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Chapitre 9

Lhomme en soutane noire se dirigea avec assurance vers lentrée principale du palais apostolique. Sa tenue était en parfaite harmonie avec celle des autres prêtres jésuites rassemblés devant la porte. Il avait laissé derrière lui la foule de Saint-Pierre et déjà franchi le premier cordon de sécurité mis en place devant les portes de bronze donnant sur la place. Il avançait désormais vers le cœur même du Vatican, le siège du Sacré Collège, depuis lequel le Saint-Siège exerçait son influence bien au-delà de Rome, aux quatre coins du monde.

Deux gardes suisses se tenaient devant lui, resplendissants dans leur parure. Avec leurs hallebardes croisées devant la porte, ils auraient pu sortir tout droit de la Renaissance, sils navaient discrètement glissé un fusil dassaut Heckler & Koch derrière leur dos. Un officier de la garde prit la pièce didentité que lui tendait le jésuite et scruta attentivement celui-ci pour comparer sa barbe noire et ses yeux inexpressifs à la photo de la carte. Malgré la chaleur du début de lété, le visage était pâle et pincé, mais il ny avait rien de plus banal dans les murs du Vatican. Lofficier se tourna vers un secrétaire debout à ses côtés. Ils vérifièrent ensemble le niveau dautorisation sur un ordinateur de poche. Surpris, lofficier rendit immédiatement sa carte au jésuite.

— Vous pouvez entrer.

Le jésuite passa entre les armes que les gardes venaient décarter, échappant à la fouille corporelle et au détecteur de métaux. Il marcha tout droit le long dun large couloir, au rez-de-chaussée. Arrivé au bout, il tourna à gauche et continua jusquà ce quil arrive devant la porte très ornée dune chapelle privée, entourée de deux porte-cierges. Il frappa une fois et poussa la porte. Dans la pièce obscure éclairée uniquement par des cierges, un homme était agenouillé devant lautel simple de la chapelle. Il se signa et se leva, puis se retourna vers la porte. Le profil aquilin, les cheveux blancs, il était grand et portait la tenue épiscopale complète dun cardinal, avec une croix en or sur sa soutane écarlate. Il avait le visage doux, sans âge, de ceux qui ont passé toute leur vie dans les ordres, mais le regard tranchant dun homme que lambition avait amené au seuil du pouvoir suprême de lÉglise catholique.

— Éminence, dit le jésuite en sinclinant légèrement avant de refermer la porte derrière lui.

— Monsignor.

Les deux hommes sexprimaient en anglais. Le jésuite avait un accent à la fois sec et traînant qui aurait pu être sud-africain, et le cardinal, une pointe daccent nord-européen.

— Il est là ?

— Le second est dans son cabinet. Nous avions des soupçons et il sest confessé. Le Saint-Siège a perfectionné ses techniques de persuasion au fil des siècles.

— Et lautre ?

— Ce sera votre prochaine mission.

Le jésuite fit un pas en avant et sagenouilla devant le cardinal pour embrasser sa bague. Celui-ci retira rapidement lobjet sacré du majeur de sa main droite pour la remplacer par une autre, plus lourde, une chevalière qui miroita à la lueur des cierges lorsquil la tendit en avant. Le jésuite lui prit la main et embrassa le chaton plat les yeux fermés en passant les lèvres sur la forme familière, cependant quil tenait de son autre main sa propre bague pendue autour de son cou sous sa soutane. Il se leva, se signa et recula révérencieusement vers la porte. Au dernier moment, il leva la main droite en direction du cardinal. Il murmura quelques mots dans une langue aux accents surnaturels, des paroles jusque-là jamais prononcées dans ce lieu sacré, qui semblaient blasphémer contre tout ce que celui-ci représentait.

— Hann til Ragnarøks.

Il referma la porte de la chapelle derrière lui et se remit à marcher le long du couloir. Le bruit de ses pas résonnait contre les murs du palais. Il traversa une cour intérieure, leva les mains en prière lorsquil croisa deux dignitaires, et se dirigea vers une entrée discrète sur le mur den face. Soudain, les cloches de Saint-Pierre sonnèrent dans lair immobile de la ville, affirmant ainsi la souveraineté du Saint-Siège, comme elles lavaient fait depuis le déclin de lEmpire romain. Les murs de la cour encadraient le ciel, dans lequel deux immenses oiseaux de proie tournoyaient. Le jésuite entendait le grondement sourd de la ville au loin. Il baissa la tête sous la porte et regarda brièvement derrière lui avant de gravir lescalier qui menait au premier étage en tenant les plis de sa soutane. Il atteignit un couloir bordé de statues et daffiches annonçant des expositions, mais il ny avait pas âme qui vive. En effet, cétait un jour férié pour le personnel du musée. Il arriva à une porte, juste à lendroit quon lui avait indiqué, au-dessus de laquelle était écrit le mot Conservatori. Derrière, il y avait de la lumière.

