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À midi, le juge Slattery avait parfaitement pris conscience de la gravité de l’instant. Même s’il essayait de le cacher, il prenait un grand plaisir à cet îlot de calme au milieu de la tempête. À deux reprises, il avait parlé aux fonctionnaires de la cinquième chambre de La NouvelleOrléans et également, en personne, au juge de la Cour surpême, McNeely. Il avait aussi parlé au gouverneur, au procureur, à Gainer Goodman et à des douzaines d’autres personnes. Ses chaussures étaient restées sous son impressionnant bureau tandis qu’il marchait de long en large, pendu à son téléphone. Il jouissait énormément de ce moment de
‘Les journalistes apprirent rapidement qu’une audience était accordée. Non seulement ils encombrèrent la ligne téléphonique du bureau de Slattery, mais ils prirent position jusque dans le bureau de sa réceptionniste. On dut faire appel aux gardes nationaux pour les disperser.
Si le bureau de Slattery était sens dessus dessous, celui du procureur sombrait dans un indescriptible chaos. Roxburgh était devenu fou en apprenant qu’un des tirs au jugé de Cayhallavait atteint sa cible. On se bat contre ces brutes pendant dix ans à tous les échelons possibles, on va d’une cour de justice à l’autre, on bataille contre les conseillers les plus avisés des abolitionnistes, on produit en cours de route suffisamment de paperasse pour anéantir une forêt tropicale et, au moment où l’on tient le gibier dans la ligne de mire, une requête de dernière minute capte l’attention d’un juge qui se sent d’humeur conciliante.
Roxburgh s’était précipité dans le bureau de maître la Mort. Ils avaient constitué à la hâte une équipe regroupant les meilleurs juristes de droit criminel. On s’était retrouvé dans une grande bibliothèque pour consulter des piles et des piles d’ouvrages de droit récemment parus. Il leur fallait bien sûr des témoins. Qui avait vu Cayhall au cours de ce dernier mois? Qui pouvait témoigner de ce qu’il avait dit et fait? Il n’était plus temps de le faire examiner par un de leurs psychiatres. Lui, en revanche, en avait un. C’était un problème non négligeable. Pour
s’attaquer à Sain, avec l’aide d’un bon expert, l’État serait obligé de prendre son temps. C’est-à-dire de repousser l’exécution. Les gardiens le voyaient tous les jours. Qui d’autre? Roxburgh appela Lucas Mann qui lui suggéra d’en parler avec le colonel Nugent. Ce dernier avait vu Sam quelques heures plus tôt. Oui, naturellement, il serait heureux de témoigner. Ce vieux brigand n’était pas fou. ll était hargneux, voilà tout. Le surveillant Packer le voyait également chaque jour. Et la psychiatre de la prison, le docteur N. Stegall, (avait examiné et pouvait elle aussi témoigner. Il y avait également l’aumônier.
Morris Henry, maître la Mort, mit sur pied une section d’assaut de quatre avocats chargée de chercher des poux au docteur Anson Swinn. Trouver des affaires auxquelles il avait été mêlé. Obtenir des copies de ses témoignages. Ce type était un perroquet acheté, il fallait l’abattre.
Dès qu’il eut mis sur pied son plan d’attaque, Roxburgh prit l’ascenseur pour descendre dans le hall afin de bavarder avec les journalistes.
Adam gaza sa voiture dans le parking de l’hôtel de ville. Goodman l’attendait à l’ombre d’un arbre, en bras de chemise, mais le noeuf papillon impeccablement noué. Adam lui présenta Carmen.
- Le gouverneur veut vous voir à deux heures. Je quitte son bureau à l’instant. Je l’ai vu trois fois ce matin. Allons faire un tour chez nous, dit-il en faisant un geste en direction du centre-ville. C’est à deux pas. Avezvous vu Sam? ajouta Goodman en se tournant vers Carmen.
- Oui, ce matin.
- C’est bien.
- Que manigance le gouverneur? demanda Adam.
On marchait bien trop lentement à son avis. Détends-toi, se dit-il. Simplement, détends-toi.
- Qui sait? Il veut vous voir en tête à tête. Peut-être que notre campagne d’intox commence à lui taper sur les nerfs. À moins qu’il ne cherche à se faire de la publicité. Peut-être est-il sincère. Je n’arrive pas àsavoir ce qu’il nous réserve. En tout cas, il paraît éprouvé.
- Les coups de téléphone marchent bien?
- Magnifiquement.
- Personne n’a de soupçons?
- Pas encore. Franchement, nous frappons si fort et si vite que je doute qu’ils puissent trouver le temps de vérifier l’origine des appels.
Carmen jeta un coup d’oeil interrogateur à son frère, trop préoccupé pour s’en apercevoir.
- Quelles sont les dernières nouvelles du côté de Slattery? demanda Adam tandis qu’ils s’arrêtaient un instant pour regarder la manifestation qui se déroulait devant le perron de l’hôtel de ville.
- Rien depuis dix heures ce matin. Son adjoint vous a appelé àMemphis, et votre secrétaire lui a donné mon numéro de téléphone ici.
C’est~comme ça qu’ils ont pu me joindre. Slattery veut que les avocats soient au Palais à trois heures pour préparer le terrain.
- Qu’est-ce que ça signifie? demanda Adam qui voulait obliger Goodman à lui dire qu’ils étaient sur le point de remporter une victoire décisive.
- Franchement, je n’en sais rien. C’est une bonne nouvelle, mais personne ne peut savoir jusqu’à quel point. Des audiences à ce stade ne sont pas inhabituelles.
