
— Il faut compter vingt-trois mètres entre le bord de la plate-forme et la surface de l’eau, à quelques centimètres près. Il va falloir qu’on installe une structure élaborée pour pouvoir utiliser le matériel.
— Si on a pu le faire dans les années 1950, on peut le faire aujourd’hui. Je m’en remets à ton ingéniosité.
— Il se trouve que j’ai conçu exactement ce qu’il nous faut.
Costas sortit un grand plan d’un tube en carton et le déroula sur la pierre chaude en posant sur un coin le télémètre laser qu’il avait à la main. Jack se résigna à entendre une analyse technique détaillée mais fut sauvé au dernier moment par l’arrivée de Jeremy et Maria, qui venaient d’apparaître au bout de la voie processionnelle.
— À table ! cria Jeremy voûté sous la roche, une glacière à la main, avant de baisser la tête pour entrer sous la bâche qu’ils avaient tendue pour se protéger du soleil.
Deux jours s’étaient écoulés depuis la tempête. L’air était encore pur et frais mais, ce matin-là, la chaleur était revenue, encore plus écrasante, et l’humidité était suffocante.
Jeremy ouvrit la glacière et disposa la nourriture et les boissons sur la table. Jack le rejoignit. Costas, qui grommelait dans son coin, finit par céder en voyant la nourriture et rangea son plan. Ils prirent place, tandis que Maria était adossée contre la roche derrière eux.
— Qu’est-ce que tu nous as rapporté cette fois ? demanda Costas. Des spécialités toltèques ? Du cœur humain aux petits légumes, peut-être ?
— Pas du tout, répondit Jeremy entre deux bouchées. De la bonne vieille cuisine mexicaine.
Il se tourna vers Jack.
— Les touristes reviennent cet après-midi, annonça-t-il.
Il avala et but une lampée d’eau.
— La secousse que nous avons sentie dans la jungle n’a quasiment eu aucun effet ici, alors ils pensent qu’il n’y a pas de danger. De toute façon, il fait bien trop chaud pour bosser ici.
Il prit un autre morceau de pain et montra du doigt le puits des sacrifices, près de la plate-forme sur laquelle Jack et Costas se trouvaient quelques minutes plus tôt.
— On va vraiment faire ça ?
— Plus tard dans l’année, répondit Jack. Je suis sûr qu’il y a encore des objets fabuleux là-dessous.
— J’ai tout prévu, affirma Costas la bouche pleine, brillant de sueur sous son panama. Viens voir quand tu auras fini, je vais te montrer.
— J’adorerais voir le dernier bastion de Harald, lança Jeremy, ce que vous avez trouvé dans l’autre cenote.
— Je n’en suis pas si sûr, murmura Jack. L’entrée est bloquée par des centaines de tonnes de pierre et, en passant par l’autre côté, il faudrait remonter un courant impossible à contrer. Nous savons où Harald a livré sa dernière bataille. Nous avons trouvé son Ragnarok et cela me suffit. Quelque chose me dit que la chance du combattant risquerait de m’abandonner si je retournais là-bas.
— C’est un lieu de ténèbres, ajouta Maria, frissonnante. Personne ne peut avoir envie d’y aller.
— Il n’y a que des stalagmites de toute façon, renchérit Costas. Jeremy regarda la surface verte du puits d’un air perplexe.
— Si vous avez l’intention de m’envoyer dans celui-ci pour compenser, ne comptez pas sur moi. Cet endroit me donne la chair de poule.
— Tu pourras toujours faire partie de l’expédition en tant que cuistot.
— Maria ? demanda Jeremy en tendant le cou par dessus la table pour la regarder. Mon contrat pour la bibliothèque de Hereford prévoit-il des absences répétées ?
