Foire aux harengs
Foirauaran : quatre syllabes gutturales indissociées roulant au fond du gosier normand. La bouche s’ouvre à peine, soucieuse de ne pas offrir de prise à la bourrasque de novembre qui précipite les déferlements d’un ciel à la Ruysdael. On est loin de l’oignon, des ronds de carotte ou de l’odeur du four. À Lieurey, le hareng, c’est du vif. Même au plus fort des terres, on le fête en loup de mer, accoudé à l’espace, on fait front au grand large. Les silhouettes penchées, la main posée sur la casquette, se croisent avec ce coup d’œil complice que donnent à la fois l’adversité partagée et la récompense prochaine d’un café-calva mérité. Plus le temps est épouvantable et plus on le mérite. Il y a ainsi des pays de cocagne où le climat fait ce qu’il faut pour mériter souvent.
À dix heures du matin, il fait encore nuit. Stoïques, les commerçants lancent leur boniment en tenant d’une main la frêle armature de leur étal menacé par les rafales. Quelques notes d’accordéon volent au gré des courants d’air. L’heure n’est pourtant pas au rire des guinguettes, mais Maît’ Firmin avec sa blouse bleue, son pantalon bayadère, son fichu rouge, déambule fièrement, piano à bretelles déployé, sourire imperturbable aux lèvres.
Derrière lui, on s’active ferme dans les bacs de harengs. Du tablier en ciré jaune au pompon rouge des bérets, les connotations maritimes donnent au vendeur un air salé qui rafraîchit le commerce. Chacun d’eux lance à son tour une plaisanterie dont le retour cyclique rappelle que la répétition est l’âme de la pédagogie. Cela fait quand même une belle palette, amplement suffisante pour couvrir le temps de passage d’un chaland :
— Allons-y allons-y, c’est not’unique représentation !
— Un euro l’kilo, les harengs ; j’vous fais les cinq kilos à cinq euros !
Et, sur un air de Trenet destiné aux clientes indifférentes :
— Vous, qui passez sans me voir...
Les mains dans la fraîcheur poisseuse, la tête offerte au vent, il faut bien ce petit courant gouailleur pour réchauffer l’atmosphère... Le reste remonte à quelques siècles, à l’idée des ribauds, des tire-laine, des mendiants aveugles et des marchands de fouace. C’est du Bruegel revisité par Maupassant, un coin de France sous le ciel flamand.