La menora Le magnifique chandelier d’or du temple de Jérusalem, pillé par les Romains en 70 apr. J.-C., demeure l’un des plus grands trésors perdus de l’Histoire, au même titre que le Saint-Graal et l’Arche d’alliance. La seule description que nous en ayons et dont l’illustration de la couverture est inspirée se trouve sur l’arc de Titus, à Rome. La procession triomphale représentée sur cet arc a été relatée en détail par Josèphe, témoin oculaire juif et confident de l’empereur Vespasien. Parmi les dépouilles du Temple se trouvait un chandelier en or : « La colonne s’élevait du milieu du pied où elle était fixée et il s’en détachait des tiges délicates dont l’agencement rappelait l’aspect d’un trident. Chacune était, à son extrémité, ciselée en forme de flambeau : il y avait sept de ces flambeaux, marquant le respect des Juifs pour l’hebdomade. » (Flavius Josèphe, Guerre des Juifs livre VII, 148-150). Josèphe parle peu du sort réservé aux prisonniers juifs – il ne décrit que l’exécution de leur chef, Simon – mais il affirme qu’au moins une partie des dépouilles a échappé à la fonte : dans son temple de la Paix, Vespasien « consacra les vases d’or provenant du temple des Juifs, butin dont il était particulièrement fier » (livre VII, 161-162). D’autres trésors ont été fondus pour frapper les célèbres pièces « Judaea Capta », dont le revers représente une femme incarnant la Judée vaincue sous un trophée romain et porte l’inscription IVDAEA.
Il n’existe aucune autre description de la menora du Temple. Cependant, celle-ci aurait été préservée – et peut-être été cachée dans une chambre secrète, comme celle qui a bien été découverte dans l’arc de Titus. L’historien Procope (env. 500-562 apr. J.-C.) en fournit la preuve irréfutable dans un témoignage direct concernant le butin rapporté par le général byzantin Bélisaire, lorsque celui-ci a vaincu les Vandales à Carthage en 534 apr. J.-C. Ce butin contenait des objets dérobés par le roi vandale Genséric lors du sac de Rome en 455 apr. J.-C., « le trésor des Juifs, que Titus, le fils de Vespasien, avait rapporté à Rome, avec certains autres, après la chute de Jérusalem » (Procope, Guerres de Justinien, livre IV, chap. IX, 5-10). D’après Procope, Bélisaire a ramené les trésors à Constantinople – l’actuelle Istanbul – et les a exposés dans l’hippodrome pour l’empereur Justinien. Procope affirme qu’un Juif a ensuite persuadé Justinien de les redéposer dans « les lieux saints des chrétiens de Jérusalem ». Lorsqu’il décrit l’arrivée des trésors à Constantinople, son témoignage est sans doute authentique, d’autant que beaucoup de ses lecteurs avaient été vraisemblablement eux-mêmes témoins du triomphe. En revanche, le récit du retour des trésors à Jérusalem semble peu plausible et simplement destiné à mettre en valeur les vertus chrétiennes de Justinien. Rien ne prouve de façon crédible que la menora se soit trouvée à Jérusalem au-delà de 70-71 apr. J.-C.
Les trésors perdus du temple de Jérusalem sont peut-être restés cachés à Constantinople pendant le Moyen Âge. La préservation de beaucoup d’autres antiquités dans la cité est attestée par la liste des objets détruits ou volés par les croisés en 1204, dont le célèbre quadrige, expédié à Venise pour devenir les chevaux de Saint-Marc. Certains croisés avaient dû se rendre en pèlerinage à Rome et il est possible que leur chef, Baudouin de Flandre, ait vu l’extraordinaire bas-relief de l’arc de Titus et lu Procope. Les écrits de l’époque au sujet du sac de Constantinople sont empreints de pieuses justifications, mais il se pourrait que la soif de pillage ait été trop grande et que Baudouin ait cherché désespérément un moyen de payer les Vénitiens pour le transport des croisés jusqu’en Terre sainte.
