Les 10 règles d’or

1. Se voir au maximum une fois par semaine, sauf circonstances exceptionnelles, ou s’il s’agit d’une décision mutuelle. Une semaine va du lundi au dimanche inclus : il peut donc y avoir une rencontre le dimanche et une autre le mardi, mais ensuite il ne peut plus y en avoir jusqu’au lundi suivant, début d’une nouvelle semaine.

2. Une rencontre se définit comme toute durée passée ensemble, sans limites précises de temps. Un rendez-vous voluptueux nocturne et un week-end à l’extérieur comptent tous deux à parts égales pour une rencontre.

3. Ne rien dire, ne rien demander sur la monogamie. Mais quand les partenaires sont ensemble, ils se doivent l’un à l’autre : pas de proxénétisme, de flirts, etc.

4. Les sujets extérieurs doivent être soigneusement évités : travail, amis et famille.

5. Les appels téléphoniques ne servent qu’à deux fins : organiser une rencontre ou, si on veut, remercier et donner suite à cette rencontre. Pas de longue discussion approfondie d’aucune sorte au téléphone – pas plus au sujet des autres que de notre relation, ni des événements sportifs du moment.

6. Les deux partis sont également libres de prendre l’initiative de la prochaine rencontre, mais celui qui appelle a, de préférence, une « proposition Â», un « projet Â». Exemple : « Tenez-vous prêt(e) à 18 heures vendredi, avec un nécessaire de voyage, des lunettes noires et une veste Â», ou bien : « Retrouvez-moi au Café Lulu à 21 heures, je n’aurai pas de culotte Â» ; ou encore : cinéma, dîner et sexe ; ou téléphoner à 22 heures – « Je viens vous sucer la bite Â» ; ou : « Passez me prendre et je vous surprendrai Â» ; ou « Discutons sans avoir de rapports sexuels Â»â€¦ Tout et n’importe quoi peuvent donner lieu à une rencontre. L’imagination est au pouvoir.

7. Une fois les partenaires réunis, subtilités des règles, ajouts et abrogations peuvent être discutés et renégociés, à condition d’éviter l’écueil que les rencontres ne portent que sur les rencontres.

8. Toutes ces règles, restrictions et limites sont destinées à permettre et favoriser la possibilité d’explorer à fond, pleinement et librement, le royaume érotique et tout ce qui l’accompagne.

9. On peut s’offrir des cadeaux, mais il n’y a absolument aucune obligation en ce domaine.

10. Toute modification de ces règles doit être discutée avec clarté et acceptée par les deux partis.

Je lui ai faxé le tout. Ces règles étaient une tentative follement raisonnable pour légiférer sur la séparation, éliminer tout domaine de contestation, intégrer notre vie sexuelle dans notre vie tout court. Bon, cela valait la peine d’essayer. À vrai dire, seule la troisième règle m’importait. Elle légiférait sur l’espoir.

Le jeu de la maîtresse a marché quelques mois. Il en a testé toutes les règles, une à une, comme un vilain petit garçon. Il m’achetait des robes et des sacs à main et croyait, dans son arrogance, l’emporter sur moi de haute lutte. Mais il était trop tard. Présentez-moi un homme arrogant et je déterre la hache de guerre… Ah, la colère légitime du féminisme ! Je m’étais enfin libérée des hommes qui tenaient une telle couche de problèmes que je croyais en avoir moi-même. Ce que j’ai appris de chaque relation, c’est la dose de souffrance affective que j’étais disposée à accepter. Ce fut la dernière relation conformiste que j’aie eue avec un homme.

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Cette relation a eu pourtant ses bons côtés. Quand je l’ai connu, le Petit Ami était en pleine thérapie avec le premier psy de sa vie. Il l’adorait – c’était une femme – ne tarissait pas d’éloges à son sujet et voulait que je la rencontre… En fait, il voulait sa bénédiction. J’étais la preuve de ses progrès. Entre-temps, j’avais eu aussi une psy pour m’aider dans mon divorce, mais je ne l’adorais pas. J’acceptai de rencontrer la sienne.

Je sortais avec lui depuis moins de quinze jours que j’étais déjà dans tous mes états. Nous sommes donc allés consulter ensemble. Et je l’ai mise sur un piédestal moi aussi. Oh, mon Dieu !

« Ne puis-je pas la voir, moi aussi ? Enfin, séparément ? Â»

Il trouva l’idée excellente : même « maman Â», terrain d’entente et connaissances comparables. Bien que moins enthousiaste, elle finit par donner son aval. Génial ! J’avais enfin la psy de mes rêves, et elle pourrait m’aider à gérer l’emmerdeur qui venait avec la nouvelle donne.

Voilà un autre genre de triangle – en soi, pas sexuel – mais plus insidieux. Toutes mes conversations avec le Petit Ami portaient sur notre thérapie différente et, de temps en temps, mutuelle. Au lit, nous étions certainement avec maman – l’ennui, c’est que j’en venais à aimer maman plus que je ne l’aimais, lui, alors qu’il restait convaincu qu’il était son patient chéri. Exactement comme quand un client a payé une strip-teaseuse pour trois tours de piste, qu’il a la trique et déclare avec le plus grand sérieux : « Je crois que je lui plais bien ! Â»

Lorsque j’ai inauguré le jeu de la maîtresse, notre chère thérapeute a annoncé qu’un de nous devait se retirer – ou les deux. Si nous devenions éventuellement non monogames et qu’elle était au courant, la thérapie serait faussée. Le Petit Ami déclara alors qu’il avait eu son content de thérapie et qu’il était prêt à suivre sa route seul, encouragé par la pensée que, si un individu préférait son amoureuse à sa thérapeute, c’était un signe de sa nouvelle indépendance et de sa nouvelle maturité. Cela tombait bien parce que, de mon côté, j’annonçai que je refusais catégoriquement de renoncer à la psy. Je préférais ma thérapeute à mon amant, ce qui était un signe de ma maturité grandissante : j’avais finalement choisi une femme de préférence à un homme.

Au bout de quatre ou cinq mois à jouer à la maîtresse, j’ai tout arrêté. Lors de mon dernier coup de téléphone au Petit Ami, l’ironie de la situation m’était apparue dans toute sa splendeur : il avait maintenant perdu non seulement son amoureuse mais aussi sa psy.

Je vois les choses ainsi : on ne peut jamais vraiment savoir ce que masque une relation donnée – avant un certain temps. Le dernier Petit Ami masquait mon désir de trouver une femme qui ne se contenterait pas d’observer et d’analyser mon mal-être, mais dont la présence même dans ma vie serait l’écho de mon aptitude, jusque-là improbable, à me considérer au-dessus – et en dehors – de n’importe quel mâle. Et quand A-Man est entré dans mon univers, elle m’a soutenue aussi par-derrière –, pendant que j’apprenais à embrasser mon masochisme sexuel avant de l’extirper de mon existence.