— C’est incroyable ! s’écria Jack. Je savais que Harald Hardrada et les Vikings étaient allés jusqu’à Constantinople, mais je n’aurais jamais osé imaginer qu’ils avaient traversé l’Atlantique. Voilà qui éclipse Christophe Colomb une fois pour toutes.
— Je suis perdu, répondit Costas. Des Vikings à Constantinople ?
Jack but une gorgée de son café et se leva de sa chaise.
— Attends-moi là.
Les deux hommes avaient quitté la Turquie à l’aube et se trouvaient en Angleterre depuis moins d’une heure. Ils avaient pris un vol direct pour le port aérien de la Royal Navy, à Culdrose, et gagné le campus de l’Université maritime internationale en hélicoptère Lynx. Costas avait planifié son retour en Angleterre depuis plusieurs jours, car il savait qu’il allait être très occupé maintenant que l’excavateur sous-marin de la Corne d’Or était pleinement opérationnel. Quant à Jack, il avait pris sa décision la veille au soir, après avoir été contacté par Maria de Montijo, qui lui avait téléphoné de Hereford pour lui faire part d’une découverte extraordinaire. Il avait réuni d’urgence le personnel de fouille et demandé à Hiebermeyer d’assurer la supervision archéologique, sachant que celui-ci serait secrètement ravi d’endosser un rôle dépassant largement ses attributions dans le désert d’Égypte.
— Tu as intérêt à faire vite, dit Costas après avoir sorti de sa combinaison un téléphone portable sur lequel il venait de recevoir un texto. Ils vont arriver d’une minute à l’autre.
Jack hocha la tête et traversa le patio où ils étaient assis pour se rendre dans son bureau. Il s’arrêta devant la porte ouverte et se retourna pour regarder Carrick Roads, un vaste estuaire sinueux qui allait de la pointe de Cornouailles à la Manche et à l’océan Atlantique. C’était ici que plusieurs générations de ses ancêtres avaient hissé les voiles pour forger la destinée de l’Angleterre et faire fortune. Les Howard avaient combattu aux côtés de Drake contre l’Armada espagnole et sous les ordres de Nelson à Trafalgar, ramené d’abondantes richesses des Indes, et cartographié les terres les plus lointaines, par-delà les océans.
Comme il contemplait le paysage, Jack éprouva un sentiment d’assurance, car il savait qu’il perpétuait une tradition familiale remontant à un millier d’années, avant même la conquête normande de l’Angleterre. C’était son père qui avait décidé de faire don de cette propriété de Cornouailles à la toute nouvelle Université maritime internationale. Mais l’UMI, c’était son rêve à lui, et il l’avait réalisé. Grâce au soutien financier non négligeable d’Efram Jacobovich, un vieil ami qui avait fait fortune dans l’industrie du logiciel, la résidence et les dépendances avaient été transformées en un centre de recherche ultramoderne rivalisant avec les meilleurs instituts océanographiques du monde. Au bord de l’estuaire, l’ancien chantier naval était aujourd’hui un immense complexe d’ingénierie, qui comportait un bassin de radoub pour les navires de recherche de l’UMI et un bassin d’essais des carènes pour la recherche en submersibles. Sur une colline boisée située à proximité du complexe, un beau bâtiment néo-classique, la Howard Gallery, abritait l’une des plus grandes collections d’art privées du monde et accueillait des expositions itinérantes en provenance du musée maritime de l’UMI, à Carthage, en Méditerranée. Quelques semaines plus tôt, Jack avait inauguré une des expositions les plus remarquables de la galerie, un ensemble éblouissant d’artefacts issus d’une épave minoenne de l’âge du bronze, que son équipe et lui avaient fouillée l’année précédente. Une affiche sur laquelle figuraient le disque d’Atlantis et la magnifique sculpture à tête de taureau trouvés dans l’épave était fixée au mur de son bureau, une ancienne salle de réception de la résidence, qui était aujourd’hui le pivot de la recherche de l’UMI et de l’exploration dans le monde.
Quelques instants plus tard, il était de retour auprès de Costas avec une carte d’Europe, qu’il déroula et fixa sur la table du patio avec leurs tasses de café. Il balaya de la main toute la zone qui allait de la Scandinavie à la mer Noire, tandis que Costas approchait sa chaise.
