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Chapitre 22

Quarante-huit heures plus tard, Jack était voûté près de la poupe de la Seaquest II, la main sur loreille pour sisoler du bruit de leau qui bouillonnait dans le sillage du navire. Il venait de recevoir un appel dIstanbul de la part de Maurice Hiebermeyer. Il alla rejoindre Costas, Maria et Jeremy, assis sur un banc derrière lhélistation.

— Ça y est, je tentends, dit Jack qui tenait le récepteur contre son oreille. Bon, cest parfait. Rendez-vous demain matin dans la Corne dOr. Merci davoir pris le relais, Maurice. Bon travail. Je te revaudrai ça. Terminé.

Il ferma le récepteur radio et se faufila entre les cordes qui avaient été fixées au pont pour arrimer le Lynx après son arrivée. La Seaquest II retournait dans lArctique. Le projet scientifique du fjord glacé dIlulissat allait reprendre et plusieurs scientifiques qui avaient quitté le navire lors de son déroutement vers les Caraïbes étaient ramenés à bord par hélicoptère. La Seaquest II se trouvait actuellement à moins de cent milles nautiques à lest de Terre-Neuve et le dernier trajet du Lynx était prévu pour la fin daprès-midi. Malgré la houle, la mer était relativement calme et le ciel dégagé mais, tandis quils se dirigeaient vers le nord, les membres de léquipe craignaient la fraîcheur de lair, qui leur semblait encore plus intense après les quelques jours passés dans la jungle étouffante du Yucatan. Maria et Jeremy, emmitouflés dans des anoraks de lUMI, étaient blottis derrière le bastingage, à labri du vent.

— Cétait Maurice Hiebermeyer, annonça Jack. Les nouvelles sont excellentes. Ils ont fini par trouver des artefacts jetés dans la Corne dOr après le sac de Constantinople, en 1204.

— Lor des croisés ? demanda Costas plein despoir.

— Une statue colossale en bronze doré de lempereur Vespasien avec une dédicace indiquant quelle avait été initialement érigée dans le forum de la Paix, à Rome, après le triomphe consécutif à la Guerre juive. Ce nest pas vraiment ce que nous cherchions, mais ce sont les aléas de larchéologie.

— Ça, cest une bonne nouvelle ! sexclama Costas avec un soupir de satisfaction. Ma sonde a mis dans le mille. De toute manière, si mes souvenirs sont bons, beaucoup dautres objets ont été volés dans le temple de Jérusalem outre la menora. Nous les trouverons. Faites confiance à la technologie de lUMI.

— Cela va devoir attendre, déclara Jack. Maurice Hiebermeyer était impatient de me parler dune découverte faite dans le désert égyptien après notre retour de lAtlantide et jai fini par lécouter. Cest incroyable.

— Jespère que ce nest pas encore un papyrus, se plaignit Costas. Le dernier nous a déjà créé suffisamment de problèmes.

— Celui-ci est romain. Cest juste un fragment de manuscrit, mais il donne un indice fantastique.

— Encore une chasse au trésor ?

— Tu as déjà entendu parler dAlexandre le Grand ?

Costas reconnut la lueur qui brillait dans les yeux de Jack.

— Daccord, dit-il. Larchéologie, dans ces conditions, ça me va. Tu peux compter sur moi, du moment quil ny a pas dicebergs.

— Marché conclu !

Jack sourit et se tourna vers Maria et Jeremy. Son expression changea brusquement lorsquil vit lair abattu de Maria.

— Je voulais te demander Maria, commença-t-il dune voix douce, à propos de tes origines ukrainiennes... Je sais que la population juive était ashkénaze, mais en sais-tu davantage sur tes ancêtres ? Jessaie simplement de comprendre doù te vient cette passion pour les Vikings.

Le visage de Maria séclaira dun sourire mélancolique.

— Lorsque jai enterré ma mère, lannée dernière, répondit-elle, jai passé quelques jours en Ukraine. Je suis allée à la cathédrale Sainte-Sophie de Kiev où jai étudié les célèbres fresques. Jai observé les rois et les reines qui ont régné sur Kiev à lépoque des Vikings, les marchands et les guerriers qui sont venus par les fleuves à bord de galères. Des hommes blonds, barbus, incroyablement grands, le portrait craché de Harald Hardrada et de ses compagnons.