Il sarrêta un instant, non parce quil hésitait mais pour mieux savourer ce moment. La tête penchée en avant et les poings serrés, il était debout dans lombre. Soixante ans auparavant, ses ancêtres nétaient pas parvenus à pénétrer ces murs. Ils navaient pas pu prendre le Vatican lors de leur marche triomphale à travers Rome. Désormais, il les vengerait et entrerait dans lHistoire. Il desserra la main gauche et la leva jusquà son visage pour passer lindex sur la cicatrice irrégulière qui vibrait sous sa barbe. Il appuya jusquà ce quil tressaille de douleur, puis glissa la main sous sa soutane et, de lautre, frappa trois fois à la porte.

— Entrez, dit une voix étouffée en italien.

Le jésuite poussa la porte et la referma derrière lui. La pièce était remplie de livres et de manuscrits. Tout au bout se trouvait un poste informatique et, à lentrée, un bas-relief fragmentaire était posé sur un piédestal, devant lequel était assis un homme dâge moyen en jean et en chemise décontractée, penché sur un carnet.

— Monsignor.

Lhomme termina décrire sa phrase sur son carnet et leva les yeux.

— Je ne mattendais pas à être interrompu aujourdhui. Que puis-je faire pour vous ?

— Vous êtes le conservateur en chef ? demanda le jésuite en italien.

— En effet.

— Vous étiez présent lors de la découverte de la chambre secrète située à lintérieur de larc de Titus, avec le père OConnor ?

Lhomme, lair abattu, jeta son carnet par terre.

— Eh bien, tout le monde a lair au courant ! Nous avons gardé le secret sur cette affaire. Jaurais préféré que cette chambre ne soit jamais découverte.

— Moi aussi.

Le Beretta silencieux cracha deux balles et lhomme fut brusquement projeté en arrière sur son tabouret. Avec une expression dhorreur mêlée de surprise, il chancela et saffala lourdement sur le sol, un bras replié sur le front, les yeux grands ouverts et remplis dincompréhension face à la mort. Le jésuite sortit la main gauche de sa soutane et la porta lentement à son visage. Il passa lindex sur la cicatrice de sa joue, encore et encore, de toutes ses forces, grimaçant de plaisir en regardant le sang suinter sur la poitrine du conservateur et saccumuler sur les pavés de pierre froids autour de lui.

Ce nétait quun début.

 

— Activation de la sonde glaciaire.

Costas se tourna vers Jack tout en parlant dans linterphone et les deux hommes levèrent le pouce en signe dapprobation. Pour la cinquième fois environ, Jack vérifia léquipement de Costas. Une fois quils se débarrasseraient du flexible, ils dépendraient entièrement de leur propre système respiratoire et de laide mutuelle quils pourraient sapporter. Il ny aurait pas dautre option, pas dissue de secours vers la surface. Léquipement de lUMI était conforme à létat de lart Un système informatique se chargeait de calculer leur mélange respirable et leur taux dascension sans quils aient à intervenir. Il avait été testé dans des conditions dextrême chaleur, six mois auparavant, dans un volcan submergé, mais cétait la première fois quils lutilisaient dans de leau à la limite de la solidification.

— Bon, cramponne-toi.

Suspendu dune seule main, Jack se balança et sagrippa à la barre de métal située à côté de Costas. Semblables à deux alpinistes sur un grand mur de glace, ils paraissaient minuscules à côté de limmense iceberg. Au-dessous deux la glace descendait à des centaines de mètres dans labîme, là où la pente du seuil donnant sur la mer plongeait dans des profondeurs inimaginables, dans un monde dune obscurité glaciale quaucun être humain navait jamais osé pénétrer.

— Il ny a quune solution de repli, dit Costas. Au moindre mouvement de la glace, nous passons au trimix. Si le bébé bascule par-dessus le seuil, on descend. Noublie pas que le trimix nous permet de respirer jusquà cent vingt mètres de profondeur. Cela devrait nous laisser un peu de marge.

Jack leva de nouveau le pouce et vérifia les trois tuyaux raccordés aux ports de son casque. À cette profondeur, le Nitrox quil respirait actuellement constituait la meilleure option. Sa faible teneur en azote fournissait un temps de plongée plus important que lair comprimé à trente mètres de profondeur, mais sa forte teneur en oxygène le rendait plus toxique au-delà de cette profondeur. Il arrivait par le flexible qui pendait au-dessous deux et conduisait au DSRV, dont la silhouette rassurante était encore en position, à quelques mètres derrière eux. Le second tuyau provenait du recycleur reposant sur sa poitrine, un système autonome quil activerait lorsquils atteindraient dix mètres de profondeur. Avec sa bouteille doxygène haute pression intégrée, le gaz idéal en eaux peu profondes, il lalimenterait pendant plusieurs heures. Comme le flexible de Nitrox et son système dévacuation, le recycleur ne laisserait échapper aucun gaz dans liceberg, puisque tous les gaz expirés seraient recyclés. Le troisième tuyau était raccordé aux bouteilles de trimix quil avait sur le dos, un système de gaz variable qui remplaçait lazote par de lhélium et lui permettrait de descendre à la profondeur maximale des mélanges respirables. Mais le trimix nétait quune option de secours, parce quil produirait du gaz à lintérieur de liceberg. Il savait quen réalité leur solution de repli ne représentait quun mince espoir. Sil glissait sur le seuil, liceberg serait en grande partie immergé et sa base tomberait à au moins mille mètres de profondeur. Si le mouvement de la glace ne les écrasait pas, la pression due à la descente brutale à une profondeur abyssale les tuerait sur le coup.

