Vingt minutes plus tard, ils se trouvaient le long de la côte sous le vent de Great Sacred Island, au large du cap nord de Terre-Neuve. Chacun retira sa combinaison de survie pour la confier à l’homme d’équipage, qui allait rester à proximité du Zodiac. L’île faisait environ un kilomètre de long sur cinq cents mètres de large. La roche nue était entrecoupée de marais et de prairies. À plusieurs endroits, elle s’élevait pour former de petits sommets, que Jack entreprit d’observer avec une paire de jumelles légères.
— Une chasse au trésor, j’adore ! s’exclama Costas, soupirant de joie alors qu’il enfilait ses chaussures de marche.
— Pas de gadgets sophistiqués, cette fois, lui fît remarquer Jack en posant les jumelles pour lacer ses chaussures à son tour. La géophysique est inutile sur ce genre de terrain et ne nous serait d’aucun secours. Ouvre ton œil bionique. De toute façon, c’est le seul moyen de trouver un trésor.
— Alors, qu’est-ce qu’on cherche ?
— Quelque chose qui se trouve sur le point le plus élevé de l’île, du côté de la mer. Mais je n’en sais pas plus que toi. Un cairn peut-être, ou des pierres étalées sur le sol de façon trop régulière et qui pourraient être tombées d’une pile. Mais si la balise était en bois, comme la quille évoquée dans la saga, nos chances seront d’autant plus réduites.
Les trois hommes se dispersèrent sur une zone d’une vingtaine de mètres et commencèrent leur ascension vers le centre de l’île. Jack était au milieu. Le terrain n’était pas difficile à traverser, mais c’était un mélange étrange de roche nue et de rigoles boueuses qui lui rappelait sa promenade avec O’Connor et Maria sur l’île d’Iona quelques jours auparavant. Après avoir gravi le premier petit sommet, Costas s’arrêta brusquement, les yeux baissés vers le sol. Jack, qui s’en était aperçu, se tourna vers lui.
— Tu as trouvé quelque chose ? demanda-t-il.
— Non, je me pose des questions sur les Vikings de Harald.
— Je t’écoute, dit Jack en lui prêtant une oreille attentive.
— Pas de femmes. À part celle de Harald, qui n’était de toute évidence pas accessible aux autres.
— C’est ce qu’a dit Maria. Mais n’oublie pas qu’ils n’avaient pas l’intention d’établir une colonie. Dans leur esprit, ils allaient d’une bataille à l’autre, la dernière. Tout ce qu’ils trouvaient sur leur chemin était bon à prendre, mais ils avaient un objectif plus noble. Et puis, ils étaient en piteux état.
— Est-ce que tu t’inquiètes pour elle ? Je veux dire pour Maria ?
Jack garda le silence un instant avant de répondre.
— Elle sait prendre soin d’elle. C’est O’Connor qui est en danger.
Un peu plus de deux heures après, ils avaient passé toute l’île au peigne fin sans trouver le moindre indice. Jack avait perdu de vue ses deux compagnons et errait le long de l’estran rocheux de la côte ouest de l’île. Son esprit commençait à vagabonder et le souvenir de ses rêves agités de la nuit précédente revenait le hanter. Pour la première fois, il se demanda s’ils n’étaient pas arrivés au bout du chemin. Pour les archéologues qui avaient suivi les traces des Vikings avant eux, ce site morne et inhospitalier avait été une véritable récompense. À L’Anse aux Meadows, l’euphorie du triomphe avait rendu le moindre fragment de vestiges aussi précieux que le trésor de Toutankhamon. Mais la piste n’allait pas plus loin. On n’avait rien trouvé à l’ouest ni au sud, aucune preuve d’exploration ni de la présence d’un établissement viking.
Jack s’accroupit sur l’estran, prit un galet plat et le lança à la surface de l’eau en comptant les ricochets jusqu’à ce qu’il disparaisse. Peut-être cet endroit était-il vraiment le bout du monde des Vikings, la frontière de l’au-delà. Peut-être était-ce là que Harald et ses hommes avaient trouvé le Ragnarok et livré la bataille mystique de la fin des temps. Sur l’île d’Iona, Jack s’était senti extraordinairement proche de Harald, comme si celui-ci l’avait accompagné depuis l’au-delà, tel un compagnon spirituel. Maria lui avait dit que, selon la tradition norroise, les hommes partant à l’aventure suivaient les traces de leurs ancêtres, qui les guidaient depuis le monde des esprits. Il avait eu l’impression d’être attiré ici par une présence à ses côtés. Mais désormais, il se sentait abandonné, aveuglé par une brume d’incertitude, ne sachant plus où aller.
Peut-être était-ce précisément ce que Harald avait éprouvé à ce stade. Jack repensa à la carte, au navire pris dans la glace, à la grande hache de guerre de Halfdan. Il n’avait pas rêvé. Tout cela était bien réel. Il devait bien y avoir autre chose. Il posa les mains contre la roche dure de l’île dans l’espoir qu’elle lui livre ses secrets. Il pensa de nouveau à la hache, censée porter chance au combattant. Puis il se leva et retourna résolument vers les sommets de l’île. Il repéra ses compagnons sur un rocher plat, près de la côte est. Il les rejoignit en quelques minutes et leur tendit sa bouteille d’eau avant d’avaler lui-même une gorgée.
