Préparatifs
« Si vous voulez tout, les dieux vous le donneront.
Mais vous devez vous tenir prêt. »
Joseph Campbell
Je sèche les tubes de K-Y tout propres sur ma serviette de toilette, puis les range dans le tiroir de ma table de nuit. Je ferme les robinets de la baignoire et me déshabille dans la chaleur moite. Les genoux remontés, je remplis ma chatte d’eau, et je la fais jaillir à la façon d’une fontaine immergée. Je regarde les ondes concentriques, en soulevant parfois mes hanches afin de pouvoir observer ma fontaine en surface. Après avoir trempé, m’être savonnée et rasée, j’ôte la bonde, m’accroupis sur mes talons et, avec un médius légèrement enduit de savon, me nettoie délicatement le cul et le baigne bien à l’eau chaude. On peut y manger dessus comme dedans, tant il est propre.
Une fois sortie de la baignoire, je me sèche, m’hydrate et me talque le corps entier – les mollets, les cuisses, les fesses, le ventre, les bras, le cou, la poitrine –, me brosse les dents et les cheveux, me parfume les poignets et la nuque, et me farde les lèvres avec un brillant rose liquide.
Je prépare la chambre, débarrasse le lit de tous les livres, journaux, revues et télécommandes qui l’encombrent, et empile les oreillers à un bout. Je sors du placard Pink Square, un coussin rectangulaire que j’ai acheté pour son motif de fleur de lys. Il n’est pas assorti aux couleurs des autres, mais se glisse parfaitement sous mon bassin, le soulevant juste à hauteur de verge. C’est un des accessoires préférés d’A-Man. Un jour où j’avais oublié de le poser sur le lit, je l’ai vu fouiller la chambre des yeux un moment, inquiet : « Où est passé Pink Square ? »
J’entre dans mon vestiaire et imagine une tenue. Parfois un string et un soutien-gorge noirs ou, de temps à autre, un slip fendu quand j’ai envie d’être une salope. Mais le look de salope ne prend pas beaucoup avec A-Man ; il se borne à sourire d’un air indulgent à la vue de ces délicates petites merveilles ouvertes, qui ne le rebutent pas non plus.
Mon choix le plus fréquent se porte sur une robe longue en soie ou en velours, élégante mais facile à trousser. Si je suis davantage d’humeur à m’exposer, j’opte pour un short court et moulant, avec un haut étriqué. Dame ou pute, je chausse des mules à talons hauts et les garde tout le temps – ou, du moins, j’essaie de les garder. Le bruit de ces chaussures qui heurtent le sol, tombées une à une de mes pieds sous les assauts de mon amant, est pour lui le signe que tout va bien, que nous nous envoyons en l’air maintenant, qu’elle – moi -a déjà perdu la face, perdu pied, et même ses mules. D’ordinaire, c’est quand il est bien au fond de mes entrailles que je ne peux plus me raccrocher à ces talons.
J’étale ma parure sur le lit, remplis deux bouteilles d’eau que je dispose autour de la pièce et lui ouvre une bière fraîche. Je tire les rideaux et allume des bougies – au moins dix. De l’encens s’ajoute à la fumée, la chapelle est prête pour sa confession – et mon baptême. J’éteins le répondeur et mets de la musique. Mon cœur balance entre les chants grégoriens New Âge – ce qu’il commente avec le sourire d’un « Oh ! nous avons droit à une sainte baise aujourd’hui ? » – et Léonard Cohen ou Tom Waits, qui se plaignent comme eux seuls en sont capables, avec une angoisse inimitable. Mais Ella chantant Gershwin, il n’y a pas mieux. Ella est sexy mais pas fade, joyeuse sans être douceâtre, sérieuse et pourtant drôle – et complètement subversive. Ella swingue, elle m’a appris le swing. Elle parle de pétasses, de traînées, de Delilah et de boy-and-girl enjoyment, du « plaisir garçon-fille ». Mais, à la fin, c’est le rythme. Le rythme de la turlute. Ella m’a donné l’inspiration de sucer un dard comme elle chante. Avec régularité, légèreté, coquinerie, indulgence, liberté, en profondeur.
