50
Le trajet de retour à la salle forte lui parut beaucoup plus long qu’à l’aller. Adam était seul. Il connaissait maintenant le parcours. Lucas Mann avait disparu dans le labyrinthe du quartier des condamnés àmort.
Alors qu’il attendait devant une porte à gros barreaux au centre du bâtiment, Adam eut brusquement conscience qu’il y avait beaucoup plus de monde maintenant que tout à l’heure - plus de gardiens, plus d’hommes avec des badges en plastique et des pistolets à la ceinture, plus de types au visage hostile, avec des chemisettes et des cravates en nylon. Ce qui allait se passer ressemblait à un happening, un événement singulier et excitant qu’il ne fallait surtout pas manquer.
Il desserra sa cravate alors que la porte cliquetait avant de s’ouvrir. Quelque part dans le labyrinthe de murs, de fenêtres et de barreaux, un gardien le surveillait. Il franchit la grille, tripotant le noeud de sa cravate et le bouton de sa chemise.
Maintenant que les vasistas étaient fermés, l’atmosphère de la galerie devenait suffocante. De nouveau, un fort cliquetis, un bourdonnement électrique, et il put s’engager dans l’étroit couloir qui mesurait, lui avait dit Sam, deux mètres trente. Trois rangées de tubes au néon poussiéreux projetaient des ombres vagues sur le sol. Adam, le pas lourd, passa devant les cellules obscures où étaient enfermés de féroces meurtriers, qui, pour le moment, étaient en train de prier ou de pleurer.
- De bonnes nouvelles, Adam? lui demanda, dans l’ombre, J.B. Gullitt.
Adam ne répondit pas. Tout en avançant, il regardait les vasistas. On pouvait y voir les différentes couches de peinture ayant bavé sur les vitres. Il se demandait combien d’avocats avant lui avaient accompli ce trajet du bureau de devant à la chambre forte pour signifier à un homme que la dernière lueur d’espoir s’était éteinte. Cette prison avait une longue histoire. Un grand nombre de ses confrères avaient souffert comme lui en effectuant ce parcours. Garner Goodman, par exemple,
avait averti Maynard Tole de la fatale décision. Cette pensée lui redonna un semblant de courage. Il s’arrêta devant la dernière cellule et attendit que la grille s’ouvre.
Sain et l’aumônier étaient toujours assis sur le lit, tête baissée, côte àcôte dans l’obscurité, et échangeaient quelques phrases à voix basse. Adam s’assit près de Sam et lui posa son bras sur les épaules. Elles paraissaient encore plus frêles.
- La Cour suprême a rejeté nos derniers appels, dit-il doucement, sa voix sur le point de se briser.
L’aumônier ne put retenir un petit gémissement. Sain hocha la tête comme s’il s’attendait à cette décision.
- Et le gouverneur vient à cet instant de refuser sa grâce.
Sain essaya de se redresser courageusement, mais il n’en eut pas la force. Sa tête s’affaissa davantage.
- Prions, dit Ralph Griffm.
- Tout est fini, alors? demanda Sam.
- Il n’y a plus rien à attendre, murmura Adam.
On pouvait entendre, au bout de la galerie, les voix excitées de l’équipe chargée de l’exécution. La chose allait enfin arriver. Une porte claqua quelque part derrière eux du côté de la chambre à gaz. Les genoux de Sain se mirent à trembler.
Adam n’aurait pu dire si le silence dura une minute ou un quart d’heure. Le temps n’en finissait plus de s’arrêter et de repartir dans une course devenue folle.
- Prions, mon révérend, l’heure est venue, dit Sam.
- Je le crois aussi. Nous avons assez attendu.
- Comment voulez-vous qu’on s’y prenne?
- Eh bien, Sam, pour quoi voulez-vous prier en ce moment?
Sain réfléchit un moment
- J’aimerais m’assurer que Dieu n’est pas furieux contre moi au moment de ma mort.
