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Une ville nommée Nimbin,

Kåre Willoch[9] et Alice Cooper

 

 

La montre de Harry indiquait onze heures quand l’avion se posa à Brisbane, mais l’hôtesse de l’air fit savoir par haut-parleurs interposés qu’il n’était que dix heures.

« Ils ne respectent pas l’heure d’été, dans le Queensland, expliqua Andrew. Ça a occasionné un gros débat politique, ici, qui s’est terminé par un référendum, et les agriculteurs ont voté contre.

– Eh bien, on dirait que cette fois-ci on est arrivés au pays des ploucs.

– C’est bien mon impression, mon pote. Jusqu’à récemment, les hommes aux cheveux longs n’avaient pas accès à cet État. Ça leur était tout bonnement refusé.

– Tu plaisantes, j’espère…

– Le Queensland, c’est un peu différent. Je ne serais pas surpris que bientôt, il soit cette fois interdit aux skinheads. »

Harry passa avec satisfaction une main sur son crâne et ses cheveux blonds hyper-courts.

« Autre chose que je devrais savoir sur le Queensland ?

– Mouais, si tu as de la marijuana dans tes poches, il vaut peut-être mieux que tu l’abandonnes dans l’avion. La législation en matière de stupéfiants est beaucoup plus rigoureuse dans le Queensland que dans le reste du pays. Ce n’est pas par hasard que le Festival Aquarius a été organisé à Nimbin. La ville se trouve tout près de la frontière, côté New South Wales. »

Ils se rendirent à la succursale Avis où, d’après ce qu’on leur avait dit, une voiture les attendrait.

« En contrepartie, le Queensland compte des endroits comme Fraser Island, où Inger Holter a rencontré Evans White. En réalité, l’île n’est qu’une énorme dune de sable, mais plus à l’intérieur, tu trouves une forêt tropicale et des lacs qui contiennent l’eau la plus pure, et le sable est si blanc qu’on dirait que les plages sont en marbre. Le sable-silicone, comme ils l’appellent, parce que le contenu en silice est beaucoup plus élevé que dans du sable classique. Tu pourrais vraisemblablement l’utiliser tel quel dans ton PC.

– La terre d’abondance, hein ? fit le type derrière son comptoir, en leur tendant une clé.

– Ford Escort ? » Andrew plissa le nez, mais signa. « Ça se fabrique toujours ?

– Tarif spécial. Monsieur.

– Je n’en doute pas. »

 

Le soleil tapait dur sur la Pacific Highway, et l’horizon urbain de Brisbane, fait de verre et de béton, scintillait comme un bout de cristal dans un lustre, à mesure qu’ils approchaient.

« C’est joli, dit Harry. Bien comme il faut, et bien propret, si on veut. Comme si quelqu’un avait dessiné l’ensemble, pour ensuite tout construire en même temps.

– Ça ne doit pas être trop loin de la vérité. Brisbane est à bien des points de vue une ville flambant neuve ; il n’y a pas si longtemps que ça, c’était juste un gros bourg qui ne comptait qu’environ deux cent mille habitants. Si tu fais bien attention, tu verras que les gens ont toujours un peu l’air d’avoir fait l’exode sur une citerne. Mais la ville est à l’image d’une cuisine fraîchement briquée, au beau milieu d’une ferme : brillante, tracée au cordeau et fonctionnelle – entourée de tout plein de vaches occupées à ruminer.

– Vraiment une belle image, Andrew.

– Ne fais pas le malin, coéquipier. »

Ils quittèrent l’autoroute pour piquer vers l’est et s’enfoncer dans un paysage vert et ondulant, où alternaient bois et terres cultivées.

« Bienvenue dans la campagne australienne », fit Andrew.

Ils passèrent devant un groupe de vaches qui les fixèrent d’un regard éteint tout en continuant à paître.

Harry pouffa de rire.

« Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Andrew.

– Tu n’as jamais vu ce dessin de Larson, où les vaches se tiennent sur leurs pattes arrière, discutent dans le pré en fumant une cigarette, et l’une d’entre elles crie : Faites gaffe, voilà une autre voiture ! »

Un ange passa.

« Qui est Larson ?

– Oublie. »

Ils passèrent des maisons basses, en bois, équipées de vérandas, de moustiquaires sur les portes et devant lesquelles était garé l’inévitable pick-up. Ils passèrent devant des chevaux de trait à large croupe, qui les regardèrent de leurs yeux mélancoliques, devant des cochons qui se vautraient voluptueusement dans leur soue boueuse, et devant des ruches. Les chemins se rétrécissaient de plus en plus. En fin d’après-midi, ils s’arrêtèrent pour faire le plein dans un petit patelin qui, d’après le panneau, se nommait Uki, élue ville la plus propre d’Australie pour la deuxième année consécutive. Le panneau ne disait en revanche pas qui avait gagné l’année précédente.