Jack chassa cette possibilité de son esprit pour se concentrer sur lappareil étrange qui se trouvait devant eux. Ils venaient juste douvrir la cage protectrice qui maintenait celui-ci contre liceberg et dattacher la bouée radio quils lâcheraient quand ils remonteraient à la surface.

La sonde était déjà en partie enfoncée dans la glace. Elle avait été mise en place un peu plus tôt par les deux plongeurs quils avaient vus depuis lAquapod. Un anneau en métal de deux mètres de diamètre  – la largeur du tunnel que la machine allait creuser  – était fixé contre la paroi. Le tunnel serait juste assez large pour que les deux hommes puissent avancer côte à côte. Il ny aurait guère plus despace. La tête surchauffée du tube était associée à une batterie de mécanismes de découpe au laser et à micro-ondes enchâssée dans le corps principal de la machine, un boîtier cylindrique dun mètre de diamètre qui se trouvait juste devant eux. Un hydropropulseur de petite taille mais puissant chasserait la glace fondue au fur et à mesure et propulserait la machine en avant. À larrière, au-dessus du rail de guidage, un écran LED répandait une lumière dun vert vif.

— Le câble électrique restera relié au DSRV le plus longtemps possible, ainsi que le câble à fibre optique, annonça Costas. Normalement, Ben et le pilote pourront voir tout ce que nous voyons sur lécran mais, avant quils partent, nous devrons débrancher le câble électrique et utiliser la batterie intégrée.

Il actionna un grand cadran situé au-dessous de lécran et se retourna pour examiner Jack à travers son masque.

— Tu es prêt ?

— Le nouveau système de chauffage de la combinaison environnementale fonctionne à merveille, observa Jack.

Il avait été saisi par le froid lorsquil était entré dans leau en sortant du DSRV. Mais Costas sétait souvenu de leffet débilitant de la blessure qui avait failli mettre un terme à la vie de son ami, six mois auparavant, dans le labyrinthe de lAtlantide.

— Sans cette bobine, leau du tunnel descendrait rapidement au-dessous de zéro, précisa-t-il avec enthousiasme. Cest de leau douce issue du glacier. Elle gèlerait plus rapidement que de leau salée. Nous serions transformés en glaçons avant davoir le temps de dire ouf.

— Merci de me donner les détails, répliqua Jack.

Il regarda avec un brin de scepticisme la bobine, une spirale vacillante de microfilaments qui pendait au-dessous deux. Celle-ci resterait en suspension derrière la machine lorsquils entreraient, et empêcherait la glace fondue de geler de nouveau et de les enfermer dans liceberg.

— Ça devrait marcher, ajouta Costas. En théorie.

— Laisse-moi deviner. Non, je ne le dirai pas.

Costas lança à Jack un regard pétillant et activa le canal externe de sa console de communication, située sur son épaule.

— Ben, on va y aller. Temps estimé pour arriver à la profondeur de découplage : vingt minutes. Terminé.

 

Jack regarda le trou de lentrée reculer au loin sous ses palmes. Ce nétait plus quune tache bleue, voilée par le tourbillon des microfilaments chauffés qui traînaient derrière eux. Au centre pendaient le câble électrique et le flexible qui fournissait lalimentation en Nitrox et pompait le gaz expiré. Enroulés ensemble, ils constituaient un véritable cordon ombilical les reliant au monde extérieur. Jack leva la tête et regarda avec fascination la sonde creuser un tunnel parfaitement lisse dans la glace. Elle avançait vers le haut à un angle de quarante-cinq degrés et à une vitesse de plus de deux mètres par minute. Dans sa combinaison, il navait pas conscience du changement de température de leau, mais le thermostat de son dispositif de régulation environnementale témoignait de la chaleur du jet deau qui était éjecté par la sonde et la faisait avancer dans la glace. Devant eux, leurs lampes éclairaient les parois du tunnel, dun blanc éblouissant. Mais sans cette lumière artificielle, ils auraient été plongés dans un monde de ténèbres, cernés de toutes parts par des quantités inimaginables de glace qui bloquaient les derniers vestiges des rayons du soleil bien au-dessus deux.

— Bon, nous avons atteint une profondeur de dix mètres au-dessous du niveau de la mer, annonça Costas. Je vais mettre la machine à lhorizontale et procéder au découplage.