Rien ne permet de savoir si les trésors juifs sont restés à Constantinople jusqu’en 1204. Un siècle et demi avant la quatrième croisade, l’illustre garde varangienne de l’empereur byzantin était dirigée par Harald Sigurdsson, personnage hors du commun passé à la postérité sous le nom de Hardrada, « l’Impitoyable » ou « le Sévère ». Harald était un mercenaire viking, le fils exilé d’un roi de Norvège, qui irait reprendre le trône et deviendrait le plus redouté de tous les chefs de guerre vikings. À la tête de la garde varangienne, il a été le Bélisaire de l’époque. Il a mené des campagnes en Sicile et en Afrique du Nord pour le compte de l’empereur et amassé une immense fortune personnelle. Les Sarrasins l’appelaient « Éclair du Nord ». Il a réussi là où la quatrième croisade a échoué, puisqu’il est entré à Jérusalem, il a pacifié la Terre sainte, il s’est baigné dans le Jourdain et il a déposé une offrande sur le tombeau du Christ Son expédition à Jérusalem a eu lieu en 1036 ou 1037, ce qui fait de lui le premier et le plus efficace de tous les croisés, bien qu’il ait agi au nom de l’empereur byzantin et non de l’Église d’Occident.
De retour à Constantinople, Harald a été autorisé à prendre part à un « pillage de palais » en récompense de ses efforts, ce qui lui a permis de s’enrichir encore davantage. Une nuit, en 1042, il a kidnappé la nièce de l’impératrice Zoé, Maria – qu’il avait souhaité épouser mais dont Zoé lui avait refusé la main –, et s’est enfui avec ses compagnons de la garde varangienne à bord de deux navires, malgré la grande chaîne qui bloquait l’entrée de la Corne d’Or, le port de Constantinople. D’après le seul récit qu’il existe de cette aventure, Maria a été renvoyée à la cité une fois les fuyards en sécurité, mais peut-être a-t-elle accompagné Harald jusqu’en Norvège. Il se pourrait en effet que Harald l’ait gardée à ses côtés tout au long de sa vie extraordinaire, en dépit de son mariage avec la princesse Élisabeth de Kiev et de sa relation avec au moins une autre femme, Thora, qui lui a donné un fils, son héritier Olaf. D’après sa biographie, il a eu une « fille », curieusement prénommée Maria, qui l’a accompagné lors de son dernier voyage et serait morte subitement « le jour même et au moment même où son père était tombé » (La Saga de Harald l’Impitoyable, Heimskringla, 98).
Quasiment tout ce que nous savons de Harald Hardrada provient de la Heimskringla, un récit de la vie des rois vikings écrit au début du XIIIe siècle par le poète et historien islandais Snorri Sturluson (1179-1241). La symbolique de l’aigle et du loup est très présente dans les passages en vers de ce texte. La Heimskringla, de même que la Chronique anglo-saxonne, fournit également quelques rares informations à propos de la bataille de Stamford Bridge, près de York. Lors de cette bataille, une armée norvégienne conduite par Harald a été mise en déroute, le 25 septembre 1066, par le roi anglais Harold Godwinson, qui sera à son tour vaincu par les Normands, quelques semaines plus tard. Pour les Norrois, Stamford Bridge a été un événement catastrophique qui, selon de nombreux experts, a sonné le glas de l’époque des Vikings. Sur trois cents navires qui étaient partis pour l’Angleterre, seuls vingt-quatre sont rentrés. La dernière description de Harald Hardrada vivant le montre combattant « à deux mains » au plus fort de la bataille. Entouré de ses fidèles compagnons, peut-être était-il armé d’une grande hache d’armes viking.