 

« Holy macaroni », fit Harry lorsqu’ils entrèrent au pas dans Nimbin.

Le centre-ville, qui mesurait en gros cent mètres de long, était peint de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, et les gens qu’on voyait semblaient sortir tout droit d’un des films de Cheec & Chong qu’Harry avait dans sa vidéothèque.

« Mais on est en 1970, ici ! s’exclama-t-il. Je veux dire, regarde là-bas, Peter Fonda est en train de rouler un patin à Janis Joplin. »

Ils parcoururent lentement la rue sous des regards de somnambules.

« C’est vraiment génial. Je ne pensais pas que de tels endroits existaient encore. C’est à mourir de rire.

– Pourquoi ? demanda Andrew.

– Tu ne trouves pas ça comique ?

– Comique, comique… fit Andrew. Je comprends que ce soit facile de rire de ces rêveurs, aujourd’hui. Je constate que les jeunes actuels pensent que la génération flower-power se résumait à une bande de fumeurs de cônes qui ne faisaient que jouer de la guitare acoustique, lire les poèmes qu’ils écrivaient eux-mêmes et se sauter les uns les autres en ne suivant que leurs pulsions. Je constate que ceux qui ont mis Woodstock sur pieds accordent des interviews en costard-cravate, dans lesquelles ils parlent non sans rire des idées qui avaient cours à l’époque, mais qui leur semblent apparemment franchement naïves aujourd’hui. Mais il est clair pour moi que le monde ne serait pas tel qu’il est sans les idéaux revendiqués par cette génération. Les slogans tels que “Peace & Love” ont peut-être des allures de clichés, à l’heure actuelle, mais nous, qui avons grandi avec, nous les pensions réellement. De tout notre être.

– Tu n’es pas un petit peu vieux, pour avoir été hippie, Andrew ?

– Si. J’étais vieux. Un hippie expérimenté, rusé, voilà ce que j’étais, concéda-t-il avec un grand sourire. Plus d’une gamine a suivi une introduction aux mystères complexes de l’amour auprès de Tonton Andrew. »

Harry asséna une tape sur l’épaule d’Andrew.

« Il me semblait que tu venais de parler d’idéalisme, vieux cochon.

– Bien sûr, que c’était de l’idéalisme, répliqua Andrew, indigné. Je ne pouvais certainement pas abandonner ces fragiles boutons de fleurs entre les mains d’un de ces ado patauds et couverts de furoncles, et risquer que la fille soit traumatisée pour le restant des années 70.

– Alors ç’a été ça, la principale contribution des années 70 à la société actuelle ? »

Andrew secoua la tête.

« L’air, mon pote. C’était dans l’air. La liberté. La foi en l’homme. La perspective de construire quelque chose de nouveau. Même si Bill Clinton prétend ne pas avoir inhalé de marijuana, il a en tout cas inhalé le même air et le même esprit que chacun de nous, à ce moment-là. Et il est évident que ça a conditionné ce que tu es devenu. Merde, il aurait fallu retenir son souffle pendant au moins cinq ans pour que rien de tout ça ne passe dans le sang ! Alors rigole, rigole, Harry Holy. Dans vingt ans, quand on aura oublié les pantalons à pattes d’ef et la mauvaise poésie, les idées de l’époque apparaîtront sous un jour tout à fait différent, en vérité je te le dis ! »

Harry riait tout de même.

« Ne le prends pas personnellement, Andrew, mais je fais partie de la génération suivante. De la même façon que vous riiez des chemises moulantes et des coupes gominées des années 50, nous riions de vos mahatma et des fleurs que vous portiez dans les cheveux. Tu ne crois pas que les ados d’aujourd’hui rigolent d’individus tels que moi ? C’est comme ça, c’est tout. Mais on dirait qu’ici, les années 70 ont survécu… »

Andrew fit un geste vague de la main.

« Je crois qu’en Australie, les conditions climatiques sont idéales pour la croissance de plantes comme celle-là. La vague hippie ne s’est jamais complètement éteinte, mais elle a en quelque sorte enchaîné directement sur le délire New Âge. Dans n’importe quelle librairie, tu trouveras au moins un panneau de livres concernant le style de vie alternatif, la guérison par les mains, la connaissance de son identité profonde, les doctrines végétariennes, comment se libérer du matérialisme et vivre en harmonie avec soi-même et l’environnement. Mais tout le monde ne fume pas de bleue, bien entendu.

– Il n’est pas question de New Âge, ici, Andrew, mais de bons vieux hippies qui planent toujours dans la même fumée locale. Ni plus, ni moins. »

Andrew regarda par sa vitre et émit un petit rire.

