Note de lauteur

La menora Le magnifique chandelier dor du temple de Jérusalem, pillé par les Romains en 70 apr. J.-C., demeure lun des plus grands trésors perdus de lHistoire, au même titre que le Saint-Graal et lArche dalliance. La seule description que nous en ayons et dont lillustration de la couverture est inspirée se trouve sur larc de Titus, à Rome. La procession triomphale représentée sur cet arc a été relatée en détail par Josèphe, témoin oculaire juif et confident de lempereur Vespasien. Parmi les dépouilles du Temple se trouvait un chandelier en or : « La colonne sélevait du milieu du pied où elle était fixée et il sen détachait des tiges délicates dont lagencement rappelait laspect dun trident. Chacune était, à son extrémité, ciselée en forme de flambeau : il y avait sept de ces flambeaux, marquant le respect des Juifs pour lhebdomade. » (Flavius Josèphe, Guerre des Juifs livre VII, 148-150). Josèphe parle peu du sort réservé aux prisonniers juifs  – il ne décrit que lexécution de leur chef, Simon  – mais il affirme quau moins une partie des dépouilles a échappé à la fonte : dans son temple de la Paix, Vespasien « consacra les vases dor provenant du temple des Juifs, butin dont il était particulièrement fier » (livre VII, 161-162). Dautres trésors ont été fondus pour frapper les célèbres pièces « Judaea Capta », dont le revers représente une femme incarnant la Judée vaincue sous un trophée romain et porte linscription IVDAEA.

Il nexiste aucune autre description de la menora du Temple. Cependant, celle-ci aurait été préservée  – et peut-être été cachée dans une chambre secrète, comme celle qui a bien été découverte dans larc de Titus. Lhistorien Procope (env. 500-562 apr. J.-C.) en fournit la preuve irréfutable dans un témoignage direct concernant le butin rapporté par le général byzantin Bélisaire, lorsque celui-ci a vaincu les Vandales à Carthage en 534 apr. J.-C. Ce butin contenait des objets dérobés par le roi vandale Genséric lors du sac de Rome en 455 apr. J.-C., « le trésor des Juifs, que Titus, le fils de Vespasien, avait rapporté à Rome, avec certains autres, après la chute de Jérusalem » (Procope, Guerres de Justinien, livre IV, chap. IX, 5-10). Daprès Procope, Bélisaire a ramené les trésors à Constantinople  – lactuelle Istanbul  – et les a exposés dans lhippodrome pour lempereur Justinien. Procope affirme quun Juif a ensuite persuadé Justinien de les redéposer dans « les lieux saints des chrétiens de Jérusalem ». Lorsquil décrit larrivée des trésors à Constantinople, son témoignage est sans doute authentique, dautant que beaucoup de ses lecteurs avaient été vraisemblablement eux-mêmes témoins du triomphe. En revanche, le récit du retour des trésors à Jérusalem semble peu plausible et simplement destiné à mettre en valeur les vertus chrétiennes de Justinien. Rien ne prouve de façon crédible que la menora se soit trouvée à Jérusalem au-delà de 70-71 apr. J.-C.

 

La quatrième croisade

Les trésors perdus du temple de Jérusalem sont peut-être restés cachés à Constantinople pendant le Moyen Âge. La préservation de beaucoup dautres antiquités dans la cité est attestée par la liste des objets détruits ou volés par les croisés en 1204, dont le célèbre quadrige, expédié à Venise pour devenir les chevaux de Saint-Marc. Certains croisés avaient dû se rendre en pèlerinage à Rome et il est possible que leur chef, Baudouin de Flandre, ait vu lextraordinaire bas-relief de larc de Titus et lu Procope. Les écrits de lépoque au sujet du sac de Constantinople sont empreints de pieuses justifications, mais il se pourrait que la soif de pillage ait été trop grande et que Baudouin ait cherché désespérément un moyen de payer les Vénitiens pour le transport des croisés jusquen Terre sainte.