- Excellente idée. Et pourquoi pensez-vous que Dieu puisse être en colère contre vous ?
- C’est assez évident, non?
Ralph joignit les mains.
- Le mieux serait de confesser vos péchés et de demander à Dieu de vous pardonner.
Absolument tous?
- Vous n’avez pas à en faire la liste, simplement demandez à Dieu de vous pardonner vos mauvaises actions.
- Une sorte de repentir global.
- Ça marchera si vous êtes sincère.
- Diable, bien sûr que je suis sincère.
- Croyez-vous au diable, Sam?
- Oui.
- Croyez-vous au ciel?
- Oui.
- Croyez-vous que tous les chrétiens iront au ciel?
Sain hésita avant de répondre puis acquiesça lentement de la tête avant de demander
- Le pensez-vous?
- Oui, je le pense, Sain.
- Alors je vous crois sur parole.
- Parfait. Faites-moi confiance sur ce point. D’accord?
- Ça me paraît un peu trop facile. Il suffit de dire une prière àtoute vitesse, et tout est pardonné.
- Pourquoi cela devrait-il vous ennuyer?
- Parce que j’ai fait quelques petites choses assez atroces, mon révérend.
- Nous avons tous péché, Sain. Notre Dieu est un Dieu d’infinie bonté.
- Vous n’avez pas fait ce que j’ai fait.
- Vous vous sentiriez mieux si vous en parliez?
- Oui. Je ne me sentirai jamais délivré à moins que j’en parle.
- Je vous écoute.
- Voulezvous que je sorte une minute ? demanda Adam.
Sain lui serra le genou.
- Non.
- Nous n’avons pas beaucoup de temps, Sam, dit Ralph en jetant un coup d’oeil par-delà les barreaux.
Sain respira profondément et se mit à parler d’une voix sourde. Seuls Adam et Ralph pouvaient fentednre.
- J’ai tué Joe Lincoln de sang-froid. J’ai dit que je le regrettais.
Ralph murmurait quelque chose pour lui-même tout en écoutant. Il priait déjà.
- J’ai aidé mes frères à assassiner les deux hommes qui avaient tué notre père. Franchement, je n’ai jamais eu le moindre remords jusqu’à maintenant. La vie m’est apparue bien plus précieuse ces derniers jours.
J’avais tort. J’ai participé à un lynchage lorsque j’avais quinze ou seize ans. Je faisais simplement partie de la populace et je n’aurais rien pu arrêter, même si j’avais essayé. Mais je n’ai pas essayé, de sorte que je me sens coupable.
Sain s’arrêta. Adam retint son souffle, espérant que la confession était terminée. Ralph attendait patiemment.
- Est-ce tout, Sam ?
- Non. ll y a autre chose.
Adam ferma les yeux en essayant de rassembler son courage. Il se sentit vaciller. Il avait envie de vomir.
- J’ai participé à un autre lynchage. Un garçon prénommé Cletus.
Je ne peux me souvenir de son autre nom. Un lynchage organisé par le KKK. J’avais dixhuit ans. C’est tout ce que je peux dire.
Ce cauchemar n’aurait donc jamais de fin, se dit Adam.
. Sam respira de nouveau profondément et garda le silence pendant plpsiéurs minutes. Ralph priait avec ferveur. Adam attendait.
- Mais je n’ai pas tué les petits Kramer, dit Sam d’une voix tremblante. J’ai eu tort de participer à cette horreur. Je l’ai regretté et le regrette encore. C’était mal d’être membre du KKK, de haïr tout le monde, de commettre des attentats. Mais je n’ai pas tué ces enfants. Il n’était pas prévu de blesser qui que ce soit. Cette bombe devait éclater au milieu de la nuit quand personne ne serait dans les parages. C’est ce que je croyais vraiment. Mais l’engin avait été confectionné par quelqu’un d’autre, pas par moi. J’étais juste là pour faire le guet, pour conduire la voiture, un sous-fifre. L’autre type a fait en sorte que la bombe éclate bien plus tard que je ne le pensais. Je n’ai jamais su avec certitude s’il avait eu l’intention de tuer. Mais je le suppose.