Ils traversèrent une autre rue avant d’entrer dans le bureau improvisé. Il était en pleine effervescence. Munis de leur téléphone sans fil, deux étudiants en droit étaient assis, les pieds sur la table, un autre, près de la fenêtre, parlait avec véhémence, un autre marchait de long en large devant le mur du fond, le combiné collé à l’oreille. Adam, debout dans l’entrée, essayait de réaliser ce qui se passait. Carmen n’y comprenait rien.
Goodman donna quelques explications à voix basse.
- Nous réussissons à passer en moyenne soixante appels par heure. On compose bien entendu plus de numéros, mais les lignes sont encombrées. Nous en sommes les responsables. Ça a le mérite de dissuader nos adversaires. Beaucoup plus calme durant le week-end. La ligne ouverte n’avait qu’une standardiste.
On aurait dit un directeur d’usine, fier de montrer son dernier robot.
- Mais qui appellent-ils? demanda Carmen.
- Aimeriez-vous manger quelque chose? demanda Goodman. Nous avons des sandwiches.
Adam refusa.
- Mais qui appellent-ils? demanda à nouveau Carmen.
- La ligne ouverte du gouverneur, répondit Adam, sans en dire davantage.
Carmen jeta un coup d’oeil interrogateur à son frère. Mais c’est Goodman qui fournit l’explication.
- Ces jeunes gens sont des étudiants en droit de l’université du Mississippi, expliqua-t-il. Nous en avons employé une douzaine depuis vendredi, d’âges différents, des Blancs, des Noirs, des hommes et des femmes. Le professeur Glass nous a rendu un fier service en mettant tout ce monde à notre disposition. Lui aussi passe des appels. De même que Hez Kerry et ses adjoints de l’Association contre la peine de mort. Au moins une vingtaine de personnes travaillent pour nous.
Ils avancèrent trois chaises au bout de la table pour s’asseoir. Goodman trouva des boissons gazeuses dans une glacière en plastique et en posa quelques-unes devant eux. Il continuait de parler à voix basse.
- John Bryan Glass potasse la jurisprudence pendant que nous bavardons. Son dossier sera prêt à quatre heures. Hez Kerry s’est également mis au travail. Il prend contact avec des amis dans d’autres États où existe la peine de mort pour voir si cette sorte de cas s’est présentée
- Kerry est noir? dit Adam.
- Oui. C’est lui le directeur de l’Association contre la peine de mort dans le Sud. Très intelligent.
- Un avocat noir qui se démène pour sauver la vie de Sam.
- Pas important pour Hez. Pour lui, c’est d’abord une exécution. - J’aimerais le rencontrer.
- Vous le verrez. Tous ces garçons seront à l’audience.
- Et ils travaillent pour rien? demanda Carmen.
- Pas tout à fait. Kerry a un salaire. Quant au professeur Glass, il est payé par l’Université, mais bien entendu son travail actuel n’a rien àvoir avec ses fonctions officielles. Nous donnons cinq dollars de l’heure àchacun de ses étudiants.
- Qui les paie? demanda Carmen.
- Notre cher et vieux cabinet Kravitz et Bane.
Adam prit un annuaire téléphonique.
- Carmen doit partir cet après-midi, dit-il en le feuilletant.
- Je m’en occuperai, dit Goodman en reprenant l’annuaire. Où va-t-elle’?
- A San Francisco.
- Je verrai ça. ll y a un petit traiteur au coin de la rue. Pourquoi n’allez-vous pas manger un morceau? On se retrouve dans le bureau du gouverneur à deux heures.
- ll faut que j’aille à la bibliothèque, dit Adam en regardant sa montre.
Il était presque une heure.
- Allez manger, Adam. Et essayez de vous détendre. Nous aurons le temps tout à l’heure de parler stratégie.
- J’ai faim, dit Carmen qui avait envie d’être seule avec son frère. Elle s’arrêta dans la misérable petite entrée qui donnait sur l’escalier.
- Je t’en prie, explique-moi, ditelle en lui serrant le bras.
- Quoi?
- Cette pièce ici.
- C’est assez évident, non?
- Est-ce légal ?
- Ce n’est pas illégal.
- Est-ce moral ?
Adam respira profondément et fixa le mur. - Que vont-ils faire à Sam? - L’exécuter. - L’exécuter, le gazer, le supprimer, l’assassiner, appelle ça comme tu veux. Mais c’est un crime, Carmen. Un crime légal. C’est mal, et j’essaie de l’empêcher. C’est une sale affaire, et, si je dois prendre quelque liberté avec l’éthique, je m’en moque. - Ça pue. - Le gaz aussi.
Elle secoua la tête mais garda le silence. Vingtquatre heures plus tôt, elle déjeunait avec son petit ami à la terrasse d’un café à San Francisco. Maintenant elle ne savait plus trop où elle en était.
- Ne me juge pas là-dessus, Carmen. Ce sont des heures terribles.
- D’accord, ditelle en s’avançant vers l’escalier.
Le gouverneur et le jeune avocat étaient seuls dans le grand bureau, calés dans de confortables fauteuils en cuir, les jambes croisées, leurs pieds se touchant presque. Goodman, quant à lui, conduisait Carmen àl’aéroport. Mona Stark s’était volatilisée.
- C’est étrange, voyez-vous, vous êtes son petitfils et vous ne le connaissez que depuis à peine un mois, dit McAllister d’une voix calme, légèrement fatiguée. Moi, je le connais depuis des années. En réalité, il fait partie de ma vie depuis très longtemps. Et j’ai toujours pensé que j’attendrais ce jour avec impatience. J’ai voulu sa mort, vous savez, une punition méritée pour avoir tué ces deux enfants.
