Sa queue

J’ai toujours trouvé les queues assez laides – autant ne pas y regarder de trop près. Ridées, asymétriques, avec des nuances de couleur disparates. Pendillantes et ridicules quand elles sont en berne. Torses, veinées et franchement bizarres une fois dressées. Cette protubérance étrangère était-elle censée me faire mouiller ? Visuellement, elle me laissait à sec. Visuellement, elle était comique. Et effrayante. Et ils veulent tous qu’on la leur lèche, qu’on la suce et la caresse. Beurk ! Le seul attrait que je lui trouvais, c’était celui de la métaphore : un monument à la verticalité du désir. Et tous ces poils indisciplinés partout. C’est insultant. Quand je daignais faire un pompier à un homme, j’avais toujours un cheveu sur la langue, au sens propre… Et ça peut prendre une éternité de retrouver le coupable frisotté ! Bref, une queue n’avait rien de beau pour moi.

En revanche, les femmes, elles, sont belles. Leurs seins, leurs hanches, leurs courbes, leurs fesses, leur visage, leurs yeux, leur bouche, leur odeur, leur chatte. Chez une belle femme, tout est, enfin, beau. Mes yeux verraient-ils un jour de la beauté dans une queue ? Je les supportais au pire et éprouvais au mieux une légère et fugitive tendresse. Et comme elles ne me faisaient pas beaucoup d’effet pendant les rapports sexuels, il n’y avait pas place pour elles.

Puis il est arrivé et tout a changé – oui, dès le trois premières heures. L’épiphanie de la queue. J’adore sa queue. Jusqu’au dernier millimètre ou centimètre, dans le moindre de ses mouvements, à chaque instant. La sienne a été la première à me parler, à me prendre, moi personnellement, à ne jamais me manquer. A-Man reste calme face à sa propre érection, ultime test de la dignité masculine.

Dans mon expérience, la plupart des hommes, quand ils bandent, ne se comportent pas comme si leur pénis était bien le leur, mais comme s’ils étaient soudain soumis à une espèce de système radar érectile qui les force à décliner toute responsabilité pour son comportement erratique. A-Man présente toutefois un paradoxe absolu. Rempli du même jus, des mêmes désirs, de la même turgescence, il ne perd jamais la tête. Il se sert de son désir pour créer un événement, repousser les frontières, pour faire quelque chose qui n’a pas déjà été fait. Il est le seul de ma connaissance à pouvoir évoluer dans un espace avec une érection d’enfer et avoir toujours l’air d’un homme qui a une mission – déterminé, vif, indépendant et espiègle. Il a l’érection la plus noble que j’aie jamais vue.

Parfois, nous évaluons jusqu’où, exactement, sa queue arrive dans mon ventre. Quelque part au centre, derrière mon nombril. Nous avons même mesuré avec un mètre à ruban. Difficile de dire l’angle précis. Ce qui est sûr, c’est qu’il remue mes entrailles de droite à gauche, vers l’avant, vers le haut, de côté et d’autre, et retour. Avoir une grosse queue dans le cul requiert vraiment votre attention, concentre toutes vos pensées. À chaque fois, la renaissance. J’en suis à près de cent cinquante jusqu’ici. Cela fait beaucoup pour recommencer sa vie. Après toutes ces enculades, vous devez vous demander pourquoi je compte toujours. Je suis anale ! Vous y êtes ! Retour à la terrible loi du deux.

Le meilleur moyen de sentir, de connaître, la queue d’un homme, c’est dans son derrière, où les parois adhèrent au moindre centimètre jusqu’au gland. Une chatte a moins de sensibilité, moins de terminaisons nerveuses, moins de force, moins de tonus musculaire… Et souvent moins d’intérêt.

Une chatte, génétiquement, cherche l’imprégnation, la jute ; un trou mignon attend le coup de sa vie. Les deux cavités, poserais-je en principe, réconcilient le problème de la mortalité sous forme de cavernes destinées à la création : les vagins pour les bébés, les culs pour l’art.

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À propos de Michel-Ange se pose la question de la taille du buisson. Du buisson masculin. A-Man taille le sien. Au début, il ne le faisait pas. Et puis, un jour, j’ai suggéré qu’une tonsure autour de la base de sa queue serait du meilleur effet, façon samouraï. « L’épilation est le fait d’un amant délicat Â», comme dit le Kamasutra. Il a réfléchi un moment, puis est allé promptement à la salle de bains et s’est assis sur le bord de la baignoire. Pendant que je tenais la torche électrique, il s’est coupé les poils. Encore, encore, et encore. Poussant plus loin l’idée de départ, il a tondu tout son buisson : côtés, dessus, testicules, dessous des testicules, tout. Désormais, on ne peut plus revenir au buisson. Mon contact manuel et buccal est bien meilleur, je n’ai plus de petits poils frisés plein la bouche. Et puis sa queue et ses couilles sont sublimes. Pourquoi tous les hommes ne se coupent-ils pas les poils ? Par vanité. Les poils camouflent leur honte. Plus de pilosité, plus de honte.