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Le tatouage

 

 

Gene Binoche avait exactement la voix et l’apparence de ce qu’il était – un gars qui avait vécu une existence rock’n’roll jusqu’au-boutiste et qui n’avait pas l’intention de s’arrêter avant l’arrivée. Au moins.

« Je parie qu’ils auront l’utilité d’un bon tatoueur, en bas aussi, dit Gene avant de tremper son aiguille. Satan doit apprécier un peu de variété dans la torture, tu ne crois pas, mon pote ? »

Mais son client était pété comme un coing et il avait commencé à piquer du nez, vraisemblablement insensible aussi bien aux considérations philosophiques de Gene concernant la vie après la mort qu’à l’aiguille qui lui charcutait l’épaule.

Gene avait d’abord dit non à ce type qui était entré dans son petit magasin pour lui exprimer son désir d’une voix pâteuse marquée d’un accent étrangement chantant.

Gene lui avait répondu ne pas tatouer les gens en état d’ébriété, et lui avait conseillé de revenir le lendemain. Mais le type avait fait claquer cinq cents dollars sur le comptoir en lui demandant un tatouage estimé à cent cinquante dollars. Gene avait dû s’avouer que l’activité de ces derniers mois n’avait pas été frénétique, et il attrapa donc son rasoir Lady et son stick de déodorant Mennen avant de se mettre au travail. Mais il refusa poliment lorsque l’individu lui proposa une gorgée de sa bouteille. Gene Binoche tatouait des gens depuis vingt ans, il était fier de son métier, et défendait l’opinion qu’un professionnel consciencieux ne boit pas au boulot. En tout cas pas du whisky.

Quand il eut fini, il fixa un bout de papier hygiénique par-dessus la rose tatouée.

« Évite le soleil et ne lave qu’à l’eau pendant la première semaine. La bonne nouvelle, c’est que tu auras moins mal ce soir, et que tu pourras enlever ça demain. La mauvaise, c’est que tu reviendras me voir pour d’autres tatouages, dit-il avec un petit rire. C’est toujours le cas.

– Je ne veux que celui-là », dit le type avant de sortir en titubant.