Il repoussa sa mèche et se frotta doucement les yeux. Il parlait sans manière, comme s’il était en train de bavarder avec un ami.
- Mais maintenant, je n’en suis plus si sûr. Adam, cette tension me met à bout de nerfs.
Il était étonnamment ouvert, ou c’était un comédien accompli. Adam ne savait que penser.
- Qu’aura prouvé l’État du Mississippi si Sam est exécuté? demanda-t-il. Cet État ne sera pas un meilleur endroit pour vivre lorsque le soleil se lèvera mercredi matin et qu’il sera mort.
- Non. Mais vous ne croyez pas à la peine de mort. Moi, si.
- Pourquoi?
- Parce qu’il doit y avoir une punition radicale pour les meurtriers. Mettez-vous à la place de Ruth Kramer, et vous verrez les choses différemment. Votre problème, Adam, comme celui des gens de votre espèce, c’est que vous oubliez trop facilement les victimes.
- Nous pouvons discuter à perdre haleine de la peine capitale.
- Vous avez raison. N’en parlons plus. Est-ce que Sain vous a dit quelque chose de nouveau à propos de l’attentat?
- Je ne peux révéler ce que me dit Sam. Mais je réponds non.
- Peut-être a-t-il agi seul, je ne sais pas.
- Quelle différence aujourd’hui, la veille de son exécution?
- Si j’étais sûr que Sam n’était qu’un complice, que quelqu’un d’autre était responsable de la tuerie, alors il me serait impossible de le laisser exécuter. Je peux tout arrêter, vous le savez. On me mettra en pièces, bien sûr. Ça m’atteindra politiquement. Les dommages pourront être irréparables, mais peu importe. J’en ai assez de la politique. Je n’aime pas être dans la position de celui qui peut donner ou prendre une vie. Je pourrais pardonner à Sain si je connaissais la vérité.
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L’agent du FBI qui a mené (enquête le croit également. Pourquoi ne pas agir conformément à vos convictions et accorder votre grâce ?
- Parce que je n’en suis pas certain.
- Ainsi un seul mot de Sam, juste un nom jeté là durant les dernières heures, et c’est gagné, vous prenez votre stylo et vous lui sauvez la vie?
- Non. Mais je peux accorder un sursis afin qu’une enquête soit ouverte en fonction de ce nouvel indice.
- Ça n’arrivera pas, monsieur le gouverneur. J’ai essayé. Je le lui ai demandé si souvent et il a nié avec tant de force qu’il n’est même plus question d’en parler.
- Qui veut-il protéger?
- Bon Dieu, si je le savais!
- Nous nous trompons peut-être. Vous a-t-il jamais donné des détails sur (attentat?
- Une fois encore je ne peux vous révéler nos entretiens. Mais il en assume toute la, responsabilité.
- Pourquoi devrais-je alors envisager une mesure de grâce? Si le criminel lui-même reconnaît son crime, avoue qu’il a agi seul, comment voulez-vous que je l’aide?
- Aidez-le parce que c’est un vieillard qui va mourir très prochainement de toute façon. Aidez-le parce que c’est moralement juste, et parce que au fond de votre coeur vous en avez envie.
- ll me hait, n’est-ce pas?
- Oui. Mais ça peut changer. Faites-lui grâce, et il sera votre supporter le plus enthousiaste.
McAllister sourit et enleva le papier d’un bonbon à la menthe.
- Est-il réellement fou?
- Notre expert faffirxne. Et nous ferons de notre mieux pour convaincre Slattery.
- Bien sûr. Mais en réalité? Vous avez passé un grand nombre d’heures avec lui. Sait-il ce qui lui arrive?
À cet instant Adam décida de renoncer à la sincérité. McAllister n’était pas un ami. On ne pouvait lui faire confiance.
- Il est réellement déprimé. Franchement, je suis surpris que quelqu’un puisse garder l’esprit sain après quelques mois passés dans le quartier des condamnés à mort. Sam était déjà un vieillard lorsqu’il est arrivé et sa santé s’est lentement dégradée. C’est la raison pour laquelle il refuse toutes les interviews. Il est réellement pitoyable.
Adam n’aurait su dire si le gouverneur accordait foi à ses paroles. En tout cas il les avait entendues.
- Qu’avezvous prévu pour demain? demanda McAllister.
- Je n’en ai aucune idée. Cela dépendra de ce qui va se passer devant Slattery. Je resterai probablement auprès de Sam la plus grande partie de la journée. Je peux aussi être obligé de courir partout pour présenter de nouvelles requêtes.
demain.
Voici mon numéro de téléphone personnel. Restons en contact
Sain avala trois bouchées de haricots avec un peu de maïs, puis repoussa le plateau au bord de son lit. Le même gardien imbécile, au visage sans expression, le surveillait derrière les barreaux de la porte donnant sur la galerie. Être regardé comme un animal était franchement insupportable.