— Il nous reste une heure jusqu’à ce que la marée descendante nous oblige à quitter les lieux. Des suggestions ?
— Eh bien, dit Jeremy, je disais justement à Costas qu’il y a quelque chose qui me tracasse sur cette carte.
Il prit la carte de Richard de Haldingham, la posa sur le rocher et s’assit pour l’examiner une nouvelle fois, les mains croisées sur la tête. Soudain, il bondit en jubilant.
— Quel imbécile je fais ! s’exclama-t-il. Je vous ai dit que Richard était très méticuleux. Regardez bien ce croquis. Ce n’est pas une croix. C’est le symbole viking du marteau de Thor, une hampe avec deux bras se rejoignant au sommet.
— Génial ! s’écria Costas avec ironie. Et en quoi cela va-t-il nous aider ?
— Imaginons que les Vikings aient trouvé un rocher de cette forme. C’est là qu’ils auraient érigé leur cairn. Si ce n’était pas le meilleur endroit pour placer une balise, ignorer ce rocher aurait été un affront à Thor.
— Il est là ! s’exclama Costas. Sous nos pieds !
Baissant les yeux, ils constatèrent que le rocher plat sur lequel ils se trouvaient avait une forme étrangement régulière. Ils ne s’en étaient pas rendu compte mais, en tournant autour, ils virent que, sous un certain angle, il ressemblait clairement au marteau de Thor.
— Bon ! reprit Jeremy au comble de l’excitation. Il doit y avoir des inscriptions, probablement des runes. Regardez sous toutes les parties en surplomb, là où on peut cacher quelque chose.
Il se pencha sous le rocher plat et commença à examiner attentivement le granit érodé. Après seulement quelques secondes, il passa brusquement la tête sous une partie saillante et poussa un cri de joie. Jack se précipita à ses côtés et Jeremy lui prit la main pour la poser à plat sur la roche.
— Tu sens ?
Jack, qui avait glissé les doigts le long de la surface rugueuse et humide, sentit des entailles linéaires qui se rejoignaient.
— Oui !
— Tu as une torche ?
Costas s’approcha et tendit une Mini Maglite à Jeremy. Celui-ci s’accroupit sous le surplomb et orienta la lampe vers la roche.
— Deux runes, annonça-t-il. La première est la troisième rune du futhark norrois, qui correspond au th anglais. Étant donné qu’il n’y en a que deux, ce ne sont sans doute pas les lettres d’un mot. Mieux vaut s’intéresser à la valeur symbolique de chacune. Celle-ci symbolise l’aigle.
— L’aigle ! s’écria Jack. Il pourrait s’agir d’une référence au navire de Harald.
— La seconde est juste à côté, précisa Jeremy. Tu ferais mieux de venir voir toi-même.
Il sortit en donnant la lampe à son compagnon, qui s’accroupit à sa place sous le rocher. Dans la lumière de la torche, Jack découvrit le symbole à sept branches de la menora. Stupéfait, il pouvait à peine respirer. Il n’arrivait pas à y croire. Harald Hardrada avait dû se trouver à cet endroit précis et regarder les inscriptions que ses hommes avaient gravées dans la pierre. Peut-être avait-il été la dernière personne à les voir. En voyant la roche écorchée de runes anciennes, Jack pensa aux pierres sculptées qu’il avait admirées deux jours auparavant sur l’île d’Iona. Cependant, il n’avait jamais vu le symbole de la menora ailleurs que sur l’arc de Titus, à Rome. Cette découverte semblait remettre en question tous les paramètres conventionnels de l’histoire. C’était ahurissant. Il ferma les yeux un instant pour se rappeler qu’il se trouvait à des milliers de kilomètres de l’île d’Iona et de Rome, de l’autre côté de l’Atlantique.
Il sortit avec un large sourire aux lèvres et donna à Jeremy une tape dans le dos en lui serrant la main.
— Parfait ! s’écria-t-il. Absolument parfait. Félicitations, Jeremy !
— Alors, que signifient ces runes ? demanda Costas.
— L’Aigle, le drakkar, et le symbole du trésor de Harald, répondit Jack.
— Harald est passé par ici.
— Quelque chose comme ça.
— Alors c’était vrai, dit Jeremy en se laissant tomber dans l’herbe à côté du rocher, fou de joie mais épuisé. Il faut réécrire tous les livres d’histoire. Le Vinland n’était pas un vague avant-poste, mais une terre foulée par le plus grand roi de l’époque des Vikings.
— Et celui-ci ne s’est pas arrêté là, murmura Jack.
— Que s’est-il passé ici ? demanda Costas en regardant d’un air sombre la côte, qui commençait à être éclaboussée par la pluie. Si ce trou perdu était un tel paradis pour les Norrois, pourquoi Harald n’est-il pas resté ?
