Un luxe suisse
Le pain et le beurre avec du chocolat, quand le chocolat et le beurre fondent juste un peu. Mais il y a mieux encore : la petite tablette de chocolat au lait vendue dans les boulangeries sous son emballage mauve pâle. Il y en a des jaunes aussi. Elles ont un petit côté cuisine pâtissière, France des années cinquante. Le mauve pâle, c’est autre chose : sous cette couleur de porcelaine se cache un plaisir raffiné. Le comble est d’acheter un petit pain juste à la taille de la tablette. La vache Milka Suchard évoque une douceur suisse à dominante laitière. On est loin des plaques de chocolat noir où la surenchère se joue en chiffres impressionnants : 73 % de cacao, 75 %..., dans un despotisme du goût pur, vrai. Qu’importe, si la petite barre de chocolat au lait ne plaît pas aux papilles adultes amères, sa suavité d’enfance en est multipliée. Et puis, le mauve de l’emballage n’est pas si douceâtre, à y regarder de plus près. Le paysage helvète y déploie une monochromie de presque orage, et un éclair d’acier vient le traverser quand on le décachette en atteignant la couche de papier métallisé.
C’est un goûter de luxe, sûrement pas pour tous les jours. La place même des tablettes, en retrait sur l’étagère de la boulangerie, loin de l’opulence des pains au chocolat double barre, de l’obscénité sucreuse des pains aux raisins pantelants, atteste cette espèce de jansénisme du conditionnement milkardien. Il faudra déplier, faire glisser, inciser finement le petit pain sur le côté. Quant au papier lui-même, on se gardera de le rouler en boule avant de le jeter. Une nécessité morale oblige à le lisser du bout de l’ongle, à le glisser dans une poche. La fin d’un luxe suisse.