 

Harald Hardrada

Rien ne permet de savoir si les trésors juifs sont restés à Constantinople jusquen 1204. Un siècle et demi avant la quatrième croisade, lillustre garde varangienne de lempereur byzantin était dirigée par Harald Sigurdsson, personnage hors du commun passé à la postérité sous le nom de Hardrada, « lImpitoyable » ou « le Sévère ». Harald était un mercenaire viking, le fils exilé dun roi de Norvège, qui irait reprendre le trône et deviendrait le plus redouté de tous les chefs de guerre vikings. À la tête de la garde varangienne, il a été le Bélisaire de lépoque. Il a mené des campagnes en Sicile et en Afrique du Nord pour le compte de lempereur et amassé une immense fortune personnelle. Les Sarrasins lappelaient « Éclair du Nord ». Il a réussi là où la quatrième croisade a échoué, puisquil est entré à Jérusalem, il a pacifié la Terre sainte, il sest baigné dans le Jourdain et il a déposé une offrande sur le tombeau du Christ Son expédition à Jérusalem a eu lieu en 1036 ou 1037, ce qui fait de lui le premier et le plus efficace de tous les croisés, bien quil ait agi au nom de lempereur byzantin et non de lÉglise dOccident.

De retour à Constantinople, Harald a été autorisé à prendre part à un « pillage de palais » en récompense de ses efforts, ce qui lui a permis de senrichir encore davantage. Une nuit, en 1042, il a kidnappé la nièce de limpératrice Zoé, Maria  – quil avait souhaité épouser mais dont Zoé lui avait refusé la main  –, et sest enfui avec ses compagnons de la garde varangienne à bord de deux navires, malgré la grande chaîne qui bloquait lentrée de la Corne dOr, le port de Constantinople. Daprès le seul récit quil existe de cette aventure, Maria a été renvoyée à la cité une fois les fuyards en sécurité, mais peut-être a-t-elle accompagné Harald jusquen Norvège. Il se pourrait en effet que Harald lait gardée à ses côtés tout au long de sa vie extraordinaire, en dépit de son mariage avec la princesse Élisabeth de Kiev et de sa relation avec au moins une autre femme, Thora, qui lui a donné un fils, son héritier Olaf. Daprès sa biographie, il a eu une « fille », curieusement prénommée Maria, qui la accompagné lors de son dernier voyage et serait morte subitement « le jour même et au moment même où son père était tombé » (La Saga de Harald lImpitoyable, Heimskringla, 98).

Quasiment tout ce que nous savons de Harald Hardrada provient de la Heimskringla, un récit de la vie des rois vikings écrit au début du XIIIe siècle par le poète et historien islandais Snorri Sturluson (1179-1241). La symbolique de laigle et du loup est très présente dans les passages en vers de ce texte. La Heimskringla, de même que la Chronique anglo-saxonne, fournit également quelques rares informations à propos de la bataille de Stamford Bridge, près de York. Lors de cette bataille, une armée norvégienne conduite par Harald a été mise en déroute, le 25 septembre 1066, par le roi anglais Harold Godwinson, qui sera à son tour vaincu par les Normands, quelques semaines plus tard. Pour les Norrois, Stamford Bridge a été un événement catastrophique qui, selon de nombreux experts, a sonné le glas de lépoque des Vikings. Sur trois cents navires qui étaient partis pour lAngleterre, seuls vingt-quatre sont rentrés. La dernière description de Harald Hardrada vivant le montre combattant « à deux mains » au plus fort de la bataille. Entouré de ses fidèles compagnons, peut-être était-il armé dune grande hache darmes viking.

