Nuage à la salade
de pommes de terre
Une délectation particulière attend ceux qui ne connaissent pas encore Alain de Botton. Ils sont nombreux, tant mieux pour eux. Saluons au passage les mérites de l’édition française qui a déjà publié, et même en poche, six livres, traduits de l’anglais, d’un auteur de trente-cinq ans, et ce bien que les premiers n’aient pas connu des ventes mirobolantes ; nos voisins anglo-saxons pourraient en prendre de la graine.
Botton, c’est un grand souffle frais d’intelligence, un bonheur pur. Bien sûr, je fus attiré d’abord par un certain opus intitulé Comment Proust peut changer votre vie. Mais tous les autres titres lus depuis permettent d’interroger un autre phénomène : comment Botton peut changer votre vie. Oui, changer votre vie, vous permettre par exemple de pénétrer, quel que soit votre âge, les problématiques amoureuses les plus modernes. Si vous appréciez à la fois la mélancolie analytique de Stefan Zweig et l’humour déjanté de Jerome K. Jerome ou de Peter Benchley, et que vous ne les pensez pas conciliables : lisez Botton. Vous aurez de plus le sentiment éminemment rajeunissant d’être contemporain du monde où vous faites semblant de vivre. Les compagnons de Botton sont souvent très anciens : Huysmans, Alexander von Humboldt, et même Diogène et Platon. Mais tous ces invités ne pèsent d’aucune austérité pontifiante. Le jeune auteur anglais leur fait manger de la soupe en boîte Campbell’s, et les accueille aux terrasses de Soho.
Je n’ai jamais pris l’avion. Pas la peine. Botton me l’a fait prendre, j’en connais le meilleur : « Personne ne trouve remarquable que, quelque part au-dessus d’un océan, nous soyons passés à côté d’une énorme île en barbe à papa blanche qui aurait fait un siège parfait pour un ange, ou même pour Dieu lui-même, dans un tableau de Piero della Francesca... De la nourriture, qui, mangée dans une cuisine, aurait été banale ou rebutante, devient plus intéressante et savoureuse en présence de nuages (comme une collation de pain et de fromage qui nous enchante quand on la mange au bord d’une falaise battue par les vagues). Grâce au plateau-repas, nous nous familiarisons avec ce lieu peu familier : nous nous approprions le paysage à l’aide d’un petit pain froid et d’une barquette de salade de pommes de terre. »
C’est bon, de décoller avec l’auteur de L’Art du voyage. Aucun risque à l’atterrissage. À chaque page, un vrai regard.