Entrée des artistes
Il me place sur le flanc gauche, deux coussins bien calés sous la hanche, ce qui relève mon cul en une attrayante petite arche oblique. Je pose donc la joue gauche sur le lit, tourne la tête et lève les yeux vers lui – avec lui on regarde toujours vers le haut, jamais vers le bas. Il se saisit d’un des tubes de K-Y épars autour du lit. J’adore le bruit du capuchon qui s’ouvre. En me regardant, il presse un peu de gel sur deux de ses doigts. Reportant son regard sur mon cul, il l’étale sur mes fesses avec un tel sang-froid que je ne puis croire à la chance que j’ai. Il le fait pénétrer délicatement, fermement, autour de mon trou du derrière, à l’intérieur, garnissant l’entrée, aplanissant le passage. Son visage arbore une expression des plus merveilleuses pendant ces préparatifs, ses yeux tour à tour plongés dans les miens, puis revenant à mon derrière. Il y glisse un doigt puis deux en observant ma réaction, sans jamais me lâcher du regard, pendant que je sens ses doigts qui me fouillent, nous reliant à la fois intérieurement et extérieurement, la boucle est bouclée. Ressortant ses doigts, il prend un peu plus de K-Y et enduit doucement sa queue sur toute la longueur.
C’est l’heure.
Tenant son dard, il le guide vers le creux de mon cul, comme un canoë qui s’engage dans un étroit ravin. Je sens son bout lisse, à la fois dur et satiné au contact de ma peau. Le centre de mon trou du derrière, à la façon d’un aimant, est attiré par la pression qui s’y exerce. Nous nous branchons. Sa clé dans ma porte, son anode contre ma cathode, sa prise mâle en ma prise femelle.
Et la lumière fut.
Pôle contre pôle, il me fourgonne, j’inspire, il pousse, je me relâche, il palpite, je m’ouvre, il pousse, pousse encore, je continue à m’ouvrir, il s’enfourne, ses yeux sont rivés aux miens. Et il m’envoie à bon port.
Parfois, ensuite, il se retire et toque quelque temps à l’entrée. D’autres fois, il glisse plus avant, plus au fond, lentement, très lentement, jusqu’à être enfoui au ras de mon cul, avec juste les testicules à l’extérieur. Il reste là un moment, sans bouger. Puis il s’enfourne plus loin encore. D’autres fois encore, il me met dans une autre position. À quatre pattes. Ou debout et penchée en avant, les mains plaquées au mur. Ou sur le dos, les pieds au plafond. Ou encore – une de ses préférées – les jambes sur la tête et le cul en l’air. Peu importe ma position, il reste au-dessus de moi, les yeux toujours baissés, à m’observer, m’aimer. Et, en général, il opère ces changements sans retirer son dard de mon tutu. Absolument mortel ! Mais, quel que soit l’angle, je sens sa queue grossir en moi, devenir plus forte, plus dure, s’enfouir davantage, fourrager dans mes angoisses, ma petitesse, ma fierté, ma vanité. Tel un aspirateur domestique, il aspire mes moi inférieurs, il ôte mes péchés, un à un tous sont absorbés. Dessous, il découvre ma candeur, mon innocence, celle que j’étais à quatre ans avant d’être frappée par La Main et de devenir enragée. C’est ce qu’il cherchait, c’est ce qu’il trouve, c’est ce qu’il me rend.
Quand je perds pied, je laisse choir mes mules une à une avec un bruit sourd. Il sourit et me dit affectueusement : « Maintenant on va s’amuser. » Et alors je prends le rapide du paradis. Ignorante comme je suis, je verse souvent des larmes. En vrai gentleman, par respect pour ma pudeur, il cache mes yeux sous sa grande main pendant qu’il me baise de plus en plus rudement, de plus en plus vite, me tirant encore plus de larmes.
Quand je me lâche enfin complètement, sans rien retenir dans le moindre repli de mon être, et que mon ego est annihilé, alors les rires commencent. Ils peuvent fuser pendant que je suis encore en train de pleurer, les forces à l’œuvre sont identiques, même si les larmes sont plus courantes. Mais je ne sais comment, quelque part en chemin, mon inconscient prend brusquement le dessus, et je ris, je ris, je ris. Et plus je ris, plus il m’encule, jusqu’à ce que plus rien n’ait de sens. Car, maintenant, on s’en donne à cœur joie. Il me regarde rire et puis, content de me voir partir avec lui, il m’encule de plus belle, toujours attentif, toujours présent. Mon fou rire alors redouble et je ris comme jamais je n’ai encore ri. La première fois, je l’ai tout de suite reconnu – le bêlement de la vieille bique. C’est le cri de celle qui est prisonnière du mystère de l’univers, de l’ironie de l’angoisse, de ces confins exécrés par l’ego. Ceux de l’extase.
Au début, la jouissance était si insoutenable que j’essayais de lui échapper, je voulais savoir ce qui m’arrivait. Mais il ne me laisse pas faire, me foutant si impitoyablement que toute tentative de reprendre le contrôle est vaine. C’est là que sa domination est absolue. Je suis son esclave et, malgré ma peur panique, il m’impose l’harmonie. À la longue j’ai fini par l’accepter ; non seulement elle me visite désormais, mais j’ai appris à la retenir. Pendant ce temps, il me regarde passer des pleurs aux gloussements ou au rire convulsif. « tu es folle, ma douce », dit-il. Lui-même a l’air un peu étourdi mais, à la différence de moi, il garde son sang-froid, il reste conscient.
Alors qu’il s’agenouille au-dessus de moi, lové au fond de mes entrailles, je lève les yeux et je vois l’être le plus beau que j’aie jamais vu. Comme le David de Michel-Ange, il a la poitrine large, la peau douce, des mains immenses, un visage béat. Je vois la beauté de cet homme. La beauté de l’homme.
C’est la première fois que je vois ça.