— Des Varègues, murmura Jack. Les Rus.

— Avant de mourir, ma mère ma raconté quelque chose à propos de sa famille. Une histoire de mariage, une légende familiale selon laquelle nous descendrions de la noblesse rus.

— Je men doutais.

— Il semble que je sois le seul ici à navoir pas de sang viking dans les veines, affirma Costas.

— Ny compte pas trop, répliqua Jack. Linscription de Halfdan dans la cathédrale Sainte-Sophie de Constantinople nest pas la seule preuve de la présence des Vikings dans le coin. Il y a une autre inscription runique sur une sculpture antique dAthènes. Il semblerait que Harald et ses hommes aient également fait un petit tour en Grèce. Ils sont allés à peu près partout.

Costas regarda une carte sur laquelle il avait tracé leur périple.

— Dans lhémisphère occidental, en tout cas.

Jack reprit son sérieux.

— Jai également eu des nouvelles du chef de la sécurité de lUMI au Royaume-Uni. Par mesure de précaution, Maria a envoyé le brouillon du dossier quelle préparait avec OConnor au chef de la sécurité de lUMI juste avant dêtre kidnappée. Interpol procède en ce moment même à une série darrestations dans des cercles très influents. Apparemment, le félag était impliqué jusquau cou dans la criminalité internationale : blanchiment dargent, trafic de drogue, darmes et dantiquités. Un des membres aurait même été à la tête dun vol audacieux sur le site dHerculanum, dans la baie de Naples, effectué juste sous le nez des autorités italiennes. On dirait que Reksnys nétait pas le seul à se servir du félag pour sen mettre plein les poches.

— Que nous sommes loin des idéaux héroïques de Harald Hardrada ! sécria Costas.

— Le nouveau félag navait rien à voir avec lui, fit remarquer Jeremy avec amertume. Cétait une organisation criminelle pure et simple, qui avait à peu près autant de légitimité historique que les nazis.

— Le dossier que le père OConnor et toi avez monté semble avoir été dune importance cruciale, dit Jack à Maria. Il a permis à Interpol de faire le lien entre différents criminels. Et maintenant quil y a une accusation de meurtre, on ne devrait plus entendre parler du félag avant un bon bout de temps.

— Et cet obscur personnage du Vatican ? demanda Costas.

Jack hocha la tête, le visage soudain assombri par linquiétude.

— Cest une exception, en effet. Reksnys a failli le vendre lorsquil se vantait de ses sources dans le temple, mais il sest interrompu au dernier moment. OConnor avait des soupçons concernant cet informateur, mais il voulait être sûr de lui avant de nous en parler. Son meurtre a coupé court à ses investigations. Cest la seule petite victoire de Loki. Mais qui que ce soit, nous pouvons être sûrs quil va se faire discret maintenant, au moins pendant toute la durée de lenquête. Pendant ce temps, peut-être découvrirons-nous de nouvelles informations, un indice sur son identité, dans les documents du père OConnor.

— Je vais retourner sur lîle dIona pour boucler le dossier, annonça Maria les yeux embués de larmes, en esquissant un sourire. Le père OConnor sera resté digne jusquà la fin. Vous vous souvenez de ce quil disait à propos des Vikings ? Notre destin est prédéterminé. Alors ce qui compte, cest notre façon de mener notre vie, sans compromis. Afin que nous puissions aller au Valhalla et nous ranger aux côtés des dieux pour lultime bataille du Ragnarok avec la certitude que notre honneur et celui de nos frères sont saufs.

— Il faisait partie de ceux que Hardrada aurait aimé avoir à ses côtés, dit Jeremy.

— Quel gâchis ! murmura Maria en baissant les yeux, la voix enrouée par lémotion. Tout ce savoir, toute cette humanité.

— Le savoir, cest la continuité, lui dit Jack avec douceur en lui posant la main sur lépaule. Cest transmettre la sagesse à la génération suivante, en sachant quelle pourra donner lieu à de nouvelles découvertes, à des révélations que lon nimagine même pas.

