La triste et mortelle condition de tant de femmes
Je suis une victime de la triste et mortelle condition de tant de femmes : papa ne m’a pas assez aimée dans mon enfance. Et mon expérience des hommes est devenue la longue série de mes tentatives, le plus souvent inconscientes et parfois désespérées, de combler ce manque, de retrouver cet amour, de guérir cette blessure, d’exprimer cette perte. Papa m’aime aujourd’hui, il m’accepte aujourd’hui, il me respecte aujourd’hui. Et je l’aime. Mais cela ne change rien. Ce manque, ce trou, s’est creusé de bonne heure et fait désormais partie de moi. Mon père ne peut plus le remplir.
D’ailleurs, qui serais-je s’il n’était pas mon père ? Je ne serais pas moi. Pas celle qui écrit ceci. Non, monsieur. Finalement, je lui suis donc reconnaissante. Au fond, je ne voudrais pas être la même inentamée, dans ce cas je n’aimerais peut-être pas être baisée par-derrière. Et alors, où serais-je ? Certainement pas dans ma posture privilégiée, calée sur Pink Square, le cul en l’air plusieurs fois par semaine. À la même heure, j’enchaînerais probablement quatre lessives pour mon mari et mes trois enfants, en me demandant comment combler le vide pesant que je ressens.
Je n’ai rencontré qu’une femme qui m’a dit qu’elle n’avait pas seulement adoré son père, mais que lui l’adorait aussi et l’avait toujours adorée. Elle m’a même déclaré fièrement qu’il était l’homme le plus cher de sa vie. Tous les hommes désiraient cette femme. Elle n’avait pas de blessure intérieure, ni colère ni rage. Elle a fini par épouser un chef d’entreprise follement riche. Mais le reste d’entre nous sommes meurtries, en colère et très remontées. De vraies bombes à retardement. Désamorcer la bombe est un défi pour l’homme féministe, et son arrogance lui fait croire qu’il peut y parvenir. Mais il ne peut pas. C’est ma blessure, c’est ma souffrance. Qui êtes-vous pour me les enlever ? Je n’ai nul besoin d’un sauveur, je n’ai nul besoin de votre pitié, nul besoin de vos jugements. J’ai besoin de baise… Et peut-être d’une gentille petite fessée pour soulager ma colère.
*
* *
J’ai toujours embrassé au féminin le défi que s’est jeté David Copperfield : être le héros, l’héroïne de ma propre vie. Seulement, j’ai toujours pensé que cela doit impliquer de grands exploits ou de terribles sacrifices. Mais non, il n’en va pas du tout ainsi. Quand je suce A-Man et qu’il me bourre le cul, je suis cette héroïne-là . C’est l’entière et profonde certitude que, à la fin des fins, j’ai réellement aimé un homme sans autre ordre du jour que de l’aimer. Après mon père, c’est en effet un miracle.
Il a débridé ma blessure.
Mon derrière a débuté dans la vie comme la petite cible blanche de la main sèche de papa. C’était le corps du délit, le lieu de l’humiliation, la partie à cacher à La Main. Il a reçu la marque de ma honteuse malice, de mes torts apparemment inavouables. J’étais Vilaine et j’étais Punie. Et maintenant ce même derrière – plus vieux mais plus sage – est le champ convoité du plaisir de mon amant, où je suis à la fois polissonne et récompensée. Et mon petit cul demeure donc le point de contact le plus fort avec les hommes les plus importants de mon existence. Il recèle mes terminaisons nerveuses les plus anciennes et les plus viscérales.
Y a-t-il un lien direct entre les fessées que j’ai reçues étant petite et mon goût pour la pénétration anale ? C’est possible. Si tous les pères qui fessent leur fillette pensaient qu’ils peuvent former ainsi une petite sodomite affamée, eh bien, cela pourrait être dissuasif.
Me faire sodomiser aujourd’hui, par choix, concilie cette blessure intime avec un scénario de mâle dominant et de petite fille obéissante. Au lieu d’être rejetée et réprimandée, je m’entends dire : « Bonne petite, bonne petite. » Plus je suis vilaine et plus je suce sa verge, meilleure je suis, jusqu’à ce que je sois la petite fille la plus sage au monde. Enfin, je suis aimée. Le soulagement que j’en tire est profond.
Avec ma soumission totale, j’exerce en réalité un grand pouvoir curateur : plus je suis soumise, plus il est excité, jusqu’au moment où j’atteins la phase ultime de la reddition et où il jouit. Il ne jouit qu’après que j’ai capitulé. Cela demande beaucoup d’abandon, de discipline et d’amour pour laisser un homme vous foutre le cul assez fort, assez longuement, assez profondément et assez vite pour décharger. Son orgasme est ma victoire sur mon moi mineur, sur la souffrance de ma colère. Il comble le trou. Je suis enfin une.