— Les Norrois croyaient au monde des esprits, répondit Jeremy. La frontière entre leur monde et celui des esprits n’était pas étanche et pouvait être facilement franchie. Le dieu loup, le dieu aigle et le dieu du mal, Loki, ou n’importe quelle autre divinité, pouvaient apparaître dans le monde des hommes sous différentes formes à ceux qui avaient le seid, une sorte de sixième sens. Les esprits des morts hantaient certains endroits. Peut-être Harald et ses hommes ont-ils senti ici une présence maléfique.
— Inutile d’avoir un sixième sens, déclara Costas. Même après un demi-siècle, les squelettes des morts devaient toujours être là, surtout si les premiers Vikings avaient été bloqués à l’intérieur d’une hutte.
— Les hommes de Harald ont dû se sentir obligés de recueillir les ossements et de les incinérer, puis de brûler et d’enterrer tout le reste, affirma Jeremy. Et les runes avaient sans doute un double sens, un pouvoir magique susceptible de tenir les esprits malins à l’écart et de protéger Harald et les siens. Elles constituaient un galdrastafr, un couplet d’incantation.
Il se leva et tendit la main sous le surplomb pour passer les doigts sur les runes sculptées dans la pierre.
— Une rune pouvait représenter un bec d’aigle, une dent de loup ou le marteau de Thor, poursuivit-il.
— Ou la menora, ajouta Jack.
— Plus je la vois, plus je me dis que cette menora est devenue le symbole de Harald lui-même, non seulement l’emblème de son exploit et de sa réussite, mais aussi une sorte de talisman, un objet intimement lié à sa propre destinée.
— La survie du roi viking à Stamford Bridge a dû être considérée comme un miracle, fit remarquer Jack. En tant que guerrier, Harald espérait sans doute une mort glorieuse sur le champ de bataille mais, ayant été épargné, il a peut-être pensé qu’une plus grande bataille l’attendait. Dans leur état, ses hommes et lui avaient probablement déjà franchi la frontière du monde des esprits et prenaient ce qu’ils voyaient pour des présages de leur destinée à la dernière bataille du Ragnarok.
— Souvenez-vous de ce qu’a dit le père O’Connor, rappela Jeremy. Les Norrois croyaient en la prédestination. Ils pensaient que leur destin était écrit depuis leur naissance. Peut-être Harald a-t-il eu envie d’aller de l’avant parce qu’il avait le sentiment que son heure n’était pas arrivée. Il n’avait pas encore connu le plus grand des triomphes, une mort digne d’un héros viking.
— Bon, les gars, je suis perdu, avoua Costas. Tout ce que je veux savoir, c’est où il est allé ensuite.
Jack abonda dans son sens et reprit son raisonnement de manière plus concrète.
— Eh bien, ici, ses hommes et lui ont pu faire le plein d’eau et de nourriture ainsi que des réparations sur leur bateau. Dans les années 1960, les archéologues ont découvert une forge primitive où de la limonite avait été fondue pour faire des rivets. Quant aux morceaux de bois trouvés près de l’estran, ils provenaient peut-être de travaux effectués sur la coque du navire de Harald.
— Et ensuite ? Est ou sud ?
— À l’ouest, du côté du golfe du Saint-Laurent, il aurait fallu remonter le courant du fleuve, précisa Jeremy. Et puis en allant encore plus loin dans cette direction, les Vikings auraient eu peur d’atteindre le bout du monde et de tomber dans le Ginnungagap, le grand Vide.
— Ils n’auraient pas eu la fin glorieuse qu’ils espéraient, en conclut Costas. Alors, le sud ?
Jack acquiesça et se retourna pour s’accroupir contre le rocher et sortir un ordinateur de poche de son sac à dos.
— À mon tour de m’excuser de vous avoir caché quelque chose, annonça-t-il en levant les yeux vers Jeremy. J’ai une longueur d’avance sur vous.
Il déploya l’écran, alluma l’ordinateur devant Costas et Jeremy, qui s’étaient eux aussi accroupis à côté de lui. Quelques secondes plus tard, une image isométrique représentant un drakkar viking apparut à l’écran.
— Lanowski m’a envoyé ce document par e-mail hier soir, tard dans la soirée, pendant que vous dormiez déjà tous les deux, expliqua Jack. C’est une image en 3D du drakkar pris dans la glace, générée à partir des données photogrammétriques que nous avons recueillies dans l’iceberg. Si l’on part du principe que le Loup et l’Aigle étaient construits sur le même modèle, cela nous donne une idée assez précise de ce à quoi ressemblait le bateau qui a transporté Harald et ses hommes jusqu’au Vinland.
Il fit défiler l’image pour afficher différentes vues isométriques et zooma sur plusieurs détails. C’était un navire élégant, à large barrot, avec poupe et proue symétriques, doté d’un seul mât et d’une voile carrée. Les virures de la coque étaient constituées de planches qui se chevauchaient, assemblées par des rivets et des clous. La quille, dont les planches formaient un angle aigu, était grande et devait limiter efficacement la dérive latérale. Un aviron de gouverne était posé sur un bossage saillant et le plat-bord surmontait une série de tolets régulièrement espacés. Lanowski avait omis la superbe sculpture qui ornait l’étrave mais, à l’arrière, flottait un drapeau blanc qui, vu de près, s’avéra arborer le logo de l’UMI et une minuscule reproduction du chandelier à sept branches.