Un type portant une longue barbe grise et une tunique était assis sur un banc, et leur faisait le signe de la victoire. Un panneau indiquait « The Marihuana Museum » à côté du dessin d’un vieux minibus jaune à la plus pure mode hippie. « Entrée : un dollar. Si vous ne pouvez pas payer, entrez quand même » figurait en dessous, écrit en plus petit.

« C’est le musée local de la chnouf, expliqua Andrew. La plus grande partie relève du bric-à-brac, mais d’après mes souvenirs, ils avaient quelques photos originales intéressantes sur les voyages au Mexique de Ken Kesey, Jack Kerouac et des autres pionniers de l’époque des expérimentations sur les drogues qui étendent le champ des perceptions.

– Quand le LSD n’était pas dangereux ?

– Et le sexe bon pour la santé, rien d’autre. Une belle époque, Harry Hole. Tu aurais dû y être, mec. »

 

Ils se garèrent plus haut dans la rue principale et revinrent ensuite à pied. Harry se débarrassa de ses Ray Ban et tenta d’avoir l’air aussi civilisé que possible. La journée était apparemment calme, à Nimbin, et Harry et Andrew passèrent sous les huées des fournisseurs : « Bonne bleue !… Meilleure bleue en Australie, mec !… En provenance de Papouasie Nouvelle-Guinée, ça déchire ! »

« Papouasie Nouvelle-Guinée, pouffa Andrew. Même ici, dans la capitale de l’herbe, les gens vivent dans l’illusion que l’herbe est meilleure dès lors qu’elle vient d’un endroit suffisamment lointain. “Achetez australien, si je peux vous donner un conseil.” »

Une fille maigre bien qu’enceinte leur fit signe depuis la chaise qu’elle occupait, devant le « musée ». Elle pouvait avoir n’importe quel âge entre vingt et quarante ans, et elle portait des atours vaporeux et de couleurs vives, et son ventre pointait à travers sa chemise déboutonnée, dévoilant une peau tendue comme celle d’un tambour. Il y avait quelque chose de familier en elle, se dit Harry. Compte tenu de la taille de ses pupilles, il pouvait affirmer que c’étaient des substances autrement plus dynamisantes que la marijuana qui avaient composé son petit-déjeuner.

« Vous cherchez autre chose ? » demanda-t-elle. Elle avait remarqué qu’ils ne montraient aucun intérêt pour la marijuana.

« Non… commença Harry.

– Acid. Acide. Vous voulez du LSD, c’est ça ? » Elle se pencha vers eux en parlant rapidement et avec passion.

« Non, on ne veut pas d’acide, répondit Andrew d’une voix basse et ferme. On cherche autre chose. Tu piges ? »

Pendant un moment, elle se contenta de les regarder. Andrew fit signe de vouloir continuer sa route, mais elle bondit de sa chaise, apparemment pas le moins du monde gênée par son gros ventre, et attrapa Andrew par le bras.

« O. K. Mais on ne peut pas régler ça ici. Il faut que vous veniez me retrouver au pub, en face, dans dix minutes. »

Andrew acquiesça, et elle se retourna avant de disparaître dans la rue, précédée de son gros ventre et suivie d’un petit chiot.

« Je sais ce que tu penses, Harry, dit Andrew en s’allumant un cigare. Que ce n’était pas beau de faire croire à mère Mansuétude qu’on va lui acheter de l’héroïne. Que le commissariat se trouve cent mètres en amont, et qu’on aurait pu y obtenir tout ce qu’il nous faut pour retrouver Evans White. Mais j’ai le sentiment que ça ira plus vite comme ça. Allons boire une bière, et on verra bien ce qui se passe. »

 

Une demi-heure plus tard, mère Mansuétude entra dans le pub quasi-désert en compagnie d’un gars qui avait l’air au moins aussi traqué qu’elle. Il faisait penser à Klaus Kinski dans le rôle du comte Dracula : pâle, vêtu de noir, rachitique et les yeux cerclés de noir.

« Tiens, tiens, chuchota Andrew. Lui, au moins, on aura du mal à l’accuser de ne pas tester sa marchandise. »

Mère Mansuétude et le clone de Kinski vinrent vers eux à pas rapides. Lui n’avait pas l’air de vouloir passer une seule seconde superflue à la lumière du jour, et coupa court aux formules de politesses :

« Vous en voulez pour combien ? »

Andrew ne daigna pas lui présenter autre chose que son dos :

« Je préférerais qu’on soit en comité aussi réduit que possible avant d’attaquer les choses sérieuses, mister », répondit-il sans se retourner.

Kinski fit un mouvement sec de la tête, et mère Mansuétude se vexa et disparut. Elle était probablement à la commission, et Harry supposa que le niveau de confiance qui pouvait exister entre elle et Kinski était le même qu’entre tous les junkies : ras du gazon.