Adam sentit ces paroles pénétrer au fond de lui-même. Il était trop bouleversé pour bouger.
- Mais j’aurais pu arrêter tout ça. C’est pourquoi je me sens coupable. Ces petits garçons seraient vivants aujourd’hui si j’avais agi courageusement avant que la bombe n’explose. J’ai leur sang sur mes mains.
Ralph posa doucement sa main sur la nuque de Sam.
- Priez avec moi, Sam.
Le prisonnier plaça ses deux mains devant ses yeux et posa ses coudes sur ses genoux.
- Croyez-vous que Jésus-Christ était le fils de Dieu, qu’il est venu sur la terre, qu’il a été conçu par une vierge, qu’il a mené une vie exempte de péchés, qu’il a été persécuté, et qu’il est mort sur la croix afin de nous racheter? Croyez-vous tout cela, Sam.
- Oui, soupira-t-il.
- Et qu’il est ressuscité des morts et est monté au ciel?
- Oui.
- Et que, par son entremise, vos péchés vous seront remis? Toutes les choses horribles qui ont pesé sur votre coeur vous sont maintenant pardonnées. Croyez-vous à tout cela, Sam?
- Oui, oh oui!
Ralph retira sa main de la tête de Sam et s’essuya les yeux. Sam ne bougeait pas, mais ses épaules tressautaient. Adam le serra très fort contre lui.
Randy Dupree commença à siffler un autre couplet de “Juste quelques pas vers toi “. Il sifflait bien et fort. La mélodie se répandait partout, angélique, dans la galerie.
- Mon révérend, dit Sam en se raidissant un peu, est-ce que ces petits Kramer seront au ciel?
- Oui.
- Mais c’étaient des Juifs.
- Tous les enfants vont au ciel, Sain.
- Est-ce que je les verrai là-haut?
- Je ne sais pas. Il y a bien des choses que nous ignorons sur le ciel.
Mais la Bible nous promet que nous ne serons plus jamais tristes lorsque nous serons là-haut.
- Alors j’espère les voir.
La voix caractéristique du colonel Nugent mit fin à cet instant paisible. La grille de la galerie émit un son métallique, cliqueta et s’ouvrit. ll s’avança de deux mètres vers la porte de la salle forte. Six gardiens se tenaient derrière lui.
- Sain, il est temps d’aller dans la chambre d’isolement. Il est onze heures.
Les trois hommes se levèrent. La porte de la cellule s’ouvrit et Sam sortit dans le couloir. Il sourit à Nugent, puis se retourna et prit l’aumônier dans ses bras.
- Merci, dit-il.
- Je t’aime, mon frère ! cria Randy Dupree de sa cellule qui se trouvait à quatre mètres.
Sam regarda Nugent et lui demanda
- Est-ce que je peux dire au revoir à mes amis?
Un imprévu. Le manuel était formel sur ce point, le prisonnier devait aller directement de la salle forte à la chambre d’isolement. Aucune mention n’était faite d’une dernière promenade dans la galerie. Nugent était abasourdi. Après quelques secondes, il se ressaisit
- Bien sûr, mais faites vite.
Sam s’avança de quelques pas et serra la main de Randy à travers les barreaux. Puis il gagna la cellule suivante et tendit la main à Harry Ross Scott.
Ralph Griffm se faufila parmi les gardiens et quitta la galerie. Il se réfugia dans un coin sombre et se mit à pleurer comme un enfant. Il ne reverrait plus jamais Sam. Adam se tenait debout sur le seuil de la cellule, près de Nugent. Les deux hommes regardaient Sam tandis qu’il longeait le couloir et s’arrêtait devant chaque cellule en disant à voix basse quelques mots à chacun des détenus. Il passa un plus long moment avec J.B. Gullitt dont on pouvait entendre les sanglots.