Il leva les yeux vers Jeremy.

— Je crois que cest ce que le père OConnor a fait.

— À propos ! sexclama Jeremy avec un enthousiasme soudain en montrant un paquet quil avait sur les genoux. Jai fait venir ça via Goose Bay lors du dernier trajet de lhélicoptère. Je voulais le voir de mes propres yeux avant de vous en parler.

Jack lui sourit chaleureusement.

— Je me doutais que tu navais pas encore dit ton dernier mot.

— Vous vous souvenez de la conversation que nous avons eue sur la disparition des Norrois du Groenland au XIVe siècle. De la possibilité que les Skraelings se soient emparés de toute la colonie occidentale ?

— Oui, eh bien ?

— Une découverte phénoménale vient dêtre faite à la bibliothèque de Hereford, annonça Jeremy rouge dexcitation. Les spécialistes de la civilisation norroise en rêvent depuis des années. Cest une découverte aussi fabuleuse que le trésor perdu de Harald. Voilà ce qui a été trouvé au milieu de tout le reste dans lescalier abandonné.

— Voyons cela.

Jeremy arracha le papier bulle et sortit du paquet un livre ancien orné dune reliure en cuir.

— Cest fantastique ! sexclama-t-il en se tournant vers Maria. Cest la saga perdue de la colonie occidentale du Groenland, la Vestribygôa saga. Écrite au XIVe siècle.

Maria retint son souffle et regarda par-dessus lépaule de Jeremy, qui ouvrait avec précaution le codex médiéval à la dernière page.

— Est-ce quelle explique ce qui sest passé ? demanda Costas.

— Sûrement, affirma Maria en parcourant le texte. Maintenant, tu peux certainement reconnaître ces mots.

Elle indiqua deux mots au centre de la page et Costas se pencha en avant.

— Haraldi konungi, notre vrai roi, lut Maria à voix haute. Harald Sigurdsson.

Costas siffla.

— Harald Hardrada ! sexclama-t-il. Ils se souvenaient de lui, près de trois siècles après son départ !

— Et regarde le symbole associé à son nom.

— Quoi, la menora ? sécria Costas, tandis que ses compagnons fixaient tous le symbole qui ressemblait à une rune au milieu des lettres latines. Nous sommes revenus au point de départ. Constantinople, Iona, le fjord glacé, le Vinland, le Yucatan, et nous revoilà dans la vieille bibliothèque de la cathédrale où tout a commencé.

— La boucle est bouclée, déclara Jeremy, mais cela ouvre une piste fantastique. Attendez de savoir ce que le dit le texte.

Maria traduisit lentement en suivant les lignes du doigt.

— « Anno Domini 1332. Les chefs du Vestribygô ont décidé de suivre leur vrai roi Harald Sigurdsson au Norôrseta et de lautre côté de la mer en direction de louest. »

Elle leva les yeux.

— Ils fuyaient loppression de lÉglise, notamment limpôt destiné aux croisades instauré au XIIe siècle. Les Norrois du Groenland étaient païens dans lâme. Pour eux, leur vrai roi, cétait Harald Hardrada et non un obscur souverain pontife de Rome.

— Alors où sont-ils allés ? demanda Costas.

Maria poursuivit en glissant le doigt le long de la page.

— « Au nord du grand fjord glacé où Halfdan lIntrépide est parti pour le Valhalla à bord de son navire. »

— Incroyable, murmura Jack. Cette saga mentionne Halfdan et le drakkar.

Il se tourna vers Costas.

— Ce nétait pas juste un rêve.

— Cétait plutôt un cauchemar.

— Il y avait cent vingt hommes, femmes et enfants et, après avoir rempli leurs navires de provisions, ils sont partis vers le nord-ouest et on ne les a jamais revus, poursuivit Maria. Ils ont été conduits par Erling Sigvatsson, Bjarni Tordsson et Eindridi Oddson.

Elle interrompit sa lecture.

— Je connais ces noms ! sexclama-t-elle. La pierre runique de Kingigtorssuaq, trouvée sur une île au nord du fjord glacé ! Cétait la seule pierre runique trouvée au Groenland avant la découverte du drakkar.