— Ça alors ! murmura Costas. Finalement, ce type a un certain sens de l’humour.
— Après avoir hiverné près du fjord glacé, Harald et ses hommes ont sans doute été contraints de remettre leur bateau en état avant de piquer vers le sud, conjectura Jack. N’oublions pas qu’il s’agissait d’un vénérable navire pour l’époque. C’était celui à bord duquel Harald avait fui Constantinople, près de trente ans auparavant. Il y avait certainement beaucoup de travaux à effectuer pour qu’il puisse reprendre la mer après avoir survécu au trajet depuis l’île d’Iona et passé tout l’hiver sur la glace.
— C’était à quelle époque de l’année ?
— Les paléoclimatologues de l’équipe de Macleod se sont intéressés de près aux carottes de glace prélevées dans l’iceberg là où se trouvait le navire. Apparemment l’hiver 1066-1067, particulièrement rude au Groenland, annonçait la petite période glaciaire du Moyen Âge. Le détroit de Davis a sans doute été obstrué par la glace flottante jusqu’au mois de mai ou même jusqu’au début du mois de juin.
— Lorsqu’ils ont décidé de consolider un des navires, l’Aigle, ils ont pu utiliser le bois de l’autre pour procéder aux réparations nécessaires.
— C’est exactement ce que Lanowski a découvert en examinant les photos. Des traverses et même une partie de la quille ont été retirées à l’arrière du navire.
— Et les matériaux de calfatage ?
— Pour survivre en plein hiver, il a fallu qu’ils chassent et qu’ils pèchent à travers la glace. Je suis persuadé qu’ils étaient accompagnés de Norrois du Groenland, qu’ils avaient pris à leur bord à la colonie occidentale. Ceux-ci ont dû non seulement leur servir de guides mais aussi leur apprendre à enduire le bois de blanc de phoque pour le protéger contre les tarets et à fabriquer des cordages avec de la peau de morse.
— Et ils ont dû leur dire que ce n’était pas la peine d’aller vers le nord.
— En théorie, expliqua Jeremy, les Vikings auraient pu franchir le passage du Nord-Ouest et traverser l’Arctique jusqu’au détroit de Béring, mais rien ne prouve qu’ils soient jamais allés à l’ouest de la mer de Baffin. Quelques artefacts norrois ont été trouvés sur des sites inuits de l’île d’Ellesmere, au bord de la calotte glaciaire polaire, mais ils ont probablement été ramassés par des chasseurs inuits dans des épaves ou des campements norrois abandonnés au Groenland. Lors de la funeste expédition de Franklin pour trouver le passage du Nord-Ouest, en 1845, de nombreux objets ont également été dispersés au sein d’une autre culture.
— Tout cela fait froid dans le dos, murmura Costas. Où que nous allions, il semble que nous suivions les traces des Vikings et, pourtant, c’est comme s’ils n’avaient jamais vraiment été là. Je crois que je vais commencer à croire au monde des esprits, moi aussi.
Jack se retourna en direction du site de L’Anse aux Meadows. Il imaginait le navire viking, voile ferlée, tiré à sec sur le rivage.
— Tu peux être sûr qu’ils ont été là. Et n’oublie pas le drakkar pris dans la glace.
— Alors on peut considérer qu’ils sont arrivés ici, disons, fin juin 1067 ? demanda Jeremy.
— Oui, répondit Jack. À ce moment-là, la glace flottante avait disparu et le temps était plus clément. Ils ont donc pu traverser assez facilement le détroit de Davis depuis Ilulissat et longer la côte de la terre de Baffin et du Labrador pour arriver jusqu’ici en suivant l’itinéraire que leur avaient indiqué les Groenlandais. Ils ont dû être entourés d’icebergs, mais peut-être ont-ils eu recours à quelques rameurs expérimentés pour de courtes distances afin d’éviter le danger. Il est très possible qu’ils aient bénéficié d’un vent favorable et régulier tout au long de leur périple, derrière eux ou par la hanche. Avec une structure assez souple pour tanguer sur les vagues et un franc-bord suffisamment élevé pour que la coque ne coule pas sous le poids du givrage, un navire comme celui-ci a dû pouvoir étaler les tempêtes, même par mer agitée. De plus, les Norrois étaient d’excellents navigateurs. Ils possédaient une sorte de pierre de soleil, une variété de feldspath aux propriétés réfringentes qui accrochait la lumière polarisée par temps couvert et indiquait l’emplacement du soleil. Mais ils se fiaient surtout à leurs sens, à leur parfaite connaissance de la mer et des étoiles. Si Harald a été aveuglé par le brouillard qui voile constamment la côte, il a dû poursuivre sa route en suivant l’odeur de la terre, la fragrance des forêts de pins.
— Et tu crois vraiment que le Vinland était leur Terre promise ? demanda Costas en regardant la côte d’un air perplexe. Pour moi, ce n’est qu’un territoire désolé.