Il ajusta la production de chaleur sur le tableau de bord situé en face de lui. Il réduisit la puissance des éléments inférieurs afin que la sonde fasse fondre plus de glace en haut et se place progressivement à lhorizontale. Jack regardait la progression de la machine sur lécran LED, qui affichait une image isométrique en 3D de liceberg, identique à celle que Lanowski leur avait montrée un peu plus tôt dans la journée. Celle-ci avait été générée par léquipe de surface à laide dun sonar à ultra-haute fréquence. Elle se composait de milliers de points, là où les ondes sonores avaient rencontré une résistance différentielle dans les crevasses et les fissures de liceberg. Lanowski avait repéré le point dentrée et litinéraire les plus appropriés pour réduire le risque de suivre une fissure de glace de regel et de rompre liceberg. Jusquà présent, son tracé sétait avéré sans faille. Ils navaient traversé que de la glace dun blanc trouble, dure comme du roc, qui sétait formée cent mille ans auparavant dans les profondeurs de la période glaciaire.

Costas activa de nouveau le canal externe de linterphone.

— Ben, ici Costas. Est-ce que vous nous recevez ? À vous.

— Costas, ici le DSRV, nous vous recevons cinq sur cinq, à vous.

— Nous avons atteint le point de découplage, à vous.

— Message reçu. Nous vous aurons à lécran tant que vous serez raccordés. Nous avons reçu un avis météorologique de la part du capitaine de la Seaquest II. Il y a une perturbation thermique au bord de la calotte glaciaire. Ce ne sera peut-être pas grave mais, par précaution, le capitaine va séloigner dun mille du fjord. Vous pouvez encore abandonner. À vous.

Costas et Jack se regardèrent à travers leur visière.

— On continue, répondit Costas. Nous ne sommes plus quà cinquante mètres de notre cible et nous nallons pas traîner. Nous serons ressortis dici une heure. Mais vous devez partir maintenant. À vous.

— Message reçu. Envoyez la bouée radio lorsque vous serez sortis de liceberg et nous viendrons vous chercher. Nous attendons le flexible. Terminé.

Costas ouvrit un interrupteur sur le tableau de bord de la sonde et débrancha le câble électrique. Lespace dun instant, la machine séteignit et Jack, saisi dangoisse, put presque voir leau geler autour de lui. Puis lécran LED et la rangée de spots située à lavant se rallumèrent lorsque la batterie prit le relais, et leau se mit à osciller et à miroiter de nouveau.

Les deux hommes se tournèrent lun vers lautre dans lespace confiné du tunnel de glace. Seuls quelques centimètres séparaient leurs visières. Costas répéta la procédure quils avaient revue plusieurs fois avant de quitter le DSRV et ils en franchirent méthodiquement toutes les étapes, tandis que chacun vérifiait léquipement de lautre.

— Activation du recycleur.

Jack imita Costas. Il ouvrit la soupape de sortie du recycleur posé contre sa poitrine et tourna le bouton situé sous son casque pour laisser passer le flux de gaz dans la jupe de silicone qui lui recouvrait le nez et la bouche. La première bouffée doxygène lui provoqua un fourmillement le long des bras et des jambes, un effet revigorant dont il se délectait à chaque fois quils utilisaient le recycleur. Accoudé inconfortablement contre la paroi du tunnel et appuyé contre Costas, il saisit le flexible de la main droite et, de lautre, ferma le port du Nitrox sur son casque.

— Retrait du flexible.

Simultanément, les deux hommes retirèrent le tuyau du Nitrox de leur casque et le laissèrent tomber sur le plancher du tunnel. Dans le même temps, Costas lâcha le câble électrique quil avait encore à la main. Désormais raccordés au recycleur, ils regardèrent les tubes entortillés du flexible glisser derrière eux et disparaître après le coude du tunnel pour refaire le chemin à lenvers jusquà la mer. Les spirales de microfilaments qui maintenaient leau du tunnel à létat liquide ondoyèrent, comme mues par une brise légère, puis se stabilisèrent progressivement pour se déployer sur toute la largeur du tunnel.

— Ben, découplage effectué. Nous serons hors de portée de communication dès que nous aurons atteint la couche de glace de regel. Pensez à nous préparer un bon jus quand vous reviendrez nous chercher. À vous.

— Message reçu. Bonne chance. Terminé.

Ils étaient désormais complètement coupés du monde extérieur. Ils ne pouvaient plus compter que sur eux-mêmes et sur léquipement complexe quils avaient sur le dos. En voyant le flexible disparaître, Jack avait éprouvé un certain malaise, le signe avant-coureur dune secrète faiblesse, la claustrophobie menaçante quil tentait constamment de réprimer. Des années auparavant, il avait failli mourir dans un puits de mine submergé et navait survécu que grâce à un échange dembout avec Costas. Ce traumatisme sétait réveillé dans le labyrinthe de lAtlantide, alors quil était affaibli par sa blessure. Il savait que Costas était conscient de son conflit intérieur, et le lien inexprimé qui les unissait lui donnait du courage. Il se cramponna au rail de guidage, à larrière de la sonde, et sobligea à se concentrer sur la découverte quils sapprêtaient à faire.