Il était six heures, le moment des informations du soir. Sain avait envie d’entendre ce que le monde extérieur disait de lui. On annonça immédiatement la nouvelle assez surprenante d’une audience de dernière minute devant le juge Flynn Slattery. Ensuite panoramique sur le palais de justice de Jackson. Un jeune homme, l’air tendu, déclara que l’audience avait été légèrement retardée : les hommes de loi se disputaient dans le bureau du juge. Il essaya, de son mieux, d’expliquer les enjeux. La défense soutenait maintenant que Mr. Cayhall n’était pas suffisamment sain d’esprit pour comprendre les raisons de son exécution. Selon ses avocats, il souffrait de troubles psychiques, voire de sénilité. Un psychiatre connu confirmait leurs dires. Personne ne savait quand le juge Slattery prendrait sa décision. Retour sur la speakerine. Malgré cela, à la prison d’État de Parchman, le dispositif était en place pour mener à bien l’exécution. Un autre jeune homme tenant un micro apparut brusquement sur l’écran, debout devant le portail de la prison. Il décrivit les mesures exceptionnelles de sécurité prises durant la journée. Puis la caméra fit un zoom sur le terrain où se déroulait la manifestation: militants du KKK, groupuscules de la suprématie blanche et partisans de l’abolition de la peine de mort.
La caméra revint vers le reporter, accompagné maintenant du colonel George Nugent, le directeur intérimaire de Parchman, le responsable de l’exécution. Nugent répondit avec mauvaise humeur à quelques questions. Il déclara qu’il avait la situation en main. Si les cours lui donnaient le feu vert, l’exécution aurait lieu conformément à la loi.
Sain éteignit la télévision. Adam l’avait appelé deux heures plus tôt. Il était donc au courant. Il ne s’étonna pas d’entendre qu’il était sénile, fou, et Dieu sait quoi encore. Néanmoins, cette idée ne lui plaisait pas du tout. C’était déjà affreux d’être exécuté mais de se voir calomnié publiquement, avec une
trop.
étonnante légèreté, lui semblait une humiliation de
La galerie était étouffante mais calme. Les télévisions et les radios marchaient en sourdine. Tout à côté, le Petit Prédicateur chantait doucement un negro spiritual. Ce n’était pas désagréable.
Ses nouveaux vêtements étaient soigneusement rangés, une chemise blanche et une paire de mocassins marron contre le mur. Donnie avait passé une heure avec Sam au cours de (après-midi.
Le prisonnier éteignit la lumière et s’étendit sur le lit. Trente heures à vivre.
La salle du tribunal était comble quand Slattery, finalement, libéra les avocats. C’était la dernière de trois réunions enflammées. Il était maintenant presque sept heures.
Chacun prit place. Adam près de Garner Goodman. Derrière eux se trouvaient Hez Kerry, John Bryan Glass et trois de ses étudiants en droit. Roxburgh, Morris Henry et une demidouzaine de leurs collaborateurs occupaient le bureau de l’accusation. Deux rangs plus loin, presque à côté de la barre, était assis le gouverneur avec Mona Stark àsa gauche et Larramore à sa droite.
Les journalistes composaient pratiquement le reste de (assemblée. Les appareils de prise de vues étaient interdits. Il y avait quelques curieux, des étudiants en droit, des avocats. L’audience était publique. Au dernier rang, vêtu d’une veste de sport luxueuse, se trouvait Rollie Wede.
A (entrée de Slattery, l’assemblée se leva.
- Asseyez-vous, dit-il dans son micro. Prenez note, ajouta-t-il à(intention du greffier.
Il donna un bref résumé de (appel et du texte de loi en vigueur et souligna les points saillants de cette audience. D n’était pas d’humeur àécouter des arguments interminables sur des sujets sans intérêt.
- Soyez brefs, intimat-il aux avocats. Est-ce que le requérant est prêt? demanda-t-il à l’intention d’Adam.
- Oui, monsieur. La défense demande le témoignage du docteur Anson Swinn.
Swinn, au premier rang, se leva et s’avança vers la barre où il prêta serment. Adam monta sur le podium. Il tenait à la main des notes parfaitement classées et tapées. C’était le résultat du travail de Hez Kerry et de John Bryan Glass.
Adam posa à Swinn les questions habituelles sur ses études et sa formation. Le psychiatre répondit avec (accent du Middle West. C’était parfait. Les experts doivent avoir un accent et avoir parcouru de grandes distances avant d’être réellement considérés. Avec ses cheveux et sa barbe noire en broussaille, ses verres fumés, son complet noir, Swinn donnait en effet (impression d’être un puits de science dans son domaine. Les questions préliminaires furent vite expédiées. Slattery avait déjà vérifié les qualifications de Swinn et décidé que le psychiatre pouvait effectivement témoigner en tant qu’expert.
Sous la houlette d’Adam, Swinn parla des deux heures qu’il avait passées avec Sam Cayhall mardi dernier. Il décrivit sa condition physique avec tant de délectation qu’à l’entendre Sam ressemblait déjà à un macchabée. De plus, il était probablement fou. Ce terme évidemment n’était pas reconnu par le milieu médical. Toutefois, le prisonnier avait de grandes difficultés à répondre aux questions les plus simples, du genre: Qu’avezvous mangé pour votre petit déjeuner? Comment
s’appelle le détenu dans la cellule voisine? Quand votre femme est-elle morte’? Qui était votre avocat au cours du premier procès ? etc.
Swinn préparait soigneusement ses arrières en répétant sans cesse àla Cour que deux heures n’étaient évidemment pas suffisantes pour faire un diagnostic valable de l’état de Mr. Cayhall. Il faudrait l’examiner plus longuement.