— Mais pas pour les premiers Vikings qui sont arrivés ici, répliqua Jack. Cette terre offrait tous les ingrédients d’une vie heureuse.
Il s’interrompit pour regarder pensivement en direction de l’ancien site viking.
— Mais à l’époque de Harald, cet horizon avait été obscurci entre-temps par les crimes effroyables de Freydis. Les Groenlandais devaient le savoir et peut-être ont-ils même conseillé à Harald de garder ses distances. Un demi-siècle après les événements décrits dans les sagas, le Vinland avait probablement acquis une sinistre réputation. On pouvait y aller, mais on en revenait rarement. Robustes aventuriers, les Norrois n’en étaient pas moins superstitieux et, pour eux, c’était une terre maudite. Ils n’ont pas dû avoir envie de s’y attarder.
— Sans parler des Skraelings.
— Exact. Traditionnellement, l’équipage d’un drakkar comptait une trentaine d’hommes et, à ce stade, il est probable que celui de Harald ait été beaucoup moins important, peut-être même réduit de moitié. Les Norrois du Groenland avaient dû parler des Skraelings au roi viking. Provoquer le moindre affrontement aurait été suicidaire. Harald et ses hommes se sont sans doute glissés dans cette baie discrètement. Ils ont pris le bois et le fer dont ils avaient besoin, extrait de la résine de pin pour le calfatage, tué quelques cerfs pour les peaux et la venaison, et fait le plein de poisson, de viande et de fruits sauvages. Leur dernier geste a peut-être été de brûler et de raser leur campement. Puis ils ont fait un arrêt sur cette île pour laisser une trace de leur passage avant de quitter Leifsbùôir pour toujours.
— Et mettre le cap au sud.
— Ils ont dû longer la côte de Terre-Neuve, de la Nouvelle-Écosse et peut-être même celle des États-Unis.
Tu te souviens du logiciel de simulation que Mustafa avait utilisé pour reconstituer l’exode de la mer Noire, la progression journalière des réfugiés de l’Atlantide ? J’ai demandé à Lanowski de s’en servir pour évaluer la progression potentielle d’un navire viking le long de ces côtes en prenant en compte tout ce que nous savons sur le drakkar, la saison et les conditions météorologiques au XIe siècle. Le capitaine de la Seaquest II, qui est canadien, connaît ces eaux comme sa poche. Il a également apporté une contribution inestimable. Ensemble, ils ont calculé la progression des Vikings en dœgr, c’est-à-dire en courses. Le courant du Labrador et le vent leur étant favorables, Harald et ses hommes ont dû naviguer rapidement vers le sud. En trois semaines, ils ont pu descendre jusqu’à la pointe de la Floride et arriver dans les Caraïbes.
— Les Caraïbes ? murmura Costas. Incroyable !
— Simple hypothèse. Où qu’ils aient pu aller, il a fallu qu’ils fassent escale quelque part pour faire le plein d’eau et de nourriture, disons une semaine ou dix jours après être partis. S’ils ont de nouveau été confrontés à des indigènes, ils n’ont pas dû vouloir s’attarder. Et une semaine ou dix jours plus tard, ils se trouvaient à hauteur de la Géorgie et de la Floride. Le littoral, avec sa végétation tropicale et ses broussailles touffues, a dû leur sembler de plus en plus inhospitalier. Mais il leur aurait été difficile de faire demi-tour, de naviguer contre le courant et le vent avec une seule voile et trop peu d’hommes en état de ramer pendant des heures. En désespoir de cause, peut-être ont-ils poursuivi leur route vers le sud. Ce ne sont là que conjectures bien sûr, mais ils ont pu traverser les Cayes de Floride et arriver dans les Caraïbes. Si c’est le cas, les vents dominants ont pu les pousser vers le sud-ouest, jusqu’en Amérique centrale.
— Cela fait un sacré bout de chemin depuis Constantinople !
Jack se rappela soudain les jours merveilleux qu’il avait passés à Istanbul avec Katya six mois auparavant. Plongés dans le passé labyrinthique de la ville, ils avaient beaucoup parlé des détours de l’histoire, qui pouvaient mener aux découvertes les plus extraordinaires. L’espace d’un instant, il éprouva une pointe de regret mais fut rapidement submergé par un enthousiasme débordant.
— C’est sûr ! Mais regarde où nous nous trouvons. Nous sommes déjà loin du pays des Norrois. La présence des Vikings à L’Anse aux Meadows a été attestée et corroborée par la recherche archéologique. Tout est possible.
— Rendus à moitié fous par la soif et l’épuisement, les hommes souffraient encore de leurs blessures de Stamford Bridge, murmura Jeremy. Quel étrange tableau ! Terrifiés mais euphoriques, ils devaient craindre de tomber au-delà du bout du monde à tout instant mais se rapprochaient chaque jour du Ragnarok, de la bataille lors de laquelle ils rejoindraient Odin et Thor, armés pour la dernière fois de leurs grandes haches de guerre. Pour nous, les tropiques sont anodins mais, pour les Vikings, ils devaient représenter les enfers et revêtir une aura de mystère les rapprochant de plus en plus de leur destin.