« Je n’ai rien sur moi, alors si vous êtes des flics, je vous les coupe. Montre-moi ton pognon d’abord, pour qu’on puisse foutre le camp. »

Il parlait vite et d’une voix nerveuse, et son regard ne cessait d’aller d’un endroit à un autre.

« C’est loin ? demanda Andrew.

– It’s a short walk, but a lo-ong trip. » Ce qui était censé passer pour un sourire se résuma à une exhibition dentaire éclair, puis disparut.

« Bien fait pour toi, mon lapin. Assieds-toi et écrase », dit Andrew en lui montrant sa plaque de policier. Kinski se crispa. Harry se leva et tapota le bas de son dos. L’autre n’avait aucune raison de vouloir s’assurer que Harry était armé pour de bon.

« Qu’est-ce que c’est que ce boulot d’amateurs ? Je n’ai rien sur moi, je vous ai dit. » Il se laissa tomber avec mauvaise humeur sur la chaise qui faisait face à Andrew.

« Je suppose que tu connais le shérif et son assistant ? Et ils te connaissent bien, si je ne m’abuse. Mais savent-ils que tu t’es mis à vendre de la horse ? » Le type haussa les épaules. « Qui a parlé de horse ? je croyais que c’était d’herbe, qu’on…

– Bien sûr. Personne n’a dit quoi que ce soit à propos de drogue, et ce n’est pas sûr que quelqu’un en parle, si seulement tu veux bien nous donner deux ou trois renseignements.

– Vous vous foutez de moi, pas vrai ? Il faudrait que je prenne le risque d’être décapité pour avoir cafté, rien que parce que deux flics qui ne sont même pas du patelin et qui n’ont rien à me reprocher me tombent dessus et…

– Cafter ? On s’est rencontrés ici, on n’a malheureusement pas réussi à se mettre d’accord sur le prix de la marchandise, et c’est tout. Un témoin pourra même certifier qu’on s’est rencontrés pour un marché on ne peut plus banal. Si tu fais ce qu’on te dit, tu ne nous reverras plus jamais, et personne ici ne nous reverra. »

Andrew s’alluma un cigare et plissa les yeux en direction du pauvre junkie assis de l’autre côté de la table, lui souffla en plein visage la fumée qu’il venait d’inhaler, avant de poursuivre :

« Si, en revanche, on n’obtient pas ce qu’on est venus chercher, il se pourrait bien que l’on mette en évidence nos insignes, au moment de ressortir, et qu’il soit procédé dans un futur proche à quelques arrestations qui ne contribueront pas spécialement à faire monter ta cote de popularité dans le coin. Je ne sais pas si on utilise ici cette méthode dont tu as parlé tout à l’heure, à savoir couper les roubignolles des cafteurs, car les fumeurs de cigarettes magiques sont en règle générale des gens paisibles. Mais ils savent deux ou trois choses, et je ne serais pas surpris que le shérif, un soir, tombe sur ton stock, comme ça, tout à fait par hasard. Les clopeurs de verveine de terrasse n’apprécient pas beaucoup la concurrence des drogues dures, tu sais, en tout cas pas quand elle vient de balances. Et je ne t’apprendrai pas grand-chose en matière de barèmes de sanctions pénales consécutives à la revente massive d’héroïne, hmm ? »

Davantage de fumée bleue de cigare dans le visage de Kinski. Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de cracher de la fumée dans la tronche d’un porc, se dit Harry.

« O. K., fit Andrew en voyant que l’autre ne répondait pas. Evans White. Tu vas nous dire où il est, qui il est et comment on peut le retrouver. Maintenant ! » Kinski jeta un œil autour de lui. Sa grosse tête émaciée pivota sur son cou d’oisillon, le faisant ressembler à un vautour près d’une charogne, inquiet d’un possible retour des lions.

« Juste ça ? demanda-t-il. Rien d’autre ?

– Rien d’autre, répéta Andrew.

– Et comment je peux être sûr que vous ne reviendrez pas pour autre chose ?

– Tu ne peux pas. »

Il hocha la tête comme s’il avait su d’avance que c’était la seule réponse possible.

« O. K. Ce n’est pas encore un gros poisson, mais d’après ce que j’ai entendu, c’est une étoile montante. Il a bossé pour madame Rosseau, la reine de l’herbe, ici, mais à l’heure actuelle, il est en train de monter sa propre petite affaire. Herbe, acide et vraisemblablement de la morphine. L’herbe qu’il vend est la même que partout, ici, production locale. Mais on dit qu’il a de bonnes relations à Sydney, et qu’il y échange de l’herbe contre de l’acide de bonne qualité et bon marché. C’est l’acide, qui marche, en ce moment.

– Pas d’X-tasy ou d’héroïne ? demanda Harry.

– Pourquoi, il devrait ? demanda Kinski avec hargne.