Maria posa sa bouteille d’eau et lui adressa un sourire fatigué. De l’autre côté de la table, Jack l’observait attentivement. Depuis la mort de Reksnys, elle n’avait pratiquement fait que dormir ou se reposer. L’équipe médicale de la Seaquest II avait soigné ses écorchures au visage en les recouvrant de gaze blanche. Il n’y aurait aucune cicatrice susceptible de lui rappeler sa terrible épreuve. Mais psychologiquement, elle ne s’en sortirait pas indemne. Jack savait, pour en avoir fait lui-même l’expérience, que la perte d’un proche était plus dure à supporter après le retour au calme, quand on avait du temps pour réfléchir. Deux jours auparavant, Maria avait pointé un pistolet sur la tête d’un homme qui l’avait traumatisée bien avant qu’elle ne rencontre le père O’Connor, dont il avait ordonné le meurtre. Jack l’avait découverte sous un nouveau jour lorsqu’elle lui avait révélé la terrible vérité sur le passé de sa famille. Il avait rencontré sa mère alors qu’ils étaient tous deux étudiants. Il avait pensé que celle-ci était juive séfarade, comme son père. Il ne s’était jamais douté de tout cela. Comme beaucoup de survivants de l’Holocauste, sa mère avait trouvé le moyen d’enfouir l’horreur qu’elle avait vécue au fond de sa mémoire et ne l’avait laissée prendre le dessus que lorsqu’elle s’était sentie mourir. Ce vécu expliquait la force de Maria, mais aussi sa fébrilité et sa réticence à s’engager auprès de quelqu’un. Maintenant qu’elle avait extériorisé le traumatisme qu’elle avait gardé en elle toute sa vie, elle changerait forcément. La confrontation avec Reksnys lui avait en quelque sorte permis de tourner une page, de mettre un terme à sa propre vendetta, mais ce nouvel épisode serait lui aussi lourd de conséquences. Par chance, la police mexicaine avait rapidement changé de camp en apprenant la mort de Reksnys et Maria avait été accueillie en héroïne pour avoir sauvé la vie du petit garçon. Seuls Jack, Costas et Jeremy avaient été témoins de la dernière scène.
Maria regarda Jeremy.
— Ce poste est à toi, mais si tu continues à traîner avec les gars de l’UMI, ils vont te mettre le grappin dessus, lui répondit-elle en souriant d’un air las.
Elle se tourna vers Jack.
— Quelles sont les dernières nouvelles concernant la menora ?
— J’ai réfléchi à la symétrie de l’Histoire, répliqua Jack.
Costas lui jeta un regard tourmenté et se leva brusquement.
— Oh, non ! De la philosophie ! Je ferais mieux de retourner à mes plans.
— Non, attends ! C’est important. C’est peut-être la clé de toute l’histoire.
Costas se rassit en se laissant tomber lourdement, alors que Jack rassemblait ses pensées.
— Cette idée m’est venue après avoir vu la peinture représentant cette procession toltèque en direction du puits des sacrifices, si semblable à la procession romaine qui avait eu lieu mille ans auparavant sous l’arc de Titus.
Pensez à tous les endroits où la menora a été emmenée, à toutes ces différentes cultures. Le chandelier d’or est le symbole suprême du peuple juif après l’Arche d’alliance. Il est arraché au Temple par les empereurs romains et devient pour eux un trésor prestigieux. Puis ce sera celui des Byzantins. Et de Harald Hardrada, le roi viking. À chaque fois, il aurait pu être fondu, mais il ne l’a pas été. Pour les Romains, c’est un symbole de conquête et de suprématie. Pour les Byzantins, un des trésors qui les relient à l’ancienne Rome, aux anciennes vertus. Et pour Harald Hardrada, un symbole de ses exploits personnels, puis quelque chose de plus mystique, une sorte de talisman. Au fil du temps, la menora a perdu son sens initial lié à la culture juive mais gardé un pouvoir surnaturel, celui de forger la destinée des hommes.
Costas écoutait attentivement.
— La quatrième croisade, le sac de Constantinople, dit-il. J’y suis ! Tout ce que nous cherchons, les œuvres d’art de l’Antiquité ! Certaines, les plus prestigieuses, ont été intégrées dans une autre culture. A Venise, les chevaux de Saint-Marc sont devenus l’emblème de la cité médiévale. Or les artistes à qui l’on doit cette sculpture antique n’auraient jamais pu l’imaginer.
— Je crois que tu vois où je veux en venir.
— Et le reste, les œuvres d’art qui ont été jetées dans la Corne d’Or. Elles n’étaient pas prestigieuses.
— Ou leur symbolisme était dangereux, indésirable. Pour les croisés et le Vatican, la menora avait retrouvé sa valeur symbolique initiale, ses origines juives. C’est pourquoi nous avons pensé que nous avions une chance de la trouver dans la Corne d’Or.
— Donc, si je suis bien ton raisonnement, après les Vikings, nous en venons aux Toltèques.
— Les Toltèques attachaient beaucoup d’importance aux symboles de victoire, d’exploits guerriers et de domination. Énormément d’importance. Regardez l’architecture de cet endroit, les sculptures. Et ils adoraient l’or. Peut-être n’ont-ils pas porté la menora en offrande à leurs dieux à la fin de la procession. Ils ont pu la mettre de côté pour ne la ressortir qu’à l’occasion des cérémonies les plus sacrées. Pensez à l’empereur Vespasien, mille ans auparavant, à sa procession triomphale dans le forum romain. Comme les Toltèques, il a sacrifié ses prisonniers de guerre, ses ennemis juifs. Il aurait également pu sacrifier leur trésor, le fondre pour frapper une quantité inestimable de pièces. Au lieu de cela, il l’a mis en lieu sûr dans le temple de la Paix.