Puis il se retourna et, courageusement, s’avança, comptant ses pas et souriant à ses copains tout en marchant. Il prit la main d’Adam.
- Allons-y, dit-il à Nugent.
Il y avait tant de gardiens en attente au bout de la galerie qu’il fallait tourner les épaules pour avancer. Nugent ouvrait la voie, suivi de Sam et d’Adam. Cette concentration humaine faisait monter de quelques degrés la température et épaississait un air déjà étouffant. Cette démonstration de force était nécessaire pour soumettre ou inciter àl’obéissance un prisonnier récalcitrant. Mais cette précaution paraissait absurde avec un petit vieillard tel que Sam Cayhall. Les sept mètres du trajet ne prirent que quelques secondes. Adam grimaçait de douleur àchaque pas. Dans la chambre d’isolement, la porte qui faisait face à celle de l’entrée était fermée. Elle conduisait à la chambre à gaz.
Adam et Sam s’assirent sur le lit de camp. Nugent ferma la porte et
s’agenouilla devant eux. Les trois hommes étaient seuls. Adam remit son bras , sur les épaules de Sam.
Nugent avait sur le visage une expression de douleur exagérée. Il posa une main sur le genou du prisonnier.
- Sam, nous allons effectuer cette épreuve ensemble. Maintenant…
- Tais-toi, tordu, lâcha Adam, étonné lui-même de la violence de son intervention.
- Ce n’est pas sa faute, dit Sam gentiment à Adam. C’est un idiot, ;1 ne comprend rien à rien.
Nugent ainsi rabroué essaya de trouver une réplique.
Adam
- Je cherche simplement à faire de mon mieux, d’accord? dit-il à
- Et si vous partiez? lança Adam.
- Écoutez-moi, Nugent, dit Sam. J’ai lu des tonnes de livres de droit. J’ai lu des pages et des pages sur les règlements des prisons. Et nulle part je n’ai lu quelque chose qui m’oblige à passer ma dernière heure avec vous. Pas de loi là-dessus, pas de statut, pas de règlement,
rien. - Foutez donc le camp ! dit Adam, prêt à frapper si c’était nécessaire.
Nugent sauta sur ses pieds.
- Le médecin entrera par cette porte à onze heures quarante. Il
posera un stéthoscope sur votre poitrine, fuis s’en ira. À onze heures cin
quante-cinq, ce sera mon tour d’entrer. A ce moment-là nous gagnerons
la chambre a g q
porte
gaz. Une uestion .
Partez! gronda Adam en faisant un geste en direction de la
Nugent s’éclipsa.. Maintenant ils étaient seuls.
Seuls pour un heure.
Deux minibus de la prison s’arrêtèrent devant (espace réservé au public. Les huit journalistes tirés au sort et un des shérifs prirent place à(intérieur. La loi autorisait, sans obligation, le shérif du district où le crime avait été commis à assister à (exécution.
Le shérif du district de Washington en 1967 était mort depuis quinze ans, mais son successeur n’allait certes pas manquer pareille occasion. Il avait informé Lucas Mann qu’il s’appuyait sur la loi pour obtenir cette place. Il devait bien ça aux gens du district de Washington et en particulier à ceux de Greenville.
Mr. Elliot Kramer n’était pas à Parchman. Il avait projeté d’y venir pendant des années, mais son médecin s’y était opposé au dernier moment. Ruth Kramer n’avait jamais sérieusement pensé à assister à(exécution. Elle était chez elle à Memphis entourée d’amis, en attendant la fin. Aucun membre de la
mise à mort de Sam Gayhall
famille des victimes n’assisterait à la
On photographia et filma abondamment les minibus au moment où ils s’engageaient sur la voie principale. Cinq minutes plus tard, les
deux voitures s’arrêtaient devant le portail du QHS. On demanda aux journalistes de descendre. On devait les fouiller. Ils auraient pu dissimuler des appareils photos ou des magnétophones. Ils remontèrent dans les véhicules qui franchirent les deux entrées, roulèrent sur (herbe le long de la façade du QHS, puis autour de (enclos ouest, avant de s’arrêter près de (ambulance.