Parmi les membres de la garde varangienne qui ont fui Constantinople avec Harald, figuraient Halldor et Ulf, tous deux Islandais, et peut-être Halfdan. Il se peut que celui-ci ait été le frère de Harald. On peut voir son nom gravé sur une balustrade dans la cathédrale Sainte-Sophie d’Istanbul. Des fragments de la chaîne qui traversait la Corne d’Or existent encore. Ailleurs, les preuves des exploits de Harald sont minces, mais il y a de quoi étoffer la vie relatée dans la Heimskringla. À Jérusalem, dans l’église du Saint-Sépulcre, j’ai vu une croix de pèlerin gravée dans la pierre qui semblait avoir la forme du marteau de Thor, Mjøllnir ; un symbole fort pour les Norrois sous la domination chrétienne, jusqu’en Islande et au Groenland, qui a perduré à l’instar des légendes de Loki, de Fenrir et du Valhalla.
La superbe carte du XIIIe siècle décrite au chapitre 2 est aujourd’hui exposée dans un musée bâti spécialement pour elle à côté de la cathédrale de Hereford, qui abrite également la célèbre bibliothèque enchaînée. Quand, enfant, j’ai visité la cathédrale pour la première fois, la bibliothèque se trouvait encore au-dessus du transept nord dans la salle des archives, où étaient stockés les documents anciens et les trésors à l’époque où la carte a été dessinée. L’absence apparente d’escalier en colimaçon dans l’angle nord-est du transept pour accéder à la galerie m’a toujours semblé étrange. C’est donc là que j’ai situé la découverte fictive de la deuxième carte. Richard de Haldingham est un personnage historique, dont le nom est mentionné dans l’angle inférieur gauche de la carte. On ne sait pas grand-chose de lui et j’ai imaginé qu’il avait été le disciple, au sein du félag, de Jacques de Voragine, archevêque de Gênes, qui est aussi un personnage historique. On peut déduire l’absence de Richard lors de la consécration de la carte de l’emplacement erroné de l’Europe et de l’Afrique, une erreur grossière qu’un érudit de son envergre n’aurait certainement jamais tolérée.
Un félag est une confrérie, une institution viking, qui pouvait se composer de guerriers faisant acte d’allégeance à un seigneur, liés par un serment de fidélité. Les ennemis jurés pouvaient subir le redoutable blodörn, « aigle de sang ». Snorri Sturluson, biographe des rois vikings du XIIIe siècle, décrit une victime à qui l’on sculpte un aigle dans le dos. L’ennemi lui « enfonça son épée dans le corps le long de la colonne vertébrale, trancha toutes les côtes jusqu’aux reins et lui arracha les poumons ». L’idée d’un félag secret dans l’Angleterre médiévale est née de l’antipathie des Anglais envers leurs suzerains normands et de l’héritage nordique qui demeurait présent dans les régions de la Bretagne où les Vikings s’étaient établis. Cette influence était particulièrement sensible dans les îles occidentales de l’Écosse. Sur l’île sainte d’Iona, on peut encore voir les pierres tombales de chefs vikings au milieu des premières reliques chrétiennes du monastère.
***
La fascination des nazis pour les Vikings est bien connue. La SS, représentée par deux runes sig tristement célèbres, était le félag des nazis. Sa mission est devenue l’assujettissement de l’Europe de l’Est, des terres ayant appartenu aux rois vikings de Rus et de Kiev, où les activités des Einsatzgruppen – dont certains membres ont été recrutés sur place – ont entraîné le meurtre de plus d’un million de Juifs ukrainiens. Le « Compte rendu de situation opérationnelle URSS n° 129a » de l’Einsatzgruppe D, cité aux chapitres 9 et 22, est un addendum fictif au véritable compte rendu n° 129, dont le texte n’a été changé que pour mentionner Reksnys, personnage fictif, et le nombre de ses victimes. Les atrocités nazies décrites dans ce roman m’ont été inspirées par ma visite du ravin de Babi Yar, près de Kiev, où des milliers de familles juives ont été déshabillées et abattues, ou encore par des photos et témoignages exposés au musée de la Grande Guerre patriotique de Kiev. Aujourd’hui, Babi Yar est un joli parc où se dresse une immense sculpture en pierre de la menora.