— Le « temple des guerriers », murmura Jeremy. C’était le lieu le plus sacré des Toltèques, qui n’avait assurément rien à voir avec un temple de la paix. Il ressemblait plutôt au château du Wewelsburg, en Bavière, le quartier général de la SS.
— Ce n’était pas tout à fait ce que Vespasien avait en tête, confirma Maria.
Costas hochait la tête avec enthousiasme.
— On se place d’un nouveau point de vue. Voilà qui me plaît !
— Tu vois ? dit Jack. Ce n’est pas si différent de l’ingénierie. Il y a les bûcheurs et il y a les génies.
— Je suppose que tu parles de Jeremy.
Maria était encore plongée dans ses pensées.
— Alors quand les Toltèques meurent, reprit-elle, la menora disparaît de l’Histoire, tout comme elle semblait s’être volatilisée à la fin de l’Empire romain.
— Nous perdons de nouveau sa trace, admit Jack. Des idées ?
Il se tourna vers Jeremy, qui regardait dans le vide et plongea brusquement la main dans un porte-documents posé sur la table pour en sortir un livre.
— Ce que tu viens de dire me fait penser à quelque chose, annonça-t-il. C’est une information que j’ai trouvée quand je cherchais des indices dans les textes mayas. Sur le moment, je n’ai pas vu le rapport, mais ça vient de faire tilt. C’est une possibilité, juste une hypothèse.
— Ah non ! s’écria Costas en feignant l’appréhension. Tu ne vas pas encore nous révéler l’existence d’une société secrète.
— Ne t’inquiète pas, répliqua Jeremy.
Il termina son pain et s’essuya la bouche avant de boire une gorgée d’eau.
— Les Espagnols ont mis des années avant de s’intéresser au Yucatan, conquis beaucoup plus tard que le centre du Mexique, poursuivit-il. C’est au Yucatan que Cortés a débarqué, mais il n’y est pas resté longtemps.
— Parce qu’il n’y avait pas d’or ? suggéra Costas.
— En effet. Mais il a peut-être raté le coche. Il se peut qu’il soit passé à côté du plus grand de tous les trésors.
— Continue, dit Jack.
— Vous n’allez pas me croire, mais le dernier roi maya n’a pas été détrôné avant 1697. 1697 ! Et c’était un descendant direct des rois de Chichén Itzá.
— Cela fait près de deux siècles après Cortés ! s’exclama Jack, interdit.
— Je croyais que Chichén Itzá avait été détruite et abandonnée avant l’arrivée des Espagnols, intervint Costas.
— Oui, acquiesça Jeremy, plusieurs décennies avant le débarquement de Cortés, au XVe siècle. Les Toltèques étaient déjà partis depuis longtemps. Leur société avait implosé dans un effroyable bain de sang deux siècles auparavant. Ils avaient été remplacés par une dynastie maya plus civilisée, celle des Itzá, le peuple qui a donné son nom à cette cité. Pour une raison qui reste mystérieuse, les Mayas ont fini par abandonner leurs temples et sont partis pour toujours. Ils se sont évanouis dans la jungle, où ils ont erré pendant des années comme les tribus perdues d’Israël.
— Peut-être ont-ils tous sombré dans une sorte de dépression collective, songea Costas. Après avoir vécu pendant des siècles dans un abominable tourbillon de violence, ils ont dû être ébranlés par la terreur et le sacrifice. Ils ont fini par craquer.
Jeremy éclata de rire.
— En tout cas, affirma-t-il, quelle que soit la raison de leur départ, ils sont ensuite allés jusqu’au lac de Petén, à plus de quatre cents kilomètres au sud, ce qui correspond aujourd’hui au Guatemala. Ils se sont enfoncés dans la jungle impénétrable et se sont éloignés le plus possible des Espagnols. Puis ils ont pagayé vers une île lointaine, où ils ont fondé une nouvelle cité, Tayasal. Ils y sont restés pendant des générations. Personne n’était au courant de leur existence, excepté quelques missionnaires. Tayasal a progressivement acquis une réputation mystique. Certains y voyaient une terrifiante forteresse au milieu de la jungle, un bastion de féroces guerriers pratiquant des rituels sataniques, l’enfer sur Terre. D’autres la considéraient comme un lieu mythique renfermant des richesses inestimables qu’on ne pouvait atteindre qu’en triomphant de terribles épreuves, une sorte de Shangri-La ou d’Avalon maya.