— Les Byzantins les appelaient les Varègues, commença-t-il. C’étaient de grands barbares blonds terrifiants venus du Nord, des mercenaires issus de la célèbre garde varangienne de l’empereur byzantin, qui avait succédé à la garde prétorienne de la Rome antique. À l’époque de Hardrada, la garde varangienne se composait encore essentiellement de Vikings, des guerriers nordiques provenant de Scandinavie dont le comportement était la hauteur de la réputation. Ils pillaient et brûlaient tout sur leur passage. Agissant prétendument au nom de l’empereur chrétien dans toute la Méditerranée, ils étaient en réalité les héros païens du Nord, où ils retournaient après avoir accumulé autant de richesses que d’exploits sanguinaires. Lorsqu’ils ont été anéantis par les croisés lors du sac de Constantinople, en 1204, la plupart des membres de la garde étaient alors des Anglais, des descendants des guerriers anglo-saxons qui avaient fui l’Angleterre après la bataille d’Hastings, en 1066, lors de laquelle Guillaume de Normandie avait vaincu le roi Harold d’Angleterre.
— Harold, pas Harald ? demanda Costas.
— C’est ça. En réalité, en 1066, du sang viking coulait dans les veines de tous les prétendants au trône d’Angleterre. Les Normands étaient des hommes du Nord, des descendants des Vikings qui s’étaient installés en France au siècle précédent. Les ancêtres anglo-saxons du roi Harold d’Angleterre avaient eux-mêmes émigré du Danemark et de l’Allemagne du Nord. Mais en 1066, le seul vrai Viking parmi les prétendants était Harald Hardrada, roi de Norvège. C’était le plus craint de tous. Il avait appris son métier des dizaines d’années auparavant en tant que chef de la garde varangienne de Constantinople.
Costas mesura la distance avec sa main et hocha la tête.
— C’est à plus de trois mille kilomètres de la Norvège, objecta-t-il.
— De même qu’ils commençaient à explorer l’Ouest, les îles Britanniques et même au-delà, les Vikings se déplaçaient aussi vers l’est. Dès le VIIIe siècle apr. J.-C., des marchands Scandinaves ont pénétré dans le système fluvial d’Europe centrale, de la Vistule, en mer Baltique, à Dniepr, en mer Noire. Ils étaient à la recherche des légendaires trésors d’Orient, qui représentaient une fortune inestimable. En quête d’argent et de pierres précieuses, ils sont allés jusqu’en Asie centrale et dans les terres de l’islam. Finalement, ils ont fondé le royaume viking de Rus, berceau de l’actuelle Russie. De leur bastion de Kiev, ils n’étaient pas très loin de ce qu’ils appelaient Miklagard, la Grande Cité. Le voyage sur le Dniepr était périlleux mais leur donnait accès à des richesses inimaginables.
— C’est comme ça qu’ils sont arrivés à Constantinople ?
— Exactement. Pour en avoir la preuve, il suffit de regarder les trésors vikings découverts en Scandinavie. Les Varègues ont ramené de nombreuses pièces d’argent arabes qu’ils avaient échangées contre des fourrures, des esclaves et de l’ambre.
Jack constata que Costas n’était toujours pas convaincu en raison de la distance qui séparait la Norvège de l’actuelle Istanbul.
— Si tu as encore des doutes, regarde ça.
Il lui tendit une photo en noir et blanc d’une rampe en marbre poli, couverte de graffitis anciens.
— Tu vois ces symboles linéaires sur le côté ? Ce sont des runes, des caractères vikings, probablement du XIe siècle. Ceux-ci sont trop usés pour qu’on puisse les déchiffrer complètement, mais on discerne un fragment de phrase : « Halfdan est passé par ici », ou quelque chose comme ça. À ton avis, où cette photo a-t-elle été prise ? Des milliers de touristes passent à côté tous les ans. Cette rampe se trouve dans une alcôve, en haut de la nef de Sainte-Sophie, au cœur de l’ancienne Constantinople. Halfdan faisait presque certainement partie de la garde varangienne et, étant donné la date, c’était peut-être même un des hommes de Harald Hardrada.
