Mistral toussant
Mistral gagnant : L’introduction au piano est magnifique, d’une nostalgie bouleversante. Par ailleurs, Renaud égrène, au long du texte, tous les bonbons de son enfance et les nôtres, avec mention spéciale pour les vrais roudoudous « qui nous coupaient les lèvres et nous niquaient les dents ». Mais des Mistral gagnants, il ne dit rien. Les deux mots suffisent pour ranimer un cérémonial singulier. Mistral gagnant : c’était Mistral perdant, le plus souvent, car on ne gagnait rien, une fois sur dix. La petite pochette allongée de papier blanc avait, tout en bas, au verso, un rabat qu’on soulevait dès l’objet acheté. « Gagnant », c’était un sachet gratuit en prime. Mais « perdant », au-delà de la petite résignation obligatoire passagère, c’était l’occasion de centrer son plaisir sur une réalité palpable, qui n’avait plus rien du miroir aux alouettes évoqué par le titre : dans Mistral gagnant, la moitié qui comptait, c’était Mistral. À preuve, on ne pouvait gagner qu’un autre Mistral — qui n’eût pas doublé le plaisir —, et c’est donc dans l’essence du Mistral que reposait l’espoir d’une satisfaction. Une montagne stylisée sur le sachet (en orange, ou en vert ? L’un et l’autre, peut-être) évoquait un contenu oxygéné, nordique et roboratif. On avait droit, pour le même prix, à un mince chalumeau de réglisse, destiné à aspirer la substance mystérieuse. Mais quelques irrépressibles mâchouillements avaient bien vite raison de cette pompe savoureuse que le fabricant vouait sans doute à une consommation post-mistralienne — en fait, on le mangeait toujours avant. Alors on tapotait avec d’infimes précautions le sachet incliné, et le Mistral déversait directement sa neige acidulée jusqu’au fond du gosier. Les lèvres et la langue essayaient en vain de maîtriser ce flot sucreux, piquant, qui faisait tousser avec une jubilation alpestre. On s’en mettait un peu partout, une bonne partie restait collée au tuyau de réglisse. Qui peut maîtriser le mistral ?