– Eh bien… je ne peux que te dire comment c’est à l’endroit d’où je viens, mais à la suite de la vague House, on considère que plus de la moitié des jeunes Anglais de plus de seize ans ont déjà essayé l’ecstasy. Et après la sortie de Trainspotting, l’héro est devenue la drogue à la mode…

– Quoi ? House ? Trainspotting ? » L’homme le regarda sans comprendre. Harry avait déjà remarque que les junkies ont tendance à être déconnectés des phénomènes de société.

« Où est-ce qu’on peut trouver Evans ? demanda Andrew.

– Il passe pas mal de temps à Sydney, mais je l’ai vu ici, en ville, il y a deux ou trois jours. Il a eu un gamin avec une gonzesse de Brisbane qu’on a vu traîner par ici. Je ne sais pas où elle est maintenant, mais le gamin, en tout cas, il l’a avec lui à la ferme qu’il occupe quand il est à Nimbin. »

Il expliqua en quelques phrases où se trouvait la ferme.

« C’est quel genre de type, White ? s’enquit Andrew.

– Pfff, comment dire… ? » Il se grattouilla la barbe qu’il n’avait pas. « Un charmant trou-du-cul ; ce n’est pas comme ça, qu’on dit ? »

Andrew et Harry n’en savaient rien, mais acquiescèrent pour lui montrer qu’ils le suivaient.

« Il est réglo, en ce qui concerne le deal, mais je n’aimerais pas être sa poule, si vous voyez ce que je veux dire. »

Ils secouèrent la tête pour lui montrer qu’ils avaient cessé de suivre.

« C’est vrai que c’est un beau gosse, et qu’il n’a pas vraiment la réputation de se contenter d’une pétasse à la fois. Il y a constamment des histoires avec ses minettes, elles font tout un boxon, alors on ne peut pas vraiment s’étonner quand l’une d’entre elles, de temps à autre, se retrouve avec un œil comme une quetsche.

– Hmm. Tu as entendu parler d’une blonde, une Norvégienne, qui s’appelait Inger Holter ? On l’a retrouvée morte près de Watson’s Bay, à Sydney, la semaine dernière.

– Ah oui ? Jamais entendu parler d’elle. » Il n’était apparemment pas non plus un lecteur de presse invétéré.

Andrew écrasa son cigare, et se leva en même temps qu’Harry.

« C’est sûr, je peux vous faire confiance pour la fermer ? demanda Kinski avec une mine sceptique.

– Mais oui », répondit Andrew avant de filer vers la porte.

Le commissariat, qui avait l’apparence d’une banale maison d’habitation, se trouvait dans la rue principale, à presque exactement cent mètres du musée. La seule différence entre ce commissariat et une maison classique résidait dans le petit panneau planté sur la pelouse et qui informait qu’on se trouvait devant le poste de police local. Le shérif et son assistant étaient à l’intérieur, assis chacun à son grand bureau, dans une grande pièce qui contenait en outre un canapé, une table basse, une télévision, une impressionnante collection de plantes en pots et une bibliothèque sur laquelle trônait une énorme cafetière. Des rideaux à petits carreaux donnaient presque à la pièce une touche de cabane norvégienne.

« Good day », dit Andrew.

Harry se souvint que Kåre Willoch avait dit la même chose aux téléspectateurs américains, dans les années 80. Le lendemain, les journaux norvégiens, indignés, avaient accusé le Premier ministre de ridiculiser la Norvège à l’étranger avec son anglais à la mords-moi-le-doigt.

« Good day, répondirent le shérif et son assistant, qui ne Usaient pas les journaux norvégiens.

– Je m’appelle Kensington, et voici Holy. Je suppose que Sydney a téléphoné pour vous dire pourquoi on est là ?

– Oui et non », répondit celui qui semblait être le shérif, un type aux yeux bleus, au teint mat, d’une quarantaine d’années, qui dégageait une impression de jovialité et à la poignée de main franche. Il rappela à Harry le père dans Skippy ou Flipper, ces hommes vêtus de kaki, rassurants et moralement conformes à ces héros australiens de tous les jours qui encaissent pratiquement tout.

« Ils n’ont pas été spécialement clairs, à Sydney. On a compris que vous recherchez un gonze, mais que vous ne voulez pas qu’on l’amène au poste ? » Le shérif se leva et rajusta son pantalon. « Vous avez peur qu’on fasse une connerie ? Vous croyez qu’on ne connaît pas notre boulot, ici ?

– Ne le prenez pas mal, Chef. On sait que vous êtes débordés, avec vos repérages en matière de marijuana, alors on s’était dit qu’on pouvait rendre une petite visite à ce mec sans vous déranger. On a trouvé une adresse, et tout ce qu’on veut, c’est poser quelques questions à cet individu. »

Andrew fit la moue pour signifier qu’il ne s’agissait que d’une affaire sans importance.