— En plein dans le mille ! sécria Costas. Regarde lécran.

Juste devant eux, lécran affichait une forme irrégulière, une image qui avait été recréée par le sonar. Cétait la couche deau de regel située en plein cœur de liceberg qui avait attiré lattention de Cheney et de léquipe de la NASA. Même le sonar à ultra-haute fréquence navait pu pénétrer plus loin et, sous cet angle, on ne pouvait deviner la forme extraordinaire que lon distinguait si clairement sur les vues verticales. Au centre de la masse noire se trouvait un réticule rouge signalant lendroit où le carottier avait prélevé léchantillon de bois et, un peu plus haut, un réticule vert indiquant leur objectif.

— Noublie pas, on prend des photos, on ramasse tout ce quon peut et on sen va, rappela Costas. Pas danalyse scientifique pour aujourdhui.

— Pour une fois je te suis, répondit Jack. Maintenant que nous avons la date dendrochronologique, je veux juste avoir la confirmation de ce que cest et en prouver lorigine. Quelques échantillons de plus et on y va.

— Pendant que tu toccupes de ça, je vais faire une aire circulaire au-dessus de la zone cible pour que nous puissions faire demi-tour avec la sonde et rebrousser chemin. Je salive déjà en pensant au café que Ben est en train de nous préparer.

— Allons-y.

Les deux hommes saccrochèrent côte à côte au rail et Costas réactiva la tête de la sonde, qui creusait toujours le tunnel en direction de la zone cible. La machine était désormais autonome. Rien ne la reliait au monde extérieur. Elle les entraînait tel un lent scooter sous-marin en senfonçant de plus en plus dans le cœur de liceberg. Costas veillait à ce quils ne descendent pas au-dessous du seuil de dix mètres, au-delà duquel loxygène devenait toxique. Tandis quils avançaient, Jack éprouva un sentiment dallégresse, comme si loxygène et ladrénaline dont il avait eu besoin pour surmonter son anxiété lavaient plongé dans une sorte divresse irrépressible. Les bulles minuscules qui donnaient à la glace son opacité laiteuse pétillaient dans leau et, soudain, il se rendit compte que ces poches dair essentielles au développement de la vie provenaient de la période glaciaire. Cétait lair quavaient respiré ses ancêtres les plus éloignés, des chasseurs-cueilleurs qui avaient parcouru le pourtour de la calotte glaciaire des milliers dannées avant lavènement de la civilisation. Il savait quil aurait un frisson de joie en approchant de leur objectif, mais il éprouvait à cet instant une sensation inattendue. Il avait le sentiment extraordinaire de remonter le temps à travers un tunnel, une expérience quil naurait pu vivre nulle part ailleurs sur terre.

— Ça y est !

Soudain, la glace blanche céda la place à un mur de glace aussi transparent que le verre, qui renvoya une lumière bleu foncé lorsque leurs lampes frontales léclairèrent.

— De leau de regel, dit Costas. Nous nen avons pas trouvé jusquici. Elle doit provenir dune des crevasses du glacier dont Lanowski nous a parlé.

Ils progressèrent encore de deux mètres, jusquà être entièrement entourés de glace transparente, puis sarrêtèrent. Lorsque le tourbillon provoqué par lhydropropulseur saffaissa, Jack saperçut quils se trouvaient juste au-dessus dune masse noire. À travers le voile bleu de la glace, il put voir que celle-ci se recourbait de chaque côté. Il se laissa tomber sur le plancher du tunnel pour mieux voir et posa directement sa lampe frontale contre la glace.

— Incroyable...

— Quest-ce que cest ? demanda Costas.

Il lâcha la sonde et descendit à côté de Jack pour se recroqueviller contre lui dans lespace étroit du tunnel.

— Du bois ! sécria Jack. Une quantité énorme. Cest le flanc dun bateau, dun navire en bois. Je vois des rivets, des rangées de rivets en fer rouillés le long de planches. Et les planches se chevauchent, la coque est bordée à clins. Cest bien ça. Cest un drakkar viking.

— Extraordinaire, dit Costas les yeux brillants à travers son masque. Et le bois est noir, carbonisé, exactement comme léchantillon issu de la carotte de glace qui a été analysé. La carbonisation sétend sur toute cette section. Ce bateau a brûlé.

— Un navire en feu sur la glace, murmura Jack. Tu te souviens de lancienne légende inuit que nous a racontée Kangia ?

— Cela explique la présence de ce cocon de glace transparente, limage transmise par le sonar, observa Costas. Ce nest pas de la glace fondue provenant dune crevasse, qui se serait accumulée pour geler de nouveau. Je pense que ce bateau brûlait lorsquil sest effondré dans la glace. La glace et la neige qui sont tombées sur le bois ont dû éteindre le feu assez rapidement, mais pas avant que la chaleur nait creusé cette cavité dans le glacier.