Costas se leva et regarda vers l’horizon nord-est, en direction de la côte du Labrador et de l’Atlantique. Les nuages s’accumulaient et le littoral commençait à disparaître sous un linceul de brume. Soudain, Costas montra du doigt une forme blanche qui apparaissait par intermittence à travers la brume sur la ligne d’horizon.
— C’est la Seaquest II ! s’écria-t-il. Et le Lynx est en route.
Jack se tourna vers la mer. Il avait mis sa réputation en jeu en persuadant Macleod d’interrompre son projet dans le fjord glacé et de mettre le cap au sud pour les rejoindre et aller encore plus loin que L’Anse aux Meadows. Habituellement, il n’exerçait jamais la moindre autorité sur ses collègues des autres départements de l’UMI et, par chance, Macleod s’intéressait authentiquement à l’archéologie depuis qu’il l’avait fait venir à Ilulissat. Mais à l’approche de l’été, il allait devenir de plus en plus difficile d’extraire des carottes de glace et il y avait eu une vague de mécontentement parmi les scientifiques invités à participer au projet. Jack se mordit les lèvres. Pendant quelques minutes, il regarda le Lynx entrer dans la baie avec un bruit retentissant. L’hélicoptère s’immobilisa dans les airs, avant de se poser sur ses flotteurs dans les bas-fonds, à proximité du Zodiac. Une fois le moteur arrêté, Ben et Andy, coiffés d’un casque, sautèrent dans l’eau et se dirigèrent vers les deux hommes de la Garde côtière canadienne pour les saluer.
— Où va-t-on maintenant ? demanda Costas. Les possibilités sont infinies.
— Il nous faut une piste, répondit Jack les sourcils froncés. J’espérais qu’on trouverait autre chose, un petit indice. Mais au moins personne d’autre ne pourra aller plus loin. Autrement dit, je peux donner le feu vert au père O’Connor pour qu’il révèle l’affaire à la presse et à Interpol. Maria et lui doivent avoir fini de monter le dossier contre le félag et il n’y a rien ici qui nous oblige à attendre plus longtemps. Tant que nous avions des chances de découvrir la menora, O’Connor voulait avant tout que nous arrivions les premiers pour qu’elle ne tombe pas entre de mauvaises mains. Mais maintenant, nous devons tout faire pour arrêter ce Loki. La vie du père O’Connor en dépend peut-être.
— Je préfère ne pas être là quand tu diras à Macleod de faire demi-tour pour retourner au fjord glacé, dit Costas.
Il s’accroupit pour resserrer les lacets de ses chaussures et s’adossa contre une butte verdoyante, sous le rocher plat. Tout à coup, Jack et Jeremy entendirent un grand fracas en même temps qu’un chapelet de jurons grecs. Ils ne voyaient plus que les chaussures de Costas émergeant d’un monticule de tourbe.
— Ça va ? demanda Jack en regardant avec inquiétude dans le trou noir qui s’était formé sous le rocher.
Aidé de Jeremy, il se mit à extraire la tourbe et les pierres qui coinçaient les jambes de Costas.
— Ma fierté en a pris un coup, c’est tout, répondit la voix étouffée. Mais je me suis fait un nouvel ami.
Quand le buste de Costas réapparut, Jack et Jeremy firent une étrange découverte. Dans une petite cavité, juste en face du visage de Costas, se trouvait un squelette humain recroquevillé, le crâne sous les genoux et les pieds enterrés dans le sol. Une peau d’animal en loques pendait sur les os et le cuir chevelu retenait encore quelques longues mèches de cheveux blancs.
Jeremy se pencha en avant.
— Je suis un peu rouillé en paléopathologie, mais je dirais qu’il s’agit d’une personne de sexe masculin, d’âge moyen voire avancé.
— Un Skraeling ? demanda Costas.
— Non, c’est une physionomie européenne. Et ce type est grand. Il mesure bien plus d’un mètre quatre-vingts. Il pourrait s’agir d’un des premiers explorateurs anglais ou français, mais je pense que ces ossements sont plus anciens, beaucoup plus anciens. Je crois bien qu’on a trouvé un Norrois.
Jack ferma les yeux et chancela légèrement. C’était tout à fait possible. Il pria pour que sa chance ne l’abandonne pas.
— Il y a des entailles assez impressionnantes sur les os, indiqua Costas.
— J’ai déjà vu ça en Angleterre, dans des sépultures de guerriers vikings, se rappela Jeremy. Ce sont des blessures causées lors de batailles par des haches et des épées. Rien à voir avec celles qu’aurait pu occasionner un combat avec les Skraelings, qui n’avaient pas d’armes en métal tranchantes. Ce type a été taillé en pièces. Il a des marques étranges, qui sont peut-être liées à des lésions ultérieures, notamment ces cercles autour des poignets, comme s’il avait été enchaîné. Mais il semble s’être remis de toutes ses blessures de guerre bien avant de mourir.
Jack examinait le squelette d’un air songeur.
— Tu penses à ce que je pense ?