Parmi les membres de la garde varangienne qui ont fui Constantinople avec Harald, figuraient Halldor et Ulf, tous deux Islandais, et peut-être Halfdan. Il se peut que celui-ci ait été le frère de Harald. On peut voir son nom gravé sur une balustrade dans la cathédrale Sainte-Sophie dIstanbul. Des fragments de la chaîne qui traversait la Corne dOr existent encore. Ailleurs, les preuves des exploits de Harald sont minces, mais il y a de quoi étoffer la vie relatée dans la Heimskringla. À Jérusalem, dans léglise du Saint-Sépulcre, jai vu une croix de pèlerin gravée dans la pierre qui semblait avoir la forme du marteau de Thor, Mjøllnir ; un symbole fort pour les Norrois sous la domination chrétienne, jusquen Islande et au Groenland, qui a perduré à linstar des légendes de Loki, de Fenrir et du Valhalla.

 

La Mappa Mundi

La superbe carte du XIIIe siècle décrite au chapitre 2 est aujourdhui exposée dans un musée bâti spécialement pour elle à côté de la cathédrale de Hereford, qui abrite également la célèbre bibliothèque enchaînée. Quand, enfant, jai visité la cathédrale pour la première fois, la bibliothèque se trouvait encore au-dessus du transept nord dans la salle des archives, où étaient stockés les documents anciens et les trésors à lépoque où la carte a été dessinée. Labsence apparente descalier en colimaçon dans langle nord-est du transept pour accéder à la galerie ma toujours semblé étrange. Cest donc là que jai situé la découverte fictive de la deuxième carte. Richard de Haldingham est un personnage historique, dont le nom est mentionné dans langle inférieur gauche de la carte. On ne sait pas grand-chose de lui et jai imaginé quil avait été le disciple, au sein du félag, de Jacques de Voragine, archevêque de Gênes, qui est aussi un personnage historique. On peut déduire labsence de Richard lors de la consécration de la carte de lemplacement erroné de lEurope et de lAfrique, une erreur grossière quun érudit de son envergre naurait certainement jamais tolérée.

 

Le félag

Un félag est une confrérie, une institution viking, qui pouvait se composer de guerriers faisant acte dallégeance à un seigneur, liés par un serment de fidélité. Les ennemis jurés pouvaient subir le redoutable blodörn, « aigle de sang ». Snorri Sturluson, biographe des rois vikings du XIIIe siècle, décrit une victime à qui lon sculpte un aigle dans le dos. Lennemi lui « enfonça son épée dans le corps le long de la colonne vertébrale, trancha toutes les côtes jusquaux reins et lui arracha les poumons ». Lidée dun félag secret dans lAngleterre médiévale est née de lantipathie des Anglais envers leurs suzerains normands et de lhéritage nordique qui demeurait présent dans les régions de la Bretagne où les Vikings sétaient établis. Cette influence était particulièrement sensible dans les îles occidentales de lÉcosse. Sur lîle sainte dIona, on peut encore voir les pierres tombales de chefs vikings au milieu des premières reliques chrétiennes du monastère.

 

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La fascination des nazis pour les Vikings est bien connue. La SS, représentée par deux runes sig tristement célèbres, était le félag des nazis. Sa mission est devenue lassujettissement de lEurope de lEst, des terres ayant appartenu aux rois vikings de Rus et de Kiev, où les activités des Einsatzgruppen  – dont certains membres ont été recrutés sur place  – ont entraîné le meurtre de plus dun million de Juifs ukrainiens. Le « Compte rendu de situation opérationnelle URSS n° 129a » de lEinsatzgruppe D, cité aux chapitres 9 et 22, est un addendum fictif au véritable compte rendu n° 129, dont le texte na été changé que pour mentionner Reksnys, personnage fictif, et le nombre de ses victimes. Les atrocités nazies décrites dans ce roman mont été inspirées par ma visite du ravin de Babi Yar, près de Kiev, où des milliers de familles juives ont été déshabillées et abattues, ou encore par des photos et témoignages exposés au musée de la Grande Guerre patriotique de Kiev. Aujourdhui, Babi Yar est un joli parc où se dresse une immense sculpture en pierre de la menora.

