Choisir une formule
Salle des pas perdus, à Saint-Lazare, une formule à dix euros, boisson comprise. Il y en a largement pour deux. Le garçon le sait : il vous apporte deux couverts en plastique blanc emballés sous cellophane, deux gobelets pour partager la bière. La pizza végétarienne offre une quantité mirobolante de fonds d’artichaut, de gruyère, de tomate. Pourvu qu’ils ne changent pas le pizzaiolo.
Autour, il y a des gens qui ressemblent à tous ces voyageurs entre deux trains. Le temps n’est compté qu’en apparence. La grande horloge avance un peu. On est là trop tôt ou trop tard, on a raté son coup quelque part, et c’est très bon, cette petite défaite partagée. On n’a vraiment rien à faire que regarder passer d’autres passagers chargés comme des bourricots, suant, soufflant. Ils se précipitent vers les quais, espèrent attraper leur train de justesse, grand bien leur fasse. C’est tellement meilleur d’avoir raté le sien, et de devoir attendre trois quarts d’heure.
Il ne fait pas très chaud, la table ronde est bien étroite, le couteau en plastique ne coupe rien ; ils sont quand même un peu gonflés de faire payer les toilettes... Allez donc savoir pourquoi toutes ces microscopiques aspérités de la réalité prennent ici un goût jubilatoire. On est dans le transit résigné, en apparence. Mais cette plage de rien réveille des gris salutaires, des béances passées, une étonnante volupté de côtoiement facile. Il n’y a pas de ciel, mais les moineaux viennent picorer les miettes à vos pieds. En haut des murs, les silhouettes découpées de Caen, Cabourg, Deauville, dans le bistre et l’orange de vitraux poussiéreux, comme les plaques en relief d’un jeu désuet, pour les enfants d’un autre siècle. Il y a même du poivron dans la végétarienne.