Comme il finissait sa phrase, un bruit sourd en provenance de l’est, de plus en plus sonore, se mit à résonner dans le patio et un hélicoptère Lynx sortit des nuages pour se diriger vers l’hélistation située à proximité du littoral.
— Je veux bien te croire sur parole, dit Costas en souriant après avoir rendu la photo à Jack. Pour le moment, nous devons accueillir nos invités.
Quelques minutes plus tard, les deux hommes se trouvaient au bord de l’hélistation, tandis que les turbomoteurs Rolls-Royce Gem s’arrêtaient et que le rotor principal du Lynx s’essoufflait. La première personne qui descendit du compartiment passagers était une femme extrêmement séduisante vêtue d’un jean et d’une veste en cuir et dont les longs cheveux bruns étaient tirés en arrière en un chignon lâche : Maria de Montijo faisait partie des amis proches de Jack, avec Maurice Hiebermeyer et Efram Jacobovich. Ils s’étaient tous rencontrés pendant leurs études à Cambridge. Maria et Jack, qui s’étaient soutenus mutuellement dans les périodes difficiles, s’étaient étroitement liés d’amitié. Jack avait impliqué sa collègue dans le projet de la Corne d’Or dès le départ. C’était la principale raison pour laquelle elle lui avait immédiatement téléphoné après la découverte de Hereford.
Elle embrassa Jack et Costas l’un après l’autre avec un sourire qui illuminait ses traits typiquement espagnols.
— Jack, tu connais Jeremy, mon étudiant américain.
Le jeune homme élancé, qui avait bondi derrière Maria, retira sa mèche blonde de son visage et tendit la main à Jack. Celui-ci l’avait rencontré quelques semaines auparavant lorsqu’il s’était rendu à l’Institut d’études médiévales d’Oxford pour faire traduire le manuscrit de Topkapi, récit d’un témoin oculaire du siège de Constantinople par les croisés, qui indiquait l’emplacement de la chaîne à l’entrée du port. Il avait été impressionné par les facilités de Jeremy en grec médiéval et Maria portait sur le potentiel de son étudiant un jugement enthousiaste, qu’il n’avait aucune raison de mettre en doute.
— Cela fait combien de temps que vous êtes partis des États-Unis ? demanda Costas aimablement.
— Trois ans, lui répondit Jeremy, qui était plus grand que lui et le regardait à travers ses lunettes. J’ai une bourse universitaire qui m’attend à Princeton, mais je n’arrive pas à m’échapper.
— Je sais ce que c’est, moi aussi j’essaie toujours de m’échapper mais, à chaque fois, il trouve toujours une bonne raison de m’en empêcher, plaisanta Costas en faisant un signe de tête en direction de Jack. Heureusement, quand on travaille dans une boîte internationale, on n’est pas obligé de subir le crachin anglais toute l’année.
— Messieurs, permettez-moi de vous présenter le père Patrick O’Connor, annonça Maria en se tournant vers l’hélicoptère.
Tous suivirent son regard. À la différence du pilote vêtu d’une combinaison de vol et d’un casque, sur lequel il s’appuyait pour descendre, l’homme portait la soutane noire caractéristique des prêtres jésuites. En outre, il tenait deux vieux porte-documents en cuir. Après avoir remercié le pilote d’un signe de tête, il traversa l’hélistation avec assurance, laissa tomber ses porte-documents sur le tarmac et serra fermement la main de Jack.
— Docteur Howard. Ravi de faire enfin votre connaissance. Maria m’a beaucoup parlé de vous et, bien sûr, je vous ai vu à la télévision après vos remarquables découvertes de l’année dernière.
Jack le regarda attentivement. Il reconnut une pointe d’accent irlandais, mais l’homme aurait pu tout aussi bien venir de Boston. O’Connor, la cinquantaine fringante, les cheveux gris coupés ras, avait le visage buriné et le corps ferme d’un homme qui n’avait pas passé toute sa vie dans un cloître.
— Maria m’a dit que vous aviez un doctorat d’histoire de l’Église, dit Jack.