Nugent en personne attendait la presse. Ils commencèrent immédiatement à regarder avec curiosité autour d’eux. Ils se trouvaient devant un bâtiment carré en briques rouges accolé à un immeuble tout en longueur. Le QHS. Le petit bâtiment avait deux portes. L’une fermée, (autre grande ouverte à leur intention.
Nugent n’était pas d’humeur à satisfaire la curiosité des journalistes. Il les poussa en direction de la porte ouverte. Le groupe pénétra dans une petite salle où deux rangées de chaises pliantes attendaient face àune sinistre tenture noire.
- Asseyez-vous, dit sèchement Nugent.
Il compta, les huit journalistes et le shérif. Trois sièges restaient vides.
- ll est maintenant onze heures dix, dit-il avec emphase. Le prisonnier est dans la chambre d’isolement. Devant vous, de (autre côté de ces rideaux, se trouve la cabine de la chambre à gaz. Le condamné y pénétrera à minuit moins cinq, pour être attaché sur le siège. Ensuite on fermera la porte. Le rideau sera alors tiré à minuit exactement et, lorsque vous découvrirez la chambre à gaz, le prisonnier sera déjà installé dans la cabine à cinquante centimètres environ de la vitre. Vous ne verrez que sa nuque. Je n’y suis pour rien, d’accord? Il faudra attendre environ dix minutes pour constater la mort. Puis le rideau sera refermé et vous retournerez vers les voitures. Pour le moment, patientez. Je suis désolé que cette pièce n’ait pas l’air conditionné. Quelqu’un a-t-il des questions à poser ?
- Avezvous parlé au prisonnier?
- Oui.
- Comment tient-il le coup?
- Je ne répondrai pas à ce genre de question pour (instant. Une conférence de presse est prévue à une heure, je le ferai alors.
Nugent quitta la salle des témoins et claqua la porte derrière lui. Il contourna rapidement le bâtiment et entra dans la chambre à gaz.
- ll ne nous reste qu’une heure à peine. De quoi aimerais-tu parler? demanda Sam.
- Oh, d’un tas de choses. De sujets pas trop pénibles.
- C’est assez difficile d’avoir une conversation plaisante en ce moment, tu sais.
- À quoi pensez-vous, Sam? Qu’est-ce qui vous vient à l’esprit?
- Tout.
- De quoi avezvous Peur?
- De l’odeur du gaz. Est-ce douloureux ou pas i) Je ne veux pas souffrir, Adam. J’espère que ça va vite. Je veux simplement respirer un bon coup et partir à la dérive. Je n’ai pas peur de la mort, Adam, mais en ce moment j’ai peur de mourir. J’aimerais que ce soit fini. Cette attente est insupportable.
- Êtes-vous prêt?
- Mon petit coeur de pierre a enfin trouvé la paix. J’ai commis pas mal d’horreurs, mon garçon, mais je sens que Dieu peut me donner une chance. Je ne la mérite certainement pas.
- Pourquoi ne voulez-vous pas me parler de l’homme qui était avec vous?
- Une trop longue histoire. Nous n’avons pas beaucoup de temps. - Cela aurait pu vous sauver la vie.
- Non. Personne ne m’aurait cru. Réfléchis. Vingttrois ans plus tard, je change brusquement mon fusil d’épaule et je rejette la faute sur un mystérieux inconnu. Ridicule.
- Pourquoi me mentir à moi?
- J’ai mes raisons.
- Pour me protéger?
- C’en est une.
- Il est dans les parages, n’est-ce pas?
- Oui. Il est là tout près. En fait, il est probablement, juste en ce moment, dehors avec les autres zigotos. Il surveille. Mais tu ne le verras jamais.
- C’est lui qui a tué Dogan et sa femme?
- Oui.
- Et le fils de Dogan?
- Oui.