— N’oublions pas qu’il y a eu d’autres Norrois ici, répondit Jeremy. Mais il est possible, je dis bien possible, que nous ayons encore trouvé un des hommes de Harald, en plus de Halfdan. Ce qui m’étonne, c’est l’ancienneté des blessures. Si ce type était mort pendant le voyage, les fractures dues aux coups reçus à Stamford Bridge, l’automne précédent, auraient dû être encore fraîches. Or les os s’étaient ressoudés des années, peut-être même des décennies auparavant.
— Et ce n’est pas une sépulture, ajouta Jack. Cet homme s’est faufilé là-dessous pour se terrer près du rocher. C’est pourquoi son squelette n’a pas été retrouvé.
— Cela peut peut-être nous donner un indice, dit Costas, qui s’était glissé au-dessus du squelette.
Dans l’obscurité, il tendit la main avec précaution sous la cage thoracique. Il parvint à retirer deux objets et confia le plus gros à Jack. Celui-ci le prit sans y faire attention, encore plongé dans l’impénétrable énigme du squelette.
— Alors, c’est quoi ? demanda Costas.
Il redressa la tête et vit ses compagnons fixer l’objet bouche bée. C’était un pendentif plat, de la taille d’une petite soucoupe, sculpté dans une pierre verte lustrée, indubitablement du jade. Sur la surface curviligne se dessinait un motif qui, au premier abord, semblait abstrait mais s’avéra représenter deux yeux, un bec et des ailes stylisées.
— Bon Dieu ! s’exclama Jeremy. C’est le dieu aigle des Mayas.
Costas sortit du trou et s’épousseta.
— Les Mayas... dit-il d’un ton flegmatique. Le Mexique, le Yucatan. Les temples dans la jungle, les sacrifices humains, c’est ça ?
— Impossible ! lança Jack.
Il retira avec précaution la pellicule de poussière qui recouvrait les deux disques en argent formant les yeux de l’aigle. Il les fixa en hochant la tête et donna le pendentif à Jeremy.
— C’est impossible. Tu vois ce que je vois ?
— Ce sont des pièces, répondit Jeremy à voix basse Bon, soyons purement objectifs. Celle de gauche est une pièce viking d’Angleterre, un penny quadrilobé du roi Knut. Regardez, on peut lire CNUT REX ANGLO autour du buste couronné.
Il retourna le pendentif.
— On voit le revers de l’autre côté, poursuivit-il, ARNCETEL OEO, frappée par un dénommé Arncetel à York. Knut a régné de 1016 à 1035, mais ses pièces étaient appréciées pour leur pureté. Elles ont été largement utilisées dans toute la Scandinavie au moins jusqu’en 1066.
— Et l’autre ? demanda Costas.
— C’est une pièce romaine. À toi, Jack.
Jeremy redonna le pendentif à Jack, qui observa attentivement la pièce de droite.
— C’est un denier en argent de l’empereur Vespasien, annonça-t-il. IMP CAESAR VESPASIANUS AUG. Un portrait particulièrement fin de Vespasien avec une couronne de laurier.
— Je suis encore perdu ! s’exclama Costas. Vespasien ? L’empereur romain ?
— Les Vikings emportaient parfois de vieilles pièces en or et en argent, répondit Jeremy. Ils les volaient dans les trésors des cités méditerranéennes qu’ils pillaient et les ramenaient comme souvenirs.
Jack leva les sourcils et retourna le pendentif. Il nettoya le revers de la pièce avec le doigt et resta interdit.
— Incroyable... C’est une Judaea Capta, une des pièces frappées sous Vespasien après la conquête romaine de la Judée, en 70 ou 71 apr. J.-C.
Il orienta le pendentif dans la lumière et ses compagnons virent clairement une femme assise sous un trophée de la légion romaine avec, au-dessous, un seul mot, IVDAEA.
— Est-ce que tout cela a un rapport avec ce que nous cherchons, le trésor perdu du temple de Jérusalem ? demanda Costas.
— Je fais peut-être fausse route, répondit Jack, mais je crois que ces deux pièces sont issues du trésor de Harald Hardrada. Quant à savoir comment elles ont atterri dans ce pendentif, ça, c’est un mystère. Il s’est passé quelque chose d’extraordinaire, quelque chose qui a poussé cet homme à revenir, des années plus tard, à cet endroit où il était venu pour la première fois à bord du drakkar de Harald. Eh oui, cela a un rapport avec ce que nous cherchons ! C’est fantastique ! Cette pièce a peut-être été frappée avec l’argent des vases volés dans le Temple avec la menora. Qui sait, Vespasien lui-même l’a peut-être eue entre les mains. Si elle s’est trouvée dans le trésor de Harald, c’est peut-être un pur hasard, mais j’en doute. Harald connaissait l’histoire de l’empereur. Il était allé à Jérusalem. Tout ce qui était associé à la menora et au trésor du Temple devait renforcer sa propre gloire. Maintenant, j’ai vraiment le sentiment que nous sommes sur ses traces. C’est notre plus belle découverte jusqu’ici. Peut-être n’approcherons-nous jamais la menora de plus près.
— Ou peut-être que si, s’empressa d’ajouter Costas en glissant un clin d’œil à Jack. Regarde ça.