— Avant daller plus loin, jaimerais évaluer les dimensions, dit Jack.

— Le point cible se trouve à environ huit mètres dici. Cela devrait te donner un repère. Dès quon sera arrivés, je ferai demi-tour.

Quelques instants plus tard, Costas arrêta de nouveau la machine. Le bord dune immense masse de bois noirci était apparu sur le flanc gauche du tunnel et il rectifia la trajectoire de la sonde pour éviter de le heurter.

Lorsquils passèrent à côté, ils constatèrent quil était recourbé vers le haut et superbement orné de sculptures danimaux et de formes abstraites entrelacées.

— Le style dUrnes ! sexclama Jack. Maria ma énuméré les principaux styles de lart viking hier soir. Ces motifs sont incontestablement norvégiens et font partie dun style nouveau qui sest développé vers le milieu du XIe siècle.

Il tourna sur lui-même et regarda le bois qui sétendait au-dessus deux à travers la glace.

— Cest létrave, regarde ça !

Costas le rejoignit et dirigea sa lampe vers le haut du bois. Il siffla dans son détendeur quand il vit la dernière sculpture, une forme noire prise dans la glace à la limite de leur visibilité, une tête montrant les dents, les oreilles aplaties, qui dépassait dau moins un mètre de la proue recourbée du navire.

— Ce doit être Fenrir, le dieu loup, dit Jack à voix basse en pensant une nouvelle fois à Maria. Il semble être le gardien de ces lieux.

Ils se redressèrent et continuèrent à avancer. Au fur et à mesure de leur progression, une image fabuleuse se dessinait au-dessous deux, comme sils flottaient au-dessus dun diorama représentant une épave dans une exposition. Limage était remarquablement nette et ils voyaient à au moins cinq mètres de chaque côté, jusquà ce que la glace devienne trop bleue. Certains fragments de bois étaient intacts et dautres, carbonisés et écrasés par la glace qui avait dû seffondrer sur la coque avant que leau de fonte ne gèle de nouveau pour la protéger. Jack prenait des photos tout au long de leur trajet avec lappareil numérique intégré à son casque. Il murmurait des descriptions techniques à chaque fois quapparaissait un nouvel élément de la structure du navire.

— Cest une construction typique de la Scandinavie occidentale, tout à fait conforme à ce qui se faisait au XIe siècle. La coque de ce navire à voiles est plus profonde et le barrot plus large que sur les drakkars de lindustrie hollywoodienne. De toute façon, un navire de guerre à rames aurait été inapproprié ici. Ce genre de bateau était fait pour fendre rapidement les vagues et débarquer des hordes dattaquants, mais il avait une faible tonture et prenait facilement leau en haute mer. Il fallait un navire capable de traverser lAtlantique nord avec des passagers et des vivres et de passer des semaines en mer.

— Il a été réparé, remarqua Costas. Certaines planches ont été remplacées à lavant. La menuiserie nest pas la même. Peut-être ont-ils percuté un iceberg. Et regarde, il y a une rame.

— Cest un aviron de gouverne, un gouvernail latéral, précisa Jack en observant au-dessous deux la rame parfaitement préservée sur le bordé voilé du pont. Les Vikings navaient pas de gouvernails fixes. Une grande rame était accrochée à la poupe du navire. On dirait que celle-ci a été délibérément arrimée à bord près de la proue et non de la poupe. Ce navire nétait pas en mer lorsquil a pris feu. Et ce nest pas tout. Regarde ça. Cest incroyable.

Ayant traversé lavant du bateau, ils commencèrent à discerner des formes étranges, des objets qui semblaient avoir été empilés jusquà une structure sombre au centre de la coque, où aurait dû se trouver lemplanture du mât. Il y avait des masses informes quils reconnurent facilement en sen approchant, des peaux et des fourrures entourées de plateaux et dustensiles en bois. Costas rectifia rapidement le réglage de la sonde lorsque celle-ci faillit heurter le col dun grand pot en terre brisé au milieu des fourrures.

— Une amphore ! sécria Jack en ramassant un morceau de couvercle qui était apparu dans la glace fondue pour le ranger dans sa combinaison environnementale.

Une amphore à vin est-méditerranéenne, de la période byzantine. Au Groenland. Bizarre...

— Je suppose quils avaient besoin de se réchauffer dans les nuits fraîches de lArctique, dit Costas. Mais je croyais que les Vikings étaient des buveurs de bière.

— Certains dentre eux ont beaucoup voyagé, souviens-toi. Ils ont dû prendre de mauvaises habitudes à létranger.

Jack échafaudait des tas de scénarios dans sa tête et commença à envisager linconcevable.

— Je me trompe peut-être, reprit-il, mais je me demande...

