Les hommes

Malgré ces expériences inédites, les conventions ont la vie dure. Je persistais à essayer de nouveaux partenaires – auxquels, après coup, j’en voulais toujours amèrement de m’avoir laissée tomber dans le piège. Mais plusieurs plaisantes incursions se sont intercalées entre ces fiascos malencontreux. Ainsi l’acteur suprêmement beau qui défilait pour les maillots de bain Jansen, mais dont les yeux bleus fascinants semblaient seulement chercher leur reflet dans les miens. C’était la première fois que je découvrais chez un homme un narcissisme qui battait incontestablement le mien. Quelle faute de goût, songeai-je. Sa verge était énorme et, j’imagine, impressionnante, mais elle sentait le désinfectant et je ne m’en suis pas approchée. Le voisin costaud qui ressemblait à Nicolas Cage était un peu con sur les bords, mais il baisait si lentement que j’ai pleuré devant tant de beauté, tant de tristesse. Puis il y a eu mon autre voisin, le motard. Je n’avais jamais fréquenté un amateur de Harley Davidson, je n’avais jamais fait l’amour renversée sur une Harley, à cheval sur une Harley. J’en ai perdu une boucle d’oreille que j’adorais. Le mignon livreur de journaux, le cliché était trop beau pour résister. Et il livrait bien à domicile.

J’ai tenté de renouer avec un ancien petit ami. Mais c’était un grand ami, pas un amant. Ensuite, il y a eu le gars qui me tenait fermement d’un bras, sa langue enfouie dans ma bouche, son dard vertical contre moi, tout en agitant frénétiquement sa main libre pour qu’un taxi le débarrasse de moi. C’est devenu mon icône préférée de l’ambivalence masculine.

Il y a eu encore le magicien qui était capable de tirer mon valet de cÅ“ur d’un bloc de béton, quelques secondes à peine après que je le lui avais tendu, mais qui, chose remarquable pour un illusionniste, n’a pas su me brouter le minou pour sauver sa mise. Les talents varient. Un sosie de Paul Newman m’a débusquée au Starbucks Coffee, son regard a croisé le mien. Il était capable d’éjaculer, de continuer à bander et de jouir encore, souvent trois fois d’affilée. Mémorable. Je me demandais si c’étaient trois vrais orgasmes, ou s’il avait simplement appris à en fragmenter un gros pour impressionner les filles. Il postula même au statut de petit ami, mais ses tapes protectrices sur mes fesses m’énervaient au plus haut point. Un soir où il vint à notre rendez-vous en me demandant s’il pouvait pendre dans ma penderie sa chemise propre pour le lendemain matin, je compris que j’en avais fini avec lui. Quelle présomption ! Sexe ne veut pas dire petit déj’…

Heureusement, les beaux garçons – grands, sveltes, posés, sérieux, amoureux, pleins de poésie et de musique – n’ont jamais songé à passer la nuit chez moi. Mais ils ne savaient pas non plus baiser. Deux amoureux des pieds m’ont intriguée. À force de lécher, d’embrasser, de flatter les miens chaussés de talons aiguilles, ils obtenaient des érections d’acier. Mais était-ce pour moi ou pour mes souliers ? Certes, j’ai quelques paires de chaussures sublimes. Tous les deux avaient une grosse verge – longue comme mes talons, assez curieusement-, ce qui dissipa tout préjugé que j’eusse pu avoir sur la nature compensatoire de leurs fétiches.

Un charmant jeune Français a exhibé le plus gros dard que j’eusse jamais vu de près. Il s’est agenouillé au-dessus de moi et a pointé son énorme attribut vers ma bouche en gémissant : « Suce-moi, suce-moi… Â», avec un fort accent français. L’engin était du calibre d’un épi de maïs. J’étais terrifiée. Les préservatifs, trop petits, nous faisaient la sale blague de ne cesser de remonter jusqu’au gland. À la fin, j’ai réussi à en dérouler un sur dix centimètres, avec de la bite en veux-tu en voilà, et on s’est offert une bonne baise brute de béton.

Après avoir médité l’évidence de mes escapades sexuelles du moment, je conclus que je n’aimais pas le coït. Le Jeune Homme avait été une curieuse exception. Soit mes partenaires n’étaient pas assez bien montés et je ne sentais pas grand-chose, et toute l’affaire me laissait un goût d’amertume : la Princesse au petit pois. Soit ils l’étaient tellement bien qu’ils me blessaient, et ma colère grandissait à chaque nouvel assaut, jusqu’à ce que je fusse en proie à une rage folle.

D’ailleurs, je n’ai presque jamais eu d’orgasme en baisant, sauf avec le seul gars qui m’ait ordonné de grimper sur lui et de « me faire Â» venir. Pendant qu’il se contentait de rester étendu là, le corps et la bite raides, je suivais ses instructions et frottais mon clitoris sur son os pubien. Mais, pensais-je, ce n’était pas la jouissance de la copulation, c’était se masturber avec un gode vivant. J’ai fini par ne plus apprécier ses ordres jusqu’au jour où ma seule défense, ironiquement, a été de ne pas jouir.

Tout homme qui me foutait risquait mon mépris — et la plupart le méritaient. Les plus malins se tenaient à distance ou insistaient pour qu’on reste amis, tandis que les plus arrogants s’y mettaient de tout leur cœur, à leur immense satisfaction… Et à leur éternel regret. Il y avait aussi, bien sûr, les romantiques qui s’imaginaient désirer une femme comme moi — mais ils se rendaient vite compte de leur méprise dès qu’ils avaient compris ma version de la romance.

Étais-je homosexuelle et perdais-je mon temps avec les hommes ? J’adore les femmes belles, féminines, intelligentes. Si j’étais si peu encline à la pénétration et si clitoridienne, peut-être était-ce là ma voie. Mais les hommes conquérants – ou plutôt les protestations qu’ils m’inspirent – m’ont toujours semblé un défi bien plus intéressant. Je pense que toute femme aime sentir une queue entre ses jambes, en dernière analyse. En veut-elle une bien à elle ou peut-elle en supporter une qui soit celle d’un homme ? Là est la question.