyable surgit devant eux.

Avec un rugissement, le bizarre personnage chargea. La tête baissée, pointe de son casque visant le ventre du Drow, il entendit le compagnon – un nabot – couiner de peur.

Drizzt leva les bras, cherchant des prises. Souple, il décolla du sol à l’instant où Pointepique arrivait.

La pointe métallique s’enfonça dans la roche comme un vilebrequin. Drizzt se laissa retomber à cheval sur le nain, coincé dans une posture cocasse. De la garde d’un cimeterre, il frappa l’hurluberlu à la nuque.

Avec un grondement sourd, l’individu s’écroula. Drizzt bondit loin de sa victime, Etincelle baignant la scène de son aura magique.

— Un nain ! s’exclama Régis. Pointepique se dégagea. L’elfe noir avisa une amulette frappée aux armes du clan Battlehammer. Secouant la tête, l’inconnu se redressa.

— A toi la première manche ! rugit-il.

— Nous ne sommes pas ennemis ! s’exclama Drizzt.

En vain.

Pointepique revint à la charge, fouettant l’air de ses gantelets.

Esquivant sans peine ses coups maladroits, l’elfe prit bonne note des nombreuses aspérités du personnage, et de sa tactique. D’un cimeterre, il para un coup plus audacieux que les autres, et surprit le nain en le frappant à l’arrière du genou de l’autre.

Pointepique se retrouva sur le dos.

— Arrête ! hurla Régis au fou-de-guerre. Nous ne sommes pas tes ennemis !

— Il dit la vérité, renchérit l’elfe. Dressé sur un genou, Pointepique eut l’air interloqué :

— On est venu faire la peau du petit homme, et tu voudrais que je lui fasse confiance ?

— Ce n’est pas le même Régis, dit Drizzt, avant de rengainer ses lames.

Croyant à une méprise de l’elfe, Pointepique ne put réprimer un sourire.

— Nous ne sommes pas tes ennemis, insista Drizzt. un éclat dangereux au fond des yeux. Mais je n’ai pas de temps à perdre en jeux stupides.

Les muscles bandés, Pointepique s’apprêta à lu sauter à la gorge.

— A ta place, je me tiendrais tranquille. Viens avec nous si tu veux. Cependant, je te préviens : la prochaine fois que tu mordras la poussière, tu ne t’en relèveras pas.

Gaspard Pointepique se laissait rarement émouvoir. La promesse le fit réfléchir. Il se souvint des commentaires de Catti-Brie au sujet du Drow. S’il s’agissait du légendaire Drizzt Do’Urden, mieux valait se calmer.

— Je suppose qu’on est amis, admit-il à contrecœur avant de se lever sans faire de gestes brusques.