Le shérif exprima son mécontentement par un grognement.

« Sydney et Canberra, c’est du pareil au même. Ils donnent des ordres et envoient des types, tandis que nous, ici, on est toujours les derniers au cornant. Et sur les doigts de qui on tapera, si ça tourne vinaigre ?

– Amen », murmura l’assistant de derrière son bureau.

Andrew acquiesça.

« Ne m’en parle pas. Chez nous, c’est comme ça tous les jours. Où que tu te tournes, il y a des supérieurs qui n’ont jamais foutu un pied dehors. C’est devenu comme ça, point. Nous, qui travaillons sur le terrain, et qui savons comment fonctionnent les choses, on est dirigés par des rats de bureau qui n’ont qu’un médiocre diplôme de droit et le rêve de prendre du recul en montant dans la hiérarchie. »

Harry se hâta d’acquiescer, en soutien à Andrew, et poussa un gros soupir.

Le shérif les examina, mais le visage d’Andrew était impénétrable. Il finit par accorder à l’accusé le bénéfice du doute, et leur offrit le café.

« C’est une sacrée cafetière, que vous avez là, fit Harry en montrant du doigt la monstrueuse machine qui se trouvait dans le coin. » Dans le mille.

« Elle sort un litre à la minute », informa le shérif fièrement avant de leur donner un bref aperçu de ses caractéristiques techniques.

Plusieurs tasses de café après, ils étaient tombés d’accord sur le fait que les Bears de North Sydney n’étaient qu’un club de snobs dans la ligue de rugby, et que ce patineur norvégien qui sortait avec Samantha Riley devait être un type réglo.

« Vous avez vu les pancartes de manifestants, dans la rue ? demanda l’assistant. Ils incitent les gens à venir sur la piste d’atterrissage pour renverser notre hélicoptère. Ils jugent inconstitutionnel de photographier les propriétés des gens. Hier, cinq personnes se sont enchaînées à l’hélico. On n’a pu faire décoller le bazar que tard dans l’après-midi. »

Le shérif et son assistant s’esclaffèrent. Il était évident que l’affaire ne les avait pas catastrophés.

Après une tasse de café supplémentaire, Andrew et Harry se levèrent, annoncèrent qu’il était temps d’aller parler à cet Evans White et serrèrent la main du shérif pour le remercier de les avoir abreuvés.

« D’ailleurs, dit Andrew en s’arrêtant dans l’ouverture de la porte. Mon petit doigt m’a dit que quelqu’un vend de l’héro, à Nimbin. Un type brun, maigre. Avec une tronche de vampire en pleine grève de la faim.

Le shérif leva instantanément les yeux.

« De l’héros ?

– Ça doit être de Mondale, qu’il veut parler, intervint l’assistant.

– Mondale, espèce de sale enculeur de moutons dégénéré ! » cria le shérif.

Andrew leva le chapeau qu’il n’avait pas.

« Je pensais que ça vous ferait plaisir, de le savoir. »

 

« C’était comment, ton dîner avec notre témoin suédois ? demanda Andrew sur le chemin de chez White.

– Bon. Franchement épicé, mais bon, répondit immédiatement Harry.

– Allez, Harry. De quoi vous avez parlé ?

– De plein de choses. De la Norvège et de la Suède.

– D’accord. Qui a gagné ?

– Elle.

– Qu’est-ce qu’ils ont, en Suède, que vous n’avez pas en Norvège ? demanda Andrew.

– En premier lieu : quelques bons metteurs en scène. Bo Widerberg, Ingmar Bergman…

– Euh, des metteurs en scène, se moqua Andrew. On en a aussi. Edvard Grieg, en revanche, vous êtes les seuls à l’avoir.

– Tiens, fit Harry. Je ne savais pas que tu étais amateur de musique classique. Aussi.

– Grieg était un génie. Prends par exemple le deuxième mouvement de sa symphonie en ut mineur, où…

– Désolé, Andrew, l’interrompit Harry, mais moi, j’ai grandi entouré de deux accords de punk, et ce que j’ai qui se rapproche le plus d’une symphonie, c’est du Yes et du King Crimson. Je n’écoute pas de musique datant du siècle dernier, O. K. ? Avant les années 80, c’est l’âge de pierre. On a un groupe qui s’appelle Dumdum Boys, qui…

– La symphonie en ut mineur a été jouée pour la première fois en 1981, dit Andrew. Dumdum Boys ? Tu parles d’un nom prétentieux ! »

Harry laissa tomber.