— Parfois toutes les pièces du puzzle semboîtent à la perfection, murmura Jack émerveillé.

— Est-ce que cela signifie que Bjarni et ses compagnons ont conduit les réfugiés du Groenland vers le passage du Nord-Ouest ? demanda Costas.

— Cest ce que laisse entendre la saga.

— Tu crois quils ont réussi ?

— Il ny a aucune raison quils aient échoué, répondit Jack. Cétaient les meilleurs marins qui aient jamais existé. Regarde jusquoù Harald et les quelques hommes quil lui restait sont allés après Stamford Bridge. Ils ont quasiment fait le tour de lhémisphère occidental. Sil ny avait pas de glace dans les passages menant de la mer de Baffin à la mer de Beaufort au cours de lété 1333, les Groenlandais ont très bien pu sen sortir.

— Des Vikings dans le Pacifique au XIVe siècle, songea Jeremy, avant les voyages dexploration des Chinois. Ils auraient battu tous les records.

— Tu pourrais envoyer quelques collègues anthropologues là-bas pour les soumettre à une série de tests ADN, murmura Costas.

— Excellente idée ! sécria Jack. Depuis le début, nous cherchons Harald, son trésor, mais le plus bel héritage quil nous ait légué, cest peut-être avant tout le peuple de lensemble du monde nordique, qui sest reconnu en lui et dont il a permis la survie. Son bref séjour au Groenland a peut-être été létincelle qui a sauvé ces hommes et ces femmes dune fin misérable des années plus tard.

— Dans ce cas, dit Maria en regardant Jack, je ne peux pas mempêcher de penser quil en aurait retiré autant de satisfaction que de nimporte laquelle de ses grandes victoires. Dune certaine façon, grâce à lui, les plus intrépides des siens ont vécu une vie héroïque et digne jusquau bout.

Jeremy referma le livre et le glissa dans son emballage. Maria et lui se levèrent entre Jack et Costas. Pendant un instant, ils restèrent debout tous les quatre à regarder par-dessus la poupe les rayons du soleil de laprès-midi danser au loin sur les vagues de lAtlantique. Jack se sentait rappelé par lhorizon du Vieux Continent, empreint du rayonnement de lHistoire, même si les rivages du Nouveau Monde avaient désormais un attrait quil naurait jamais pu imaginer à peine quelques jours auparavant. Il repensa à la Corne dOr, à Constantinople, et narrivait pas à croire quils avaient parcouru tant de chemin.

Costas tenait le pendentif en jade quils avaient trouvé à côté du squelette, sous le cairn, et observait les deux pièces en argent qui figuraient les yeux. Au bout dun moment, il regarda Jack, dun air légèrement perplexe.

— Alors cest tout ce quil nous reste du trésor de Harald Hardrada ?

— Une pièce viking, une pièce romaine, dit Jack en souriant. Cest plutôt pas mal, tu ne trouves pas ? Séparément, ce ne sont que des fragments dhistoire indépendants lun de lautre, mais ensemble ils témoignent dune aventure fantastique, que je naurais jamais crue possible. Nous lavons trouvé, le trésor de Harald. Ces pièces valent tout lor du monde.

— Une dernière question. La princesse byzantine, lautre trésor que Harald a ramené de Constantinople, lhomonyme de Maria, tu crois quelle est restée avec lui jusquau bout ? Jaimerais bien quelle ait survécu, quelle soit devenue une redoutable reine des Toltèques. Ça ajouterait un peu de piment à lHistoire.

— Comme si nous en avions besoin, après tout ce que nous venons de vivre ! sexclama Jeremy.

— Tu as cru voir une femme sur la fresque, une Viking, lui rappela Costas.

Jeremy acquiesça en se souvenant brusquement de ce personnage.

— Pour moi, elle incarne la légende des Walkyries, déclara Maria, ces cavalières du monde des esprits qui sélectionnaient les guerriers tués sur le champ de bataille pour les emmener au Walhalla et les servaient ensuite dans la grande salle des festins. Je pense que Maria est restée avec Harald jusquau bout. Elle fut sa compagne de tolet, une princesse guerrière. Elle a dû laccompagner dans lau-delà, en bonne Viking. Je pense quelle est là-haut maintenant et quelle festoie avec lui ainsi que les membres de sa noble confrérie, le vrai félag.