L’Ahnenerbe, « Héritage des ancêtres », était un organisme rattaché à la SS, qui a réellement existé. Récemment, de nouvelles informations ont été découvertes concernant ses activités dans les années 1930, notamment des expéditions en Amérique du Sud et au Tibet, où les scientifiques nazis ont effectué des mesures craniologiques. Ceux-ci pensaient que les populations isolées avaient peut-être gardé des caractères spécifiques de la race supérieure aryenne, à laquelle ils associaient la légende de l’Atlantide et l’étrange Welteislehre, la doctrine de « la glace éternelle ». Heinrich Himmler, chef de la SS, situait le berceau de la civilisation aryenne en Islande, où des expéditions de l’Ahnenerbe ont été envoyées en 1936 et 1938. L’expédition décrite dans ce roman est fictive, de même que ses deux membres, mais le Groenland est proche de l’Islande et Himmler aurait sans aucun doute été intrigué par les récits du célèbre explorateur groenlandais Knud Rasmussen et par son analyse de la culture inuit.
***
Le fjord glacé d’Ilulissat, site classé au patrimoine mondial de l’Unesco, de même que L’Anse aux Meadows et Chichén Itzá, constitue actuellement l’un des meilleurs observatoires du réchauffement de la planète. Il est attentivement étudié par les glaciologues et les climatologues. Le site inuit de Sermermiut, « le village des habitants du glacier », existe réellement, ainsi que Kællingekløften, « la falaise du suicide ». La description de l’iceberg s’inspire de ma propre expérience dans le fjord glacé d’Ilulissat et de mes plongées sous la glace dans les eaux canadiennes. Des plongeurs sont effectivement entrés dans des fissures naturelles d’icebergs et la technologie permettant de pénétrer dans la glace décrite dans ce roman existe.
Le bois, les textiles et le métal doré peuvent être préservés presque indéfiniment dans la glace. L’idée que le corps d’un guerrier viking pouvait se trouver intact dans le glacier est née de la découverte des corps extraordinairement bien conservés de deux membres de la funeste expédition de John Franklin dans l’Arctique canadien, en 1845, exhumés du permafrost à l’île Beechey en 1984. Chez les Norrois, la cérémonie du bateau funéraire était un rite funèbre avéré. Une description célèbre d’un incendie de navire a été faite par le voyageur arabe Ibn Fadlan, qui a assisté au Xe siècle aux funérailles d’un chef rus sur la Volga, lors desquelles une femme a rejoint son seigneur sur le bûcher. Snorri Sturluson nous a légué un autre récit dans lequel un navire en flammes rempli d’armes et de corps prend la mer après une bataille, emportant avec lui un chef viking mortellement blessé qui a supervisé la construction de son propre bûcher funéraire.
La description du bateau pris dans la glace s’inspire des spectaculaires bateaux funéraires de Gokstad et d’Oseberg, en Norvège. Cela dit, le bateau fictif de Harald aurait certainement été de conception plus fonctionnelle. D’après Snorri Sturluson, les deux navires à bord desquels Harald et ses compagnons ont fui Constantinople étaient les « galères des Varègues », des drakkars à rames (La Saga de Harald l’Impitoyable, Heimskringla, 15). Les navires coulés dans les années 1070 près de Skuldelev, au Danemark, pour restreindre l’accès au fjord de Roskilde, donnent une idée précise de ce à quoi ressemblaient les bateaux vikings au moment du voyage fictif de Harald, qui a lieu quasiment à la même date. L’un d’eux était un navire robuste à coque profonde apte à naviguer sur l’océan. La faisabilité des voyages d’exploration des Vikings aux Amériques a été amplement démontrée par des expérimentations modernes. Des répliques de navires vikings ont notamment navigué jusqu’à L’Anse aux Meadows pour célébrer le millième anniversaire de l’arrivée de Leif Eriksson au Nouveau Monde.