A son avis, Sam Cayhall ne comprenait pas qu’il allait mourir, ni pourquoi il était exécuté. Il n’avait certes pas conscience d’être puni pour le crime qu’il avait commis. Adam serrait les dents pour s’empêcher de grimacer d’horreur. Mais le psychiatre était convaincant. Mr. Cayhall était calme, décontracté, n’ayant aucune idée de sa fatale destinée. Il traînait toute la journée, sans but, dans une cellule de deux mètres sur trois. C’était, à vrai dire, une vision extrêmement pénible. Un des pires cas qu’il ait jamais rencontrés.
Dans d’autres circonstances, Adam aurait été scandalisé de voir à la barre des témoins un homme déballant de telles fumisteries. Mais, en ce moment, il était extrêmement fier de ce bizarre petit homme. Une vie était en jeu.
Slattery n’allait sûrement pas interrompre le témoignage du docteur Swinn. Cette affaire serait examinée dans quelques heures par la cinquième chambre, peut-être même par la Cour suprême des ÉtatsUnis. Il ne tenait pas à ce que quelqu’un audessus de lui puisse exiger un nouveau témoignage. Goodman s’en était douté. On avait donc demandé à Swinn de s’étendre le plus possible. Avec la bienveillance de la Cour, Swinn se lança dans l’énumération des problèmes de Sam. Il décrivit l’horreur de vivre dans une cellule vingttrois heures sur vingtquatre, de savoir que la chambre à gaz est pratiquement à la porte d’à côté, de n’avoir ni relations sociales, ni nourriture convenable, ni rapports sexuels, ni exercices, ni air pur. Il avait examiné un grand nombre de condamnés à mort dans le pays et connaissait bien leurs problèmes. Sain, naturellement, était un cas fort différent étant donné son âge. L’âge moyen des détenus dans le quartier des condamnés à mort est de trente et un ans. Et ils n’ont passé que quatre ans à attendre la mort. Sam en avait soixante et il était le premier d’entre eux à être arrivé àParchman. Ni physiquement ni mentalement, il n’était en état de supporter de telles conditions.
Swinn, aiguillonné par les questions d’Adam, parla pendant quarante-cinq minutes. Roxburgh monta alors sur le podium et dévisagea Swinn.
Le psychiatre savait exactement ce qui allait se passer, mais ça ne le préoccupait guère. Roxburgh lui demanda à brûle-pourpoint par qui il était payé et quel était le montant de ses honoraires. Par Kravitz et Bane, répondit Swinn. On lui donnait deux cent dollars de l’heure. Bonne affaire. Heureusement il n’y avait pas de jury dans la salle. Slattery savait que tous les experts sont payés, sinon ils ne témoigneraient vas. Roxburgh tenta ensuite de mettre en pièces les qualifications professionnelles de Swinn, sans aucun résultat. Le psychiatre avait fait de très bonnes études et avait reçu une excellente formation, c’était un homme d’expérience. Que pouvait-on trouver à redire au fait qu’il ait décidé, bien des années auparavant, de devenir expert plutôt que d’ouvrir un cabinet? Ses qualifications n’étaient pas diminuées pour autant. Et Roxburgh n’allait évidemment pas parler de médecine avec cet homme de l’art.
Les questions de Roxburgh devinrent de plus en plus insolites. Il interrogea le psychiatre sur les procès dans lesquels celui-ci avait témoigné. Un gamin avait été gravement brûlé dans un accident de voiture dans l’Ohio, et Swinn avait affamé que cet enfant était un handicapé mental. Un avis assez extrême.
- Où voulez-vous en venir avec tout ça? interrompit Slattery.
Roxburgh jeta un coup d’oeil à ses notes
- Votre Honneur, nous essayons de discréditer ce témoin.
- Ça ne marche pas, monsieur Roxburgh. La Cour n’ignore pas que le docteur Swinn a témoigné dans de nombreux procès. Quelle importance cela peut-il avoir?
- Nous essayons de démontrer qu’il ne répugne pas à donner d’étranges avis si les honoraires sont à la hauteur.
- Les avocats font cela tous les jours, monsieur Roxburgh.
Quelques rires s’élevèrent dans le public.
- Je ne veux plus entendre ce genre de chose, lança sèchement Slattery. Continuons.
Roxburgh aurait dû regagner sa place, mais l’instant était décisif. Il attaqua sur un autre plan. Il posa des questions sur l’examen de Sam effectué par Swinn. En vain. Swinn fournissait à chaque question une réponse correcte qui donnait du poids à son témoignage. Il répéta très volontiers la triste description qu’il avait déjà faite de l’existence de Sam Cayhall. Roxburgh ne marquait aucun point et, se sentant battu, retourna s’asseoir. Swinn quitta alors la barre.
Le témoin suivant, qui devait être le dernier pour la défense, provoqua une surprise, même si Slattery l’avait déjà accepté. Adam demanda à entendre Mr. Garner Goodman.
Goodman commença par prêter serment. Adam l’interrogea sur la défense offerte par son cabinet à Sam Cayhall. Goodman en fit un bref résumé qui fut porté dans les minutes. Slattery en connaissait déjà l’essentiel. Goodman sourit lorsqu’il rappela les efforts de Sam pour se débarrasser de Kravitz et Bane.
- Est-ce que Kravitz et Bane représentent Mr. Cayhall en ce moment? demanda Adam.
- Oui.
- Êtes-vous ici à Jackson pour travailler sur cette affaire?
- En effet.
- À votre avis, monsieur Goodman, croyez-vous que Sain Cayhall
ait tout dit à ses avocats sur l’attentat Kramer?.
= Non, je ne le pense pas.
Rollie Wedge se redressa sur son siège.
- Pourriez-vous être plus explicite?
