LA trinité

Si la traditionnelle baise à deux restait pour moi un champ de mines, le triolisme continuait de faire mes délices. La rousse préraphaélite organisait de petites fêtes intimes. Nous nous sommes retrouvés tous les trois environ une fois par mois, avec une régularité non préméditée, pendant plus d’un an. Je suis revenue plusieurs fois à mes amants du nouvel an, affamée d’amour et de liberté – un duo auparavant impossible dans mon expérience. Dans l’Évangile gnostique de Thomas, Jésus dit :

« Lorsque vous ferez le deux Un, et que vous ferez l’intérieur comme l’extérieur, l’extérieur comme l’intérieur, le haut comme le bas, lorsque vous ferez du masculin et du féminin un Unique… alors vous entrerez dans le Royaume. Â»

Un jour, je me suis aventurée sur le bas-ventre de la préraphaélite. Pour la première fois. Terrifiée. Curieuse. Je voulais voir sa jouissance afin de connaître la mienne. C’était une vraie rousse. Pour une hétérosexuelle, faire minette est irrésistible. La première fois que vous vous trouvez devant une chatte – vous ne pouvez pas voir la vôtre d’aussi près et sous cet angle –, c’est comme regarder le narcissisme en face avec un « Oui ! Â» jubilatoire. Profond. Mouillé.

Il peut être parfois si difficile d’être soi-même dans sa propre vie sexuelle. En compagnie féminine, l’identité d’une femme en prend un coup : elle est moi, je suis elle, son plaisir est le mien, mon plaisir est le sien. La source, le centre, l’origine du monde, vous remplit la vue. Je me suis collée à mon propre sexe et j’ai appris à m’aimer. J’ai aussi éprouvé une nouvelle compassion pour les langues fourrées masculines. Une vulve est un paysage sauvage et trempé de montagnes, de vallées, de ravins et de trous grandioses qui vous engloutissent comme des sables mouvants. Une fois dedans, vous ne pouvez plus vous échapper. Le cunnilingus est un acte de bravoure.

Mais la rousse montra moins d’hésitation et me goussa en femme qui connaît son affaire. Audacieuse, prévenante et impitoyable. Ses doigts me semblaient autant de langues, sa bouche celle d’un bébé qui me tétait. Je suis rebelle aux doigts des hommes. Trop brutaux, trop gros, trop rapides. Mon bouclier se dresse, mon bouton se cache. Avec elle, mes orgasmes étaient longs, francs et libres.

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Au nouvel an suivant, nous nous sommes encore réunis tous les trois. Notre hôtesse nous avait réservé une surprise : sa belle et jeune amie belge, qui pleurait la perte de son amant chanteur de rock. Un, deux, trois, quatre : trois d’un sexe et un seul de l’autre. Elle, moi et lui… Et elle. Je fis un strip-tease sur Led Zeppelin, virevoltant autour des affriolantes tentures de velours vert qui masquaient la porte de son boudoir – façon Vivien Leigh déchaînée dans Autant en emporte le vent.

Malgré sa timidité, la petite Belge ne se laissa pas effaroucher. La rousse et le Jeune Homme échangèrent des regards hypocrites ; en moins de rien, ils nous avaient alignées, la jolie Belge et moi, côte à côte sur le lit. Il me brouta le minou pendant que la rousse dévorait celui de notre nouvelle compagne de jeux. Je regardai à ma gauche, croisai le regard de la Belge et lui pris les mains. Je me sentais en sécurité. Plus tard, lui et moi nous retrouvons le visage enfoui sous le cul blanc satiné de la Belge à genoux, nos lèvres proches des siennes, que nous léchons à tour de rôle. « Broute-la Â», chuchoté-je, et je le vois gamahucher, et sucer, et boire son con, un autre con. Cela m’emplit de joie. Plus tard encore, nous avons déroulé un deuxième futon et nous sommes endormis tous les quatre, allongés les uns contre les autres. Au matin, sous les yeux des deux autres filles, je me suis empalée sur la queue bien dure du Jeune Homme. La Belge a tendu le bras et lui a tenu la main pendant que nous baisions pour elle, pour nous… Avec une fougue diabolique. C’était le nouvel an. C’était ma vie de célibataire.

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Le Jeune Homme et moi baisions aussi en tête à tête. Mais, quand la rousse m’a annoncé qu’elle l’avait séduit en mon absence, cela ne m’a pas plu. Mais pas du tout. Ce qui s’était passé était légitime et démocratique – notre trio n’avait pas de règles – mais c’était épouvantable de se sentir exclue de la fête. Et tout aussi épouvantable, dans ma nouvelle hardiesse sexuelle, l’expérience d’un sentiment aussi honteux que la jalousie. Jamais jusque-là je n’avais éprouvé cette souffrance particulière, n’ayant connu que des hommes fidèles. Nous nous sommes donné rendez-vous tous les trois chez lui pour tenter de parler de ce qui me tourmentait.

