Trompettes de la terre
Même quand on ne va pas aux champignons dès le début de septembre, on y pense. Le rapport à la forêt change du tout au tout. Plus de cercle de lumière au bout des allées cavalières, plus de désir lointain. Le regard rivé au sol, on se pénètre de feuilles, de mousses, de fougères déjà roussies : les révélations ne peuvent naître que de la proximité. Quand il s’agit de cèpes, de girolles, malgré les camouflages, c’est un coup d’éclat, un exploit biologique surgissant dans l’effraction, la rupture, une pépite éblouissante au fond de l’eau. Tout autre est le rapport avec les trompettes-de-la-mort. Peut-on parler de champignons ? Rien qui se dresse, qui surgisse. Aucune vibration. Une telle osmose avec les branches noircies tombées sur le sol, les racines, les feuilles les plus sombres qu’on doit bien se résoudre à l’idée qu’on les a manquées. Et puis, de temps en temps, on perçoit la première. Elle n’est jamais seule. Sur la carte, les trompettes-de-la-mort forment des continents secrets, au moins des archipels. Découvrir une trompette est un plaisir comme assouvi d’avance, une assurance d’abondance. Cela serait presque trop facile, s’il n’y avait en contrepoint l’extrême difficulté de jouer à la vigie : « Terre ! Terre à l’horizon ! »
Car c’est bien de terre qu’il s’agit, d’un affleurement rampant — souvent, il faut faire voler les feuilles avec la paume de la main pour sentir la fragilité caoutchouteuse du petit cratère noir. On palpe la forêt, et c’est comme un charbon précieux où se mélangent la poussière et le poussier. Rentré chez soi, on ne les lave pas vraiment : on les sépare du sous-bois. Certaines ont des reflets grisâtres, presque dissuasifs, des bords déchiquetés, meurtris. Mais jetez-les dans l’omelette : sur fond jaune triomphant, elles sont soudain d’ébène, et leur arôme se répand sans le moindre chichi. Les pauvrettes grisettes effarouchées se blottissaient en pure perte au ras des apparences. Dans la poêle, c’est de l’or noir.