***
La colonie viking la plus septentrionale du Groenland était le Vestribygô, la « colonie occidentale », située à environ huit cents kilomètres au sud du fjord glacé d’Ilulissat. Cependant, la région du fjord glacé et, plus au nord, le Norôrseta, étaient fréquentés par les Norrois et indispensables à leur économie. La seule pierre runique découverte au Groenland provient de l’île de Kingigtorssuaq, à approximativement six cents kilomètres au nord du fjord glacé, et se trouve aujourd’hui au musée de la ville voisine d’Upernavik. Elle avait été déposée dans un cairn par trois aventuriers norrois – Erling, Bjarni et Eindridi –, probablement au début du XIVe siècle. D’après mes propres explorations le long de cette côte, des sites éloignés pourraient renfermer d’autres preuves d’une activité norroise. Il est absolument extraordinaire que les chasseurs norrois vivant dans cet environnement extrême, qui partaient à la recherche d’ivoire de morse, de baleines, de peaux d’ours polaire et de défenses de narval – identiques à la « corne de licorne » représentée sur la Mappa Mundi – aient participé au financement des croisades via un impôt instauré après que le roi norvégien Sigurd Jorsalfar, dit « le Croisé », a établi un siège épiscopal au Groenland en 1124. L’Église a exercé une emprise considérable sur les Groenlandais et l’impossibilité de s’acquitter des impôts épiscopaux pourrait bien avoir joué un rôle dans la disparition des Norrois du Groenland au XVe siècle.
Il est fort probable que les explorateurs vikings aient longé les rivages de la mer de Baffin et pénétré dans le détroit de Lancaster, l’entrée du passage du Nord-Ouest, qui mène à la mer de Beaufort et à l’océan Pacifique. Plusieurs artefacts vikings ont été trouvés dans l’Arctique canadien. Certains ont indubitablement été récupérés par les Inuits dans des colonies norroises abandonnées du Groenland, mais d’autres témoignent de la présence et de l’exploration des Vikings. Aucun navire viking n’a été trouvé dans ces eaux à ce jour, mais une découverte exceptionnelle évoquant la présence d’une épave a été faite à proximité de la calotte glaciaire polaire. Sur un site inuit de la minuscule île de Skraeling, un rocher nu au large de l’île d’Ellesmere – à environ mille deux cents kilomètres au nord d’Ilulissat –, plus de cinquante artefacts norrois ont été trouvés, notamment des étoffes de laine, des morceaux de cotte de mailles, des rivets de bateau, des lames de couteaux et des pointes de lances, un rabot de menuisier, des fragments de tonneau en bois et une pièce d’un jeu. La datation au carbone 14 situe ces artefacts vers la fin de la période norroise au Groenland, comme la pierre runique de Kingigtorssuaq. On peut rapprocher ce site de celui où Franklin a hiverné, sur l’île Beechey, lors de sa tentative de découvrir le passage du Nord-Ouest en 1845. Malgré la « petite période glaciaire » du Moyen Âge, l’analyse de carottes de glace extraites au Groenland montre qu’il y a eu de courtes périodes de chaleur – notamment au début du XIVe siècle – lors desquelles les eaux séparant les îles de l’Arctique canadien n’ont peut-être pas été encombrées de glace. Il ne faut donc pas négliger la possibilité que les Vikings aient découvert le passage du Nord-Ouest et emprunté à l’envers le chemin parcouru par les premiers chasseurs inuits, ouvrant ainsi la voie aux derniers colons norrois du Groenland.