- Certainement. Il y a toujours eu une forte présomption qu’une autre personne accompagnait Sam Cayhall au moment de l’attentat Kramer, et durant les attentats précédents. Mr. Cayhall a toujours refusé d’en parler avec moi, son avocat. Même maintenant, il refuse de coopérer avec la défense. De toute évidence, il est d’une importance capitale pour la justice qu’il révèle tout ce qu’il sait à ses conseils. Malheureusement, il en est incapable. Il y a des faits que nous devrions savoir mais qu’il ne révélera jamais.
Wedge était à la fois tendu et soulagé. Sam tenait bon, mais ses avocats cherchaient à le sortir de son mutisme par tous les moyens.
Adam posa quelques questions et retourna s’asseoir. Roxburgh n’en posa qu’une.
- Quand avezvous parlé pour la dernière fois à Mr. Cayhall?
Goodman hésita et réfléchit un moment avant de répondre. Franchement, il ne pouvait s’en souvenir.
- Je n’en suis pas absolument certain. Cela doit remonter à deux ou trois ans.
- Deux ou trois ans? Et vous êtes son avocat?
- Je suis un de ses avocats. Mr. Hall est maintenant son défenseur principal. Il a passé un nombre considérable d’heures avec son client durant ce dernier mois.
Roxburgh s’assit et Goodman retourna à sa place.
- Nous n’avons pas d’autres témoins, Votre Honneur, dit Adam, mais ces mots s’adressaient en réalité au greffier.
- Faites venir votre premier témoin, monsieur Roxburgh, dit Slaterry.
- L’État du Mississippi demande le témoignage du colonel Nugent, annonça Roxburgh.
On alla chercher Nugent dans le hall pour le conduire à la barre. Sa chemise et son pantalon kaki étaient superbement repassés. Ses chaussures étincelaient. Il déclara à l’intention du greffier son identité et ses occupations.
- J’étais encore à Parchman il y a une heure, dit-il en regardant sa montre. Je suis arrivé ici à bord d’un hélicoptère officiel.
- Quand avezvous vu Sam Cayhall pour la dernière fois? demanda Roxburgh.
- Nous l’avons conduit à la cellule d’observation à neuf heures ce matin. Je lui ai parlé à ce moment-là.
- Était-il sain d’esprit ou restait-il prostré comme un imbécile?
Adam se préparait à bondir pour faire une objection, mais Goodman le retint par le bras.
- Il était parfaitement conscient, dit vivement Nugent, et avait l’esprit alerte. Il m’a demandé pourquoi il devait changer de cellule. Il
comprenait parfaitement ce qui se passait.
- L’avezvous vu hier?
- Oui.
- Parlait-il normalement, ou restait-il allongé comme un légume?
- Oh, il était très loquace.
- De quoi avezvous parlé?
- J’avais une liste des choses dont il me fallait discuter avec lui. Il s’est montré hostile, menaçant même. C’est quelqu’un d’extrêmement caustique, à la langue acérée. Il s’est calmé un peu et nous avons parlé de son dernier repas, des témoins qu’il lui fallait choisir, de ce qu’on ferait de ses effets personnels. Ce genre de problèmes. Nous avons également évoqué son exécution.
- Était-il conscient de la réalité du châtiment?
Nugent éclata de rire.
- Qu’est-ce que c’est que cette question?
- Répondez-y, dit Slattery sans le moindre sourire.
- Naturellement. Il sait fichtrement bien ce qui se passe. Il n’est pas fou. Il m’a déclaré qu’il ne serait pas exécuté parce que ses avocats faisaient donner l’artillerie lourde. C’est son expression. On a affaire à un coup monté, dit Nugent en faisant un large geste en direction de l’assistance.
Roxburgh l’interrogea alors sur ses précédentes rencontres avec Sain. Nugent n’épargna aucun détail. Apparemment, il se souvenait des moindres paroles que Sam avait prononcées au cours de ces deux dernières semaines, en particulier de ses sarcasmes et de ses railleries.
Adam savait que c’était vrai. Il échangea quelques mots à voix basse avec Garner Goodman, et décida de renoncer au contreinterrogatoire. ll n’avait rien à y gagner.
Nugent descendit l’allée d’un pas martial et sortit de la salle du tribunal. L’homme était pressé. Du travail l’attendait à Parchman.
Le second témoin de l’État du Mississippi était le docteur N. Stegall, psychiatre de l’administration pénitentiaire. Elle s’avança à la barre tandis que Roxburgh parlait avec Morris Henry.
- Votre nom, s’il vous plaît, demanda Slattery.
- Docteur N. Stegall.
- Anne? s’enquit l’honorable juge.
- Non, N. C’est une initiale.
Slattery la regarda de haut en bas, puis jeta un coup d’oeil à Roxburgh qui haussa les épaules dans un geste d’impuissance.
Le juge se pencha en avant et fixa le témoin à la barre.
- Écoutez-moi, docteur, je ne vous demande pas votre initiale, je vous demande votre nom. Maintenant vous le dites au greffier, et rapidement, s’il vous plaît.
Le témoin tourna la tête, toussota et, à regret, lâcha
- Niny.
Ah, voilà, se dit Adam. Pourquoi ne l’a-t-elle pas changé?
Roxburgh prit les choses en main. Il lui posa une série de questions
rapides sur ses qualifications et sa formation. Slattery l’avait d’ailleurs acceptée comme témoin.
‘ - Dites-moi, docteur Stegall, commença Roxburgh en évitant soigneusement toute référence à Niny, quand avezvous vu Sam Cayhall?