- Et Clovis Brazelton ?
- Probablement. C’est un tueur de génie, Adam. Il est implacable. II nous a menacés, Dogan et moi, durant le premier procès.
- Connaissez-vous son nom?
- Pas vraiment. De toute façon, je ne te le dirais pas. Tu ne dois jamais en souffler mot à personne.
- Vous allez mourir pour un crime commis par quelqu’un d’autre.
- Non. J’aurais pu sauver ces petits garçons. Et Dieu sait que j’ai tué plus que ma part de gens. Je mérite ce qui m’arrive, Adam.
- Personne ne mérite ça.
- C’est nettement mieux que de vivre. S’ils me ramenaient dans ma cellule, juste maintenant, et que je doive y rester jusqu’à ma mort, tu sais ce que je ferais?
- Non.
- Je me tuerais.
Après avoir passé la dernière heure dans une cellule, Adam ne pouvait réfuter cette idée. Il commençait à peine à comprendre l’horreur de %ivre vint-trois heures par jour dans une cage minuscule.
- J’ai oublié mes cigarettes, dit Sam en tapotant sa poche de poitrine. J’imagine qu’il est grand temps d’arrêter de fumer.
- Est-ce que vous essayez d’être drôle?
- Oui.
- ça ne marche pas.
- Est-ce que Lee t’a montré le livre dans lequel on me voit participer à un lynchage ?
- Elle ne me fa pas montré. Elle m’a dit où il était et je l’ai trouvé. - Tu as vu la photo ?
- Oui.
- Un réunion des plus banales, n’est-ce pas ?
- Sinistre, sinistre, Sam.
- As-tu vu (autre photo de lynchage, une page plus loin?
- Oui. Deux types du KKK.
- Avec leur robe, leur bonnet et leur masque.
- Oui, je l’ai vue.
- C’étaient moi et Albert. Je suis derrière l’un des masques.
Ce que ressentait Adam était au-delà de tout ce qu’on peut imaginer. Il revit la monstrueuse photographie et essaya d’en repousser (image.
- Pourquoi me dites-vous ça, Sam?
- Parce que ça me fait du bien. Je n’ai jamais voulu le reconnaître auparavant. Il y a un certain soulagement à regarder la vérité en face. Je me sens mieux.
- Je ne veux plus rien entendre de ce genre.
- Eddie ne fa jamais su. Il a trouvé ce livre dans le grenier et de quelque manière a découvert que j’étais sur l’autre photo. Mais il n’a jamais su que j’étais derrière l’un des deux masques.
- Ne parlons pas d’Eddie, d’accord?
- D’accord. Et Lee?
- Je suis furieux contre elle. Elle nous a laissés tomber.
- Ça m’aurait été agréable de la voir, tu sais. Son absence m’a fait souffrir. Je suis content que Carmen soit venue.
Enfin un sujet plus agréable.
- C’est une fille bien, dit Adam.
- C’est une fille formidable. Je suis fier de toi, Adam, et de Carmen. Vous avez tous les deux hérité des bons gènes de votre mère. Je suis heureux d’avoir deux merveilleux petits-enfants.
Adam écoutait mais n’essaya pas de répondre. Quelque chose cogna contre la porte. Ils sursautèrent tous les deux.
- Nugent doit jouer avec ses gadgets, dit Sam, frissonnant encore. Tu sais ce qui fait vraiment mal?
- Non.
- J’ai beaucoup réfléchi. Je me suis réellement torturé ces derniers jours. Je te regarde, toi, et je regarde Carmen, et je vois un garçon et une fille intelligents, à (esprit ouvert, au coeur généreux. Vous ne haïssez
personne. Vous êtes tolérants, larges d’esprit, instruits, ambitieux. Vous foncez dans la vie sans ce fardeau qu’on m’a collé sur les épaules à la naissance. Je te regarde, toi, mon petitfils, ma chair et mon sang, et je me dis: ” Pourquoi ne suis-je pas devenu quelqu’un d’autre? Quelqu’un comme toi ou Carmen? ” C’est difficile de croire que nous sommes du même sang.