— Revoilà le roi Arthur, murmura Costas. Je doute que Tennyson ait jamais envisagé de situer Avalon dans la jungle du Mexique.
— Peut-être les Mayas avaient-ils leur trésor avec eux, dit Jack. C’était un peuple vaincu, qui n’était plus que l’ombre de ce qu’il avait été, mais ils avaient dû sauver tout ce qu’ils pouvaient à Chichén Itzá. Comme les Israélites, ils avaient dû emmener ce qu’ils avaient de plus sacré, leur plus grande richesse.
— Peut-être ont-ils associé la menora au dieu aigle, au retour du roi, songea Maria. La référence aux hommes barbus que Jeremy a trouvée dans le Chilam Balam laisse entendre que les Mayas n’avaient pas oublié Harald et les Vikings. Souvenez-vous ce qu’a dit Reksnys à propos des indigènes. Ils n’auraient jamais osé descendre dans le cenote situé sous le temple. Peut-être Harald était-il devenu une sorte de dieu sauveur mythique, qui avait combattu aux côtés des Mayas contre leurs oppresseurs toltèques. Et il se pourrait que, deux cents ans après la mort de Harald, un Maya intrépide ait eu la bravoure d’aller sauver la menora des enfers toltèques. Ainsi, le chandelier aurait encore changé de culture.
— Si les Toltèques ne l’avaient pas déjà sacrifié, précisa Jack.
— Ou fondu.
— Tout ce que nous savons à ce jour est là-dedans, reprit Jeremy en montrant son livre. C’est le récit incroyable d’un moine franciscain, Fray Andrés de Avendafio y Loyola, qui est arrivé à Tayasal en 1695 et dont le manuscrit a été mis au jour au Mexique dans les années 1980. Avendafio était un homme d’une intelligence et d’une résistance physique exceptionnelles, qui plus est doté d’une force morale et d’une détermination à toute épreuve. Il a été fasciné par le peuple qu’il avait été chargé de convertir. Il se souciait de ses moyens de subsistance et ne pensait pas uniquement à faire des prosélytes. Les premiers missionnaires ont mauvaise presse ici mais, sans l’intervention d’érudits comme Avendafio, nous ne saurions pratiquement rien de ce peuple et des populations entières auraient disparu. Le père O’Connor se situait dans la droite lignée de cette tradition.
— Je me demande si Patrick savait tout cela, murmura Maria.
Jeremy ouvrit le livre.
— D’après son propre récit, poursuivit-il, Avendafio est donc arrivé cette année-là sur la rive du lac de Petén accompagné de deux franciscains et de dix Mayas convertis. De l’autre côté du lac, ils ont découvert un spectacle extraordinaire.
Il lut un passage à voix haute.
— «De l’est vint une grande flottille de pirogues disposées en triangle, toutes ornées de nombreuses fleurs, où l’on jouait de la musique avec des tambours et des flûtes en bois. Assis dans la plus grande de toutes, se trouvait le roi des Itzá, qui était le chef Canek, ce qui signifie Serpent aux vingt étoiles. »
— Cela a dû être impressionnant, murmura Costas. Et il y avait de l’or ?
— Ce qu’Avendafio a vu correspondait à l’idée même que les Espagnols se faisaient du Nouveau Monde. Pour de telles richesses, les conquistadors auraient vendu leur âme deux siècles auparavant, mais ils n’en virent que très peu. On sent qu’Avendafio est troublé. Son instinct de jésuite est brouillé par la soif de conquête dont les Espagnols étaient habités. Il est attiré par l’or comme un requin par le sang.
Jack sourit.
— Continue, lui dit-il.
— Le dernier des rois mayas s’est approché d’eux. Ecoutez ça : « Il portait une couronne en or, et des disques en or aux oreilles, lesquelles étaient ornées de pendentifs en or allant jusqu’aux épaules. Il avait des bracelets de bras en or pur et des bagues en or, et ses sandales bleues étaient couvertes de grelots en or. »
Costas siffla.
— Il ployait sous le poids de l’or ! s’exclama-t-il.
Jeremy ferma le livre.
— Avendafio n’a pas réussi à convertir les Itzá. Deux ans plus tard, la cité est tombée aux mains des Espagnols.
— Et tu dis que les Mayas avaient quitté Chichén Itzá avec leur trésor ? demanda Costas.
— Je vous ai dit toute l’histoire.
— Ça fait un sacré paquet d’or pour un peuple vaincu.
— Ce n’est qu’une hypothèse.