***
Ce qui est certain, c’est que les Vikings ont parcouru plus de mille cinq cents kilomètres vers le sud-ouest en partant du Groenland pour fonder la première colonie européenne connue sur les rives de l’Amérique du Nord, dans un endroit qu’ils ont baptisé Vinland – peut-être « Terre de prairies » plutôt que « Terre de vignes » contrairement à ce que l’on a pensé au départ – près de cinq cents ans avant l’arrivée de Christophe Colomb. Ils cherchaient probablement du bois, denrée rare au Groenland. Le site de L’Anse aux Meadows, à Terre-Neuve, que de nombreux experts associent au Leifsbùôir des sagas nordiques, constitue l’une des plus extraordinaires découvertes archéologiques de tous les temps. « Great Sacred Island » pourrait avoir été un repère de navigation – des cairns, peut-être érigés par les Vikings, ont été trouvés à Terre-Neuve et l’histoire de la quille déposée au cap Kjalarnes est extraite de La Saga d’Éric le Rouge – mais nous n’en avons actuellement aucune preuve. Aujourd’hui, le site de L’Anse aux Meadows est sous la responsabilité de Parcs Canada et on peut visiter la hutte reconstituée près des trois habitations et de la forge découvertes dans les années 1960. Les éléments mis au jour témoignent de la présence d’un établissement temporaire fondé aux environs de l’an 1000 apr. J.-C. L’histoire de Freydis et de sa folie meurtrière est extraite de La Saga d’Éric le Rouge et de La Saga des Groenlandais, les deux récits nordiques qui traitent du Vinland. Il se pourrait que cet épisode sombre, outre le risque d’être attaqués par les Skraelings – les « chétifs », les indigènes indiens – et la présence de bois plus facilement accessible sur la côte du Labrador, au nord, ait dissuadé les Vikings de s’installer définitivement.
***
Le seul artefact viking authentifié qui ait été découvert dans les Amériques au sud de L’Anse aux Meadows est une pièce en argent usée, mise au jour dans un site indien, à proximité de la baie de Penobscot, dans le Maine. Il s’agit d’une pièce norvégienne du roi Olaf, fils et successeur de Harald Hardrada, qui était avec son père en Angleterre en 1066. Elle pourrait dater de l’année même du voyage fictif de ce roman. Aucune pièce viking n’a été trouvée à L’Anse aux Meadows ni au Groenland et la présence de cette pièce à environ mille cinq cents kilomètres de l’établissement viking le plus éloigné que l’on connaisse reste un mystère.
***
Il n’existe aucune preuve de l’arrivée de marins qui auraient traversé l’Atlantique pour atteindre les rives du Yucatan, au Mexique, avant le débarquement des Espagnols au début du XVIe siècle. Néanmoins, le prophète maya Chilam Balam, le « prophète Jaguar », aurait prédit l’arrivée d’« hommes barbus, les hommes de l’Est ». Les livres du Chilam Balam ont été écrits, pour la plupart, après la conquête espagnole. Certains experts en ont déduit que cette prophétie n’était en réalité qu’un enjolivement ultérieur de l’Histoire, mais il est possible qu’elle s’inspire du souvenir de l’arrivée d’étrangers avant les Espagnols. En l’état actuel de nos connaissances, les seuls « hommes barbus, hommes de l’Est » qui soient allés jusqu’au Nouveau Monde avant le XVe siècle sont les Vikings. Et d’après les éléments archéologiques réunis, l’exploration viking à l’ouest et au sud du Groenland a atteint son apogée au cours du XIe siècle.
Le temple fictif au milieu de la jungle et sa fresque s’inspirent d’une remarquable découverte faite en 1946 par deux Américains, dans le Yucatan, sur un site désormais connu sous le nom de Bonampak, terme maya qui signifie « murs peints ». À l’intérieur d’un édifice en encorbellement recouvert de végétation, les deux aventuriers ont découvert une fresque narrative extraordinaire représentant une bataille dans la jungle, la torture et l’exécution de prisonniers, et des rituels destinés à célébrer une victoire, notamment des femmes mayas en robe blanche qui font couler leur propre sang en se perçant la langue. Cette peinture date de l’apogée de la civilisation maya, vers 800 apr. J.-C., mais il en existe une autre, dans « le temple des guerriers » de Chichén Itzá, qui date de l’époque où les Toltèques ont pris le pouvoir, au XIe siècle. Celle-ci représente des guerriers toltèques à bord de pirogues, en reconnaissance le long de la côte maya, une grande bataille rangée à terre, et le sacrifice des chefs mayas capturés, à qui l’on arrache le cœur.