 

Evans White les regarda de ses yeux mi-clos. Ses cheveux tombaient en paquets devant son visage. Il se gratta l’entrecuisse et rota pour exprimer son état d’esprit. Il ne semblait pas surpris outre mesure de les voir. Non pas parce qu’il s’attendait à les voir, eux, mais probablement parce qu’il ne trouvait pas vraiment sensationnel qu’on vînt le voir. Il était après tout en possession du meilleur acide de toute la région, et Nimbin était un petit patelin dans lequel les rumeurs filaient. Harry partait du principe qu’un homme comme White ne dealait pas en petites quantités et surtout pas depuis son pas-de-porte, mais ça n’empêchait pas les gens de défiler devant sa porte pour tenter des achats de gros de temps à autre.

« Vous vous êtes trompés. Essayez en ville, dit-il en refermant la porte grillagée.

– Nous sommes de la police, M. White, dit Andrew en lui montrant son insigne. Nous aimerions vous parler. »

Evans leur tourna le dos.

« Pas aujourd’hui. Je n’aime pas les flics. Revenez avec un mandat d’arrêt, de perquisition ou un truc du style, et on verra à ce moment-là. En attendant, bonne nuit. »

Il claqua ensuite la porte proprement dite.

Harry se pencha contre le chambranle et cria :

« Evans White ! Vous m’entendez ? On voudrait savoir si c’est vous, sur cette photo, Sir ? Et si oui, si vous connaissez la jeune femme blonde qui est assise à côté de vous ? Elle s’appelait Inger Holter, et elle est morte, à l’heure qu’il est ! ».

Pendant un moment, ils n’entendirent rien. Puis les gonds grincèrent. Evans jeta un œil à l’extérieur.

Harry plaqua la photo contre le grillage de la moustiquaire.

« Elle n’était pas aussi agréable à regarder quand la police de Sydney l’a retrouvée, M. White. »

À l’intérieur de la cuisine, les journaux étaient éparpillés sur la table, l’évier débordait d’assiettes et de verres, et le sol n’avait pas dû voir d’eau savonneuse depuis plusieurs mois. Harry constata pourtant en un regard que l’endroit ne semblait pas totalement tomber en décrépitude, et ne ressemblait pas au lieu de résidence d’un junkie au bout du rouleau. Il n’y avait pas de restes de nourriture vieux de plusieurs semaines en train de moisir, ça ne sentait pas la pisse et les rideaux n’étaient pas tirés. Une sorte d’ordre régnait de plus dans la pièce, ce qui fit comprendre à Harry qu’Evans White continuait à vivoter.

Ils s’assirent chacun sur une chaise, et Evans attrapa une bière dans le frigo et se la plaqua sur la bouche. Un rot résonna dans la cuisine, suivi d’un gloussement satisfait d’Evans.

« Parlez-nous de votre relation avec Inger Holter, M. White, dit Harry en agitant la main pour chasser l’odeur nauséabonde.

– Inger était une fille gentille, belle et assez bête, qui s’était mis dans le crâne qu’elle et moi pourrions être heureux ensemble. »

Evans leva les yeux au plafond. Puis il émit un second gloussement satisfait.

« En fait, je pense que ça résume assez bien la situation, dit-il.

– Avez-vous une idée sur la façon dont elle a été tuée, et sur l’identité de son meurtrier ?

– Oui, vous savez, on a les journaux, à Nimbin aussi, alors je sais qu’elle a été étranglée. Mais par qui ? Un étrangleur, je suppose. » Il rejeta la tête en arrière et ricana. Une mèche bouclée lui tombait sur le front, ses dents blanches étincelaient sur son visage bronzé, et les pattes d’oie autour de ses yeux bruns s’étalaient vers ses oreilles ornées de gros anneaux de pirate.

Andrew se racla la gorge.

« Monsieur White, une femme que vous connaissiez bien et avec qui vous avez eu une relation proche vient juste de se faire tuer. Ce que vous pouvez bien ressentir ou ne pas ressentir dans ces circonstances ne nous regarde pas. Mais comme vous le comprenez sans doute, nous sommes à la recherche d’un meurtrier, et si vous refusez de nous aider, ici et maintenant, nous serons contraints de vous emmener au poste, à Sydney.

– De toute façon, j’y allais, alors si vous voulez dire que vous me payez mon billet, pas de problème. » Il jeta la tête en arrière, en signe de mépris.

Harry ne savait pas quoi en penser. Evans White était-il aussi dur qu’il tentait de le faire croire, ou bien souffrait-il seulement de ce qu’on appelle « aptitudes psychiques et humaines sous-développées » – un concept typiquement norvégien, se dit Harry : nulle part ailleurs dans le monde un tribunal ne serait chargé de porter une appréciation sur les aptitudes humaines.

« À votre guise, M. White, dit Andrew. Billet d’avion, gîte et couvert, avocat commis d’office et promotion gratuite en tant que suspect dans cette affaire.

– La belle affaire. Je suis sorti dans quarante-huit heures.