— Maria, reine des Walkyries, plaisanta Costas. Daprès ce que jai vu, ça te va bien !

— Il était temps que quelquun prenne la relève, dit Jack en souriant.

Le navire avait ralenti. Il était désormais immobile sur leau, tandis que les derniers remous de son sillage disparaissaient dans les vagues derrière la poupe. Le capitaine sortit de la passerelle et ses pas résonnèrent sur le pont.

— Nous avons atteint notre position, Jack, annonça-t-il. Quand vous voulez.

Jack hocha la tête et regarda la mer avant de se retourner vers un objet posé derrière lui sur le pont. Il retira avec précaution la couverture qui lenveloppait et le laissa étinceler dans le soleil. Cétait la superbe hache de guerre viking que Costas et lui avaient trouvée dans le drakkar, larme de Halfdan, qui les avait sauvés dune mort certaine dans la glace. Il ne lavait pas retouchée depuis le jour de leur terrible épreuve et il eut la chair de poule lorsquil referma la main autour du manche en chêne. Il tourna dun côté et de lautre la tête dacier dorée qui avait la forme du marteau de Thor, Mjøllnir, ornée dune tête de loup et de laigle bicéphale représentant Rome et Constantinople. Il passa la main sur les symboles runiques, la signature de Halfdan, des marques que celui-ci avait faites un millier dannées auparavant, lorsquil avait servi sous les ordres de son chef bien-aimé à la grande époque de la garde varangienne, dans la plus grande cité du monde.

Les compagnons de Jack sapprochèrent sans un mot et posèrent la main sur le manche.

— La chance du combattant, dit Costas.

— La chance du combattant, répéta Jack à voix basse.

Il y avait seulement dix jours que leur extraordinaire aventure avait commencé dans la Corne dOr. Jack repensa au père OConnor, à tout ce que cet homme avait fait pour combattre le côté obscur de lhistoire, au prix de sa propre vie.

La brume commença à descendre sur eux. Elle coupa le navire du monde extérieur, comme sils avaient fait un bond en arrière dans le temps. Juste au-dessus de lhorizon, à louest, sétendait le Vinland, lavant-poste le plus reculé des Vikings. Lespace dun instant, Jack eut limpression de voir sortir de la brume la silhouette spectrale dun drakkar, précédée du loup féroce que Costas et lui avaient aperçu dans la glace. Cétait comme sils se trouvaient dans un univers où la réalité devenait mythe, à la frontière entre le monde des Vikings et le monde des esprits, où avait commencé pour Harald et ses hommes un voyage rempli de découvertes terrifiantes.

Jack souleva la hache puis posa les lèvres contre lacier frais de la lame. Quelque part dans ces eaux froides, les derniers vestiges de liceberg libéreraient Halfdan et son drakkar après avoir suivi le courant qui avait porté le roi viking jusquà lultime bataille de la fin des temps. Halfdan devrait être prêt à combattre fièrement aux côtés de ses compagnons, ceux qui avaient été ses frères darmes à lépoque où les Varègues étaient des guerriers inégalés dans le monde des hommes.

Jack fit un pas en arrière, laissa glisser la tête de la hache derrière lui et, dans un geste ample, souleva le manche dans les airs. Emporté par le poids de larme, il la lâcha au dernier moment. La hache décrivit un grand arc de cercle au-dessus de la poupe et se mit à tournoyer dans un rayon de soleil illuminant la brume avant de disparaître derrière une lueur étincelante, comme un éclair surgi de nulle part, un flot dénergie provenant de lâge des héros. Puis elle fendit la mer et sombra pour ne laisser que quelques rides sur leau, rapidement balayées par les vagues. Étrangement soulagé, Jack eut le sentiment davoir un poids en moins sur le cœur. Il se pencha contre le bastingage et fixa la surface grise de la mer, entouré de ses amis. À voix basse, il prononça en vieux norrois les mots sacrés, ces mots qui avaient perdu toute connotation funeste et racontaient une histoire merveilleuse.

— Hann til Ragnaroks.