SOMBRE HERITAGE

Que de chemins dangereux j’ai suivis dans ma vie ; que de pistes tortueuses dans tes tunnels d’Ombre-Terre, à la surface du monde et au côté de mes amis…

Chaque coin du vaste monde est-il peuplé de gens malheureux au point de ne laisser personne entrer dans leur vie ? Leur haine justifie-t-elle leurs actes face à des torts plus ou moins imaginaires ? Même s’il s’agit en réalité d’une défense légitime contre leur malveillance ?

Ma soif de vengeance apaisée, j’ai laissé Artemis Entreri à Calimport. Nos chemins s’étaient croisés puis séparés pour notre plus grand bien. Entreri n ’avait aucune raison de continuer à me harceler ; à part peut-être la guérison de sa fierté blessée, il n ’avait rien à gagner à me retrouver.

Quel triste imbécile !

Il a atteint la perfection physique, affinant sans cesse ses dons. Mais son obsession trahit sa faiblesse. En dévoilant les mystères du corps, nous nous devons d’éclaircir ceux de l’âme. En dépit de ses prouesses physiques, Artemis Entreri ne connaîtra jamais le chant de son âme. Toujours jaloux, il épiera les harmonies des autres, obsédé par l’idée d’écraser tout ce qui menacerait sa supériorité de lâche.

Il ressemble tellement aux miens, et à tant d’autres membres de races diverses…

… Les seigneurs barbares, dont la puissance dépend de guérillas contre des ennemis qui n’en sont pas…

… Les rois nains, qui couvent des trésors inimaginables alors que distribuer des sommes dérisoires améliorerait le sort de leur entourage, leur permettant du même coup d’oublier leur paranoïa et leurs pesants systèmes de défense…

… Des elfes arrogants, qui se détournent des souffrances des autres races « inférieures », coupables, selon eux, de leurs propres maux.

J’ai fui ces gens ; les voyageurs qui sillonnent les Royaumes ont d’innombrables anecdotes à leur sujet. Je me devais de les combattre, non à la pointe d’une lame ou à la tête d’une armée, mais en restant fidèle à mon idéal.

Par la grâce des dieux, je ne suis pas seul.

Depuis que Bruenor a reconquis son trône, les peuplades avoisinantes croient en ses promesses : les trésors de Mithril Hall bénéficieront à toute la région.

La dévotion de Catti-Brie égale la mienne.

Wulfgar a montré à son peuple la voie de l’amitié et de l’harmonie.

Ils sont mon armure, mon espoir en l’avenir. Quand des soldats perdus comme Entreri croisent mon chemin, je me souviens de Zaknafein, mon père, mon âme sœur. Je me souviens aussi de Montolio, mon second mentor.

Si je suis éliminé, mes idéaux ne mourront pas avec moi. Grâce à mes amis, aux gens honorables que j’ai rencontrés, je sais que je ne suis pas un héros solitaire champion de causes perdues. Quand je mourrai, l’essentiel persistera. C’est mon héritage : par la grâce des dieux, je ne suis pas seul.

Drizzt Do’Urden