– Et on vous garantit une filature gratuite vingt-quatre heures sur vingt-quatre, réveil gratuit pour vérifier que vous êtes chez vous la nuit, et pourquoi pas, une ou deux razzias de temps en temps. Et qui sait ce qu’on trouvera, à ce moment-là ? »

Evans termina sa bière et se mit à grattouiller l’étiquette sur la bouteille.

« Et que veulent savoir ces messieurs ? demanda-t-il d’un ton boudeur. Tout ce que je sais, c’est qu’un jour, elle a disparu, comme ça. Je devais aller à Sydney, alors j’ai essayé de l’appeler, mais elle n’était ni au boulot, ni chez elle. Le jour où j’arrive en ville, je lis dans le journal qu’on l’a retrouvée morte. Je tourne en rond comme un zombi pendant deux jours. Je veux dire, t-u-é-e ? Quel est le pourcentage de chances de voir sa vie se terminer dans une étreinte fatale ?

– Pas bézef. Mais vous avez donc un alibi, pour l’heure du meurtre ? C’est bien… » dit Andrew en prenant des notes.

Evans sursauta.

« Alibi ? Comment ça ? Vous n’êtes pas en train de me dire que je suis soupçonné, quand même ? Ou bien est-ce que vous me racontez que les flics sont sur l’affaire depuis une semaine sans avoir trouvé le moindre soupçon d’indice ?

– Nous explorons toutes les pistes, monsieur White. Pouvez-vous me dire où vous étiez les deux jours qui ont précédé votre arrivée à Sydney ?

– J’étais ici, à la ferme, quelle question !

– Seul ?

– Pas tout à fait. » Evans ricana et jeta la bouteille vide. Elle tournoya en l’air tout en décrivant une jolie parabole avant de disparaître sans un bruit dans la poubelle, le long du plan de travail. Harry fit un signe de tête admiratif.

« Oserais-je vous demander avec qui vous étiez ?

– Oui, on dirait. Mais bon, je n’ai rien à cacher. J’étais avec une femme répondant au nom d’Angeline Hutchinson. Elle habite dans le patelin. »

Harry prit note.

« Maîtresse ? demanda Andrew.

– Si on veut, répondit Evans.

– Que pouvez-vous nous dire sur Inger Holter ? Qui était-elle ?

– Bah, putain, on ne se connaissait pas depuis si longtemps. Je l’ai rencontrée à Sydney, au bar où elle bossait, The Albury. On en est venus à discuter, et elle m’a dit qu’elle faisait des économies pour aller à Byron Bay. Ce n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres d’ici, alors je lui ai filé mon numéro de téléphone à Nimbin. Quelques jours plus tard, elle m’a téléphoné pour me demander si elle ne pouvait pas passer une nuit à la ferme. Elle est restée plus d’une semaine. Après ça, on se voyait à Sydney, quand j’y allais. Deux ou trois fois, peut-être. Vous voyez, on n’a pas eu vraiment le temps de devenir un vieux couple. Et en plus, elle commençait à me courir sur les godasses.

– C’est-à-dire ?

– Oui, elle avait jeté son dévolu sur mon rejeton, Tom-Tom, et elle s’est fait des films sur une famille et une baraque dans la cambrousse. Ça ne m’emballait pas plus que ça, mais j’ai laissé faire.

– Laissé faire quoi ? » Evans se tortilla sur sa chaise.

« Elle était ce genre de filles qui jouent les dures au début, mais qui deviennent toutes douces quand tu leur grattes un peu le menton en leur disant que tu les aimes un peu. À partir de là, il n’y a plus de limite au bien qu’elles peuvent te faire.

– Alors, c’était une fille pleine de sollicitude ? » demanda Harry.

Evans n’aimait manifestement pas l’orientation que prenait la conversation.

« Peut-être bien. Comme je vous l’ai dit, je ne la connaissais pas bien. Vous savez, ça faisait une paye qu’elle n’avait pas vu sa famille, en Norvège, alors il se peut qu’elle ait juste eu… certaines carences en… compagnie, présence, pas vrai ? Qu’est-ce que j’en sais ?… Comme j’ai dit, elle était stupide et romantique, incapable de la moindre méchanceté… »

La voix d’Evans se brisa légèrement. Le silence se fit dans la cuisine. Ou bien c’était un bon comédien, ou bien il avait malgré tout des sentiments humains, se dit Harry.

« Si cette relation vous paraissait sans avenir, pourquoi ne l’avez-vous pas quittée ?

– J’étais déjà sur le départ, si on veut. À la porte, prêt à dire “Salut”, en quelque sorte. Mais je n’en ai pas eu le temps avant qu’elle ne disparaisse. Comme ça… » Il claqua des doigts.

Si, si, sa voix était un peu étranglée, constata Harry.

Evans baissa les yeux sur ses mains :

« Vous parlez d’une façon de mettre les bouts, hein ? »