LAhnenerbe, « Héritage des ancêtres », était un organisme rattaché à la SS, qui a réellement existé. Récemment, de nouvelles informations ont été découvertes concernant ses activités dans les années 1930, notamment des expéditions en Amérique du Sud et au Tibet, où les scientifiques nazis ont effectué des mesures craniologiques. Ceux-ci pensaient que les populations isolées avaient peut-être gardé des caractères spécifiques de la race supérieure aryenne, à laquelle ils associaient la légende de lAtlantide et létrange Welteislehre, la doctrine de « la glace éternelle ». Heinrich Himmler, chef de la SS, situait le berceau de la civilisation aryenne en Islande, où des expéditions de lAhnenerbe ont été envoyées en 1936 et 1938. Lexpédition décrite dans ce roman est fictive, de même que ses deux membres, mais le Groenland est proche de lIslande et Himmler aurait sans aucun doute été intrigué par les récits du célèbre explorateur groenlandais Knud Rasmussen et par son analyse de la culture inuit.

 

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Le fjord glacé dIlulissat, site classé au patrimoine mondial de lUnesco, de même que LAnse aux Meadows et Chichén Itzá, constitue actuellement lun des meilleurs observatoires du réchauffement de la planète. Il est attentivement étudié par les glaciologues et les climatologues. Le site inuit de Sermermiut, « le village des habitants du glacier », existe réellement, ainsi que Kællingekløften, « la falaise du suicide ». La description de liceberg sinspire de ma propre expérience dans le fjord glacé dIlulissat et de mes plongées sous la glace dans les eaux canadiennes. Des plongeurs sont effectivement entrés dans des fissures naturelles dicebergs et la technologie permettant de pénétrer dans la glace décrite dans ce roman existe.

Le bois, les textiles et le métal doré peuvent être préservés presque indéfiniment dans la glace. Lidée que le corps dun guerrier viking pouvait se trouver intact dans le glacier est née de la découverte des corps extraordinairement bien conservés de deux membres de la funeste expédition de John Franklin dans lArctique canadien, en 1845, exhumés du permafrost à lîle Beechey en 1984. Chez les Norrois, la cérémonie du bateau funéraire était un rite funèbre avéré. Une description célèbre dun incendie de navire a été faite par le voyageur arabe Ibn Fadlan, qui a assisté au Xe siècle aux funérailles dun chef rus sur la Volga, lors desquelles une femme a rejoint son seigneur sur le bûcher. Snorri Sturluson nous a légué un autre récit dans lequel un navire en flammes rempli darmes et de corps prend la mer après une bataille, emportant avec lui un chef viking mortellement blessé qui a supervisé la construction de son propre bûcher funéraire.

La description du bateau pris dans la glace sinspire des spectaculaires bateaux funéraires de Gokstad et dOseberg, en Norvège. Cela dit, le bateau fictif de Harald aurait certainement été de conception plus fonctionnelle. Daprès Snorri Sturluson, les deux navires à bord desquels Harald et ses compagnons ont fui Constantinople étaient les « galères des Varègues », des drakkars à rames (La Saga de Harald lImpitoyable, Heimskringla, 15). Les navires coulés dans les années 1070 près de Skuldelev, au Danemark, pour restreindre laccès au fjord de Roskilde, donnent une idée précise de ce à quoi ressemblaient les bateaux vikings au moment du voyage fictif de Harald, qui a lieu quasiment à la même date. Lun deux était un navire robuste à coque profonde apte à naviguer sur locéan. La faisabilité des voyages dexploration des Vikings aux Amériques a été amplement démontrée par des expérimentations modernes. Des répliques de navires vikings ont notamment navigué jusquà LAnse aux Meadows pour célébrer le millième anniversaire de larrivée de Leif Eriksson au Nouveau Monde.