Aujourd’hui, lorsqu’on visite les ruines de Chichén Itzá, on entend souvent dire que les histoires de sacrifice humain ont été exagérées par les Espagnols ou qu’elles ne concernent que les Toltèques, et non les Mayas, dont les descendants vivent encore au Yucatan. Pour se forger sa propre idée, il suffit d’observer le Tzompantli, la plate-forme des Crânes, où l’on peut voir les rangées de têtes coupées qui ont été sculptées du côté de l’autel sacrificiel du « temple des guerriers », et de regarder la voie cérémonielle qui mène au cenote sacré, le puits des sacrifices. Une grande partie des représentations de scènes de torture et d’exécution dans l’art maya et aztèque est antérieure à l’arrivée des Espagnols et les techniques récentes d’expertise médico-légale noircissent encore le tableau : des archéologues mexicains ont découvert que le sol des temples aztèques était rempli de fer, d’albumine et de matériel génétique compatible avec le sang humain.
Dans le Yucatan, c’est l’archéologie sous-marine qui a permis de déceler les signes les plus évocateurs. Le puits des sacrifices de Chichén Itzá, dragué entre 1904 et 1911 et fouillé par des plongeurs dans les années 1960, contenait des centaines de squelettes humains – hommes, femmes et enfants – ainsi qu’une foule d’artefacts : disques d’or, pendentifs en jade sculptés, crâne humain transformé en encensoir, couteau sacrificiel, nombreuses figurines votives en bois et autres offrandes. Des découvertes similaires ont été faites dans d’autres cenotes du Yucatan, dont ceux de la couronne d’entonnoirs qui s’est formée sur le cratère creusé par une énorme météorite près de la côte nord. Un grand nombre de ces cenotes n’ont pas encore été fouillés et sont exposés au pillage. Celui du roman s’inspire de sites que j’ai explorés personnellement, en particulier de plongées que j’ai effectuées dans les galeries spectaculaires de Dos Ojos, « la grotte aux chauves-souris », près de Tulum, ancienne ville côtière fortifiée des Mayas.
La description des derniers jours des rois mayas, près de deux siècles après la conquête espagnole, est tirée du récit du père Andrés de Avendafio y Loyola (Récit de deux voyages en vue de la conversion des païens ytzaex et cehaches). Le franciscain a été témoin de cette scène extraordinaire au bord du lac de Petén, en pleine jungle, en 1695 ou 1696. Un nouveau fragment de son texte, cité au chapitre 21, a été découvert dans les années 1980. La véritable origine de l’or des Mayas, décrit par Avendafio et trouvé par les archéologues dans le puits des sacrifices de Chichén Itzá, demeure inconnue.
***
L’épigraphe de ce roman est un extrait de Guerre des Juifs, livre VII, 148-161, de Flavius Josèphe, traduction de René Harmand (Éditions Leroux, 1932). Le texte en vieux français cité au chapitre 2 est la véritable inscription qui figure dans l’angle inférieur gauche de la Mappa Mundi de Hereford. Le passage de la Bible, au chapitre 4, est tiré du livre de l’Exode 25 : 31-40. Au chapitre 5, les deux extraits de La Saga de Harald l’Impitoyable, qui fait partie de la Heimskringla de Snorri Sturluson, ont été traduits par Régis Boyer (Ed. Payot, 1979). Le poème du chapitre 13 est extrait de Morte d’Arthur, de Lord Alfred Tennyson (1809-1892). Au chapitre 15, le texte en vieux norrois décrivant le voyage de Harald est fictif, mais se compose de fragments de phrases tirés mot pour mot de La Saga d’Éric le Rouge, écrite au XIIIe siècle, qui relate les voyages des Vikings au Vinland. L’expression norroise þar liggr hann til Ragnarøks (ci-gît jusqu’à la fin du monde) est extraite de L’Edda poétique (Gylfaginning, 34), également écrite par le prolifique Snorri Sturluson au début du XIIIe siècle.
Les pièces décrites dans le prologue et au chapitre 15 existent vraiment et font partie de ma collection personnelle. Elles sont reproduites, ainsi que d’autres objets évoqués dans ce livre, sur mon site : www davidgibbins. Com