— Trinity College, Dublin, puis Heidelberg, répondit O’Connor. Ensuite, j’ai trouvé ma vocation. J’ai passé vingt ans en Amérique centrale, essentiellement au Mexique, où j’ai fait ce que nous, jésuites, faisons le mieux, c’est-à-dire bâtir des écoles, porter secours aux malades, essayer d’apporter un peu d’humanité là où il n’y en a parfois pratiquement plus.
— Et vous avez repris la recherche.
— Il y a cinq ans. J’avais fait ma part de travail et j’ai postulé à la bibliothèque du Vatican. Par chance, on m’a confié un poste sur mesure d’inspecteur des bâtiments anciens et de l’archéologie au département des Antiquités. Mon domaine de compétence va de Rome sous l’égide de l’Église à la Renaissance, et j’ai largement le temps de faire mes propres recherches. Je suis allé à Oxford pour assister au séminaire de Maria sur Richard de Haldingham et la Mappa Mundi, qui constituent un de mes principaux centres d’intérêt.
— Et la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui. Mettons-nous au travail.
Après leur avoir offert un café, Jack conduisit ses compagnons dans son bureau. Presque toute l’ancienne salle de réception était occupée par une grande table en bois massif, dont le plateau en chêne noueux avait été taillé dans du bois qui aurait été récupéré sur des navires ayant appartenu aux envahisseurs normands. À chaque fois qu’il s’asseyait à cette table, Jack ressentait la présence de ses ancêtres, qui lui tenaient compagnie et l’incitaient à aller de l’avant. Des guerres et des voyages d’exploration avaient été minutieusement préparés autour de cette table. Aujourd’hui, celle-ci n’était plus couverte de compas à pointes sèches ni de cartes en parchemin, mais d’instruments du XXIe siècle, postes de travail informatiques et consoles de communication. Maria y déposa en outre une grande chemise en kraft noir et, à l’autre extrémité, Jack déploya un écran vidéo relié à un portable qu’il avait ouvert à côté de la chemise.
Costas arriva à bout de souffle après un passage éclair au complexe d’ingénierie. Jack ferma la porte derrière lui et éteignit les lumières. Maria et O’Connor prirent place au bout de la table, entourés de Jeremy d’un côté, et de Jack et Costas de l’autre.
— Il y a quelque chose que je ne t’ai pas dit au téléphone, commença Maria d’un ton mesuré, les mains posées à plat sur la chemise en kraft. C’est la raison pour laquelle je voulais te montrer cela en personne. Le père O’Connor était à Oxford lorsque je suis arrivée de Hereford avant-hier soir et je lui ai immédiatement fait part de ce que nous avions découvert. Il est le plus grand spécialiste mondial de ce que vous allez voir.
Tandis qu’elle s’apprêtait à ouvrir la chemise, O’Connor posa la main sur la sienne.
— Ce dont nous allons parler ici doit rester secret, dit-il à voix basse. Cette histoire finira peut-être par faire les gros titres mais, en attendant, la moindre fuite pourrait tout mettre en péril. Et je ne parle pas uniquement d’archéologie. Des vies sont en jeu, peut-être même de très nombreuses vies.
O’Connor retira sa main et regarda les autres membres du groupe, qui approuvèrent tour à tour. Maria lui lança un dernier regard avant d’ouvrir la chemise, dans laquelle se trouvait un carton épais recouvert d’une feuille de papier de soie. Elle retira la feuille et tout le monde vit l’image qui l’avait pétrifiée deux jours auparavant dans l’escalier abandonné de la cathédrale. Costas siffla longuement et Jack se leva en tendant le cou pour mieux voir. Le vélin, qui mesurait environ un mètre carré, avait été déroulé et aplati sous une feuille de polyuréthane transparente. Même après avoir passé sept cents ans dans une cavité poussiéreuse, l’encre était toujours noire et indiquait nettement les contours de la carte.
— Fantastique, murmura Jack. Cela fait une éternité que je n’ai pas vu la Mappa Mundi, mais je la reconnais bien. On voit clairement la forme en équerre représentant la Méditerranée et la mer Rouge, qui divise les continents, l’Asie en haut et Jérusalem au centre. L’Europe et l’Afrique sont même indiquées correctement.