Le docteur Stegall jeta un coup d’oeil à la feuille de papier qu’elle tenait à la main.
- Le jeudi 26 juillet.
- Et quel était le but de cette rencontre.?
- Ça faisait partie de mon travail. Je visite régulièrement les condamnés à mort, en particulier ceux dont la date d’exécution approche. Je leur donne des conseils, leur prescris des médicaments s’ils le demandent.
- Parlez-nous de l’état mental de Mr. Cayhall?
- En parfaite condition. L’esprit vif, la langue bien pendue, à la limite de la grossièreté. En fait, il s’est montré grossier avec moi et m’a priée de ne pas revenir.
- Avezvous parlé de son exécution?
- Oui. ll savait parfaitement qu’il ne lui restait plus que treize jours à vivre. Il m’a accusée de vouloir lui donner des tranquillisants afin qu’il ne cause aucun ennui le moment venu. IR m’a aussi exprimé son inquiétude à propos d’un autre condamné à mort, Randy Dupree, qui, à son avis, est en train de perdre la tête. Il était très inquiet à propos de Mr. Dupree et m’a vivement reproché de ne pas l’avoir examiné.
- A votre avis, Mr. Cayhall souffre-t-il d’une forme quelconque de dégénérescence mentale ?
- Pas du tout. Il a l’esprit extrêmement vif.
- Pas d’autre question, dit Roxburgh en retournant s’asseoir.
Adam monta d’un pas décidé sur le podium.
- Dites-nous, docteur Stegall, comment va Randy Dupree ? demanda-t-il d’une voix forte.
- Je… Euh… Je n’ai pas encore eu l’occasion de le rencontrer.
- Sam vous a parlé de lui il y a onze jours, et vous n’avez pas pris la peine d’aller le voir!
- J’étais très occupée.
- Depuis combien de temps faites-vous, ce travail?
- Quatre ans.
- Et, en quatre ans, combien de fois avezvous parlé à Sam Cayhall ?
- Une fois.
- Vous ne vous souciez guère des détenus confiés à vos soins, n’est-ce pas, docteur Stegall ?
- Mais pas du tout.
- Combien d’hommes sont détenus en ce moment dans le quartier des condamnés à mort?
- Eh bien, euh… je ne suis pas très sûre. Une quarantaine, je pense.
- À combien d’entre eux avezvous effectivement parlé? Donneznous quelques noms.
Était-ce par peur, par colère, par ignorance, en tout cas Niny fut incapable de répondre à cette question. Elle grimaça, inclina la tête d’un côté puis de l’autre, essayant de toute évidence d’arracher un nom à sa mémoire, mais en vain. Adam la laissa patauger un moment.
- Merci, docteur Stegall.
Puis il regagna lentement sa chaise.
- Faites venir votre témoin suivant, demanda Slattery.
- L’État du Mississippi demande le témoignage du surveillant Clyde Packer.
On alla chercher Packer. Il était en uniforme mais n’avait pas d’arme. ll jura de dire la vérité et s’appuya à la barre.
Adam ne fut pas surpris de l’effet produit par le témoignage de Packer. C’était un honnête homme qui disait simplement ce qu’il avait vu. Il connaissait Sain depuis neuf ans et demi. Il ressemblait toujours àl’homme qui était arrivé là-bas des années auparavant. Sam tapait à la machine tout au long de la journée. Il lisait énormément, en particulier des livres de droit. Il préparait des appels pour ses camarades du quartier des condamnés à mort. Il écrivait des lettres aux épouses et aux petites amies de ses compagnons illettrés. Il fumait cigarette sur cigarette parce qu’il voulait se tuer avant que l’État ne s’en charge. Il prêtait de l’argent à ses amis. De l’avis de Packer, Sam était sain d’esprit aujourd’hui, comme il l’était neuf ans et demi plus tôt. Son intelligence était particulièrement vive.
Slattery se pencha en avant lorsque Packer parla des parties de dames de Sam avec Henshaw et Gullitt.
- Est-ce qu’il gagne? demanda l’honorable juge.
- Presque toujours.
Mais le moment décisif de cette audience survint lorsque Packer raconta que Sam voulait voir un dernier lever de soleil avant de mourir. Ça s’était passé à la fin de la semaine dernière, alors que lui, Packer, faisait sa ronde matinale. Sam lui avait alors présenté calmement sa requête. Il savait qu’il allait mourir. Il aurait aimé se glisser dehors un matin tôt pour voir le lever de soleil. Samedi dernier, Sain avait passé une heure à boire du café en attendant l’aube.
Adam n’avait aucune question à poser à Packer.
Roxburgh annonça que le témoin suivant serait Ralph Griffin, l’aumônier de la prison. On conduisit Griffin à la barre. ll jeta un coup d’oeil gêné à la salle d’audience, déclina son nom et ses occupations, puis regarda Roxburgh, l’air perplexe.
- Connaissez-vous Sam Cayhall? demanda Roxburgh.
- Oui.
- Lui avezvous donné quelques conseils récemment?
- Oui.
- Quand l’avezvous vu pour la dernière fois?
- Hier. C’est-à-dire dimanche.
- Et comment décririez-vous son état mental?
- Ce n’est pas possible.
- Je vous demande pardon.
- Je veux dire qu’il m’est impossible de décrire son état mental.
- Et pourquoi pas ?
- Parce que, en ce moment, je suis son aumônier, et tout ce qu’il me dit ou fait en ma présence est strictement confidentiel. Je ne peux témoigner contre Mr. Cayhall.