Enfin, la dernière réplique avant son entrée. Le téléphone sonne. Il me murmure à l’oreille : « C’est l’heure. » Ce qui me laisse dix minutes pour l’ultime rituel. Le rasage du con. Je le fais en dernier, par habitude. Au début, j’étais si peu sûre de sa visite, si réticente à croire que je pourrais retrouver cette jouissance, que j’étais trop angoissée pour me raser avant ce dernier appel. Je ne voulais pas apprêter mon mont de Vénus pour rien. Une chatte qui est rasée de frais sans être attendue à une fête est en effet un triste spectacle. Ce serait plus de déception que je n’en saurais supporter. Aussi je me rase en dernier.
Je suis nue désormais, mais j’ai toujours mes talons hauts. Je ne peux pas me raser la chatte sans porter mes talons, je n’ai jamais pu. Ils allongent mes jambes, transforment mon corps en un chevalet offrant la toile, mon entrejambe, à la première esquisse. Je ne sais pourquoi, cela me fait penser à Jackson Pollock. Même si je suis plus précise que lui dans l’exécution.
Après avoir sorti deux rasoirs roses Daisy du tiroir, je retire la protection de plastique du premier. J’aligne les accessoires : miroir, talc pour bébé, gel à l’aloès.
À ce moment crucial, prête à commencer, mais avant le premier coup de rasoir, je relis toujours le poème de William Blake que je laisse sur le rebord de fenêtre de la salle de bains dans son petit cadre vert et doré. « Éternité » est son titre.
Joie, à vie ailée,
Brisée d’être conquise,
Aube de l’éternité
Par le baiser qui la cueille au vol.
Ce quatrain est la raison par laquelle j’ai eu le courage, jour après jour, mois après mois, de mettre de côté mon angoisse de la perte pour continuer avec A-Man au présent, la seule dimension où nous existons ensemble. Dans ces vers, je trouve la force de me raser la chatte, risquant ma dignité à chaque coup de rasoir. Je parie que Bill Blake n’a jamais pensé que sa profonde petite strophe trouverait un usage si pratique pour un acte aussi profane sur un terrain aussi sacré. Peu importe, il est mon prophète.
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La présentation de la chatte est un sujet captivant. J’y crois absolument. Taillez ce buisson sauvage, les filles, laissez-lui bien voir, laissez-lui avoir accès. La cire ne marche pas. L’effet dure une semaine, suivie de trois semaines de chaume et de boutons jusqu’à la prochaine épilation. Je préfère donc me raser pour chaque rendez-vous. Je le fais à sec, utilisant chaque fois quantité de talc pour bébé et deux rasoirs à double lame jetables neufs. À rebrousse-poil, mais délicatement. Je ne me coupe jamais, je ne m’arrache jamais non plus de lamelle de peau comme quand on se rase à l’eau.
La coupe, enfin. J’ai commencé par une simple tonte des côtés, par le « slip du tutu », en souvenir de ma période de danseuse – un beau triangle isocèle. Mais ensuite je suis allée dans quelques boîtes de strip-tease et j’ai été jalouse de ces chattes lisses et complètement exposées. Maintenant je rase tout ce qu’il y a entre, pour bien dégager mes lèvres soyeuses, ô combien, et laisse juste un ravissant petit triangle sur le dessus. Mais avec un soin tout particulier je recoupe de part et d’autre du haut de ma fente, rien que pour rehausser et exposer la grotte magique. Très sexy, très porno. Sur mon lit, cul par-dessus tête, le miroir à la main, je rase encore les quelques poils autour de mon anneau – afin que ma peau soit douce comme celle d’un bébé. Grâce à cette vision, je parviens vraiment à voir ce qu’il voit, ce qu’il aime, où il va. Mon rosebud, mon bouton de rose… Pas celui de Citizen Kane(17).
Je me pare. Trois coups décidés résonnent à la porte. Je suis prête.