- Allons, Sam. Pas ça.
- C’est plus fort que moi.
- Je vous en prie.
- Bon. Bon. Parlons d’autre chose.
Sa voix s’éteignit doucement, et il se pencha en avant, sa tête était si basse qu’elle pendait presque entre ses genoux.
Adam aurait aimé avoir une conversation sérieuse au sujet du mystérieux complice. Il aurait voulu connaître les détails de l’attentat. Il aurait souhaité apprendre ce qui pouvait lui arriver à cause de ce type. Mais, bien entendu, Sam ne répondrait pas à ses questions. Son grandpère emporterait bien des secrets dans sa tombe.
L’arrivée du gouverneur en hélicoptère créa une certaine agitation devant l’entrée de Parchman. L’appareil atterrit de l’autre côté de la nationale où un break de la prison l’attendait. Accompagné de ses deux gardes du corps et de Mona Stark, McAllister monta allègrement dans la voiture. ” Le gouverneur! ” cria quelqu’un. Les chants et les prières s’interrompirent un instant. Les cameramen se précipitèrent pour filmer la voiture qui franchit rapidement le portail avant de disparaître.
Quelques minutes plus tard, elle s’arrêtait près de l’ambulance, àl’arrière du QHS. Les gardes du corps et Mona Stark restèrent dans le break. Nugent vint à la rencontre du gouverneur et le conduisit dans la salle des témoins. L’homme politique s’installa au premier rang. Dans cette pièce infestée de moustiques, c’était une vraie fournaise. Nugent demanda au gouverneur s’il désirait quelque chose.
- Un esquimau, plaisanta
McAllister, sans faire rire personne.
Nugent fronça les sourcils et quitta la pièce.
- Pourquoi êtes-vous là? demanda immédiatement un journaliste.
- Sans commentaire, dit McAllister, fait suffisant.
Les dix personnes présentes restaient assises en silence, fixant la draperie noire et consultant à chaque instant leur montre. Les bavardages avaient cessé. Les gens évitaient de se regarder comme s’ils avaient honte de participer à un événement aussi macabre.
Nugent s’arrêta sur le seuil de la chambre à gaz et consulta une de ses listes de contrôle. Il était vingttrois heures quarante. Il demanda au médecin d’entrer dans (isoloir. Puis il ressortit et fit signe aux gardiens de quitter les quatre miradors. La possibilité qu’un peu de gaz les atteigne après (exécution était infime, mais Nugent mettait un point d’honneur à s’assurer du moindre détail.
Le coup frappé à la porte était à vrai dire extrêmement faible, mais à cet instant il retentit comme si l’on avait utilisé un marteau de forgeron. Il fit sursauter Adam et Sam. La porte s’ouvrit. Le jeune médecin entra, essayant de sourire, mit un genou en terre et demanda à Sam de déboutonner sa chemise. Puis il posa un stéthoscope sur la peau livide du condamné.
Le médecin garda le silence, ses mains tremblaient.
Il s’écarta légèrement et regarda Adam dans les yeux.
- Dis-lui que j’ai pensé à elle jusqu’à la fin. Je ne lui en veux pas de ne pas être venue. Je n’aurais pas, moi non plus, voulu venir ici si je n’y avais pas été forcé.
Adam acquiesça rapidement de la tête. Il s’efforçait de ne pas pleurer.
- Tout ce que vous voulez, Sam, tout ce que vous voulez.
- Dis au revoir à ta mère. Je l’ai toujours aimée. Embrasse Carmen pour moi, c’est une fille bien. Je suis désolé, Adam, de vous lasser un si terrible héritage.
- On se débrouillera, Sam.
- J’espère bien. Je meurs avec fierté à cause de vous, petit.
- Vous allez me manquer, dit Adam.
Des larmes coulaent sur ses joues. La porte s’ouvrit et le colonel