 

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La colonie viking la plus septentrionale du Groenland était le Vestribygô, la « colonie occidentale », située à environ huit cents kilomètres au sud du fjord glacé dIlulissat. Cependant, la région du fjord glacé et, plus au nord, le Norôrseta, étaient fréquentés par les Norrois et indispensables à leur économie. La seule pierre runique découverte au Groenland provient de lîle de Kingigtorssuaq, à approximativement six cents kilomètres au nord du fjord glacé, et se trouve aujourdhui au musée de la ville voisine dUpernavik. Elle avait été déposée dans un cairn par trois aventuriers norrois – Erling, Bjarni et Eindridi  –, probablement au début du XIVe siècle. Daprès mes propres explorations le long de cette côte, des sites éloignés pourraient renfermer dautres preuves dune activité norroise. Il est absolument extraordinaire que les chasseurs norrois vivant dans cet environnement extrême, qui partaient à la recherche divoire de morse, de baleines, de peaux dours polaire et de défenses de narval  – identiques à la « corne de licorne » représentée sur la Mappa Mundi – aient participé au financement des croisades via un impôt instauré après que le roi norvégien Sigurd Jorsalfar, dit « le Croisé », a établi un siège épiscopal au Groenland en 1124. LÉglise a exercé une emprise considérable sur les Groenlandais et limpossibilité de sacquitter des impôts épiscopaux pourrait bien avoir joué un rôle dans la disparition des Norrois du Groenland au XVe siècle.

Il est fort probable que les explorateurs vikings aient longé les rivages de la mer de Baffin et pénétré dans le détroit de Lancaster, lentrée du passage du Nord-Ouest, qui mène à la mer de Beaufort et à locéan Pacifique. Plusieurs artefacts vikings ont été trouvés dans lArctique canadien. Certains ont indubitablement été récupérés par les Inuits dans des colonies norroises abandonnées du Groenland, mais dautres témoignent de la présence et de lexploration des Vikings. Aucun navire viking na été trouvé dans ces eaux à ce jour, mais une découverte exceptionnelle évoquant la présence dune épave a été faite à proximité de la calotte glaciaire polaire. Sur un site inuit de la minuscule île de Skraeling, un rocher nu au large de lîle dEllesmere – à environ mille deux cents kilomètres au nord dIlulissat –, plus de cinquante artefacts norrois ont été trouvés, notamment des étoffes de laine, des morceaux de cotte de mailles, des rivets de bateau, des lames de couteaux et des pointes de lances, un rabot de menuisier, des fragments de tonneau en bois et une pièce dun jeu. La datation au carbone 14 situe ces artefacts vers la fin de la période norroise au Groenland, comme la pierre runique de Kingigtorssuaq. On peut rapprocher ce site de celui où Franklin a hiverné, sur lîle Beechey, lors de sa tentative de découvrir le passage du Nord-Ouest en 1845. Malgré la « petite période glaciaire » du Moyen Âge, lanalyse de carottes de glace extraites au Groenland montre quil y a eu de courtes périodes de chaleur  – notamment au début du XIVe siècle  – lors desquelles les eaux séparant les îles de lArctique canadien nont peut-être pas été encombrées de glace. Il ne faut donc pas négliger la possibilité que les Vikings aient découvert le passage du Nord-Ouest et emprunté à lenvers le chemin parcouru par les premiers chasseurs inuits, ouvrant ainsi la voie aux derniers colons norrois du Groenland.

 