À cet instant, un autre objet apparut sous leurs pieds, dans la glace fondue du tunnel. Cétait un long manche en bois dont lextrémité était encore prise dans la glace. Costas arrêta lhydropropulseur pour laisser le temps à la tête surchauffée de faire fondre davantage de glace autour de lobjet. Jack tira celui-ci avec précaution dans lespace étroit quil y avait entre eux deux.

— Bon Dieu ! sexclama Costas.

Cétait une immense hache de guerre à simple tranchant, avec un manche épais dau moins un mètre cinquante de long. La tête, qui étincelait de reflets dorés, était ornée de gravures des deux côtés.

— Elle a été dorée, murmura Jack, qui nen croyait pas ses yeux. Cest ce qui a protégé le fer de la corrosion. Une technique classique pour quune arme semble faite dor mais reste fonctionnelle grâce au métal plus dur qui se trouve sous le placage.

— Il y a des symboles de mon côté de la lame, observa Costas.

— De mon côté aussi, dit Jack.

Il mit la lame à plat pour que Costas puisse les voir. Une grande forme qui suivait les lignes de la tête de la hache était gravée en surface. Ce contour simple et symétrique sétendait sur toute la largeur de la lame.

Lintérieur était richement orné de motifs curvilignes entrelacés et de représentations danimaux sauvages. Une tête de loup montrant les dents surmontait lensemble des gravures. Jack montra du doigt une ligne de symboles, juste au-dessus de la lame.

— Mjøllnir.

— Quoi ?

— Il sagit dun nom norrois écrit en lettres grecques. Cest le symbole le plus puissant des Vikings, larme invincible de leur plus grand dieu, leur seul espoir de vaincre le mal à la bataille du Ragnarok. Mjøllnir, le marteau de Thor.

— Et loiseau là, au-dessus ?

Jack regarda de plus près.

— Je narrive pas à y croire ! sécria-t-il. Cest laigle bicéphale. Lune de ses têtes représente lancienne Rome et lautre la nouvelle Rome, Constantinople. Cest le symbole impérial de lempereur byzantin.

Émerveillé, il regarda Costas à travers sa visière.

— Nous venons de trouver une des armes les plus célèbres de lHistoire, une hache de guerre de la garde varangienne.

— En effet, regarde ça, dit Costas en retournant la hache pour que Jack puisse voir lautre côté de la lame.

— Des runes ! sexclama Jack, dont le cœur battait la chamade et pompait de grandes quantités doxygène dans le recycleur. Et pas nimporte lesquelles. Je ne suis pas un expert, mais il se trouve que je connais ces runes comme ma poche. Ce sont les mêmes que celles de la cathédrale Sainte-Sophie de Constantinople. Il sagit de la signature de Halfdan, le Viking qui a inscrit ces symboles païens dans léglise la plus sacrée de la chrétienté orientale au cours du XIe  siècle.

— Alors on aurait trouvé la hache de guerre de Halfdan, en conclut Costas sans vraiment y croire. Dans un iceberg au large du Groenland. Effectivement, ce type a beaucoup voyagé.

— Il y a encore quelque chose que je dois voir, reprit Jack. Il devrait y avoir une emplanture de mât et un traversin de baux au centre de la coque. Or on devine une sorte de structure rectangulaire. Je crois savoir ce dont il sagit, mais il faut que je le voie de mes propres yeux. Ensuite, on sort de là.

— Message reçu.

Costas réactiva lhydropropulseur et ils sapprochèrent progressivement de la structure sombre située quelques mètres plus loin. Jack garda la hache à la main un moment, encore ébahi par la découverte quils venaient de faire, puis la fixa sur son épaule, sous les courroies de ses bouteilles de trimix, en faisant attention à ce que la lame dorée ne se trouve pas contre la robinetterie. Refermant ensuite les deux mains sur le rail de guidage, il regarda attentivement le bord de la structure rectangulaire, qui commençait dapparaître au-dessous deux. À lintérieur, ils discernèrent une forme sépulcrale indistincte, qui semblait complètement différente de tout ce quils avaient vu jusque-là. Jack aperçut une autre série dartefacts, un casque conique doré au-dessus dune cotte de mailles dorée, le tout posé sur un tissu écarlate plié et brodé à lor fin, une cape de toute évidence. Juste au moment où ils allaient passer au-dessus de la structure, Costas lâcha le levier de commande et la sonde sarrêta.

— Je reçois un signal davertissement sur le sismographe, dit Costas. La machine doit simplement être un peu bancale, mais il faut que je marrête pour men assurer.

Jack éprouva tout à coup un malaise en voyant la lumière rouge clignoter en bas de lécran. Il navait rien remarqué danormal, mais les microfilaments qui traînaient derrière eux semblèrent virevolter plus longtemps que dhabitude après larrêt de lhydropropulseur.

— Non, il se passe vraiment quelque chose, déclara Costas.