Je jouais avec le feu, très bien. Mais ma flamme était si ardente que je ne pouvais ni ne voulais reconnaître l’avertissement qui venait de m’être donné. Entre toutes ces extases défendues auxquelles je me livrais, je pleurais toujours régulièrement mon mariage et interprétais encore tout chagrin comme une faiblesse affective. Cela me paraissait si conformiste d’être jalouse, si bourgeois. Je pouvais sans doute surmonter ce travers avec un peu d’entraînement. Avec la bonne attitude bohème.

Ils combattirent ma peur – peur de le perdre, peur d’elle, peur de notre triangle magique – en m’assurant tous les deux de leur amour. Je leur ai dit que je les aimais moi aussi… Et que je voulais les voir baiser. J’ai mis une capote au Jeune Homme puis, penchée sur son dos, j’ai guidé sa queue entre les jambes de la rousse jusqu’à son sexe. Nous la contemplions tous les deux, notre tendre petite rouquine, pendant qu’il la foutait, et je me suis vue à sa place : pâle, vulnérable et transpercée. Mais j’étais aussi lui, je la baisais avec une superbe grosse queue, chevauchant le dos du Jeune Homme pendant qu’il palpitait en elle. En moi.

Peu après je m’allongeais sur le dos, et elle montait sur moi, petite, blanche, fragile. Seins contre seins, bouche à bouche, nous collâmes nos chattes l’une contre l’autre, la rousse et la brune, la sienne mienne, la mienne sienne. Par-dessus elle, il me pénétra : six jambes superposées. Je levai les yeux vers leurs deux visages qui me souriaient pendant qu’il me fourgonnait. Je les pris dans mes bras, consciente que c’était un des grands moments de ma vie que d’être engloutie, nichée dans l’amour. Il est moi est elle est il et nous roulons, copulons, ruisselons, rions, existons.

Ce feuilleté, ce sandwich sexuel, devint le symbole de ma théorie finale sur notre trio. Lui et moi profondément liés, avec elle dans le rôle de sage-femme, de tampon, de catalyseur, de colle magique. Ainsi que Colette l’observe, « certaines femmes ont besoin d’autres femmes afin de préserver leur goût pour les hommes Â». Elle nous allégeait, nous séparait, et disséminait la bouleversante passion qui nous liait. Elle atténuait le terrible tourment de l’amour.

Plusieurs mois plus tard, il nous annonça qu’il quittait la ville pour prendre un travail – cela pouvait durer des mois et des mois, peut-être toujours. Nous avons organisé en hâte un rendez-vous. Après l’arrivée du Jeune Homme, elle téléphona pour nous proposer de commencer sans elle, elle avait du retard. Elle frappa à l’instant précis où nous finissions de baiser. Nous l’avons accueillie dans le plus simple appareil, mais elle était vêtue de velours rouge et de soie verte, avec des roses naines blanches piquées dans les cheveux, comme Ophélie.

Ils me dirent de rester étendue là et de me détendre, pendant qu’eux se pressaient au-dessus de leur proie. Les doigts du Jeune Homme caressèrent mon bourgeon, s’enfoncèrent dans mon con et pénétrèrent mon cul, pendant qu’elle se penchait sur moi, dans une pluie de longs et soyeux cheveux cuivrés, pour me chuchoter : « Je t’aime, je t’aime, je t’aime… Â» Des vagues de plaisir commencèrent à déferler en moi, et lui continuait, et elle me chuchotait toujours en caressant mon visage : « Je t’aime, je t’aime, je t’aime… Â» Les vagues se succédèrent sans discontinuer, avec des orgasmes très doux, qui se muèrent vite en d’autres moins doux mais plus intenses.

Et puis il se passa quelque chose. Une onde prit naissance dans mes pieds et dans mes jambes, se propagea à mon ventre, puis jusqu’à ma poitrine et ma gorge, et mon âme jaillit du haut de ma tête. C’était la plus forte expérience de jouissance érotique que j’aie jamais eue – ou dont j’aie été témoin. La rousse m’expliqua plus tard que son nom technique était Kamikazi-Mega-Hiawatha Cela sonnait tout à fait juste.

Il finit par quitter la ville. Parti, il était parti.

Nous nous revîmes par un après-midi ensoleillé, elle et moi. Nous nous pressâmes l’une contre l’autre dans son lit avec nos doigts agiles… Mais il me manquait. Des sœurs aimantes, sans une bite entre nous.