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Ce qui est certain, cest que les Vikings ont parcouru plus de mille cinq cents kilomètres vers le sud-ouest en partant du Groenland pour fonder la première colonie européenne connue sur les rives de lAmérique du Nord, dans un endroit quils ont baptisé Vinland  – peut-être « Terre de prairies » plutôt que « Terre de vignes » contrairement à ce que lon a pensé au départ  – près de cinq cents ans avant larrivée de Christophe Colomb. Ils cherchaient probablement du bois, denrée rare au Groenland. Le site de LAnse aux Meadows, à Terre-Neuve, que de nombreux experts associent au Leifsbùôir des sagas nordiques, constitue lune des plus extraordinaires découvertes archéologiques de tous les temps. « Great Sacred Island » pourrait avoir été un repère de navigation  – des cairns, peut-être érigés par les Vikings, ont été trouvés à Terre-Neuve et lhistoire de la quille déposée au cap Kjalarnes est extraite de La Saga dÉric le Rouge – mais nous nen avons actuellement aucune preuve. Aujourdhui, le site de LAnse aux Meadows est sous la responsabilité de Parcs Canada et on peut visiter la hutte reconstituée près des trois habitations et de la forge découvertes dans les années 1960. Les éléments mis au jour témoignent de la présence dun établissement temporaire fondé aux environs de lan 1000 apr. J.-C. Lhistoire de Freydis et de sa folie meurtrière est extraite de La Saga dÉric le Rouge et de La Saga des Groenlandais, les deux récits nordiques qui traitent du Vinland. Il se pourrait que cet épisode sombre, outre le risque dêtre attaqués par les Skraelings – les « chétifs », les indigènes indiens  – et la présence de bois plus facilement accessible sur la côte du Labrador, au nord, ait dissuadé les Vikings de sinstaller définitivement.

 

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Le seul artefact viking authentifié qui ait été découvert dans les Amériques au sud de LAnse aux Meadows est une pièce en argent usée, mise au jour dans un site indien, à proximité de la baie de Penobscot, dans le Maine. Il sagit dune pièce norvégienne du roi Olaf, fils et successeur de Harald Hardrada, qui était avec son père en Angleterre en 1066. Elle pourrait dater de lannée même du voyage fictif de ce roman. Aucune pièce viking na été trouvée à LAnse aux Meadows ni au Groenland et la présence de cette pièce à environ mille cinq cents kilomètres de létablissement viking le plus éloigné que lon connaisse reste un mystère.

 

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Il nexiste aucune preuve de larrivée de marins qui auraient traversé lAtlantique pour atteindre les rives du Yucatan, au Mexique, avant le débarquement des Espagnols au début du XVIe siècle. Néanmoins, le prophète maya Chilam Balam, le « prophète Jaguar », aurait prédit larrivée d« hommes barbus, les hommes de lEst ». Les livres du Chilam Balam ont été écrits, pour la plupart, après la conquête espagnole. Certains experts en ont déduit que cette prophétie nétait en réalité quun enjolivement ultérieur de lHistoire, mais il est possible quelle sinspire du souvenir de larrivée détrangers avant les Espagnols. En létat actuel de nos connaissances, les seuls « hommes barbus, hommes de lEst » qui soient allés jusquau Nouveau Monde avant le XVe siècle sont les Vikings. Et daprès les éléments archéologiques réunis, lexploration viking à louest et au sud du Groenland a atteint son apogée au cours du XIe siècle.

Le temple fictif au milieu de la jungle et sa fresque sinspirent dune remarquable découverte faite en 1946 par deux Américains, dans le Yucatan, sur un site désormais connu sous le nom de Bonampak, terme maya qui signifie « murs peints ». À lintérieur dun édifice en encorbellement recouvert de végétation, les deux aventuriers ont découvert une fresque narrative extraordinaire représentant une bataille dans la jungle, la torture et lexécution de prisonniers, et des rituels destinés à célébrer une victoire, notamment des femmes mayas en robe blanche qui font couler leur propre sang en se perçant la langue. Cette peinture date de lapogée de la civilisation maya, vers 800 apr. J.-C., mais il en existe une autre, dans « le temple des guerriers » de Chichén Itzá, qui date de lépoque où les Toltèques ont pris le pouvoir, au XIe siècle. Celle-ci représente des guerriers toltèques à bord de pirogues, en reconnaissance le long de la côte maya, une grande bataille rangée à terre, et le sacrifice des chefs mayas capturés, à qui lon arrache le cœur.