Soudain, ils entendirent un horrible bruit de craquement, suivi dune série de violentes vibrations. Jack se mit à frissonner de façon incontrôlable, tandis que leau frémissait, et vit Costas et la sonde se transformer en masses indistinctes.

— Nom de Dieu ! On...

Les paroles de Costas furent étouffées par une sorte de hurlement effroyable, comme sils avaient été assaillis de toutes parts par dhorribles démons. Des morceaux de glace se détachèrent des parois du tunnel et ricochèrent comme des éclats dobus. Lun deux vint se loger dans la cuisse gauche de Jack après être entré dans lexosquelette de Kevlar comme dans du beurre. Jack, engourdi par une sorte de torpeur, regarda leau se colorer de volutes rouges tourbillonnantes. Après un grincement accompagné dune violente secousse, la sonde sarrêta et toute la partie avant fut complètement fracassée par un bouleversement sismique au sein de la glace.

Le silence envahit le tunnel. Costas tenta désespérément de réactiver la sonde, mais en vain. Lespace était devenu de plus en plus étroit. Leurs corps, serrés lun contre lautre, ne pouvaient quasiment plus bouger. Jack était recroquevillé contre le plancher du tunnel, son masque posé sur la glace, au-dessus de la mystérieuse structure rectangulaire.

Depuis que la sonde sétait éteinte, ils navaient plus que la lumière de leurs lampes frontales. Dans un effort surhumain, Jack parvint à tourner la tête pour regarder à larrière du tunnel. Ce quil vit confirma la pire de ses craintes. Le tunnel était complètement bouché, condamné par une sorte de perturbation tectonique au sein de liceberg. Il ny avait plus quun mètre derrière eux et cet espace étroit rétrécissait rapidement. Jack regarda avec horreur leau geler autour de ses pieds. Des morceaux de glace qui semblaient surgir de nulle part réfractaient la lumière comme un kaléidoscope et Costas lui apparaissait désormais dans une mosaïque de formes et de couleurs. Il essaya de tendre la main vers son ami, mais la glace lui opposait déjà trop de résistance. Il fut soudain ébranlé par une épouvantable certitude. Ils gèleraient dans la glace avant de mourir. Un cauchemar bien réel.

— On roule ! cria Costas. Passe au trimix !

Jack avait à peine remarqué le mouvement, mais celui-ci prit brusquement une ampleur phénoménale. Une énorme secousse, sans commune mesure avec celles qui lavaient précédée, le plaqua dans la glace contre la paroi du tunnel. Rassemblant toutes ses forces, il leva péniblement le bras dans leau en cours de solidification et parvint à atteindre la soupape située sous son casque, où il sentit la main de Costas, qui essayait de laider. Avec une lenteur atroce, il ouvrit sa soupape et Costas désactiva son recycleur avant de passer lui aussi au trimix. Quelques secondes plus tard, les premières bulles évacuées par leur soupape dexpiration pétillèrent entre les morceaux de glace. Certaines saccumulèrent à mi-hauteur du tunnel, prises sous la glace en formation, et les autres émergèrent tout en haut pour former une poche dair contre le plafond. Celle-ci sélargit rapidement. Jack séleva lentement jusquà elle lorsque liceberg bascula et, au moment où il arriva à la surface, le liquide recouvrant son masque, un mélange deau et de sang qui donnait à tout ce quil voyait une teinte surnaturelle, se mit à geler. Il était désormais presque immobile, incapable de bouger ses membres. À chaque respiration, la glace qui comprimait sa poitrine lempêchait de plus en plus dinspirer. Il savait quil nen avait plus que pour quelques instants. Il tendit le cou vers la droite, mais impossible de voir Costas. Linterphone de son casque némettait plus aucun signal, il nentendait plus que sa respiration laborieuse et un terrible grincement au loin, lécho des forces titanesques qui les avaient ensevelis dans liceberg sans leur laisser le moindre espoir den sortir.

Alors quil commençait à perdre conscience, il aperçut quelque chose sur le plafond du tunnel, au-dessus de la poche dair, et comprit quil sagissait de son propre reflet dans la glace. Sa respiration, rapide et rauque, devint de moins en moins profonde. Le manque doxygène de son corps blessé finit par létourdir. Il navait plus que des éclairs de conscience. La silhouette quil apercevait encore au-dessus de lui prit une forme vacillante et surréaliste, comme sil ne sagissait pas dun simple reflet. À travers son masque souillé de sang, il vit une robe rouge flottante, où il aurait dû y avoir une combinaison environnementale et, à la place de son casque de plongée, un visage barbu encadré de longs cheveux dorés. Dans son délire, il distingua un bras tendu vers lui, une main noircie étincelante dor, linvitant à sapprocher. Il avait trouvé ce quil cherchait, le guerrier qui était passé hors du temps dans ce navire, tel un spectre du Valhalla venu lemporter dans son étreinte. Il ferma les yeux sur cette image tandis que, dans un déchirement infernal, la glace se rompit et parut le propulser au-delà du présent dans la délivrance de loubli.