Il se pencha de nouveau sous le rocher et ramassa le second objet qu’il avait trouvé auprès du squelette.
— Je crois que c’est une autre pierre runique, annonça-t-il.
Jeremy se précipita sur l’éclat de roche et l’examina attentivement. L’une des faces, grossièrement polie, portait une inscription à peine visible.
— Elle ressemble à celle que les nazis ont trouvée dans le drakkar, murmura-t-il. Même futhark classique, même époque, mais écriture différente. Les runes ont été gravées en superficie. Ce fut peut-être le dernier geste de cet homme tapi sous le rocher.
— Il se pourrait que notre homme soit précisément revenu ici pour laisser un message, suggéra Costas. Peut-être voulait-il honorer la promesse que Harald avait faite aux Groenlandais.
— Tu parviens à lire quelque chose ? demanda Jack à Jeremy.
— Il est plus facile pour moi de translittérer les runes en vieux norrois en utilisant l’alphabet classique, répondit Jeremy.
Il sortit un carnet et traça une ligne régulière de symboles sur une page en revenant parfois en arrière pour faire des rectifications.
par var ørœfi ok strandir langar ok sandar. Rak pà skip peirra um haf innan. Sandar hvitir viôa par sem pier fôru ok ôsœbratt.
— Je ne parviens pas à lire la première ligne complètement, mais elle comporte le mot dœgr, courses, et la rune qui correspond au nombre vingt. Je pense que cela signifie que les Vikings ont parcouru vingt courses le long d’une côte bordée de longues plages de sable.
Ensuite leur navire, le skip, a été ballotté dans l’océan intérieur, um haf innan. Puis ils sont arrivés sur une terre sans relief, recouverte d’arbres et précédée de grandes plages de sable blanc descendant en pente douce vers la mer. Les deux dernières lignes ne sont pas claires non plus, mais la deuxième semble faire référence à une terre de feu et de lumière.
— C’est exactement ce que tu disais, Jack ! s’exclama Costas. Vingt courses, vingt jours, ils ont pu longer la côte est des États-Unis. C’est une côte bordée de longues plages de sable, notamment quand on arrive en Floride. Et l’océan intérieur pourrait tout à fait être la mer des Caraïbes.
— Leur navire a été ballotté, précisa Jack avec enthousiasme. Juillet, août, c’est le début de la saison des ouragans. Il a pu être poussé au beau milieu de la mer et ils n’avaient plus aucune idée de l’endroit où ils se trouvaient.
— Et la terre sans relief, recouverte d’arbres ! s’écria Jeremy. Quand j’étais gosse, j’ai pris le bateau pour aller sur la péninsule du Yucatan. C’est exactement ce que l’on voit. Le Yucatan est un plateau calcaire incroyablement plat, à seulement quelques mètres au-dessus du niveau de la mer, recouvert d’arbres, de broussailles, et entouré de plages de sable blanc étincelantes.
— Aussi chaud que l’enfer en plein été, ajouta Costas. Une terre de feu et de lumière.
— Ce n’est plus une simple hypothèse, conclut Jack. Tout concorde.
Il regarda le pendentif en jade et se tourna vers Jeremy.
— Et la dernière ligne ?
Jeremy essaya d’apaiser sa respiration et leva les yeux vers Jack, les pommettes rouges d’excitation.
— Je parviens à discerner trois mots. Le premier, Ginnungagap, l’abîme recouvert par les eaux du bout du monde, est un terme norrois qui correspond aux enfers.
Le deuxième, c’est Ragnarok. Le troisième, je ne l’ai jamais vu jusqu’ici dans un texte en vieux norrois. C’est un nom propre, un nom de lieu. Ukilabnal ou quelque chose comme ça. Il semblerait que Harald et ses hommes aient trouvé le Ragnarok à cet endroit et livré leur dernière bataille au bord des enfers.
— Excepté notre ami, souligna Costas en montrant le squelette. Je suis sûr qu’il aurait aimé partir au Valhalla avec ses compagnons.
— Est-ce que ce nom te dit quelque chose ? demanda Jack à l’étudiant.
— Oh oui ! s’écria Jeremy d’une voix enrouée par l’émotion. Initiation à l’anthropologie. Heureusement, mon conseiller d’orientation m’a recommandé de ne me fermer aucune porte. Étude de la civilisation mésoaméricaine.
— Je t’écoute.
— Au XIe siècle, Uucil-abnal était le nom de Chichén Itzá, le plus grand centre religieux des Mayas, enfoui au cœur de la jungle du Yucatan.
— Ça alors !
Costas poussa un soupir de satisfaction.
— Enfin ! s’exclama-t-il.
Il se leva en déployant avec raideur ses jambes encore couvertes de tourbe et regarda avec dégoût le crachin qui tombait sur lui.
— Vous qui avez du sang viking, poursuivit-il, vous avez peut-être une certaine tendresse pour ce climat pourri mais moi, cela me laisse froid.
Il se tourna vers Ben et Andy, arrivés auprès d’eux entre-temps, et leur adressa un large sourire.
— Faites vos valises, les gars. On va au Mexique !