Roxburgh essaya de gagner du temps, se demandant ce qu’il allait faire. Il était évident que ni ses assistants ni lui n’avaient pensé le moins du monde à cette éventualité. Peut-être avaient-ils supposé que, travaillant pour l’État du Mississippi, l’aumônier collaborerait volontiers avec eux. Griflin restait dans l’expectative, s’attendant à une attaque de Roxburgh.
Slattery régla la chose rapidement.
- Un très bon point pour vous, monsieur Roxburgh. Ce témoin ne devrait pas être ici. Qui est le prochain?
- Nous n’avons plus de témoin, dit l’avocat général, brûlant d’envie de quitter le podium et de retourner à sa place.
L’honorable juge gribouilla quelques notes, puis s’adressa à l’assis-
tance
- Je prendrai l’avis du conseil avant de rendre mon jugement, probablement tôt demain matin. Dès que ma décision sera prise, j’en ferai part à la défense. Inutile d’attendre ici. Nous vous appellerons au téléphone. La séance est levée.
On se leva rapidement pour gagner les portes du fond. Adam rattrapa le révérend Ralph Griffin pour le remercier, puis il retourna à la table où se trouvaient encore Goodman, Hez Kerry, le professeur Glass Bryan et les étudiants. Ils se rapprochèrent les uns des autres et parlèrent à voix basse. Quelqu’un proposa de prendre un verre, puis de dîner. Il était presque neuf heures.
Les journalistes attendaient dans les couloirs. Adam jeta quelques ” Pas de commentaire ” polis en continuant de marcher. Rollie Wedge se glissa derrière Adam et Goodman. Puis il disparut au moment où les deux avocats quittaient le palais de justice.
Des caméras étaient installées à l’extérieur. Roxburgh, depuis le seuil, s’adressait à un groupe de journalistes. Pas très loin, le gouverneur faisait de même. Au moment où Adam passait près de lui, McAllister expliquait qu’il examinait attentivement la possibilité d’une mesure de grâce et que, si cette nuit était un moment dur à passer, demain serait pire encore. Est-ce qu’il assisterait à l’exécution? demanda quelqu’un. Adam n’entendit pas la réponse.
On se retrouva dans une brasserie du centre-ville. Hez trouva une grande table dans un coin, près de (entrée, et commanda une tournée de bière. Un orchestre de blues déversait sa musique en sourdine. La salle était comble.
Adam s’assit près de Hez. Le premier moment de détente depuis des heures. La bière le calma. Hez et les étudiants en droit le félicitèrent. L’instant était agréable et l’atmosphère au beau fixe. Adam les remercia pour leur aide. Goodman et Glass étaient à l’autre bout de la table, absorbés dans une conversation sur une autre affaire de condamnation àmort. Le temps s’écoulait lentement.
- Le moment est probablement mal choisi pour en parler, dit Hez à voix basse afin de n’être entendu que d’Adam.
L’orchestre jouait un peu plus fort maintenant.
- J’imagine que vous allez retourner à Chicago lorsque ce sera fini, dit-il en regardant en direction de Goodman pour s’assurer qu’il parlait toujours avec Glass.
- J’imagine, dit Adam sans conviction.
Il n’avait guère le temps de penser à ce qu’il ferait après-demain.
- Eh bien, j’aimerais que vous sachiez qu’il y a un poste à prendre dans notre cabinet. Un de mes collaborateurs part dans le privé et nous cherchons un nouvel avocat. Nous ne nous occupons que de condamnations à mort, comme vous le savez.
- Vous avez raison, dit doucement Adam. C’est un curieux moment pour parler de ça.
- C’est un travail astreignant mais gratifiant. C’est aussi démoralisant, et bien entendu nécessaire.
Hez avala un morceau de saucisse et but une gorgée de bière.
- Le salaire est peu élevé comparé à ce que vous gagnez dans votre cabinet actuel. Peu d’argent, horaires impossibles, des masses de clients.
- Combien pouvez-vous donner?
- Vous pourriez débuter à trente mille dollars.
- J’en gagne soixante-deux mille en ce moment.
- Je connais ça. Je gagnais soixante-dix mille dollars dans un gros cabinet de Washington au moment où j’ai décidé de venir ici. J’allais d’un moment à (autre être nommé associé, pourtant ça ne m’a pas été difficile de partir. L’argent n’est pas tout.
- Vous prenez plaisir à ce genre de travail?
- On s’y attache. Il faut avoir de fortes convictions morales pour s’attaquer au système de cette manière. Simplement, réfléchissez.
Goodman regardait maintenant dans leur direction.
- Allez-vous à Parchman ce soir? demanda-t-il en élevant la voix.
Adam terminait sa deuxième bière. Il avait envie d’en commander une troisième, mais ce serait vraiment la dernière. La fatigue le gagnait rapidement.
- Non. J’attendrai demain matin pour être fixé.
La bière coulait à flots et l’atmosphère, qui était déjà à (optimisme, devint carrément euphorique.
gara, allongé dans le noir, attendait minuit. Il avait regardé les dernières informations et appris que l’audience était terminée. Le compte àrebôurs n’était pas stoppé pour autant. Il n’y avait pas de sursis. Sa vie était entre les mains d’un juge fédéral.
Une minute après minuit, il ferma les yeux et dit une prière. Il demanda à Dieu d’aider Lee à surmonter ses problèmes, de protéger Carmen et de donner à Adam la force d’accepter l’inévitable.
Il lui restait vingtquatre heures à vivre. Il posa ses mains sur sa poitrine et s’endormit.