Jack hochait la tête lentement.
— Les Mayas ont fait grand mystère de leurs textes sacrés, des livres du Chilam Balam qui prophétisaient l’arrivée d’hommes barbus en provenance de l’est. Ils ont donc également pu dissimuler d’autres trésors. Entourés d’Espagnols qui cherchaient de l’or partout, ils ont eu raison de s’établir dans une île située sur un lac enfoui au beau milieu de la jungle.
— Pour eux, la menora n’était peut-être que de l’or, purement et simplement, suggéra Costas. Elle n’avait peut-être plus la même valeur prestigieuse que pour leurs ennemis toltèques. Une fois en sécurité dans leur refuge, il se pourrait qu’ils l’aient fondue.
— Et qu’elle soit revenue à son point de départ, dit Maria à voix basse.
— Comment cela ? demanda Costas.
— Réfléchissez. Les Espagnols conquièrent le dernier bastion des Itzá. Ils finissent par mettre la main sur l’or des Mayas, sauf que ce n’est pas du tout celui des Mayas. Et qu’est-ce qu’ils en font ? Je doute qu’ils décident de rester assis sur leur tas d’or au milieu de la jungle.
— Ils le ramènent chez eux, répondit Jeremy.
— Ils le fondent de nouveau, font frapper des pièces, et l’expédient à Cadix et à Séville par les flottes du Trésor. Cela représente une quantité inestimable d’or, un butin spectaculaire, qui va directement dans les coffres du roi d’Espagne. Et de l’autre grand pouvoir qui se cache derrière les conquistadors.
— L’Église catholique, murmura Jack. Et une partie de cette richesse retourne au siège de l’Église, au Vatican, à Rome.
— Attendez, intervint Costas. Je suis perdu.
— Tu ne comprends pas ? s’exclama Maria les yeux pétillants. Si nous voyons juste, la menora n’a jamais été perdue. Il y a trois cents ans, l’or fondu pour devenir un objet sacré dans l’ancien Israël est retourné sur les terres qui en avaient été les premières héritières. Il a été transformé en lingots et en artefacts sacrés pour établir un nouvel ordre du monde. Peut-être a-t-il toujours été là, sous nos yeux, dans les splendeurs de Saint-Pierre, dans les reliquaires du trésor du Vatican, dans les innombrables ornements et artefacts des églises de toute la chrétienté qui ont bénéficié des largesses du Vatican.
— Une partie de cet or est peut-être même revenue à Jérusalem, suggéra Jeremy. Souvenez-vous, Harald Hardrada avait lui-même déposé une offrande sur le tombeau du Christ, à Jérusalem. L’histoire de l’implication occidentale en Terre sainte, qui a commencé avec les croisades, ne s’est pas bornée à une succession de pillages due à la cupidité des hommes. Peut-être, je dis bien peut-être, qu’une partie de l’or des Itzá est retournée dans l’ombre du mont du Temple, à Jérusalem, et qu’elle y est encore aujourd’hui.
Costas prit soudain une mine déconfite. Il regarda son plan posé sur le rocher, à côté du cenote.
— Mais ma sonde... Tous mes plans. Est-ce que vous êtes en train de dire que...
— Ce ne sont que des conjectures, murmura Maria.
— Et nous n’avons rien qui prouve que Harald est venu jusqu’ici, insista Costas. La fresque a été détruite et la grotte où Harald a livré sa dernière bataille s’est effondrée. Personne ne nous croirait.
— Nous avons ceci, répliqua Maria en sortant de la poche de son short la pierre runique qu’elle avait trouvée dans le cenote.
— Cette pierre ne mentionne pas directement Harald. Et elle ne vient pas d’ici. On dirait du schiste.
Les Vikings l’ont probablement ramassée à L’Anse aux Meadows.
— Mais nous, nous savons ce qui s’est passé.
— En ce qui concerne la menora, je préfère m’en tenir à la thèse des Mayas plutôt que de réfléchir à ce qu’on pourrait en faire si on la trouvait, déclara Jeremy.
Jack se leva, se dirigea vers la plate-forme sacrificielle et regarda l’eau d’un vert impénétrable. Puis il tourna le dos au cenote et prit un récepteur radio qui était accroché à sa ceinture.
— La menora est peut-être dans le puits des sacrifices après tout. À moins que nous ne soyons arrivés au bout de la piste. Quoi qu’il en soit, avant d’envisager un autre projet, je dois m’acquitter d’une dette envers un vieil ami. Une histoire de chance du combattant...
Il posa les yeux sur Maria.
— Et puis, nous sommes restés ici assez longtemps.