Aujourdhui, lorsquon visite les ruines de Chichén Itzá, on entend souvent dire que les histoires de sacrifice humain ont été exagérées par les Espagnols ou quelles ne concernent que les Toltèques, et non les Mayas, dont les descendants vivent encore au Yucatan. Pour se forger sa propre idée, il suffit dobserver le Tzompantli, la plate-forme des Crânes, où lon peut voir les rangées de têtes coupées qui ont été sculptées du côté de lautel sacrificiel du « temple des guerriers », et de regarder la voie cérémonielle qui mène au cenote sacré, le puits des sacrifices. Une grande partie des représentations de scènes de torture et dexécution dans lart maya et aztèque est antérieure à larrivée des Espagnols et les techniques récentes dexpertise médico-légale noircissent encore le tableau : des archéologues mexicains ont découvert que le sol des temples aztèques était rempli de fer, dalbumine et de matériel génétique compatible avec le sang humain.

Dans le Yucatan, cest larchéologie sous-marine qui a permis de déceler les signes les plus évocateurs. Le puits des sacrifices de Chichén Itzá, dragué entre 1904 et 1911 et fouillé par des plongeurs dans les années 1960, contenait des centaines de squelettes humains  – hommes, femmes et enfants  – ainsi quune foule dartefacts : disques dor, pendentifs en jade sculptés, crâne humain transformé en encensoir, couteau sacrificiel, nombreuses figurines votives en bois et autres offrandes. Des découvertes similaires ont été faites dans dautres cenotes du Yucatan, dont ceux de la couronne dentonnoirs qui sest formée sur le cratère creusé par une énorme météorite près de la côte nord. Un grand nombre de ces cenotes nont pas encore été fouillés et sont exposés au pillage. Celui du roman sinspire de sites que jai explorés personnellement, en particulier de plongées que jai effectuées dans les galeries spectaculaires de Dos Ojos, « la grotte aux chauves-souris », près de Tulum, ancienne ville côtière fortifiée des Mayas.

La description des derniers jours des rois mayas, près de deux siècles après la conquête espagnole, est tirée du récit du père Andrés de Avendafio y Loyola (Récit de deux voyages en vue de la conversion des païens ytzaex et cehaches). Le franciscain a été témoin de cette scène extraordinaire au bord du lac de Petén, en pleine jungle, en 1695 ou 1696. Un nouveau fragment de son texte, cité au chapitre 21, a été découvert dans les années 1980. La véritable origine de lor des Mayas, décrit par Avendafio et trouvé par les archéologues dans le puits des sacrifices de Chichén Itzá, demeure inconnue.

 

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Lépigraphe de ce roman est un extrait de Guerre des Juifs, livre VII, 148-161, de Flavius Josèphe, traduction de René Harmand (Éditions Leroux, 1932). Le texte en vieux français cité au chapitre 2 est la véritable inscription qui figure dans langle inférieur gauche de la Mappa Mundi de Hereford. Le passage de la Bible, au chapitre 4, est tiré du livre de lExode 25 : 31-40. Au chapitre 5, les deux extraits de La Saga de Harald lImpitoyable, qui fait partie de la Heimskringla de Snorri Sturluson, ont été traduits par Régis Boyer (Ed. Payot, 1979). Le poème du chapitre 13 est extrait de Morte dArthur, de Lord Alfred Tennyson (1809-1892). Au chapitre 15, le texte en vieux norrois décrivant le voyage de Harald est fictif, mais se compose de fragments de phrases tirés mot pour mot de La Saga dÉric le Rouge, écrite au XIIIe siècle, qui relate les voyages des Vikings au Vinland. Lexpression norroise þar liggr hann til Ragnarøks (ci-gît jusquà la fin du monde) est extraite de LEdda poétique (Gylfaginning, 34), également écrite par le prolifique Snorri Sturluson au début du XIIIe siècle.

Les pièces décrites dans le prologue et au chapitre 15 existent vraiment et font partie de ma collection personnelle. Elles sont reproduites, ainsi que dautres objets évoqués dans ce livre, sur mon site : www davidgibbins. Com