— Il ne fait aucun doute qu’il s’agit du modèle de Richard de Haldingham, répondit O’Connor. C’est le croquis que celui-ci a fait à Lincoln et qui a été copié et orné par l’enlumineur de Hereford. Maintenant, regardez l’angle inférieur gauche.
Jack, qui avait d’abord voulu avoir une vue d’ensemble de la carte, avait néanmoins repéré les fines lignes de texte et le croquis que Maria montrait du doigt. Il observa de près l’image située au-delà de la limite occidentale du monde, qui n’avait rien à voir avec la dédicace inscrite à cet endroit sur la version achevée de la carte.
— Ce sont bel et bien des runes ! s’écria-t-il avec enthousiasme. Je suis un peu rouillé, mais ça doit être ça.
Il indiqua la plus petite des deux inscriptions à Jeremy, qui hocha la tête et récita de mémoire.
— Harald Sigurdsson notre roi et ses compagnons de tolet ont atteint ces terres avec le trésor de Miklagard. Ils y festoient avec Thor dans le Walhalla et attendent l’ultime bataille du Ragnarok.
— Le Ragnarok est la bataille mythique de la fin des temps, lors de laquelle les guerriers du Valhalla partiront en quête de la gloire suprême, expliqua Maria. La seconde inscription et le croquis sont presque identiques à ceux de la carte du Vinland, qui représente la côte découverte par Leif Eriksson au-delà du Groenland, vers l’an 1000 apr. J.-C. Sigurdsson était le nom de famille de Harald Hardrada. Cela signifie que Hardrada et ses compagnons ont atteint l’Amérique une génération ou deux après que les premiers Vikings leur ont ouvert la voie.
— Avec le trésor de Miklagard, de Constantinople, murmura Jack. C’est la raison pour laquelle nous sommes ici. Si seulement je savais ce qu’ils ont emporté ! Ce n’était probablement pas un chargement de bronzes classiques.
— Regardez attentivement ces runes, lui dit O’Connor. Et vous comprendrez la véritable raison de notre présence.
Jack parcourut le texte de bas en haut, des dernières lignes où l’encre avait été le mieux préservée aux inscriptions presque effacées du haut. Les caractères semblaient appartenir à une version standard du futhark, l’alphabet runique nordique dont le nom était tiré de ses six premières lettres. Il ne remarqua rien d’extraordinaire jusqu’à ce qu’il arrive au symbole presque imperceptible du début, un signe légèrement plus gros que les autres, semblable à la lettrine d’un manuscrit enluminé.
Il prit la loupe que lui tendait Jeremy et se pencha pour regarder de plus près.
— Celui-ci est étrange, dit-il. Avec ses branches orientées vers le haut du côté droit, on dirait le signe de l’alphabet futhark qui correspond à la lettre F, mais il y a trois branches au lieu de deux et la même chose en symétrique de l’autre côté.
— Oubliez les runes un instant, lui conseilla Jeremy, qui hochait la tête impatiemment. Prenez du recul.
Jack leva les yeux, fixa Jeremy sans expression et regarda de nouveau le signe. Soudain, il se figea et faillit laisser tomber la loupe.
— La menora.
— C’est Jeremy qui l’a repérée le premier, précisa Maria après un long silence. J’étais trop absorbée par le tracé extraordinaire de la carte.
— Il y a de quoi être distraite, reconnut Costas.
— Mon père était issu d’une lignée de Juifs séfarades, ajouta-t-elle à voix basse. Ceux-ci ont été expulsés d’Espagne par le roi chrétien à peu près à l’époque où vos croisés essayaient de sauver la Terre sainte. Un des nombreux épisodes ironiques de l’Histoire...
Jack se rassit lentement, le visage paralysé par l’incompréhension. O’Connor rapprocha le portable de lui et inséra un CD dans le lecteur.
— Pardonnez-moi de m’en mêler, dit-il, mais, s’il s’agit de la menora, nous devons connaître son histoire. Et il se trouve que le mystère du trésor perdu du Temple est une autre de mes passions.