Le faux musée Balzac
On vous en parle avec un feint étonnement, suivi d’une gourmandise appuyée. Non, vous ne connaissez pas ? Un endroit dé-li-cieux. Et puis il y a quelque chose... Une atmosphère ! Souvent, ce sont les mêmes personnes qui aiment faire la queue des heures pour l’exposition qu’il faut absolument avoir vue et qui vous vantent le musée où personne ne va. L’accroche finale est toujours similaire, en référence avec la finesse de votre sensibilité : je suis sûr(e) que vous adoreriez ça.
C’est ainsi qu’on se retrouve un matin de septembre au musée Gustave Moreau. Tellement seul qu’on se sent confus de solliciter un encadrement protocolaire, l’employé qui vous vend votre billet, et, à l’étage, la gardienne de salle. Une telle intimité semblerait devoir déboucher sur une relation humaine privilégiée. On fait coulisser à l’oblique les panneaux didactiques sur le peintre symboliste, quand, tout à coup, une voix aimable vocifère dans votre dos :
— Quand on déplace les choses, on pourrait les remettre !
À quoi bon bafouiller qu’on n’avait pas compris les usages, à quoi bon s’insurger ? L’hostilité reste latente. Pour se donner une contenance, on traîne encore un peu, puis on s’en va.
Mais c’est rue Raynouard, anciennement rue Basse, dans la maison de Balzac, que je connus mon expérience la plus sidérante. J’y arrivai avec quelques références croquignolesques, comme ces phrases-mots de passe qui autorisaient l’accès aux amis de l’écrivain, et dont l’absence éloignait les créanciers. Au choix : « La saison des prunes est arrivée » ou « J’apporte les dentelles de Belgique. » Voilà ce qu’il fallait susurrer à travers la porte dérobée de la rue Berton, étonnante ruelle de campagne avec son pavage couvert de mousse, en plein Passy.
La pluie de décembre réfrigérant quelque peu le charme du petit jardin, je pus errer, bien seul aussi, dans le bureau où Honoré rédigea plusieurs romans. Ici, l’importance du personnel, uniformisé à la fois par sa tenue bleue réglementaire et des origines indonésiennes communes, prenait des proportions baroques. Au milieu de la bibliothèque, dans le seul écho de mes pas sur le plancher, j’entendis naître un dialogue assez savoureux, compte tenu de l’ambiance cérémonieuse des lieux. Assis sur la chaise de repos traditionnelle, aux deux extrémités opposées de la pièce, un gardien et une gardienne échangeaient, sans la moindre gêne à mon égard, des arguments subtils où les mots de pouffiasse et de maquereau alternaient gentiment avec ceux de connard et de salope. Jusque-là, j’avais eu bien du mal à me sentir invité chez Balzac. Et, brutalement, la comédie humaine.